Blank Space | feat Maxwell

Il ne me hurle pas dessus. C'est un bon début. En même temps, je ne suis pas étonnée, Maxwell n'est pas du genre à crier et à s'agiter dans tout les sens, contrairement à moi. Je n'ai pas besoin de ça pour savoir qu'il est furieux après moi. Je ne demande qu'à me racheter, sauf qu'il ne m'en laisse pas l'occasion. Il me demande de rester en retrait pendant qu'il nettoie et franchement, ça m'arrange un peu. J'ai un mal de crâne atroce et une envie constante de rendre mes boyaux sur le sol. Je m'installe donc sur le canapé, et je patiente tranquillement.

C'est mesquin si je vous avoue avoir failli rigoler en voyant sa tête, lorsqu'il a découvert l'état de ses consoles? Je regrette de ne pas avoir eu de caméra sur moi pour filmer sa réaction. Un petit bonbon pour les yeux et la femme bafouée en moi y a vu là un sentiment de justice. Je déchante très vite quand il se barre dans la chambre sans m'adresser le moindre mots. Il ne décolère pas et... c'est vraiment injuste! Il a ramassé mes cadavres de bouteilles, nettoyé les mouchoirs éparpillés. Je suis une femme en détresse, bordel! Un peu de compassion!

A son retour, je me surprend à lui lancer un regard noir. Il m'ignore! Il ne fait que ça, là où moi j'aurais préféré qu'on se déchire. Oui, ça serait fini en crise de larmes mais peut-être que là, au moins, on aurait mis les choses à plat. Puis, à force de rester là, sans rien faire, je me laisse envahir par mes vieux démons. Je repense à lui, à cette Ghilian, à ce qu'ils ont pu faire ensemble, ici, dans cet appartement. Dans notre lit, aussi?

- Si t’aimais pas la nouvelle déco, on pouvait juste en parler …

Okay. Ma langue claque contre mon palais, agacée. Il est sérieux? Il ose blaguer? Et insinuer qu'on pouvait en parler? Celui-là même qui garde le silence depuis son arrivée? Celui-là même qui a préféré se barrer plutôt que de discuter avec moi, hier soir? Je lui ai dit de partir. Okay. Et alors? Depuis quand il m'écoute? Mon manque de réponse ne le dérange pas plus que ça. Il nous prépare une omelette. L'odeur de nourriture me donne la nausée. C'est mal parti.

- Tu vas attendre que ça refroidisse ?

Je gonfle mes joues et le fixe. En même temps, je ne lui ai pas demandé de me faire à manger, alors qu'il ne commence pas à m'enquiquiner. Toutefois, c'est une forme de méa culpa... je crois? Alors je quitte le canapé et je le rejoins dans la cuisine. Il a bien bossé, je dois le reconnaître. Dans mon état, ça m'aurait pris une éternité.

Une fois à table, je trifouille mon omelette, pas convaincue. Comment il va le prendre si je refuse de manger? Je ne veux pas envenimer la situation, même si par moment j'ai des élans de colère qui me donne envie de lui arracher ses globes oculaires. Je lève donc mes yeux pour le fixer un instant. Non... je mens. Je les aime trop ses yeux. Ils sont magnifiques mais je suis incapable de soutenir son regard, alors je reporte mon attention sur mon assiette.

J'ouvre la bouche pour parler, combler le silence. Rien ne vient. D'un coup, je n'ai rien à dire. Alors je goûte le plat qu'il nous a concocté et... et le pire commence à arriver. Je sens la bile dans ma bouche. Je lâche ma fourchette et met ma main devant la bouche.

- Trop tôt, trop tôt, trop tôt, que je répète en boucle en courant dans la salle de bain.

Je mérite une médaille! J'ai régurgité l'alcool restant dans mon organisme au bon endroit. Pile dans la cuvette et en plus de ça, je ne m'en suis pas mis dans les cheveux, ou sur la chemise! Un merveilleux sans fautes que je suis sûrement la seule à apprécier. Je tire la chasse, me brosse trois fois les dents et je retourne enfin dans le salon. Je suis toujours vaseuse mais mon estomac me paraît plus léger.

- Ouais, je sais. Je n'ai que ce que je mérite, que je marmonne.

Si je me montre un brin teigneuse, je n'ose toutefois toujours pas le regarder en face. Je commence à me sentir vraiment honteuse, même si je n'en démord pas, il l'a bien mérité. Et surtout, je me demande à quel moment il va m'annoncer de partir et de chercher un appartement. Je panique à l'idée qu'il me quitte. Il le ferait vraiment? Des fois j'en doute. Toutefois... beh en un an et demi, beaucoup de choses gens et lui, il a changé!

Le pas traînant, je retourne m'installer à la table de la cuisine. Mes coudes sur le plan de travail, ma tête entre les mains, je lâche un énième grognement. C'est toujours la ramdam dans mon crâne.

- En tout cas les toilettes eux le méritaient pas.

Les paroles ne sont pas aussi blessantes que son ton tranchant. J'ai l'impression d'être transpercée par des couteaux à la lame affûtée. Je garde ma tête enfouie dans mes mains, car là au moins, il ne peut pas voir mes yeux se remplir de larmes. Ce n'est pas le moment de céder. Pas devant lui. Pas après la manière dont il se comporte avec moi. Je refuse de lui montrer à quel point il est peut être blessant. En partie parce qu'au fond de moi, je pense qu'effectivement, je l'ai mérité. Maxwell continue sa vie, il mange son putain de dessert, et j'ai l'impression d'être assise face à un mur. Je ne le vois pas, toujours la tête engoncée dans les paumes de main, mais son silence est redoutable, douloureux. Lorsqu'il se lève, je profite qu'il me tourne le dos pour essuyer les quelques larmes qui ont coulés. Les sales traîtresses!

- Tu m’as manqué … c’était dur sans toi et j’ai pas eu une seule journée sans pensée à toi, même si c’est à ma façon … Après, pour les petits, il a bien fallu continuer à vivre.

Premiers mots gentils depuis qu'il est revenu. C'est déjà ça, je suppose. Maintenant qu'il se lance vraiment dans son méa culpa, je ne peux plus m'accrocher à cette colère salutaire. Je vais devoir affronter mes démons, ceux qui me terrifient vraiment et arrêter de désigner Maxwell comme grand coupable.

- Si tu veux tout savoir, j’ai mis assez de côté pour qu’on se prenne une maison et j’ai signé la vente de cet appart’ déjà. Alors voilà, on aura déjà bien assez à penser avec la nouvelle maison, ça serait cool si tu foutais pas en l’air celui-ci avant que le nouveau proprio le récupère. On sera tous les quatre tranquille.

Okay. C'est bien. Je garde les lèvres scellées car mon énergie se concentre en une seule chose : ne pas fondre en larmes. Je me contente donc d'hocher machinalement la tête, au moins pour lui montrer que j'écoute ce qu'il me raconte. C'est cool qu'il ai acheté une maison. Les enfants vont être ravis mais... j'aurais aimé faire ça avec lui. Qu'on choisisse la maison ensemble. Comme un vrai couple. Et là... là j'ai juste l'impression d'être une pièce rapportée dans sa petite équation parfaite. Le soucis... c'est que je ne peux pas le lui reprocher. Ce qui me culpabilise encore plus.

- Euh … ils sont où les gamins d’ailleurs ?

Petit retour à la réalité, un autre genre de réalité. Je place une mèche de cheveux derrière mon oreille avant de répondre.

- Je les ai confié à une amie. Une sorcière, elle peut gérer nos gremlins.

Et accessoirement digérer mon retour d'outre-tombe. Ma petite voix est piteuse, ça m'emmerde. Faut que je reprenne du poils de la bête! Je me racle la gorge, comme pour retrouver une certaine contenance, puis je regarde l'heure sur le micro-onde.

- Elle nous les ramène dans un peu moins de deux heures.

Je quitte mon siège, commence à contourner la table pour rejoindre mon troll... puis je me stop à quelques pas seulement de lui. Il est là, à moins d'un mètre de moi. J'ai juste à tendre le bras pour le toucher, sauf que je me souviens de la décharge que j'ai pris tout à l'heure. Je me doute qu'il est encore en colère contre moi. J'ai joué ma chieuse. Détruit ses affaires. Je tire la tronche. J'ai les yeux aussi rouge qu'un drogué, à force d'avoir pleuré et mon nez tout irrité est laid à voir. C'est peut-être mieux que je le laisse tranquille.

- Du coup... ça te laisse du temps pour faire ce que tu veux. Te reposer, sortir.... ou peu importe.

J'hausse les épaules, roule des yeux et fais un geste vague de la main et tout ça, en simultané ce qui donne au final un truc étrange. Incapable de choisir entre ces trois options, mon corps a décidé de les faire en même temps. C'est comme ça, ça arrive. Je reste plantée devant lui quelques secondes, hésitante. J'ose pas lui demander un câlin. Je n'ose pas non plus me couler dans ses bras. Et j'ai l'impression que si j'ouvre encore la bouche, je vais dire une connerie. Alors je me ravise. Je l'ai assez emmerdé comme ça. Je lui adresse un sourire faiblard et tourne les talons pour me rendre dans la chambre.