I won't say "welcome" to you [Dim & Cerbère]

Note à moi-même, passer à l'épicerie pour refaire un minimum le stock de bouteilles pour le bar. Si ça se voit qu'on est quatre? Ca se voit surtout que nous avons la descente facile, et c'est pas bien compliqué quand on ne craint pas vraiment de finir par dessus la table. Enfin, c'est vrai pour Anya, Mina et moi. Pour Ryan, .. je dirai que pour un humain, il se défend. Sinon, je vous arrêtes tout de suite, on est pas des as de la beuverie à plus soif. Juste qu'une bonne discussion, un verre, un autre verre... et Anya et moi ne sommes pas russes pour rien, la vodka c'est sacré, et c'est du petit dej au diner. Faut dire que c'est l'une des rares choses qui garde un tant soit peu de saveur pour le palais difficile d'un vampire alors, je ne compte pas m'en priver de sitôt. Je disais donc, une caisse de bouteilles de la meilleure vodka qu'on peut se fournir dans cette ville, ok, je barre, deux. Quelques bouteilles d'autres trucs en vrac pour les envies de diversité, nos deux anglais préférés, ou plus simplement, l'envie d'offrir un verre à un client agréable (notez que ça me concerne rarement), et j'oubliais presque, quitte à faire des courses, que Ryan mange largement sa part. Parlant du sorcier, ce sont les clefs de SA voiture que je prends avant de partir. Pourquoi donc? Parce que la Maserati a été mon petit plaisir personnel, pour ne pas dire une folie vu son prix, mais question d'être logeable, on peut pas dire que je mette grand chose dans le coffre. Les clefs de la Mazda finissent donc dans le fond de ma poche avant que je ne sache plus où je les ai posées. Je jette un dernier coup d'œil à travers la fenêtre du salon pour voir disparaitre les derniers rayons de soleil à l'horizon, et griffonne un mot à l'attention de Mina. Quand à Anya et Ryan? Ils savent bien assez s'occuper de ce qui ne les regarde pas pour que ce mot leur soit également adressé, indirectement. Et vu que je n'attends aucune réservation pour ce soir, le fait que je sois seul à la maison ne me préoccupe pas beaucoup pour sortir, même si j'ai plus d'une fois collé d'office Ryan au baby-sitting de l'affaire "familiale". Au moins, pendant ce temps là, il n'inventait pas d'autres conneries que celles qu'il a déjà pu inventer dans sa courte vie. Bref. Ma veste, les clefs dans ma veste, ma liste, idem. J'attrape donc le trousseau de clefs de la maison en passant avant de sortir, prenant le temps de refermer derrière moi. Si un vampire ne peut pas entrer chez un humain sans son autorisation, la réciproque ne s'applique pas, et j'ai pas faim ce soir... même si je n'aurai aucun scrupule à me débarrasser d'un gêneur de plus. C'pas comme si je ne l'avais jamais fait.

Un rapide coup d’œil sur l’adresse griffonnée à la hâte et je presse le pas dans les rues de Chicago. Pas que je craigne pour ma vie … l’autre aurait bien plus à perdre … mais par simple confort. Le corps humain que j’occupe ne produit définitivement pas la même chaleur que celui du chien que j’habitais. Je frotte mes mains qui se réchauffent à travers les gants en cuir noir que je porte. Rien à faire, le reste est transis par le froid, j’en viendrais à regretter presque les flammes de l’enfer qui me semblent si accueillantes.  Après une bonne quinzaine de minutes, j’arrive à la bonne rue.
C’est sur le pas de la porte que mon attention se porte. Malgré la luminosité décroissante, tout me confirme que la créature devant moi n’a rien d’humain. Notons qu’il ne m’est pas nécessaire de voir, je renifle l’essence même d’un être de la nuit. Un sourire s’esquisse à la commissure de mes lèvres et je ne cache pas ma propre aura afin qu’il puisse prendre connaissance plus ou moins à qui il s’adresse, ou plutôt, à qui s’adresse à lui.

« J’ai besoin d’un logement. »

Concis, je n’ai pas envie de lui décrire plus amplement ma situation. Après tout, je ne le connais ni d’Eve ni d’Adam, et pourtant, ces deux-là, je les ai connus. Adam doit toujours être perdu dans les limbes et Eve souffrir dans une des nombreuses salles de cauchemars qui sert de geôles à nos hôtes.

Je lui tends le papier miteux sur lequel est inscrit le nom de son établissement et le nom mal orthographié d’un certain Dmitri Romanoffe. Une information obtenue par un vampire qui m’a gentiment indiqué que ce n’est pas là-bas que je me ferais emmerder pour mes origines.

Le blond semble sur le départ et me toise d’un air suspect. Dans tous les cas, je ne compte pas me geler plus dehors. Soit il m’invite à entrer, soit je rentre par mes propres moyens. Un soupire d’agacement s’échappe de mes lèvres alors que sa réponse tarde. Je passe ma langue sur mes dents et plante mon regard dans le sien à défaut de mettre mes crocs dans sa gorge. J’ai froid bordel !

J'aurai fait trois pas en dehors de la maison avant d'être interrompu par l'arrivée d'un opportun. Record à battre. Plus sérieusement, certains devraient apprendre la politesse, parce que demander un logement sans même dire bonjour, c'est risquer de prendre un refus direct.

"Et je suis sur le départ, comme vous pouvez le constater."

Je garde pour moi une remarque bien sentie, avant de faire quelques pas de plus, manquant passer au delà de l'inconnu. M'arrêtant finalement devant lui, sans vraiment savoir quel instinct me fait me méfier de cet homme. Enfin si, je comprend trop vite. Y avait vraiment pas besoin d'un démon en plus d'avoir le premier né de la race des vampires au bout de la rue ou presque. Je soupire avant de relever le regard vers l'homme, n'hésitant pas à soutenir son regard malgré sa puissance apparente. Tout en attrapant le papier qu'il me tend, le regardant rapidement avant de le lui rendre. Certains devraient apprendre à écrire, cela dit.

"C'est 50$ la nuit. Payables d'avance. Le petit déjeuner et le diner sont pas compris."

Si je rend les armes? J'entends surtout venir les critiques sur le fait d'avoir laissé passer un client. Critiques que j'aurai volontiers offert aux deux jeunes, alors, bien sur qu'ils sauraient me les renvoyer en pleine face le cas échéant. Bref, je soupire avant de lui tourner le dos pour déverrouiller la porte d'entrée, l'invitant à entrer d'un geste avant de traverser le salon pour aller récupérer un jeu de clefs dans un tiroir. Clefs que je pose sur le bar, à son attention.

"La seconde porte à droite, à l'étage. Je vous laisse vous installer, j'ai une course à faire."

Pas que ce soit dans mes habitudes de laisser un client seul dans la maison, mais il me prend de court, celui-là. Et ce n'est pas comme si j'en avais pour longtemps. Le temps d'un aller-retour... une petite demi-heure, et encore.

Je ricane alors qu’il ose me répondre de la sorte. S’il veut se battre, qu’il le dise, le combat me réchaufferait au moins et après je serais libre de ne payer aucune caution pour loger dans son établissement miteux.

« Je n’ai pas encore l’argent, j’irais en chercher demain, il faudra attendre. D’ailleurs, je compte rester à long terme, alors 50 $ la nuit … tu vas me trouver un prix pour le mois ce sera plus simple. »

J’irais taxer Max … et je ne compte pas partager un repas avec un démon inférieur dans tous les cas. Je soupire face à son ignorance. Toutefois, il finit par m’inviter à entrer et je pénètre dans son antre. C’est aussi décevant que je l’imaginais. Rien d’original pour le repaire d’un vampire. Je soupire, las de ne pas pouvoir nourrir mon esprit créatif avec un environnement enrichissant. Je trouverais bien un endroit pour peindre et me détendre, aménager ma chambre.

« Les démons de nos jours ne sont plus ce qu’ils étaient … »

Un nouveau soupire m’échappe et je récupère la clé qu’il me tend avant de monter à l’étage et rejoindre ma nouvelle demeure. Une grimace de dégout tord mon visage et je proteste une fois encore intérieurement contre la décrépitude totale de l’endroit. Je dépose ma valise sur le canapé et exécute un repérage des lieux. On va dire que la vue n’est pas la pire. Ma fenêtre principale donne sur un parc, plus précisément sur une zone assez bosquet et donc peu d’humain en perspective. Tant mieux. Après mûre réflexion, je décide que je referais entièrement le décor et le mobilier de l’endroit, voire même un coup de peinture et je ne pense pas que je laisserai le choix au propriétaire. Après tout, je ne vais que faire gagner en valeur à son établissement avec ce que j’ai en tête ! Pour commencer, on va faire tomber la vieille tapisserie murale défraîchie et mettre du blanc, simplement du blanc. Un lit à baldaquin, parce que j’ai toujours rêvé d’en avoir un mais bizarrement, personne n’autorise jamais un molosse à se couche dans ce genre de couchette. Ensuite, on verra, aucun doute que la salle de bain va passer aussi au crible fin afin de correspondre à mes exigences. En attendant, je décide d’aller me ressourcer en empruntant l’escalier qui m’amène jusqu’au bar de l’hôtel. Sans me préoccuper de la bienséance, je me sers un verre d’un liquide ambré dont l’étiquette est tombée depuis belle lurette. Un parfum fort et boisé parvient à mes narines et je le hume avec plaisir. Je m’assieds sur un des chaises de bar et sirote ainsi le breuvage tranquillement. Personne ne vient troubler l’ambiance et je finis par totalement oublier que je ne suis pas chez moi.

Il va me prendre la tête celui-là. C'est pour ça que je n'aime pas les gens, et que le seul intérêt que j'ai pu trouver à l'ouverture de cette chambre d'hôtes a été de voir les plateaux repas être livrés directement à domicile, plutôt que d'attirer l'attention avec des chasses et des victimes en pagaille. La plupart des hôtes en ressortent vivants. Légèrement anémiés, mais vivants. Quand aux erreurs de parcours, on s'en charge, avec Ryan. D'accord, Ryan s'en charge. Et le dernier endroit où les autorités compétentes vont chercher le corps d'un disparu, c'est dans une tombe déjà occupée.

"Faudra voir ça avec la patronne. Moi j'pratique le tarif à la nuit."

Et qui se pointe dans un commerce sans un dollar à y dépenser, sérieusement? On le dirai tout droit sorti de l'Enfer, ce démon, mais si c'était le cas, il irait plus facilement s'installer chez un de ses copains démons non? J'en sais rien, j'ai pas fait démonologie appliquée durant mes études, et pour tout dire, je m'en tape mais alors totalement. L'homme récupère ses clefs et ne perd pas de temps à monter à l'étage, alors pour ma part, je retourne à ce que j'avais prévu au départ, aller faire deux ou trois courses en nocturne. La différence étant que je ne verrouille pas la porte à clef, et parlant de clefs, je manque oublier celles de la voiture en partant.

Une heure plus tard et je gare la voiture devant la porte pour décharger une première caisse du coffre, ouvrir la porte et poser mon chargement près du bar. Je remarque que mon invité surprise du soir a su trouver tout seul les bouteilles, et même se servir sans se demander si c'était open bar ou pas. Je réprime un commentaire désobligeant avant de retourner à la voiture chercher une seconde caisse que je pose par dessus la première, accompagnée d'une troisième qui se retrouve par dessus les deux autres, le tout dans un bruit de verre que je ne tente pas d'amortir. Mon dernier trajet accompli, je referme la porte avant de poser les clefs à leur place. Manquerait plus que Ryan se serve de leur "disparition" comme excuse pour garder ma Maserati demain matin. J'connais le loustic. J'l'ai pas élevé, mais à force de l'avoir dans les jambes, c'est tout comme.

"Le moins que l'on puisse dire c'est que vous savez vous installer." Je passe derrière le bar pour sortir un second verre et une bouteille de vodka, dont je me sers une bonne rasade avant de la reboucher et la replacer sous le bar. "Alors, c'est quoi votre nom à vous?"

Je hausse les épaules à sa remarque sur le tarif à la nuit.

« Eh bien, tu m’enverras la patronne. »

Que répondre de plus de toute manière … S’il sait pas gérer l’établissement, je verrais avec la personne en charge. Sur ce, je m’installe dans la chambre avant de redescendre au bar où je sirote toujours mon verre au moment où le démon inférieur arrive. Déposant ses caisses une à une, je ne me laisse nullement distraire et me sers un second verre du liquide ambré au doux parfum. Après trois aller-retour, il finit par rejoindre le bar comme un bon tenancier, derrière le comptoir. Cela doit être un truc de barman que de papoter, mais je me sens d’humeur à suivre la tendance et lui réponds sans vraiment réfléchir.

« Cerbère … »

Je fronce les sourcils. J’aurais peut-être dû réfléchir finalement. Après tout, rien ne me dit que ce vampire ne soit sous les ordres d’Azazel et je devrais faire profil bas, mais bon, rien ne me laisse non plus penser qu’il n’ait un quelconque lien non plus et je sais très bien montrer les dents s’il venait à me contrarier. En attendant, le prénom que j’utilise ne me convient plus et il serait de bon ton de me fondre un peu plus dans la masse.


« Pas assez passe-partout cela dit. »


Ça va pas être discret ça, faudrait sans doute que je me serve plutôt d’un pseudonyme et je me mets tranquillement à fouiller dans ma mémoire de vieilles données historiques me concernant. C’est l’avantage d’être une figure principale des Enfers, c’est qu’il y a moult gens qui se sont amusés à tout écrire sur soi.

« Servius … ça sonne bien non ? »

Je me tourne vers mon interlocuteur alors que j’en ai que faire de son avis en toute honnêteté. Dans ma tête, j’ai déjà tranché et Servius m’ira très bien. Il me regarde bizarrement et j’interprète cela à ma manière.

« Non, cherche pas, j’ai qu’une tête, c’est de la légende de m’en attribuer trois. »

Il faut dire que souvent, trop souvent, cela m’est arrivé de tomber sur des péquins qui refusent de croire et se rient de moi parce que je suis monocéphale. Je rigole gentiment, mais c’est agaçant d’être « décevant » juste parce qu’on a qu’une tête … et franchement, une fois qu’on me connaît, généralement, les gens sont plutôt contents que je n’en ai qu’une vue comme je peux être chiant. Je fais tournoyer le liquide dans mon verre avant de l’avaler d’une gorgée.

« Je pourrais m’y faire à ici. »

Je donne un coup de tête aux alentours en signifiant à mon interlocuteur que finalement, son établissement est pas si mal, surtout le bar.

« Vous êtes tous des vampires ? »

Je plonge mon regard dans mon verre, déplorant le néant que je contemple et décidant que pourtant, il n’est plus temps à picoler, mais pourquoi pas à discuter.

Cerbère, carrément? Oh bah si il veut, après tout. Si il espère m'impressionner en me donnant ce nom... d'accord, je ne dirai pas que mon démon intérieur n'a pas très envie de se barrer de là, mais ça ça a été à la seconde où j'ai perçu la nature de mon hôte. Rien à voir avec un nom. D'autant plus que je pensais la mythologie romaine perdue depuis longtemps.

Pas assez passe-partout qu'il me sort. D'un coté, ici, c'est l'Amérique, le pays où tout le monde vient de partout et où un nom particulier n'est qu'une exubérance comme peuvent l'être des cheveux roses ou des yeux tatoués. Vous me direz, son choix suivant n'est pas beaucoup mieux, dans le genre passe-partout.

"Si j'avais un corbeau à nommer. Enfin, si ça vous plait, c'vous que ça regarde. "

Je fronce les sourcils quand il me parle de sa tête, et de la légende qui lui en donne trois. D'un coté, je crois que je l'aurai remarqué de loin, si il avait eu deux têtes de plus sur les épaules. Et à dire vrai, je ne veux même pas savoir comment ça pourrait s'engoncer sur un corps humain, trois têtes. Bref. J'avale une gorgée d'alcool en en appréciant chaque subtilité, avant de croiser de nouveau ses yeux sombres quand il me demande clairement la composition de notre clan. Je prend un moment pour le jauger du regard, tentant de repérer d'éventuelles intentions derrière sa question, avant de poser mon verre sur le comptoir.

"Pas tous. Cependant, la majorité d'entre nous le sommes."

Oui, peut-être que j'ai décidé de garder la carte du sorcier dans ma manche, même si je n'ai jamais appelé les dons de Ryan un avantage. Difficile de penser ainsi quand ses dons consistent à jouer avec le feu, dixit l'un de mes ennemis numéro un, avec ses copains le soleil et le pieu en bois.

Je ne relève même pas sa remarque ne la comprenant pas vraiment, et puis à part les chasser les corbeaux pour les bouffer, je n’ai rien à faire avec ces créatures. Ok, c’est sans doute le chien en moi qui aime un peu trop courir après les volatiles. Il me rassure toutefois sur la composition de son clan…

« Parfait, pas envie de me prendre la tête … »

Les démons, les vrais, ceux qui savent plus où mettre leur égo tellement il prend de place, je n’en peux plus. Y’a qu’Abraxas qui a su garder la tête sur les épaules si on veut mon avis. Son frère … de la charogne à la solde du plus fort, Azazel lui-même, le pouvoir lui est monté à la tête. Voilà les deux que je ne souhaite pas croiser pour le moment, mais les autres sont du même acabit pour moi. Je m’écrase contre le dossier de ma chaise et plante mon regard dans le vide, les nombreuses bouteilles liquoreuses m’offrant un spectacle de mille et une couleurs. Va falloir que je repense ma vie dorénavant, que je me trouve comme mon frère – Abraxas – une raison d’être parmi les humains et quand je vois ce que ce clan de vampires a mis en place lui aussi pour survivre, je me demande bien où je vais la trouver cette place. Je ne me sens l’âme de rien à part celle d’un artiste, mais comment vivre de mes toiles alors que je n’ai pas eu encore l’occasion de peindre autant que ce que je n’aimerais. Je soupire.

« C’est dur de se fondre parmi les humains ? »

Ok, c’est un peu l’aveux que je viens de débarquer sur terre, tout du moins en tant qu’homme, mais je m’en fiche. Je ne vois pas en quoi cela me porterait préjudice et on ne peut pas nier qu’ils ont parfaitement réussi leur intégration eux. On est loin des vampires qui vivaient seuls, dans des châteaux isolés, parfois devant décimer tout un village pour préserver leur secret et répondre aux fourches et aux torches des paysans mécontents.

Je me suis promis que je ne serais pas un poids pour Abraxas, pas pour Maxwell … il peut bien payer un loyer, après tout, c’est de sa faute si une niche ne me suffit plus ! Je souris et dessine d’une doigt distrait dans la condensation qui s’est formée sur mon verre, une tête de chien, forcément. Encore une chose qu’il me faudra tester. Me retransformer en chien, malgré ma crainte d’y rester coincé à nouveau … et mes portails. Autres problèmes, j’ai l’impression d’être extrêmement diminué depuis que j’ai repris une apparence humaine et je ne sais plus comment me dépêtrer de ce corps qui me paraît être celui d’un autre.

Pas envie de se prendre la tête? Je ne cherche pas à savoir, c'pas comme si ça m'intéressait. D'accord, peut-être que les initiatives d'un démon installé dans mon "antre" devraient m'intéresser un minimum. Surtout d'un démon qui vient de sortir de son nid infernal. Oui, je sais lire entre les lignes, surtout entre des lignes aussi grossières que celles qu'il me met sous les yeux.

"Ca dépend pour qui. Vous avez pas l'air d'avoir la peau verte et des cornes de dix pieds de long, j'dirai que c'est un atout supplémentaire."

Moqueur? Etrangement réaliste, je dirai. C'est pas pour rien que certaines créatures magiques ne quittent jamais les quartiers magiques ou les cachettes dissimulées aux yeux des humains sans se dissimuler derrière une apparence plus humaine que la leur... quand ils le peuvent.

"Pour nous c'est simple. On a été humains. C'est le genre de détail qui ne s'oublie pas. Ce n'est pas bien compliqué de se faire passer pour un humain, même si, à les regarder d'un point de vue extérieur, c'est à se demander comment ils peuvent faire pour rester en vie aussi longtemps... si un siècle peut être appelé "longtemps" . "

Je lève mon verre à nouveau, avalant une nouvelle gorgée de vodka, l'un des rares, si ce n'est le seul, alcool qui parvient à avoir un certain goût pour moi depuis que l'humanité m'a quitté, il y a à peu près trois siècles.

"Après, vous perdrez rien à les éviter, aussi. Si il m'avait pas fallu un bon moyen de nous nourrir discrètement, je ne me casserais pas la tête à en héberger chez moi, même contre rétribution. Un cœur qui bat dans cette famille, c'est largement suffisant, croyez bien."

J’essaye d’imaginer quelle créature à la peau verte et des cornes de dix pieds de long … c’est juste totalement déséquilibré et absurde. Inesthétique en plus, genre, même pas en rêve je la laisse passer les portes de l’enfer avec une telle dégaine. Pour dire, je ne le peindrais même pas sur l’une de mes toiles même s’il m’offrait tout ce que je désire. Quant à l’humanité qui dort en chaque vampire, je ne peux l’ignorer, même si elle s’affaibli au cours des siècles, elle persiste, une sorte d’acidité aui donnerait des saignements de nez à force d’être humé.

« Pas faux et vous le sentez toujours autant d’ailleurs, être humain un jour n’efface pas complétement votre odeur le jour où vous devenez vampire, c’est étrange ce mélange … »

J’aurais presque dit dérangeant, mais j’ai peur de vexer mon hôte et j’ai vraiment trop la flemme de rechercher un autre appart. Celui-ci m’appartient déjà et je ne me défais pas aisément lorsque j’ai une idée en tête.

« Cela dit ça s’estompe … dans la famille de mon frère, un de ses gamins sort avec un vampire qui sent l’humain à dix kilomètres. Toi, c’est très léger. »

C’est clairement un argument pour rester ici, parce que si même chez moi, je suis obligé de souffrir l’odeur de l’humanité, je vais devenir fou.

« Cela dit je dirais pas non à de l’os à moelle … version cuisinée pour une fois, peut-être votre esclave humain saurait faire ça ? »

Oui, j’assume totalement que s’il y a un humain ici, ça doit être pour les soirs où ils ne trouvent rien à se mettre sous la dent et qu’ils se contentent d’une petite saignée. Et tant qu’à faire, je suis sûr qu’il doit bien cuisiner aussi, peut-être même pour les résidents de l’hôtel ? En tout cas, c’est foutu, maintenant, j’ai une faim de loup et il me faudrait rapidement trouver de quoi me contenter. Sans doute que le réfrigérateur de Max recèle aussi quelques merveilles, je crois qu’il cuisine … et il me refuse rien comme je suis de la famille. Ce gamin est bien éduqué contrairement au rejeton qui a osé envoyé paître Abraxas. Jeune effronté … j’irais bien lui mordre le mollet si je n’avais pas encore pris le temps d’étudier la question de ma métamorphose et le risque que cela implique de me retrouver coincé à nouveau sous la forme d’un canidé. Je serre les dents. Quelle frustration de ne pouvoir faire confiance à un pan entier de ma personnalité à cause de Satan … ce traître m’a pris ce que j’ai de plus précieux : ma liberté. Abraxas me l’a rendu et je lui dois tout.

"Ne vous plaignez pas. Les plus anciens d'entre nous puent littéralement la bête crevée. Ça, ça prend au nez, croyez le bien."

Peut-être que le fait que "les plus anciens d'entre nous" soient Dracula et sa greluche aide à ce que je ne trouve pas d'autre qualificatif à l'odeur dégagée que "puer la bête crevée". Mais faut dire ce qui est, l'odeur de cadavre est plus persistante sur les plus vieux d'entre nous. Mina? Elle dégage bien des odeurs, mais certainement pas celle d'un cadavre, même si elle me dépasse en âge d'un bon siècle. D'accord, sans doute que l'affection que je lui porte me fait sentir d'autres effluves que ceux que je sens près des vampires que je méprise.

"Un démon et un bébé vampire? Ce monde n'est vraiment plus ce qu'il était."

Si je ne compte pas faire d'enquête sur l'identité du dit vampire? Mina et Anya, voilà les vampires dont je me préoccupe en ville. Peut-être que j'y rajoute Silas par extension, parce que Mina y accorde de l'importance, et que la proximité de ce vampire-ci avec le commissariat pourra sans doute être utile un jour... même si les agents de police de la ville doivent beaucoup moins enquêter sur les morsures de vampire depuis que l'ex-roi est à leur tête... je dis ça, je dis rien.

"Un conseil. Eviter d'appeler Ryan "esclave". J'ose penser que cela pourrait être une prise de risque inutile. Il n'est peut-être pas un vampire, mais il sait mordre aussi bien que nous quand il s'agit de la famille."

Quoique je ne suis pas convaincu que sa maitrise du feu lui serait d'une grande aide face à un démon, biologiquement adapté à survivre aux flammes de l'Enfer... ou ce sont les seules qui peuvent les abattre? J'ai pas révisé le bottin des races magiques depuis une paye, pour tout dire. Et il est à parier que Mina s'y connait davantage que moi en la matière. Si elle a appris le BABA du parfait vampire avec Dracula et sa clique, je n'ai pas été le meilleur élève qu'elle aurait pu avoir pour me transmettre ce savoir.

"En ce qui concerne le repas, faudra compter sur les restes dans le frigo. J'avais pas prévu d'avoir du monde ce soir."

Après, pour l'os à moelle, le meilleur conseil que j'aurai c'est d'aller creuser dans le cimetière, mais je vais m'abstenir, pour une fois. Si mon flair est juste, Ryan s'était cuisiné un gratin de pâtes ce midi, il doit surement en rester une part ou deux. Il doit surement rester du plat de la veille, également. Etant donné que nous sommes trois à ne pas nous restaurer de plats solides et que l'endroit est plutôt calme ces temps-ci, il va falloir que mon neveu songe à réduire les portions qu'il prépare... ou qu'il en mange davantage.

J’éclate de rire. Horrible.

“Oui, alors si t’avais gardé la porte des Enfers, tu saurais que l’odeur de bête crevée, c’est un doux fumé en comparaison à celle des démons qui y règnent. »

J’suis honnête. Même en ayant été un chien si longtemps, j’me traînais une fois de temps en temps dans un ruisseau, une fontaine pour m’amuser et me laver. Eux, ils ne doivent même pas avoir ce mot dans leur jargon. Je me plains de celle des humains, mais aussi parce qu’ils m’insupportent sur tellement de niveaux différents que même leur odeur m’est intolérable. Ils sont naïfs, stupides et autodestructeurs. Plus le temps passe et moins l’humanité ne laisse le loisir aux démons de se charger de leur malheur, ils le font par eux-mêmes et c’est navrant. Je ne m’attarde pas sur sa remarque concernant un « bébé » vampire et un démon, j’ignore de qui il parle. Sans doute que je me suis perdu entre notre conversation et mes pensées.

Franchement, rien qu’à l’image d’un humain essayant de me mordre, un nouveau rire franchit mes lèvres. C’est pas si souvent qu’on arrive à me faire sourire et ça doit être plutôt glauque. J’ai oublié comment rire d’où le fait que cela ressemble plus à des aboiements étranges. Le rire du père noël est moins flippant.

J’oserais pas dire que c’était mon passe-temps préféré, mais sous ma forme canine, il m’est arrivé plus d’une fois de croquer quelqu’un. Souvent pas des humains, j’ose même pas imaginer l’infection que cela doit produire que celle de se faire mordre par le chien des Enfers, autant dire qu’un humain doit bien morfler si je lui laisse un échantillon de ma salive dans une plaie.

Toutefois, le vampire fait bien vite retomber la sauce en m’annonçant qu’il n’y aura que des restes à manger. Vous n’imaginez pas tout ce qu’on peut donner à un chien sous prétexte que ce sont des restes et qu’on ne veut pas gâcher de la nourriture … Je grogne et capitule à me contenter de cela une fois encore.

« J’imagine que tu parles pas de restes de vos repas, mais de ceux de l’humain ? »

Un dernier espoir qu’on me fasse un steak de chair humaine ? Moyen, j’ai pas envie de manger une créature que je trouve repoussante, mais j’suis curieux quand même.

On va dire que je lui fais confiance concernant l'odeur des démons. Tout en remarquant que je ne suis pas le seul à me plaindre de l'odeur de mes propres congénères, ça ferait presque plaisir à observer si son rire n'était pas si dérangeant.

"Vous êtes mieux placé que moi pour le dire, si je ne m'abuse."

Et le voilà à rire de nouveau quand je lui dit que Ryan sait mordre aussi bien que n'importe quel vampire. Je suis sincère, le gamin a son compte de défauts, mais il est aussi doté d'un tempérament assez fort pour ne pas avoir mis de temps à trouver sa place dans notre famille, ce qui est bien sur passé par quelques prises de bec pas toujours amicales. Anya dirait certainement que j'ai été un vieux con avec lui, mais on entre difficilement dans mes bonnes grâces du premier coup. Surtout quand on est sorcier, adepte du feu, et qu'on court après ma nièce.

"Je garde assez rarement mes restes de repas dans mon frigo, effectivement. Après, si votre truc c'est la chair humaine, y a ce qu'il faut en ville. Evitez juste que ça remonte jusqu'ici, c'est tout ce que je vous demanderais."

Comment ça je m'en fous des humains? Oui, je m'en fous. C'est pas faux que j'ai fait partie des rangs, dans une autre vie. Mais justement, c'était dans une autre vie, et faudrait vraiment être totalement frappé pour s'en préoccuper ET s'en nourrir tout à la fois... enfin, c'est que mon point de vue.

Je hausse les épaules.

« Honnêtement, j’ai envie de lasagnes et de tarte au chocolat … je trouverais bien demain de quoi contenter mes envies. »

En attendant, je me dirige vers l’endroit désigné par le vampire pour trouver le réfrigérateur et me sors un contenant froid et à l’allure assez appétissante malgré tout. Je vais sans doute apprécier qu’un humain loge ici finalement si c’est pour avoir des repas de ce type à la clé. Ce ne sont pas des lasagnes, mais une sorte de quiche et je retourne m’assoir au bar pour engloutir les trois parts restantes sans me soucier s’il aurait été nécessaire de le faire avec des couverts.

« Pas mal. »

Un soupir de contentement clôture mon repas et je me tourne une dernière fois vers le vampire.

« Merci, je vais pas te retenir plus longtemps et je rêve de ma première nuit dans un lit tout seul ! »

Non pas que j’étais accompagné par un quelconque flirt ou autre, plutôt que je dormais soit chez Abraxas au pied de son lit, soit dans une sorte de panier que les humains pensent agréable pour les chiens. On va pas se leurrer, c’est souvent de la merde. J’emporte le contenant de mon repas et le pose dans l’évier en face. Oui, ben faut pas non plus me demander de faire la vaisselle à moins de pas y tenir justement. J’ai pas eu l’occasion d’acquérir ce genre de technique et je ne crois pas avoir jamais eu une éponge autre que dans la gueule pour la déchiqueter … j’ai vraiment eu des passe-temps débiles quand on y pense.

Enfin, je regagne ma chambre et m’étale de tout mon long sur le matelas moelleux. Il ne me faut pas plus de deux minutes pour me plonger dans un sommeil sans rêve, reposant comme je n’en avais plus eu l’occasion depuis belle lurette !

Lasagnes et tarte au chocolat... sans doute qu'il y a quelques siècles j'aurai donné pas mal pour du chocolat, mais là, non, l'idée ne me tente pas franchement. Et encore, le gamin a la sympathie de nous épargner les odeurs agressives en cuisine, de celles qui embaument l'entièreté de la maison pendant trois jours. La plupart du temps. Parfois je me rend compte que ces humains n'ont vraiment aucun odorat. Mais passons. Le démon ayant fini d'engloutir le plat que Ryan se réservait sans doute pour la fin de son service (il trouvera bien une boite de conserve à ouvrir), il se décide à se ranger dans sa chambre. J'oublie de chercher à comprendre son histoire de nuit en solitaire, j'm'occupe pas des histoires de couple des autres, ça évite qu'on vienne m'emmerder dans la mienne. Et finalement, je ne fermerais pas à clef avant de partir. Quelle plaie d'avoir eu cette idée brillante des fois... d'accord, c'est l'idéal pour manger à l'œil sans attirer l'attention par une chasse et des cadavres (même si ça m'empêche pas de chasser et cadavériser à l'occasion), mais chacun chez soi c'est bien aussi. Pas comme si je manquais d'argent après tout. J'ai pris ma part d'héritage et j'ai su la placer aux petits oignons, faut dire. Bref, je vérifie une dernière fois que je n'ai rien oublié avant de refermer le coffre de la Mazda et me mettre au volant. Bonsoir chez vous, comme dirait l'autre.