Home sweet home - ft Jonathan et Marius

Je dodeline de la tête en rythme avec celle de la petite figurine, une poupée aloha qu’on fixe sur le tableau de bord de sa voiture, mon trésor trouvé lors d’une escale dans un port trop touristique au gout de mes camarades. Une véritable profusion de couleurs pour moi, entre les jambes blanches des nouveaux arrivants, bronzées caramel des habitants et écarlates de touristes sur le départ, je me suis régalé à chaque food truck, et acheter entre autre cette babiole pour rien du tout, mais qui restera pour toujours mon souvenir de ce voyage. Je ne suis pas du genre dépensier, déjà parce qu’il faut gagner de l’argent pour pouvoir dépenser et cela n’a jamais été une grande motivation dans ma vie, avoir des sous pour posséder un max de choses … C’est débile quand on y pense, on est là que pour un temps sur terre alors pourquoi amasser des butins. Cependant, j’ai installé à l’appart un coin pour mes trouvailles, ces petits objets synonymes de souvenirs mémorables. Pour le coup, c’est mon troisième voyage à bord du Hollandais et après trois mois d’absence, je reviens à Chicago pour un temps avant que nous ne repartions en mer.

Ce n’est pas que je manque d’entrain à retourner chez moi, mais ce voyage m’a épuisé avec un esprit frappeur prise de tête qui voulait à tout prix me raconter tous les mauvais tours qu’il avait déjà joué à toute heure du jour et de la nuit, la misère. Moi qui suis d’humeur jouasse usuellement, je me retrouve avec des cernes cent fois pire et une expression morose. Heureusement, j’aperçois bientôt l’immeuble miteux qui me sert de refuge. Un vieux bâtiment abandonné depuis des lustres, jamais rénové, oublié par la ville au point que même sa destruction est passée à la trappe. Le genre d’endroit où même les plus courageux ne préfèrent pas s’y risquer de peur de voir le tout s’effondrer. Je monte les deux premiers étages en empruntant les escaliers et escalades un pan de mur pour rejoindre le troisième. L’escalier s’est effondré il y a quelques temps ratant de peu de me tuer. Le seul truc qui m’est venu à l’esprit à l’époque, c’est qu’en cas d’attaque zombie, on sera pas emmerdé. Jamais entendu parler de zombie qui savent grimper au mur. Enfin les goules peut-être si ça se trouve … à méditer !

C’est la mine hagarde que je franchis le seuil de mon antre, sans même me baisser, je déchausse mes grôles et les bazarde contre le mur du hall d’entrée non sans provoquer un certain vacarme. Un sourire se dessine sur mes lèvres. J’en connais un qui va encore me sauter dessus comme quoi je respecte même pas son repos éternel.

« J’suis rentré ! »

Oui, il le sait, mais tant qu’à faire, au moins il est au courant que ce n’est pas un raton laveur ou un mandrin venu piller nos maigres biens.

A savoir que pour un nécro, j’ai une veine de cocu ! Je me suis trouvé un coloc’ impalpable, au caractère bien trempé avec lequel je peux passer de chouette soirée sans me retrouver seul. De toute manière, je ne ramène personne ici, c’est mon havre et si je veux « m’amuser », y’a toujours moyens de convaincre l’autre qu’on sera cent fois mieux chez lui. J’imagine si je devais le faire grimper … trop drôle. Perso, j’ai l’agilité d’un macaque, alors ça ne me dérange pas de voir me plier aux exigences de ma résidence. Sans attendre de voir si John réagit à ma présence, je me dirige vers ma chambre, un bordel de coussin sur le sol, quelques livres sur la cartographie et l’océan, mon étagère à babioles et … un mur couvert de champignons bioluminescents ! Je pense que c’est une chance que je n’y dorme pas toutes les nuits de ma vie, pas sûr qu’ils soient inoffensifs pour la santé ceux-là, mais tellement beaux. Ils irradient d’une douce lumière bleutée à la nuit tombée. Ça a le mérite d’être un spectacle relaxant et qui apaise mes méninges. Je finis pas jeter mon sac à dos contenant mes sapes et retourne dans le salon à la recherche de mon fantôme préféré.

« Bah alors ! Tu viens pas me dire bonjour ? »

Je souris de toutes mes dents, si ce n’est pas toujours réciproque, j’adore passer du temps avec lui pour ma part.

Made by Neon Demon

Je peux vous dire que des idiots, j'en ai croisé au cours de ma longue existence. De vrais idiots à qui il n'était même pas envisageable d'essayer d'inculquer quelque chose, et d'autres qui se faisaient passer pour idiots mais, à bien y regarder, étaient bien loin de l'être. A première vue, Marius est un abruti complet, incapable seulement de s'occuper de lui-même, et à propos de qui la quasi totalité de ses connaissances se posent la même question : comment fait-il pour parvenir à se gérer lui-même? Sincèrement, j'ai pas la réponse, hormis "par miracle", étant donné ce qu'il arrive à faire d'un appartement qui était encore relativement potable avant son arrivée, et qui est à présent au delà de toute description possible d'un "trou-à-rats". Mais ce que je sais, à prendre le temps de veiller sur ce garçon comme j'ai pu veiller sur ma fille et ses fils avant lui, c'est qu'il n'est pas totalement un cas désespéré. Et non, ce n'est pas mon état actuel qui me rend sénile. C'est une constatation, faite alors même que le sujet principal de l'étude ne doit même pas y croire lui-même, parce qu'à force de se faire passer pour con, on finit par se persuader qu'on l'est vraiment.

Et à force de penser que je suis sourd, j'vais vraiment finir par faire mine de l'être devenu. Parce que si la porte d'entrée, combinée à ses chaussures fracassées contre un mur, et à un sac plein de frusques également jeté contre un mur, avaient pas suffit à me prévenir de son arrivée, c'est que ça ne s'appellerait plus de la surdité arrivé à ce stade.

"Nan, j'viens pas te dire bonjour. Tu sais combien de jours il m'a fallu pour fermer cette putain de porte de frigo que t'avais laissé ouverte? Enfin, vu que j'imagine que la viande pourrie, ça te dérange absolument pas d'en manger, fais-toi plaiz. Doit même y avoir les asticots avec, ça donne du gout il parait."

Je finis par faire acte de présence dans le salon, où je sais le trouver étalé sur le canapé à penser à je ne sais quoi qui ne m'intéresse pas. D'accord, je fais peut-être ma mauvaise tête, mais c'est pas lui qui ne peut même pas s'adosser contre un mur sans risquer de passer à travers. Je vous jures, celui qui me dit que traverser les murs c'est cool comme pouvoir, je l'envoie ad padres pour qu'il s'y essaye...

"Tu me rapportes quoi de beau? Un bijou magique, un livre de formules, quelque chose d'intéressant pour ce que j'ai? Ou t'en as pas encore assez de moi pour réfléchir à me tirer de ce mauvais pas?"

Je prends quand même le risque de tenter de m'appuyer contre le mur derrière moi, pour ne rien faire de mieux que le traverser, naturellement. Je reprends mon équilibre d'un pas en arrière, remerciant je ne sais quel dieu de ne pas traverser le plancher de la même façon. Pas plus envie que ça de finir dans la cave, à Illusk ou j'sais pas, direct dans la niche de Cerbère? Y a quoi plus bas?

"En passant, tu d'vrais emmener un de tes champignons au Marché, ou dans la cité souterraine, j'suis sur que ça pourrait intéresser une fée ou un gobelin. Au pire ils s'empoisonnent avec, c'est dommage, mais ça me confirmera au moins que t'es pas normal. C'est au moins radioactif ces trucs, et toi, ça a pas l'air de te radioactiver plus que ça."

Made by Neon Demon

J’explose de rire, mais c’est plus fort que moi. Je l’adore autant que j’aime qu’il se fasse désirer de la sorte. Oui, oui ! J’suis persuadé qu’c’est parce qu’il veut que je le supplie et comme je suis gentil, je m’y lance à corps perdu !

« Allez ! Faut que je me fasse pardonner et j’peux pas faire ça si tu es pas là ! »

C’est logique non. On peut pas faire amende auprès de quelqu’un qui daigne même pas nous voir. C’est d’ailleurs sans doute le problème de beaucoup d’âmes perdues qui aimeraient juste dire parfois aux gens qu’ils aiment qu’ils sont désolés pour telle ou telle chose, mais comme personne les voit, ben ils peuvent pas se faire pardonner. Bon, certes, là c’est dans l’autre sens, juste parce que Jon et moi on a une relation vraiment particulière de spectre à nécro. Pouvait pas en être autrement d’un côté. On dirait presque le début d'une mauvaise blague : alors c'est un spectre et un nécro qui entre dans un bar et ...

Pour cette histoire de frigo … j’pense que j’attendrai qu’il soit pas dans la même pièce pour m’en occuper et franchement c’est pas quelques asticots qui vont me faire peur … j’vous rappelle ? Nécro. La chaire morte et moi on est copain de berceau. A sa phrase, un sourire se dessine sur mon faciès et je porte toute mon attention sur lui. Je fouille rapidement dans la poche de mon bermuda pour en sortir la figurine aloha de la danseuse et sa tête dodelinante. Je pourrais la regarder faire ça pendant des heures. Et je vais sans doute le faire ...

« T’as vue cette beauté ! Bon ok, j’aurais aussi pu te ramener une perle d’une cité sirène sans doute apparentée à l’Atlantide perdue, mais j’trouvais la petite poupée bien plus mignonne. »

A son regard, je comprends que ce n’est pas du tout ce qu’il espérait et vraiment que je vais encore me prendre un mur. C’est d’ailleurs au sujet du mur de champignons que l’esprit rebondi. Je fronce les sourcils. J’ai pas envie d’arracher un de mes champignons. Et si ça casse tout l’écosystème ? Je les enlève que quand ils sont morts et ne produisent plus aucune lumière. Pour des champignons, ils ont une espérance de vie incroyablement longue. Je crois que certains sont là depuis des années sans avoir ciller. Secondement, j’ai aucune envie de risquer de tuer une fée.

« La vigie du Hollandais Volant est une demi-fée, j’aimerais autant pas me mettre son peuple à dos, il serait bien capable de me laisser par-dessus bord et pas me rattraper. »

Bon y’a sans doute d’autres raisons à la longue qui vont faire qu’il aura de moins en moins envie de me sauver la mise, mais j’pars du principe que lui et moi on va quand même devenir les meilleurs amis du monde et s’il veut une amitié améliorer incluant des parties de jambes en l’air, je lui dirais pas non !

« T’as besoin d’une preuve que je suis pas normal pour quoi ? J’pense que ça intéresse personne de savoir ce que je suis réellement, mais si t’y tiens j’en mange un devant toi et t’as intérêt à mieux savoir toucher mon corps pour me ranimer que la porte du réfrigérateur ! »

Je fais mine de me lever pour aller en direction de ma chambre. J’vais pas le faire, mais j’ai envie de le voir s’inquiéter, quitte à ce qu’il me traite de crétin. Après l’esprit frappeur débile du trajet retour, j’ai besoin de voir que mon esprit préféré tient à moi. Que voulez-vous, on est pire qu’un vieux couple lui et moi.

Made by Neon Demon

Il a préféré une marionnette à deux sous plutôt qu'une perle issue de l'Atlantide elle-même? Je vais le tuer ce gosse, je vous le jures.

"Et j'imagine qu'il te manquait une pièce pour ramener les deux? Enfin, j'imagine que j'dois au moins te remercier que t'ai eu un éclair de pensée vers moi, même si ça a pas duré assez longtemps pour que tu le concrétise."

Quelqu'un peut tuer une chaise histoire que je puisse m'installer dessus? Et quelqu'un peut le tuer que j'puisse lui en mettre une une seconde? D'accord, une très petite part de moi voudrait aussi le serrer contre moi, parce que ce gosse, hormis mon frangin, c'est bien la seule personne qui peut encore me regarder dans les yeux et me voir vraiment sans regarder à travers moi comme si j'étais pas là. Parce que pour la plupart des gens, je ne suis pas là. Mais, même après cinq ans, c'est toujours aussi perturbant, déroutant, exaspérant … Bref, ça me bouffe.

"J'te rassure, la mauvaise herbe ça crève pas comme ça. Il te lâcherait du haut du mat en pleine tempête, tu trouverais à retomber sur le seul bout de bois flottant qui traine pour t'en tirer."

Je plisse les yeux en réponse quand il me dit qu'il serait capable de manger l'un de ses champignons. J'hésite à le laisser continuer sur sa lancée ou à le dissuader. Et oui, je le laisse totalement aller vers sa chambre sans chercher une seule seconde à le retenir, avant de soupirer en levant les yeux aux ciels et le rejoindre en quelques pas rapides, passant volontairement au travers de lui, une sensation aussi désagréable pour lui que pour moi j'en suis sur, en vue de le freiner.

"Y a quand même un truc qui me chiffonnerait... si t'y restais, j't'aurai sur le dos toute la journée. Et crois-moi, je préfèrerai éviter."

Made by Neon Demon

Je hausse les épaules. C’est pas la question d’une pièce ou quoi que ce soit de ce genre, c’est juste que ça m’intéressait pas du tout et que j’pourrais toujours lui en trouver d’autres des perles alors que je sens que ma petite danseuse est unique. Déjà, rien que parce que je la trouve incroyablement mignonne et ensuite parce qu’une perle, tu dis ce que tu veux, mais ça reste juste une perle. Aucun pouvoir distrayant donc.

Bon, concernant mon incroyable capacité à avoir de la chance plus que de raison et un instinct de survie qui me permet de réellement éviter le moindre danger parfois sans même m’en rendre compte, il a sans doute raison. Je risque pas de crever demain la veille, sauf si je me mets à manger un de ces champignons pour le convaincre. Je suis moi-même pas du tout convaincu qu’ils soient pas d’une extrême toxicité. Toutefois, le voyant m’ignorer, je me dirige tout de même vers mon antre pour y dénicher un de mes fungus préféré. J’ai toujours pas envie d’en arracher un et péter mon joli mur, mais s’il faut ça … Lorsqu’il me traverse, je pense qu’il est le seul à trouver l’expérience désagréable et je vous promets qu’il n’y a rien de lubrique à cela. C’est juste que le contact avec la mort, c’est et sera toujours mon lien le plus fort à ce monde. Alors lorsque les esprits me traversent intentionnellement ou non, c’est comme me sentir un peu plus près de mon don et je n’y vois là aucun déplaisir. Pour le coup, cela me stoppe net et un sourire génuine se dessine sur mes lèvres, satisfait de le voir débarquer. C’est qu’il se fait du souci pour moi mon petit Jonathan !! J’en étais sûr qu’il m’aime bien plus que ce qu’il ne veut laisser croire. Après, que je me berce d’illusion et qu’il a cet élan d’affection envers moi uniquement parce que je suis une des rares personnes à le voir, c’est peut-être vrai, mais je préfère ne pas y penser.

« Tu rêves, si je meurs, je resterais pas coincé ici ! Je préfèrerais mille fois voir de l’autre côté… Même si je t’adore comme pas permis et que j’apprécie ta présence, c’est juste que j’suis trop curieux … »

Je me gratte le menton distraitement.

« Après si ça peut me permettre d’aller mater dans les vestiaires, je pense pas que je serai contre non plus, mais je vois pas bien le plaisir à ça, si je peux pas toucher. »

Alors là, définitivement. Il y a des distractions qui me manqueraient terriblement à avoir une vie éthérée et je suis persuadé que de l’autre côté, je n’aurais justement pas ces contraintes de matériel/démateriel. Juste la jouissance de vivre toutes mes excentricités de libertinage. En toute honnêteté, si je suis comme cela, c’est juste que j’ai pas encore trouvé chaussure à mon pied. Si ça se trouve, un jour je me rangerai bien docilement auprès d’une âme volontaire pour me supporter, autre que Jonathan qui a parfois tendance à souffrir de notre promiscuité.  Faut dire qu’à là-bas, j’ai un peu imposé ma présence dans son appartement et qu’il a pas eu vraiment son mot à dire. Ça a été la tornade de sa vie – de sa mort – et je pense qu’il s’en est toujours pas remis le pauvre.

« Tu sais, y’a un marchand un peu spécial en ville qui pourrait t’intéresser d’ailleurs … J’ai entendu dire que certains de ses articles peuvent permettre à un esprit de retrouver contenance … Si tu veux je peux t’expliquer comment y aller, mais je suis juste pas sûr de la monnaie d’échange qu’il demande … »

C’est un de mes coups d’un soir qui m’a parlé de ça, je crois qu’il était un demi-démon et lui cherchait un moyen de se rendre facilement dans une certaine cité qui se trouverait soi-disant sous nos pieds. Je fréquente malheureusement pas assez la terre ferme ces derniers temps pour bien m’intéresser à ce qui s’y passe, alors sous terre, c’est encore pire pour pas dire que je m’en tape. Cependant, quand il a évoqué les autres potentiels articles qu’on y trouve, j’ai pas pu m’empêcher de me dire que celui-ci particulièrement pourrait bien intéresser mon coloc’ préféré. En attendant d’avoir une réaction de la part du fantôme, je tends ma main en direction d’un de mes champis muraux. Y’a pas à dire, ça me manque quand même de pas dormir ici aussi souvent qu’avant. J’aime mon taf sur le Hollandais, mais mon petit nid douillet, ne pas être entouré toute la journée par un milliard d’individu, ça me manque aussi. Et lui aussi. Ouais, ouais ! Lui aussi il me manque cette patate intangible.

Made by Neon Demon

Je l'écoute me donner son avis sur sa potentielle après-mort, et j'y réfléchis un instant, fronçant les sourcils alors que j'attire son attention d'un geste rapide des doigts dans sa direction.

"Tu penses que j'fais une connerie? A lutter pour rester ici, à chercher une solution pour reprendre ma vie là où je l'ai laissée?"

Je hausse un sourcil quand il me dit qu'à ma place, il en profiterait pour aller trainer dans les vestiaires, même si il n'y a rien de moins drôle que de regarder sans pouvoir toucher. Mouais, j'imagine que y en a que ça dérange pas, sinon y aurait pas tant de sites pornos sur internet...  et non, je ne "connais" pas, je suis juste réaliste.

L'envie que j'ai de me foutre la tête dans les placards des fois, mais non je peux pas, parce qu'aux dernières nouvelles, les placards fantômes, ça n'existe pas... bref. J'ai décroché de la conversation, totalement, mais y a ce genre de mot qui a le pouvoir de vous faire raccrocher les wagons. Pour les enfants c'est "bonbons" ou "chaton", pour moi c'est "contenance".

"Explique. Pour le reste j'me démerderai. J'ai vécu quatre siècles sans toi, j'devrais savoir me débrouiller encore un peu par moi-même. Puis, c'est pas comme si tu pouvais me conduire en voiture donc..."

Déjà parce que je pris pour que ce gamin n'ai pas l'idée de passer son permis. Ensuite parce qu'il faudrait déjà que la voiture me laisse pas sur place en démarrant. Etre fantôme, c'est amusant à peu près trente secondes, pas davantage.

Made by Neon Demon

Je hausse les épaules, un peu las par sa réaction. Il est toujours sur la défensive alors que j’ai pas du tout critiqué son choix.

« J’ai pas à juger ce que tu fais et t’es déjà pas humain à la base donc je vois pas pourquoi tu aurais le même raisonnement que moi. On a chacun nos avis et nos raisons, je t’ai dit ce que je ferais, pas ce que tout le monde devrait faire. »

J’suis loin d’être un p’tit con qui pense détenir la vérité absolue sur ce qu’on devrait faire après notre mort. J’ose espérer que Jon sait que je ne le catalogue pas parce qu’il reste. Si on devait se critiquer sur nos choix de vie, le spectre aurait sans doute bien plus d’arguments en sa faveur pour me descendre. Voyant qu’il n’en a déjà plus rien à faire de ce que je déblatère, je me tais quelques secondes avant de reprendre sur un tout autre sujet et je vois immédiatement son intérêt resurgir.

« C’est une boutique de souvenirs qui payent pas de mine. Tu vas avoir l’impression d’entrer dans n’importe quel bouiboui qui vend des merdouilles t-shirt ou boule à neige de Chicago, mais si tu vas jusqu’au fond de la boutique, tu trouveras une porte, que tu pourras ouvrir. Je dis pas qu’il aura l’item que tu cherches, ça change souvent et le prix peut faire mal. »

Et quand je parle de prix, ça a rien de financier … plutôt justement le genre de valeur sentimentale que j’affectionne et c’est bien pour cela que je redoute de m’y rendre moi-même. Le fantôme sait toujours trouver les mots pour me blesser et il pointe mon inutilité pour lui. Il aime pas me causer, il aime pas me voir et il a pas besoin de moi, mais je persévère … un soupir franchit mes lèvres.

« J’connais pas le nom de la rue, j’peux juste t’y guider et après tu pourras dire que t’as plus besoin de moi, mais ça t’arracherait la langue de me sortir une gentillesse de temps en temps !! »

Genre « merci » ? J’boude, ça va pas durer longtemps, mais zut. J’étais content de le revoir moi et il m’envoie bouler en deux deux. Sans compter que je viens d’apprendre pour ça et direct j’lui donne l’info, j’suis quand même cool non ? Enfin bref, un soupir plus tard et je dépose la petite effigie de vahiné sur mon étagère à souvenirs bizarres. Un sourire me barre le visage à nouveau et j’me sens plus jouasse. Je tapote sa tête et elle se met à danser avec grâce. C’est mignon et je regrette pas mon choix une seule seconde. Je trouve qu’un objet n’a aucune valeur s’il ne m’apporte pas un peu de réconfort et définitivement, l’autre item aurait pu m’apporter la fortune pécuniaire, mais à côté de cela, nada !

Made by Neon Demon

Certes, je ne suis pas humain "à la base", mais on n'oubliera pas que j'ai été élevé comme tel jusqu'à ce qu'il me soit donné d'en découvrir davantage sur mes origines. Enfin, il faut admettre que Marius sait se montrer sérieux quand il le veut. Comme quoi, on peut en faire quelque chose de ce gamin, pour peu qu'on le pousse juste assez dans ses retranchements pour allumer ce qui lui sert de cerveau.

"J'suis peut-être pas humain à la base, mais j'admets volontiers, même si ça me tue de le faire, que tu t'y connais un peu plus que moi en matière de fantômes et de mort, et tout le pataquès qui va avec. A ton humble avis de nécromancien, j'ai des chances de pouvoir sentir le vent sur ma peau du genre définitivement un jour, ou j'me contente de me voiler la face?"  

Il me renseigne sur cet endroit où selon lui je pourrai trouver mon bonheur en terme de magie. Noire? Peu m'importe, on est déjà d'accord sur le fait que je ne suis pas le fils d'une fée et d'un papillon. D'ailleurs, je ne me poserais même pas ce genre de questions si je parvenais à remettre la main sur mon grimoire. Si j'ai pensé un moment qu'à mon "trépas", il s'était de lui-même transmis du fils ainé au fils cadet, j'ai vite déchanté en constatant que Matt n'avait pas la moindre idée de quoi je parlais. Tout ça pour dire que le bon plan du jour de Marius, je me le garde dans un coin de la tête. Une gentillesse qu'il me demande? Je me rapproche dangereusement près de lui, à la limite de pouvoir sentir cette sensation désagréable quand il m'arrive de traverser un corps, alors que son âme s'oppose farouchement à ce que je m'approche de son hôte.

"La gentillesse n'est pas dans ma nature, gamin. Mais merci pour l'information."

Entre nous, je dois être vieux. Ou plutôt, ce gosse me fait me sentir vieux. Parce que je suis incapable de me rappeler d'une époque où une babiole du genre de la sienne aurait pu avoir un tel effet sur moi. Pas sans qu'elle ait une signification particulière pour moi en tout cas. Si on parlait d'un présent de Ziva ou d'un souvenir de notre fille, là, ça serait différent.

Made by Neon Demon

Je regarde Jon avec des grands yeux … Ah bon ? L’humain nécro qui va mourir s’y connaît mieux en mort que le démon supposé immortel à la base et il ne le réalise que maintenant ! Bon d’accord, c’est injuste de ma part car cet homme a sans doute frôler la mort plus d’une fois et sa femme … sa fille … ça compte, mais je préfère pas demander. C’est pas le genre de sujet qu’on aborde entre nous, sauf cas rares.

« J’pense que si y’a une personne qu’a une chance de revenir d’entre les morts, c’est toi. »

Autant un humain, je parierai pas dessus, mais un démon ? Peut bien essayer, j’veux même signer présent pour l’aider s’il veut. Je pense qu’il ignore pas qu’il aura un câlin s’il redevient tangible, j’vais pas laisser passer l’occasion avant qu’il m’annonce qu’il veuille plus de moi comme coloc. J’imagine très bien que l’appart lui va tant qu’il a pas à souffrir des odeurs et de l’humidité constante qui y règne faute d’isolation. Mais une fois vivant à nouveau, y’a plus de chance que ça l’emmerde.

Moralité, les renseignements que je lui donne semble lui donner plus qu’un simple espoir même si ça reste une sacrée tête de mule qui arrive à me faire bouder comme un gamin de 2 ans. Heureusement, il sait aussi être incroyablement adorable lorsqu’il le veut bien et je ne peux pas lui faire la tête plus longtemps.

« Tu dis ça juste pour te donner des airs de gros durs, mais t’es un bisounours. »

Pas sûr que ça soit vrai, mais vu que je vois la moitié de la population comme des bisounours prêt à sortir un couteau pour m’égorger, j’ai une notion très particulière de ce qu’est la gentillesse et la méchanceté. Sans compter que je me considère pas comme quelqu’un de mal, mais j’ai tué assez de gens pour que d’autres pense ça de moi pourtant.

« Juste, je déconne pas pour le prix … J’suis p’t être superstitieux, mais ce genre de magie me fou les j’tons. J’arrive pas à concevoir qu’on puisse donner autant sans perdre de même. »

J’suis une chochotte, mais faut comprendre que ma magie à moi, me permet de donner. J’aide les morts à passer de l’autre côté et en contrepartie, je ne demande rien du tout. Je considère que c’est pour ça que j’suis sans doute autant chanceux. Comme si mes bonnes actions s’équilibraient et que ma contrepartie, c’est ce halo d’insouciance et de chance qui me préserve de plus ou moins toutes les infortunes. Ou alors c’est juste que je sais voir le bon dans tout ce qui m’arrive, parce que concrètement, avoir été prostitué, tueur, nécromancien, en fuite pour que certains ne me retrouvent pas pour en finir avec moi, je suis quand même vachement positif sur la notion de ce qu’est la chance, mais bon, tout est une question de point de vu.

Made by Neon Demon

Je plante mes yeux noirs dans les siens alors qu'il me fait une démonstration de foi comme il ne doit pas même se rendre compte qu'il m'en fait, tendant une main vers sa joue en oubliant l'espace d'un instant que je vais me contenter de le traverser, m'en rappelant juste à temps pour éviter de le faire.

"Prends gare, tu pourrais finir par te faire apprécier, parfois."

Je lui offre un sourire tel, je m'en rend compte chaque jour un peu plus, que je pouvais en offrir à ma fille à l'époque, avant de relâcher l'attention, m'écartant de quelques pas dans son dos.

"Un bisounours... il est vraiment temps que je te montre mon sale caractère."

L'inquiétude que je perçois dans sa voix alors qu'il évoque le prix à payer à ce marchand dont il vient de me parler me fait me retourner vers lui une fois de plus vers lui, lui qui semble en temps normal voguer sur les obstacles que lui impose la vie comme si ce n'étaient rien de plus qu'une miette de pain sur sa veste. Trouver du sérieux et de l'inquiétude dans son expression, c'est peu ordinaire. Ou je ne prend pas assez le temps de m'en occuper en temps normal.

"D'ordinaire, je manipule une magie assez sombre pour te filer d'autres chocottes. J'devrais supporter celle d'un autre. Mais ton inquiétude me touche, vraiment."

Un brin théâtral, je porte la main à mon cœur en disant cela, même si j'y crois peut-être un peu plus que je ne veux bien le laisser paraître. J'ignore si je retrouverais ma constance un jour, mais une chose est certaine. J'pourrai pas tourner le dos à ce gosse sans me retourner, plus aujourd'hui. Et ce même si je ne sais pas m'empêcher de soupirer quand je l'ai dans les pattes.

Made by Neon Demon

Je le regarde avec mes grands yeux transparents, imprégnés de toute mon innocence.

« Mais je suis totalement appréciable ! C’est pour ça que tu m’aimes. »

Oui, j’me convaincs moi-même que Jon m’aime bien, sinon il aurait trouvé moyen de me faire décarrer ou il se serrait trouver une autre place à hanter. Quant à son sale caractère, je ne le connais que trop bien et c’est malheureusement pour lui, quelque chose que j’apprécie énormément chez lui. Au moins, quand il me dit qu’il est content, je peux le croire sur parole tellement c’est rare de sa part et ni vu ni connue, on appelle ça de l’honnêteté. Ça court définitivement pas les rues comme vertu. Je lui demande pas de se réjouir des que je ramène une babiole saugrenue ou lorsque je lui raconte mes voyages, mais il a aussi la gentillesse de m’écouter. J’pense qu’au fond de lui, il sait que j’ai que lui pour faire ça pour moi. Les autres en ont rien à taper et je peux pas m’étaler sur ces trucs avec mes collègues du Hollandais … j’en ai pas envie. Déjà que j’passe bien assez pour le mec bizarre qui parle tout seul sans en rajouter une couche.

« Et alors, moi j’pourrais faire marcher les cadavres si j’voulais m’aventurer du côté obscur de mes pouvoirs. Tu vas pas me dire que c’est pas sombre comme magie. J’pense qu’en tant que Nécro, j’dois faire partie des sorciers qui s’aventurent au plus proche des pouvoirs des démons. »

Je secoue la tête.

« Je dis pas qu’j’suis aussi puissant. Loin de là et de toute façon, c’est pas une partie de ma magie que j’exploite, mais juste que la nécromancie touche quand même à votre monde, enfer et paradis et tout le tralala. »

Je soupire.

« J’dis ça parce que t’es déjà sous forme de spectre et que t’aurais pas dû y être Monsieur l’Immortel. Alors fais gaffe sinon j’irais te chercher en Enfer pour te ramener si ça dégénère et tu vas regretter ma bonne humeur ! »

Voilà, c’est dit. J’veux bien croire qu’il est puissant, mais il est aussi là où il en est aujourd’hui et c’est pas pour rien. De l’inconscience, de la malchance, de la témérité … peu importe. Mais j’supporterais pas l’idée de le perdre et ça en va pour assez peu de monde sur cette Terre que je menace d’aller à l’encontre même de mes principes concernant la mort et le passage dans l’au-delà.

Made by Neon Demon

Je balaye l'air devant moi pour dénigrer ses propos quand il m'assure que je l'aime. Non, je l'aime pas, pas vrai. Ce gosse est un insupportable bouffeur d'espace, de temps, de patience et d'amour-propre. D'accord, peut-être que je l'aime bien. Un peu. Mais ça reste entre nous.

"J'ai peur. Non, sans déconner, t'es impressionnant. Surtout avec ta gueule d'ange et ton air innocent. Terrifiant."

D'accord, peut-être qu'en vérité, je ne m'amuserai pas à provoquer délibérément ce coté inutilisé de sa nature. Juste parce que je tiens bien assez à mon cul de fantôme pour éviter qu'il ne se débrouille pour m'envoyer ailleurs.

"Et j'aurai du faire quoi? Laisser ma femme mourir? La première ou la seconde fois? J'ai peut-être du sang de démon dans les veines, et j'ai peut-être appris à vivre ma vie par chapitres au milieu de vous autres fichus mortels, mais pour elle, j'irai faire un tour dans les limbes s'il le fallait."

Et pour lui? Pas vraiment. J'ai du laisser mourir ma propre fille sans rien pouvoir y faire, tout comme un autre enfant avant elle, il y a bien longtemps, je saurai probablement en laisser partir un troisième.

"D'accord. Peut-être que je t'aime bien. Un peu. Mais si ça sort d'ici, t'auras tout intérêt à prier pour que j'récupère jamais mon corps ou mes pouvoirs. Sur ce, tu dois être crevé après pas assez longtemps dans l'air marin. Va donc dormir. J'serai toujours là demain."

A moins d'un miracle, ou d'une damnation. L'un comme l'autre, je le garde pour moi, étant donné que j'ignore celui qui me conviendrait le mieux. A voir, au moment donné.

Made by Neon Demon

Je le sais, c’est trompeur et je ne peux pas m’empêcher de sourire en l’entendant me dire exactement ce que j’espère véhiculer comme image. Ma gueule d’ange me vaut bien des facilités. Je drague, je prends des p’tits jobs faciles, les fantômes se fient à moi, les humains aussi généralement. L’inverse n’est pas forcément vrai, mais ça me suffit qu’on m’aide. Jon, je n’ai aucune idée s’il se laisse vraiment avoir après tout, il est sans doute le seul à en connaître bien assez sur moi. Ma fuite, les cadavres derrières moi et l’éducation déplorable que j’ai eue en tant que bon gosse de la rue et ex prostitué. Un beau panel à mon effectif de ratage total.

« Désolé, c’est pas ça que je veux dire et j’ai jamais ressentie ce que t’as dû vivre avec elle pour juger. »

Déjà de base, j’suis pas du genre à juger de quoi que ce soit, mais pour ce que je connais vraiment pas, j’suis sans doute encore plus humble. Pas envie de me mettre à la place de l’autre alors que celui en face attend certainement pas ça d’son interlocuteur. Le fantôme en face de moi, il a pas besoin que j’essaye d’imaginer ce qu’il a vécu. Il m’en parle et j’peux qu’acquiescer et m’dire que ça doit pas être facile.

« Mais moi aussi j’viendrais te chercher là-bas et j’en suis physiquement capable, donc déconne pas avec ta vie … t’es p’t être ce que j’ai de plus proche d’un père et pour sûr mon seul ami, alors j’t’interdis de crever. Fais gaffe à ce marchand, c’est qu’un conseil et si t’es pas trop pressé avec ce que tu trouves là-bas, j’dirais pas non au moins pour j’ter un œil a ce que tu pourrais ramener de là-bas. »

Un nouveau sourire se décroche de mon faciès et j’fais ce que je sais faire de mieux dans ces cas-là. Etre incroyablement tactile. J’avoue, avec un spectre, c’est moins aisé, mais j’répète, j’suis nécro et je crois dur comme fer à ma capacité à établir des contacts. C’est dur, très dur de me concentrer pour le ressentir réellement, mais avec beaucoup d’énergie, je peux et je pose ma main sur son avant-bras, sentant l’espace d’un instant le contact de sa peau sous mes doigts. Je ne saurais pas faire mieux et bien vite, je repasse à travers.

« J’dirais rien, promis. Et j’peux te dire que j’le souhaite sans doute autant que toi que tu retrouves ta vie. »

J’comprends bien que le fantôme en a assez de voir ma tronche et que si on devient plus sentimental, ça va le foutre mal à l’aise… Non, mais qu’est ce que je suis sympa de lui lâcher la grappe et d’obtempérer gentiment. Je prends mes quelques affaires éparpillées et regagne ma chambre avant de m’écrouler sur ma pile d’édredon. Le truc, c’est que c’est impossible de fermer l’œil. Je sais que Jon va se précipiter vers le fameux vendeur magique et je m’inquiète effroyablement. Impossible de savoir ce qu’il y trouvera et encore pire, l’effet que ça aura sur lui.

Made by Neon Demon

"J'promet rien."

Concernant l'examen de ce que je pourrai trouver chez ce fameux marchand, j'entends. Ou le fait de rester prudent face à ce marchand, peut-être. Allez savoir, la prudence ne fait pas vraiment partie de mes qualités premières. Ou secondaires d'ailleurs. Pour le reste, je préfère écourter une conversation qui devient trop solennelle à mon gout.

Je braque mon regard vers sa main posée (oui oui, posée!) sur mon bras quand j'en ressens le contact, et croyez bien que le contact, c'est quelque chose qui se fait si rare dans ma vie ces derniers temps que je ne peux ni l'ignorer, ni faire mine de l'ignorer. Avant de relever le regard vers lui quand sa main disparait à nouveau de mon champ des tangibles.

"Même si la première chose que j'compte faire une fois bien vivant c'est de me tirer d'ici? D'accord, deuxième chose. La première c'est de boire et manger à m'en éclater la panse... et un paquet de clopes. Je tuerai pour un paquet de clopes, j'te jures!"

Si je pourrai franchement me détourner de lui sans y revenir? J'pense pas. Mais c'est pas à Chicago que m'attendent mes affaires les plus urgentes, donc même si je ne dit pas que je ne reviendrais pas, non, je ne m'attarderai sans doute pas vraiment dans les parages si un tel jour venait à arriver.

Marius s'offre un peu de rangement avant de filer dans sa chambre, et j'attends qu'il y soit bien rentré avant de traverser la porte d'entrée pour sortir de l'appartement et aller faire une petite virée en ville.

Made by Neon Demon