L'épopée canapé

Pas habillé, pas frais, juste eu le temps de lire le message de l’autre ravagée que je l’entends déjà frapper à ma porte. Merde, elle va y faire des marques si je la laisse faire, c’est donc en calebut que j’accueille la jeune femme à mon domicile et les yeux encore douloureux par l’immense affluence de lumière dans le salon. Les yeux bleus et le soleil … pas besoin d’être un vampire pour trouver que l’astre du jour est un petit condescendant qui mérite de se calmer sur les rayons. J’ai envie d’attraper sa main qu’elle agite sous mon nez, mais mon geste s’avère bien trop lent en comparaison à l’entrain dont fait preuve la brunette.

« Minute … je m’habille. »

Si vous voulez tout savoir, je lui attribue le mérite d’avoir été organisée et efficace pour le coup. Elle est pas venue me chercher en scooter pour balader un canapé et elle a prévu même de le conduire. Très bien, j’emporte un thermos avec moi pour boire mon café sur le trajet. D’une traite j’extirpe un pantalon et un t-shirt de mon placard. Une chance que les jumeaux soient chez Nath depuis hier soir, Elaine avait envie de les avoir et de les garder avec son père … pas de soucis !

Je dévale les escaliers après avoir claqué la porte derrière moi et fermé à double tour, je pense que j’ai pas eu l’occasion d’être à la place passager depuis une blinde de temps, trop habitué à conduire ma Camaro. Je lui lance un regard foudroyant après m’être installé alors qu’elle décide de tester la fonctionnalité Klaxon de l’immondice qu’elle conduit. Ben pas de regret de pas être au volant de cet engin … j’ai autrement plus de classe que ça quand même.

« Merde Ghi ! »

Ça fait trois feux rouges qu’elle grille, sans compter les priorités qui ne sont là que pour elle apparemment et aussi les vitesses … Multiplions par deux celle qui lui semble la plus appropriée et vous aurez une bonne idée de pourquoi je me cramponne autant à mon fauteuil tout au long du trajet. J’essaye même pas de débouchonner mon thermos, si c’est pour ébouillanter mon entrejambe au premier virage qu’elle décide de prendre au dernier moment, je suis bon pour conclure ma descendance aux deux affreux qu’Axel m’a pondu … oui … j’en veux d’autres. J’avais prévu d’avoir quatre gamins à la base, mais bon … on verra bien. On arrive sur le parking d’un magasin lambda et j’adresse une recommandation à la brunette.

« T’es au courant que si tu fais ça au retour, ton canapé va pas arriver vivant au bureau ? »

Je l’attrape par les épaules et la tapote. Son mètre soixante m’oblige à me pencher intensément vers elle pour arriver à effectuer cette manœuvre.

« Je conduis au retour pour la peine. »

C’est pas une question, une affirmation, je tiens à ma vie, je tiens à mes investissements et je tiens à en finir vite avec cette histoire de canapé. Nous pénétrons le magasin de concert et je la retiens pour éviter qu’elle ne trottine trop vite trop loin. Ce petit bout de femme a une pêche inattendue et je résiste tant bien que mal à l’empêcher de rejoindre le bon rayon.

« Attends Ghi ! »

Elle se tourne vers moi si soudainement que je me retrouve proche d’elle. Son regard vert se plante dans le mien et j’avoue perdre mes moyens et même la phrase que je comptais prononcer. Par contre, le néon au-dessus de nous ne rate pas le coche et grésille de manière funeste alors que je me rends compte de la trop grande promiscuité entre la receleuse et moi. Non, mais on va dire que c’est l’adrénaline de la virée en voiture qui me fait de l’effet …

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J’esquisse un sourire à sa manière ingénue de vouloir aider le néon à survivre à mes petits problèmes de tension. Le vert électrique de ses yeux me fait définitivement de l’effet et je laisse tomber pour les pseudo remontrances que je m’apprêtais à lui administrer. Elle a un côté trop adorable pour que je puisse réellement lui en vouloir. C’est donc au pas de course que je suis la demoiselle en jean marine . Dans sa grande clémence, elle s’est emparée de ma main et je souffle doucement pour évacuer le stress que cela génère. Le rose me monte aux joues, mais je pense à des choses plus terre à terre pour ne pas lui montrer l’inconfort total dans lequel je baigne.

Indifférent face à la myriade de modèles qui s’offrent à nous, je laisse Ghilian se vautrer dans tous les canapés qu’elle souhaite sans broncher. Enfin, intérieurement j’ai envie de lui dire que son attitude est assez enfantine et que je pense qu’elle ferait mieux de regarder les caractéristiques avant de se jeter de tous les côtés dès qu’elle catalogue un modèle comme inadapté à ses besoins. La recéleuse passe d’un noir   à un anthracite   sans broncher, excepter pour l’accoudoir assassin qui manque de percuter l’arrière de son crâne.

Un nouveau sourire se dessine sur mes lèvres et je la regarde bouder et toutefois donner sa chance à un affreux canapé couleur moutarde  . Une horreur sans nom, je remercie qu’elle est une aversion totale pour le jaune   en général. Cependant, je concède à la rejoindre et m’assieds à ses côtés en tentant de garder une distance raisonnable avec elle.

« Chocolat   …   Sapin   … Crème   … Aubergine   … »

Ella a un souci avec les couleurs, c’est pas possible ! Elle connaît l’existence de nuancier ou est-ce qu’elle n’a pas tous les photorécepteurs de la rétine opérationnel ? Cette jeune femme est un mystère que je ne comprends pas.

« Or … ah oui orange   … »

Je rigole à ma propre connerie. Je me suis tellement amusé à la reprendre que je ne fais plus tant attention à si elle se trompe ou non. A sa requête, je hausse les sourcils et plante mon regard bleu électrique dans ses yeux.

« Je valide totalement, j’adore le carmin   aussi »

A sa moue boudeuse et son petit sourire en coin, je me mords la lèvre pour ne pas céder, mais bon. Elle est adorable à être aussi chiante, je dois être masochiste c’est pas possible.

« Laisse, je m’occupe de gérer l’achat, t’as déjà fait tous les essais, je peux au moins faire ça. »

Je l’invite à se rassoir et profiter de finir de tester le modèle d’exposition avant de trouver un vendeur qui daigne passer la commande et la … livraison. Ben merde, ils l’ont pas en stock, mais tant pis, je lui ferais oublier ce délai avec une crêpe si cela lui dit. Je reviens vers la jeune femme et lui explique le pourquoi du comment il était vaguement prématuré de prendre un camion, mais que j’apprécie l’efficacité dont elle a fait preuve ce matin.

« Bon … J’ai pas petit déjeuner, je t’invite à manger des pancakes ? Je connais un super resto dans le coin qui propose des petits déjeuners à mourir. »

Je lui tends la main pour l’aider à se relever, c’est sans compter sur mon aptitude légendaire à gérer mes émotions. Ce n’est pas que la main qu’elle attrape, mais le poignet puis glisse son bras autour du mien. Ça ne rate pas … les trois néons de l’allée finissent leur vie lamentablement alors qu’un survoltage certains parcourents le circuit électrique du magasin. Je sens le regard de la demoiselle sur moi, ose à peine lui jeter un œil. Quand enfin je me décide, c’est pour apercevoir un sourire en coin sur son faciès.

« Pas de commentaire, prends la crêpe en remerciement et laisse-moi avec mes problèmes de … haute tension … »

Si je dois commencer à lui donner des explications, j’en ai pour la journée, je vais bafouiller, être incertains et je déteste ça. Donc Zut !

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Facile à contenter, la belle me suit docilement alors que nous quittons le magasin et rejoignons la super camionnette. Je nous guide dans Chicago et le reste de la matinée se passe tranquillement alors que nous sirotons un smoothie original tout en dégustant une crêpe faite maison. Rien de mieux pour commencer une journée sereinement. Par la suite, je lui propose de la raccompagner chez elle et de déposer le camion là où elle a effectué la location. Ne me demandait pas pourquoi je me montre aussi serviable, j’en ai pas la moindre idée et j’aurais tendance à m’énerver si quelqu’un amène le sujet sur le tas. Je n’apprécie pas qu’on remarque que je suis prévenant.

Chose promise, chose due. J’envoie un sms à la brunette alors que le livreur me confirme lui-même la livraison du canapé pour le lendemain même, à 16h. Quelques jours se sont écoulés, pas un sans qu’elle me demande si j’ai des nouvelles. Alors voilà, j’en ai, je transmets. J’ai fini de manière excessivement rapide de retaper l’appart qui nous sert de bureau. Quelques sorts sont déjà en places, mais d’autres que je ne maîtrise pas encore devront attendre quelques essais avant de les appliquer. J’ai demandé expressément à Ghilian de ne pas venir au moment même de la livraison, de me laisser l’installer et de me rejoindre une petite demi-heure après. J’ai envie que tout soit parfait lorsqu’elle franchira le seuil de la porte, déjà parce que je suis perfectionniste et ensuite parce que Zut !

Le lendemain, j’arrive et gare ma Camaro dans la rue de notre nouvel espace de travail, j’effectue un rapide aller-retour dans l’appart avant de retourner attendre notre nouveau réceptacle à flaque. Les livreurs arrivent quelques minutes plus tard et je les guide à travers l’immeuble levant l’illusion pour dissimuler notre appartement temporairement. Je parierais que les deux mecs qui portent leur canapé ne comprennent pas pourquoi c’est moi qui me met à suer à grosses gouttes après seulement deux étages … Ah les humains …

Ils déposent le meuble, me font signer et s’éclipsent en se foutant de ma gueule. Je les électrocuterai bien sur place si j’étais pas à plat pour le moment. Je me dirige vers la salle de bain et passe un peu d’eau fraîche sur mon visage. Pas du tout mon domaine, moralité, je suis une brêle. C’est Shawn le dieu des illusions et franchement, faut que je lui demande de jeter un coup d’œil sur ce que j’ai fait pour qu’il me dise si j’ai fait de la merde. Soit je me suis planté, soit je l’ai bien réussi et il est super dur à lever. Enfin bref, peu importe, le plus important, c’est que j’entends la porte claquer alors qu’elle se referme et m’annonce l’arrivée de Ghilian. Un bruit mat m’annonce qu’elle vient de tester le canapé et je ne peux réprimer un sourire en sortant de la salle de bain. Etaler comme un vieux flan qui vient de s’écraser dans une assiette, la jeune femme est étalée de tout son long sur le canapé rouge qui fait admirablement bien ressortir sa silhouette gracieuse. Elle recroqueville ses jambes me permettant ainsi de m’assoir également.

« Bon ! ça valait le coup d’attendre le bon coloris si je m’abuse ! »

Je la rejoins et m’assieds à côté d’elle. Y’a pas à dire, en plus il est carrément confortable. J’étale mes bras le long du dossier et me permet de m’avachir partiellement. Je suis à plat pour le moment, mais je me penche et attrape la glacière que j’ai monté juste avant qu’ils arrivent. Cette fois juste des bières, fraîches. Une pellicule de condensation se forme rapidement sur le verre et je tends un flacon à la demoiselle après lui avoir décapsulé la sienne sur la boucle de ma ceinture. On dirait pas, mais je sais faire, c’est Axel qui m’avait montré.

« Et la déco en prime ! Allé, santé ! On l’a bien mérité je crois, surtout qu’après, on va pouvoir taffer. »

Je ne parle pas dans l’immédiat, enfin, sauf si elle le veut. Personnellement, je suis plutôt toujours opé pour travailler peu importe le jour et l’heure.

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Je ne réprime pas un rire goguenard à l’idée qui m’avait traversé de finalement commandé un vert canard. Mais non. Le rouge est le coloris le plus parfait pour l’environnement que je conçois ici, donc même pour la blague, cela ne valait pas le coup. Quant aux murs … blanc … blanc … blanc … cela aurait inconcevable pour moi de voir autre chose. On est pas à la foire, aucun élément bariolé ne viendra me distraire. Enfin, si, peut-être une ou deux figurines de mes héros préférés. Reste plus qu’à choisir lesquels.

« Tout est une affaire de goût ma chère. »

Je la regarde circonspect concernant sa réponse. Elle a pas envie de bosser et j’en ai aucun doute à l’entendre qu’elle préfère se distraire autrement.

…

Oh fichtre !

Toutes les couleurs de mon visage le quittent alors que je comprends le sous-entendu. C’est grâce à Axelonnie que je sais dorénavant déceler ce genre d’allusion implicite. Cela ne m’empêche nullement de faire grésiller furtivement toutes les lampes allumées de la salle. 1m90 à devoir ratatiner dans le canapé, je finis même par me cacher derrière ma bière et une longue gorgée avant de tenter une réponse.

« Hum … »

Tant d’émotions me traversent. Elle est belle et je ne dirais pas non a un peu de contact humain, mais rien ne me dit qu’elle ne se moque pas de moi. Et je suis dégouté en voyant ses pieds nus posés sur la table … Horrible. Sourcils froncés et une vague de pragmatisme me traverse violement. Je sais comment montrer mon côté sexy … ou gros con, c’est au choix.

Je laisse un long soupire m’échapper afin de me détendre avant de me redresser sur mon séant, saisir délicatement les jambes de la jeune femme et forcer ses pieds à regagner le sol. Va falloir vivre également par mes règles si elle veut que notre partenariat tienne dans le temps. Autant dire que cela m’aide grandement à reprendre de la contenance.

« T’es crade. »

Enfin je repose mon regard sur elle, elle se marre clairement de la situation. Et moi, je tombe tout droit dans le panneau en bleu que je suis.

« Je ne vais pas te faire le coup du guide touristique, virée romantique de la ville et tout le tralala. J’aime pas les gens et je suis pas sûr que les musées soient ton kiff si je t’y traîne. Par contre … »

Je toussote encore un peu ne comprenant d’où je tire cette audace si soudaine.

« Pour le reste, je peux être ouvert à un tas de proposition, mais rien de trop excentrique. »

On va dire que ça aussi je le dois à ma blondinette cadavérique de m’être un peu décoincé. Mais bon, elle a pas tort. On a un canapé neuf, des bonnes bières et aucune obligation immédiate pour nous empêcher de …

Et voilà le retour du cramoisi sur mon visage alors que je croise son regard diabolique. Quelle diablesse ! Je suis sûr qu’elle le fait exprès.

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Je souris en coin en pensant que la seule dégustation que je lui propose pour le moment, c’est moi-même. Et mon sourire se transforme alors que je mords ma lèvre pour contrôler le flot d’énergie qui m’assaille alors qu’elle pose sa main TROP près … vraiment trop près … J’suis plus d’humeur à résister ni même penser. Je ferme les yeux et inspire profondément avant d’éteindre les lumières d’un simple geste de la main. Pudique, certes, mais je suis aussi amateur de ce que mes doigts peuvent découvrir lorsque l’obscurité m’enveloppe et j’aime me fier à cette sensation.

Excentrique, je ne sais pas. Mais je ne rajoute rien et préfère simplement utiliser les dix doigts que j’ai au bout des mains pour déshabiller la jeune femme et ne lui propose pas plus que ce que j’ai envie. C’est pas exactement comme ça que j’envisageais d’inaugurer ce nouveau canapé, mais le cuir y survivra … et notre nouveau partenariat aussi. Je n’ai envie de rien d’autre que d’oublier tout le reste et m’abandonner dans ses bras. Rien de l’amant original, mais passionné assurément. Il faut dire que depuis le décès de ma blonde, j’ai un peu oublié que j’existais et que le travail ne pouvait pas être mon monde.

Toujours sur mes genoux, entièrement nue, nous savourons la fin de notre moment d’intimité par un échange langoureux. Cela me fait un bien fou … Elle est cynique, vicieuse, drôle et intelligente. Je pense que je viens de tomber sur la coéquipière parfaite qui ne m’emmerdera pas et me rappellera sans doute bien assez souvent que cela fait du bien aussi de juste vivre sans se poser trop de questions.

« Ma proposition, c’est de te garder pas trop loin … on va déchirer dans ce business ! »

Je vais pour chercher un dernier baiser avant de me relever, mais la demoiselle me mord la lèvre inférieure et je la retourne pour la forcer à rester sur le canapé alors que je me lève, un sourire sur le faciès. J’aime aussi son animosité, vraiment plaisant. Un vent de liberté me traverse et j’enfile mon fute avant de me diriger vers mon bureau et rallumer l’écran en veille de mon PC. Je caresse mon visage jusqu’à rencontrer les piercings à mes lèvres avec lesquels je joue un court instant. Je finis par me tourner vers la jeune femme et lance un nouvel appel à propositions.

« Définitivement, on fera rien ce soir, enfin … »

Il suffit d’y repenser pour reperdre confiance en moi et je remarque qu’un lampadaire dans la rue éclate nous plongeant définitivement dans le noir le plus complet. Merde.

« Merde »

Et merde … je rallume une lampe de la pièce avec le même tour de passe-passe que pour l’éteindre.

« Une envie ? »

Parce que sérieux, j’ai juste envie de manger après avoir parlé de plats exotiques !

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