Repose la question, on sait jamais que la réponse aurait changé.

Je me laisse retomber sur le lit, mon dos contre le matelas alors que je tente de reprendre le contrôle de mon souffle erratique. Ce type va me tuer, et je serai bien loin de lui en vouloir. Ayant réussi à calmer ma respiration, après ce qui me parait être une mini éternité, je me retourne vers Dante, m'installant partiellement sur lui, mon cœur battant la chamade contre le sien, toujours aussi résolument silencieux. Au rythme où il bat présentement, il peut bien battre pour deux. Lui offrant un sourire alors que je me cale davantage encore, si possible, contre lui, profitant du contact de sa peau fraiche pour aider la mienne à redescendre à une température décente.

"Tu vas m'avoir la peau un jour."

Ce qui ne m'empêche pas de glisser mon visage dans le creux de son cou, sachant exactement où le mordiller pour attirer son attention. Bien qu'il va me falloir une minute ou deux de pause avant de songer au prochain round. Les bleus que je récolte de plus en plus fréquemment et les courbatures qui vont avec au lever savent très bien m'expliquer que ce petit jeu n'est plus de mon âge, mais c'pas ma faute, je l'aime ce foutu bisounours qui doit être la seule personne de mon entourage à ne pas remarquer que j'ai pris dix ans dans la tronche depuis cette nuit où il s'est retrouvé chargé de surveiller un crétin y étant allé un peu fort pour foutre un mec dehors. Je sens sa main se glisser entre nous, me repoussant juste assez pour que je cesse de narguer son cou, et je trouve à lui voler un baiser avant de m'étendre de nouveau sur l'oreiller. Glissant ma main à mon cou pour suivre la chaine qui y est accrochée, récupérant entre mes doigts cet anneau qu'il m'a offert il y a plusieurs années de ça, et qu'il a plus d'une fois tenté de me faire porter ailleurs que contre ma poitrine. Je laisse la lumière de la lune filtrant à travers les volets jouer avec le métal quelques instants, concentré sur chaque détail du bijou que je connais par cœur.

"T'as compté n'est-ce pas? Le nombre de fois où j't'ai pas donné la réponse que t'attendais?"

J'crois que 99% des mecs auraient abandonné, à sa place. Mais quand j'dis que j'ai trouvé la meilleure pomme du panier, c'est pas des paroles en l'air. Je le mérite pas, et c'pas demain la veille que je reviendrais là dessus. Y a p't'être un truc sur lequel j'reviendrais, par contre...

"R'pose la question, pour voir."

Je tourne légèrement le regard vers lui, guettant le changement sur ses traits qui va avec ses émotions. Il est peut-être doué pour les cacher quand il le veut, mais pas face à moi. J'le connais trop bien. Comme je sais qu'il va se demander pourquoi avant de me le demander. S'il me le demande un jour. Pourquoi maintenant? Parce qu'il y a toujours une part de moi qui se dit que le mariage est la principale cause du divorce, mais une autre qui pense que ça fait dix ans que je le laisse mariner. Dix ans pendant lesquels il est resté aussi parfaitement parfait que possible, et si j'ai totalement confiance en lui et totalement foi en ses sentiments pour moi, faut dire ce qui est, j'passerai pour son père sérieux. Alors j'ai envie d'être égoïste et de l'affirmer mien autant que de m'affirmer sien. Au moins le temps que j'tienne le coup à ses cotés.

Mon endurance pour deux compense le nombre de battements de son cœur, on se complète et c’est chacun son domaine de compétence et mon corps cadavérique impose la répartition des tâches. Le bruit mat de son corps contre le matelas m’indique qu’il capitule pour le moment, mais je compte bien reprendre notre danse s’il me le permet dès que possible. Insatiable ? Je vous invite juste à regarder le beau gosse qui partage ma couche et vous comprendrez que je peux être stimulé. Ma vie sexuelle n’est que bonheur et je peux l’étendre à tous les domaines. Cet homme a su depuis belles lurettes me faire affronter mes anciens démons et m’inciter à profiter de ce que m’offre mon quotidien avec lui.

Lorsqu’enfin le brun reprend un semblant de souffle et se tourne vers moi, je lui adresse un sourire en réponse au sien. Il est à fondre et je le sens brûlant contre moi. Un petit rire m’échappe à sa réplique, pas sûr que cela soit l’effet escompté, mais je saisi l’étendu de la demande physique qu’exigent nos ébats. Mon homme vieilli. Alors, quand il se blottit contre moi et enfoui son visage, je mords ma lèvre pour réprimer l’amertume qui se glisse avec cette idée. Un jour, sa mort nous séparera, mais je l’aimerai éternellement. Heureusement, Nath arrive à évincer en deux trois mordillements ces idées noires et un grognement m’échappe alors que je me sers un peu plus contre lui. S’il continue, je repars pour tour, mais j’entends toujours son cœur battre à un rythme légèrement plus haut que la normal, alors, avec regret, je le repousse gentiment pour l’intimer à un peu de patience. Le brun obtempère non sans me voler un baiser. Si mon cœur ne bat plus, il se permet quand même de faire un bond dans ma poitrine.

Je jette un œil sur mon homme qui triture la chaîne à laquelle est rattaché l’anneau qui m’a servi à lui demander sa main il y a bien une dizaine d’années maintenant. Un nouveau sourire se dessine sur mes lèvres à sa question.

« 7 »

Et chaque fois m’a laissé un peu plus serein sur notre amour, sachant que ce n’est pas sa réponse qui importe, mais la manière dont il l’amène. Sept fois il m’a donné de bons arguments pour accepter ce « non » catégorique, chaque fois mon prince m’a éconduit sans me briser le cœur, mais en m’invitant à savourer chaque moment entre nous. Je l’aime … ce gros bêta.

Je ris à sa dernière demande et d’un mouvement rapide que tout autre humain aurait soupçonné d’inhumain, m’installe à califourchon sur lui, ses hanches sous les miennes, bloquant toute fuite. Mon regard bleuté vient se perdre dans le sien. S’il veut jouer, je me prête au jeu. Il peut bien me dire non une huitième fois, mais dans ce cas-là, j’exige une nouvelle partie de jambes en l’air. C’est donc avec un regard empreint de malice que je lui adresse la question tant demandée.

« Nathan Abraxas … mon amour … je vous redemande pour la huitième fois … Voulez-vous me faire l’honneur de vous faire mien et m’accorder votre main ? »

Alors, oui, je ne m’attends pas à grand-chose, même si au fond de moi, mon cœur espère toujours obtenir satisfaction et cela passe par ce rituel qui me fait tant envie. Sceller notre amour en bonnes et dues formes, même si c’est juste lui et moi sur une île paradisiaque à la pleine lune. Je convoite ce bonheur depuis tellement d’années que je me sens presque trembler en observant ses lèvres prêtes à me répondre.

Bien sur qu'il a compté. Qui ne l'aurait pas fait? D'un autre coté, son manque total d'hésitation avant de me répondre, couplé à l'absence totale d'amertume dans le ton de sa réponse me fait me dire une fois de plus que j'abuse vraiment de la patience d'un homme qui en a bien trop à revendre.

"T'es totalement maso, si t'étais pas encore au courant."

J'aime son rire. Il est toujours franc. Pas de ceux dont on se demande s'ils ne se foutent pas totalement de votre tronche. Et je peux dire que ça l'amuse totalement de me surprendre en passant aussi rapidement de la position allongée près de moi à celle de me surplomber comme il le fait, m'interdisant toute possibilité de fuite, si j'en avais seulement eu la volonté. Et il a cette étincelle dans le regard alors qu'il me pose une fois encore cette question à laquelle j'ai toujours offert la même réponse. Il a autant envie de savoir le fond de ma pensée qu'il pense se heurter à un nouveau refus de ma part. Un refus qu'il me ferait certainement payer au centuple, il semblerait.

Je lève une main vers son visage, traçant du bout du pouce ses traits que je connais si bien que je pourrai sans nul doute les dessiner sans modèle, m'attardant sur ses lèvres que je meurs d'envie d'embrasser alors même que notre position me rend la chose infaisable. Notre position et sa force, il faut bien l'admettre.

"Oui."

Parce que j'ai bien pensé à lui offrir un jeu d'esprit quelconque pour le faire hésiter sur ma réponse. Mais je crois qu'au final, ce simple mot a suffit à le déconnecter. Oui, je confirme, je l'ai totalement perdu. Ma main se glisse sur son menton, le forçant à me regarder dans les yeux.

"Embrasse moi tout de suite avant que je ne change d'avis."

Je profite de son blocage neuronal temporaire (je l'espère en tout cas, je suis légèrement tenté de claquer des doigts devant ses yeux là) pour me dégager juste assez de son emprise pour être en mesure de me redresser face à lui et prendre l'initiative de ce baiser que je le laisse approfondir un peu beaucoup avant d'être, cette fois, celui qui retient les ardeurs de l'autre. Parce que je sais où on va se retrouver, et j'veux faire ce dernier truc avant. A savoir retirer la chaine de mon cou pour la lui poser dans la main.

"Alors, après m'avoir passé la corde au cou, passe moi la bague au doigt."

Mon étreinte toujours en place, j’entends le mot. Ce mot. Le « oui » tant attendu et un souffle de surprise franchit mes lèvres alors que je sens la pression devenir nulle. Mon cerveau en gravité zéro freeze totalement et j’ouvre la bouche en cœur, incapable de lui répondre quoi que ce soit d’intelligible dans l’immédiat. Je grave toutefois dans les quelques neurones restant les secondes qui ont précédés ainsi que le présent. Chaque instant compte. Sa caresse sur mon visage, la douceur de sa voix, son regard si pénétrant au moment où il a prononcé ce mot. Profitant de ma stupeur, le brun se redresse et je manque de perdre l’équilibre, rattrapé de justesse par mon côté surnaturel. Il m’invite à unir mes lèvres aux siennes avant de changer d’avis, autant dire qu’une fois encore, je réagis plus vite que la moyenne humaine et lui retourne le baiser qu’il m’offre. Ma langue vient s’inviter et je recherche le contact de la sienne, emporté par le bonheur qui se glisse en moi. Je n’ai jamais eu aussi chaud depuis que je suis mort et je sens bien assez vite que Nath doit calmer la braise qui brûle en moi avant que je ne l’entraîne vers de nouvelles cabrioles. Je retrouve un sourire plaisantin en réponse à sa blague, il n’y cacherait pas un peu ses émotions ? Mais j’obtempère. C’est toujours mieux que les premiers mots qui ont failli jaillir de mes lèvres en l’entendant, un genre de « oh putain de bordel de merde », mais je suis un être qui a appris depuis toujours à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de l’ouvrir.

Je tends la paume de la main alors que le brun se défait de la chaîne qui lui enserre le coup et bientôt, mes doigts légèrement tremblant libère l’anneau. Je fais rouler celui-ci entre mes doigts, ne l’ayant pas eu depuis un petit moment entre les mains. C’est Nath qui le porte et il ne le quitte jamais. Moi, je ne l’évoque pas plus que cela, me satisfaisant de le voir pendre à son cou. Là, je le tiens et aussitôt il me tend sa main gauche.

Je plante mon regard dans le sien et un sourire s’étend d’une oreille à l’autre sur mon visage angélique alors que je lui passe délicatement la bague au doigt.

« Je t’aime … »

Et je pleure, pourquoi ? Parce que mon cœur de vampire va aimer éternellement cet homme et j’aimerais qu’il soit à mes côtés pour toujours, mais jamais je ne lui imposerai quoique ce soit, ni même irai lui poser la question.
Je n’avais jamais pensé à tout ce que cela génèrerait chez moi, le combat qui se joue dans mon âme … et pourtant, au moment le plus heureux de ma vie, je pleure comme une madeleine sans m’arrêter non plus de sourire.

« Si tu continues comme ça, tu vas finir par refaire battre mon cœur ! »

Je finis par lui rendre sa main non sans y déposer un baiser au préalable et me jette dans ses bras le forçant à me serrer contre lui, même si je ne doute pas que cette étreinte ne le gêne pas le moins du monde.

« On peut garder ça pour nous, juste un petit peu ? »

Bien sûr que Nath voudra prévenir Elaine, elle préviendra son homme, sa filleule, puis de fils en aiguille, la moitié de Chicago finira par savoir. Pour l’instant, je veux que cela n’appartienne qu’à lui et moi, savourer notre vie de jeunes fiancés et mon regard pétille à l’idée qu’il nous faudra également organiser une cérémonie. Je m’imagine déjà, échangeant nos vœux, les yeux dans les yeux et nous promettant un amour pour lequel nous n’avons déjà aucun doute.

Rassurez-moi, c'est des larmes de joie? Ou bien il vient de se rendre compte qu'il était coincé avec moi pour un bon moment? Je jette un coup d'œil à l'anneau finalement à la place à laquelle il devrait être depuis dix ans avant de passer ma main libre sur son visage pour essuyer les larmes qui brouillent sa vue et son joli minois.

"Moi aussi j't'aime. Espèce d'idiot trop foutument parfait."

Il vient se serrer dans mes bras l'instant suivant, et je nous entraine à retomber sur les oreillers, glissant mon souffle dans ses cheveux, mes bras l'encerclant pour lui offrir toute la certitude dont il a besoin. Non, il rêve pas. Même si je suis persuadé qu'il a appris à s'endormir, au fil des années. Ou il mime très bien. Je me contente de sourire à son commentaire, omettant d'y répondre. Si il m'arrive d'oublier totalement ce qu'il est, il est toujours présent pour me le rappeler. Et j'vais être honnête. Le seul truc qui me rebute là-dedans, c'est de me demander "et après?". J'pense le connaitre assez pour savoir qu'il ne relèvera pas la tête en se mettant en quête d'un autre humain à qui s'accrocher pour un siècle ou moins. Quand à l'y rejoindre, dans son monde? Si je suis aussi bon élève que j'ai pu l'être pour mon frère en matière de sorcellerie, il me tuera lui-même. Pis, je l'aime, totalement, mais l'idée de survivre à ma fille, ça, c'pas encore ok dans ma tête.

"Que j'ai fini par accepter de t'épouser entre deux parties de jambes en l'air? Ouais, t'as raison, Elaine a vraiment pas besoin de ce genre de détails."

Je dépose un baiser sur son front, parfaitement au courant que j'ai laissé une ouverture sur le déroulé du reste de la nuit. Même si je vais être mort demain matin, parti comme ça. J'vais donc profiter de la pause, le temps qu'il redescende un peu. Et en profiter pour revenir sur ce qu'il a dit un peu avant.

"Tu f'rai quoi, si c'était possible? Que ton cœur batte à nouveau de façon littérale?"

Je joins le geste à la parole, posant ma main sur son torse, me demandant si je le remarquerai au premier coup d'œil, un coup pareil. J'y suis habitué, depuis le temps, même si ça a été plus d'une fois des plus frustrants de le voir totalement calme et posé alors que je mettais un temps fou à reprendre mon souffle

Je souris bêtement à sa remarque sur ma soi-disant perfection. Il s’est vu dans un miroir ? Beau brun au sourire séducteur et regard intense … franchement je fonds devant ce mec à chaque fois que mon regard se pose sur lui. Cet homme frise le demi-siècle et est toujours aussi sexy … merde je vais vraiment finir par lui ressauter dessus avant que son rythme cardiaque retombe. Alors oui, je lui rappelle facilement ma condition de macchabée, mais c’est notre quotidien, il vit avec un cadavre ambulant et moi un mort en sursis … quand cela arrivera ne nous appartient pas, mais un jour la mort nous séparera.

Suite à sa connerie je me redresse et lui assène une pichenette dans le nez alors qu’il vient de m’embrasser.

« Crétin ! Dans le doute, je te dirais bien les deux, surtout à Elaine ! Ton frère je dis pas, ça pourrais être comique. »

Je fronce les sourcils et un sourire en coin né à la commissure de mes lèvres alors que je capte le message pas très subtil du brun.

« Entre deux ? »

C’est définitif, son cœur va lâcher et mon corps est plus que prêt à remettre nos ébats sur le devant de la scène. Petit hic ? Sa question qui me refroidit aussitôt et me laisse perplexe … je n’y ai jamais réfléchi puisque cela est impossible …
Mon visage se détend et je me perds dans mes réflexions en attendant de trouver la réponse adéquate à lui fournir C’est pas commun comme discussion, mais avec lui on enchaîne sexe, demande en mariage et discussion vampirique … nous ne sommes pas commun de toute manière.

Je pose mon regard dans le sien alors que sa main réchauffe mon torse. La douceur de cette sensation me fait revenir à la réalité et je rends une réponse qu’à moitié satisfaisante en tant que telle.

« Je suppose que je mourrais avec toi. »

Un sourire tendre vient se juxtaposer à mon expression faciale. Je l’aime et j’aimerais vieillir avec lui.

« Je veux dire par là, qu’on aura notre vie toi et moi, puis nous aurons le plaisir de mourir ensemble … mais je n’ai jamais réfléchi à cela et je t’avoue que rien que d’y penser, l’idée de te voir mourir … de mourir aussi, m’effraie au plus haut point. Le problème de l’immortalité, c’est qu’elle te rend plus avare sur la vie et j’imagine que me suis plus facilement posé la question de si tu devenais immortel que l’inverse. Ma condition est irréversible … »

Je soupire et ferme les yeux pour m’efforcer de ne pas pleurer, mais je sens bientôt des larmes froides glisser sur mes joues. Alors, je l’enlace une fois encore et ma tête se perd dans sa nuque. C’est toujours plus facile de l’aborder quand je n’ai pas l’impression de le décevoir.

« Je t’aime Nath, je veux ce mariage et j’imagine que tu sais ce que cela représente pour moi … je ne sais pas combien de temps je foulerai le sol, mais tu seras à jamais mon homme, mon amour. »

Je me mords la lèvre, c’est le problème de notre relation, je n’arrive généralement pas à aller assez loin dans mes sentiments et j’essaye d’enterrer tout pour qu’il me croit fort. Je baisse les yeux avant de finalement réussir à continuer.

« Si j’étais immoral, je pense que je ne te demanderai même pas et je te garderai avec moi pour toujours … j’imagine que je ne fais pas entrer Elaine dans l’équation quand je pense à cela et au final, je viens même à me dire que c’est normal pour elle de continuer sa vie, mais pourquoi toi tu continuerais pas la tienne avec moi. »

Je regrette presque de lui dire tout cela et pourtant, ce sont justes des choses qui me sont venues à l’esprit sans jamais n’avoir eu besoin de se concrétiser d’un quelconque manière puisque dans tous les cas, je ne suis pas seul à prendre la moindre décision et il m’aura déjà fallu 10 ans avant qu’il ne se décide à accepter ma demande en mariage … il voudra devenir un vampire sur son lit de mort si ça se trouve.

Je ris franchement quand il évoque l'idée de faire friser Max avec les détails de cette demande en mariage somme toute pas commune. Je crois qu'il peut se passer encore cinquante ans entre eux, ça sera toujours la même guéguerre puérile.

"C'est vraiment plus fort que vous de vous tacler l'un l'autre hein? Vous êtes incorrigibles!"

Je glisse mes doigts dans ses cheveux, en profitant pour en libérer un peu son visage en glissant ses mèches derrière son oreille. Il finit par remarquer mon allusion peu subtile, mais faut dire ce qui est, j'aurai pu choisir un autre moment pour continuer sur la discussion suivante. Fin, maintenant qu'on y est, autant y rester un peu. Parce que soyons honnêtes, c'est un sujet qu'on a rendu tabou aussi bien lui que moi. J'suis pas fou, j'me vois vieillir autant que j'le vois rester le même jour après jour, et je sais qu'il le remarque au moins autant que moi. Il a ces regards parfois, de ceux qui veulent retenir un truc parce qu'ils savent qu'ils vont le perdre bien assez vite. J'ai eu les mêmes avec la petite fille qu'a pu être Elaine avant qu'elle ne prenne son envol.

J'écoute sa réponse sans l'interrompre, alors même que je n'ai que l'envie de l'empêcher de mettre en mots ce qu'il a dans la tête, comme ça semble le rendre enfin réel pour lui. Il finit par me cacher ses émotions en se planquant dans mon cou, une cachette d'où je réussis plus ou moins à le sortir alors qu'il continue sur sa lancée, avec toute l'honnêteté que je lui connais. Je tente d'attraper son regard, franchement préoccupé par ses paroles. Parce que c'est autant son ressenti que le mien, de deux points de vue différents. Disons que j'ai pas peur de mourir, j'aurai même pas pensé tenir le coup aussi longtemps y a vingt ans de ça, mais j'ai peur pour lui après. Exactement pour ce qu'il me dit.

"Je sais pas où on va et ce qui nous attend. Mais j'veux pas ça pour toi. J'veux qu't'avances, comme tu voudrais que j'le fasse si les rôles étaient inversés. Et qu'tu gardes un œil sur nos p'tits-enfants. Avec leur renard de père, ça serait pas du luxe."

Non, j'ai rien contre Tomas, hormis qu'il m'a pris ma petite fille, mais je crois que c'est le crime de tous les gendres. Même si Dante a pas été de trop pour me l'expliquer par A + B celle-là. Quand à "nos" petits-enfants? Je crois qu'il a pas de question à se poser à ce sujet, il est autant leur grand-père que moi, et ils ont une veine pas croyable de l'avoir, peu importe le sang ou les gènes.

"T'sais, ma propre mort m'effraye pas. J'l'ai longtemps attendue. Espérée même à un moment donné. Alors le jour où elle se pointera, elle aura juste un paquet d'années de retard. C'qui me fait peur, c'est d'vieillir. Te faire subir ça jour après jour... mais j'suis un foutu égoïste qui a pas envie de te lâcher de sitôt."

Malgré ces dernières paroles, je me retourne, me retrouvant à lui tourner le dos. J'vais accuser les douleurs de vieux. Ce qui ne m'empêche pas de me caler contre lui, cherchant sa main à tâtons pour entremêler nos doigts et l'attirer davantage encore contre moi, le laissant poser sa tête dans le creux de mon épaule.

"J'me suis déjà posé la question tu sais. Et j'en arrive toujours à la même réponse. T'as raison. Elaine a sa vie, et ça m'empêcherait pas de la voir, de toute façon. C'moi qui suis pas prêt à me retrouver à ta place. La regarder vieillir avec ce fichu dilemme d'avoir une solution au problème, mais de pas aimer cette solution ... Oui j'te connais, je sais que tu préfères de loin exploser ton budget à me faire des plats de chef étoilé plutôt que d'imaginer d'me réchauffer une poche de sang au micro-ondes."

Et dit comme ça, c'est vraiment pas glamour. Et c'pas la conversation que j'comptais avoir avec lui ce soir. Mais il a raison, ça fait dix ans qu'on la repousse, cette conversation, alors quitte à l'avoir amenée, autant aller au bout. Même si je crois qu'une décision importante à la fois, c'est pour le mieux. Parce que partis comme on est on va bientôt parler adoption... et j'regrette de pas l'avoir laissé nous ramener à d'autres activités un peu plus réjouissantes.

Je souris à sa remarque concernant ma fâcheuse habitude d’emmerder Max. J’enfonce juste une porte ouverte avec son frère. Le grand ça l’énerve et moi ça me fait marrer, après rien de méchant, juste de quoi m’amuser, il ne faut pas me prendre au premier degré de toute manière et Axel et Nath sont là pour nous rappeler à l’ordre quand il le faut.
Je le laisse déballer l’avenir qu’il a pour moi, de regarder mes petits-enfants grandir … de forte chance pour que le renard reste à mes côtés compte tenu de nos capacités … Nous sommes donc voués à voir mourir l’amour de notre vie Tomas et moi, ne rien dire et juste observer … je ne sais pas si j’en ai envie, je ne sais pas quelle force j’aurais si je le perds et je ne veux pas y penser. J’aime ce mec plus que je n’ai jamais aimé quiconque. Si Luka et moi avions le feu de la jeunesse, Nath et moi avons une passion inébranlable. Avec lui, je suis l’homme que j’aime être. Je peux me regarder dans la glace et apprécier mon reflet, me dire que je vis chaque seconde pour être avec lui.  Je secoue la tête refoulant ma réticence à lui dire tout cela … mais … cela fait trop longtemps et je sens les mots se former avant même de comprendre ce qu’il se passe.

« Pour être honnête, j’aimerais que cela soit vrai, que les vampires n’aient pas de reflet. Je me sens vieillir à travers toi et c’est quelque chose que j’aime, mon visage me rappel juste que ce n’est pas le cas physiquement, mais je vis avec toi et ça c’est aussi vieillir d’une certaine manière. Et je te rappelle que ton gendre risque de vivre quelques centaines d’années ou plus, on ignore ce qu’il va se passer pour lui aussi et il va souffrir comme moi … il va voir Elaine vieillir et mourir … tes petits-enfants, s’ils deviennent comme Tomas ont aussi une espérance de vie qui pourraient bien dépasser l’entendement … enfin, ce que je veux dire … là où je veux en venir, c’est que dans notre famille, si on commence à réfléchir à qui va survivre à qui, on est pas au bout de nos peines. Et s’ils ne deviennent pas des kitsune, alors je vais juste regarder tout le monde mourir jusqu’à ce que je devienne un arrière-grand-père qu’on présentera comme un cousin éloigné et on finira par ne plus me présenter du tout et je ne serais plus rien pour personne. »

Je mords ma lèvre alors qu’un sanglot vient de m’échapper et les larmes roulent sur mes joues. Limite, cela m’aide qu’il me tourne le dos. J’inspire profondément juste pour reprendre de plus belle. Maintenant lancé, je n’arrive plus à retenir toutes ces pensées qui m’ont envahi depuis si longtemps.


« Tu sais que j’ai même pensée à parler à Abraxas, qu’il aille au moment où j’ai été transformé, comme il a modifié le chemin de vie d’Axel, mais alors, j’aurais plus de 60 ans au moment où nous nous serions rencontré et je ne serais pas là où j’en suis, peut-être même mort. Après le décès de Luka, c’est de devenir un vampire qui m’a fait vivre pour deux ironiquement. T’es l’homme de ma vie Nath. Tout dans ma vie m’a conduit à toi et tu te trompes. Je peux être un gros con d’égoïste. Je n’aurais aucun scrupule à te chauffer tes poches de sang parce que ce sont un milliard d’autres choses que nous vivrons plutôt que de te cuisiner des petits plats. Je me rattache à cette part d’humanité pour toi, mais cuisiner, la nourriture, je sais pas à quel point j’ai raté le coche, je ne crois pas que Silas soit autant impacté et je pense même que certains vampires arrivent à manger comme les humains pour faire semblant, mais moi, ça m’écœure et plus les années passent, pire c’est. Des fois, rien que l’odeur me rend nauséeux … Je le fais pour pas voir ma différence, pour passer de bons moments avec ma famille, mais il arrivera un jour où j’arriverai même plus à ouvrir la porte du frigo. »

Je le sers tellement fort contre moi, je n’ai pas envie qu’il se retourne et ma voix est devenue rauque alors qu’un poids me pèse sur le cœur. Ce cœur qui ne bat plus depuis tant de temps. Merde, je chiale. Franchement, il va me tuer, mais j’ai tellement envie de partir de m’enfuir. Je viens de déblatérer des atrocités. Je me remets sur le dos, lâchant mon étreinte et essuyant mes larmes d’un revers de main.

« Merde … j’suis désolé … »

Je me retiens, je reste … j’attends que le brun me réponde, me dise que je suis un abruti et me rejette. C’est pas vraiment comme ça que j’imaginais nos premiers instants comme fiancés.

Je le sens d'abord hésitant, puis ses mots prennent davantage d'entrain à mesure qu'il libère une parole qu'il doit ressasser depuis des lustres. Ce que j'ai à répondre à ça? Pas grand chose, hormis serrer ses doigts entre les miens autant que faire se peut, au moins jusqu'à ce qu'il s'écarte de moi, retirant sa main de la mienne. Je lui laisse quelques instants pour reprendre une contenance, avant de me replacer sur le dos, tournant la tête vers lui quand il s'excuse. De quoi? D'avoir été honnête? Je glisse une main sur sa joue avant de me tourner de nouveau d'un quart pour me retrouver face à lui, ma main posée plus fermement sur sa joue pour l'empêcher de m'éviter.

"Excuses-toi encore une fois et oui, je vais peut-être songer à te virer du pieu. "

Je me redresse sur un coude pour le surplomber, en profitant pour admirer son visage vu sous cet angle. En vrai, y a pas un profil qui lui fasse défaut, c'est presque consternant. Je profite de ce silence bienvenu après une conversation qui n'a que trop attendu pour réfléchir à ses paroles, devant admettre que sa logique est compliquée à réfuter.

"Et t'as raison, encore une fois. A force de m'inquiéter pour nous, pour toi, j'ai même pas capté que Tom et Elaine vont avoir le même dilemme à résoudre d'ici quelques décennies. Par contre..."

Je ne lui laisse aucun instant pour songer à se défendre avant de lui coller une claque bien sentie sur le pectoral. Non pas que j'ai une chance de lui faire mal - et c'est pas le but de toute façon -, mais j'espère bien lui réaligner deux ou trois neurones ensemble.

"On parle toujours de NOS petits-enfants, pas seulement des miens. Et j'te reprendrais un million de fois s'il le faut. Et j'ai pas fini, te sauve pas. Donc. Va voir Abraxas si ça te chantes, mais j'te préviens, t'es le seul de nous deux à chasser dans les maisons de retraite"

Ce qui signifie? Bien sur que je l'aime inconditionnellement, et que je l'aimerai tout autant s'il n'avait pas cette éternelle belle gueule de trentenaire. Parce que ce que j'aime chez lui, c'est avant tout sa personnalité, toutes ses qualités, et même ses défauts. Mais je suis pas sur qu'au tout premier abord, j'aurai zieuté plus que ça le flic qui me gardait en cage s'il avait pas eu un physique à tomber par terre. Faut savoir avouer ses propres défauts. A savoir qu'à cette époque, je couchais plus souvent dans les lits des autres que dans le mien. Ce foutu idiot aura su m'apporter la stabilité en plus de tout ce qu'il a pu m'apporter durant cette dernière décennie.

"Et même si j'adore ta cuisine, j'peux me contenter de pizza surgelée si ça peut arranger un peu ton estomac. Mais j'ai une bien meilleure idée pour ce soir." Je me rapproche de lui pour l'embrasser tendrement. "Oublier les sujets qui fâchent. On aura le temps d'en reparler plus tard." Je descend à l'angle de sa mâchoire, usant de mes dents contre sa peau. Il n'est pas le seul à savoir mordre ici, même s'il le fait bien mieux que moi. " En attendant, fais-moi regretter de t'avoir dit oui."

Rien que son toucher, sa main sur ma joue m’appelle à rester, ne pas fuir loin de lui et que le brun va encore me donner un peu de sa force. Je ne sais pas d’où il l’a tir, mais il en a toujours un peu pour moi. Un petit trait d’humour et il fait retomber la tension comme un soufflé … je l’aime ce mec. Je me répète ? Mais c’est tellement vrai. Il est mon souffle de vie.

Je soupire et tente de me redresser, mais mon homme ayant eu la même idée une fraction de seconde avant moi, c’est lui qui bientôt me surplombe. Je me perds dans l’intensité de ses yeux et mon cœur s’allège. Mon havre. Autant dire que je lâche un grognement non contrôlé en recevant une claque sans doute bien méritée concernant l’utilisation de « tes » au lieu de « nos » en parlant de nos petits-enfants … Certes, mais oui, je sais que ce sont les miens autant que Tom est mon gendre, Elaine est devenue ma fille … j’ai ma place dans cette famille et tous sont là pour me rappeler le bonheur que c’est de tous les avoir. Je fronce les sourcils, perdu aussi sur la raison pour laquelle je suis le seul à chasser en maison de retraite … il parle de lui comme d’un vieux ou je rêve ? Depuis le début de notre relation, je me fais reprendre dès que je parle de moi en terme de macchabé ou corps ambulant, cadavre et autre état post-mortem, je ne vais certainement pas laisser passer que lui se réduise à l’état de papi … même s’il en est un.

Quand à ma cuisine … non … mon homme ne va pas finir en mangeur de pizza … je l’aime sexy et c’est pas avec ça que je vais non plus lui assurer une longue espérance de vie … si on reste là-dessus bien sûr. Sa morsure sur ma chair réveille l’amant et je compte lui faire regretter bien plus que son oui s’il continue de la sorte.

« Tu mériterais que je sorte aussi les crocs … »

Dans un tour de passe-passe ne lui laissant pas l’occasion de réagir ou de se rebeller … profitant des quelques années de courbatures qu’il a dans les pattes et ma force de vampire … je renverse sa domination pour assouvir la mienne sur son corps et me voilà une fois encore à le chevaucher.

« Si tu prends du bide, je m’en voudrais … j’suis p’t être sexy pour l’éternité, mais toi, faut t’entretenir sinon tu me dis oui tout de suite et je te transforme … »

Une lueur de détermination brille dans mon regard. Je sais qu’avec le flux émotionnel qui vient de me traverser, j’en serais capable, ne pas réfléchir et exécuter la transformation sans réfléchir.



J’ignore combien de temps ce nouveau jeu nous prend, mais le brun en perd haleine alors que c’est à mon tour de me laisser tomber contre le matelas à ses côtés. Sa peau brûlante contre la mienne, sa respiration rapide et l’accélération plus que perceptible pour moi de son pouls … Je ne démordrais pas de mon idée, maintenant que les mots sont sortis, je reste déterminé, buté à l’idée que s’il me le demandait, je franchirais le cap … je ne l’aurais fait qu’une fois avant lui, pour sauver une jeune femme des bras de la mort … je le ferais pour lui, pour l’aimer pour l’éternité.

"Mêle le geste à la parole pour v..."

Le retournement de situation, au sens littéral du terme, me prend par surprise, et je ne peux que laisser s'échapper un souffle retenu une seconde de plus que nécessaire quand mon dos frappe de nouveau l'oreiller, alors que je me retrouve une fois encore victime des machinations machiavéliques de mon cher et tendre pour prendre le dessus sur moi. J'en rigolerai presque, si un quelque chose dans son regard ne me faisait pas retenir ma langue. Je sais depuis le tout début tout ce qu'il y a à savoir sur ce qu'il est, mais peut-être que pour une fois, ses paroles associées à son regard me font prendre conscience qu'il est le loup et que je suis le daim. Alors, quand il finit par se pencher vers moi, apparemment décidé à jouer lui aussi la carte des dents titillant la peau de mon cou, j'ai un instant d'hésitation avant de le suivre dans la suite des animations. Un instant si court qu'il ne l'a probablement pas remarqué, que j'espère qu'il ne l'a pas remarqué. Je refuse qu'il pense que je puisse avoir peur de lui, et accessoirement, je refuse de continuer ce genre de réflexion, pas quand j'ai bien plus intéressant à penser à l'heure actuelle. Du genre? Qu'il va vraiment m'avoir la peau, cet homme, et le pire, c'est que je ne lui en voudrais pas la moindre seconde.

Et je me retrouve de nouveau essoufflé, tentant de reprendre un souffle qui a définitivement décidé de me quitter aujourd'hui. Faut dire qu'on y est pas allé de main morte, sur ce coup, même si j'ai la nette impression qu'il se frustre lui-même en se retenant d'y aller trop fort. Ce qui me fait penser ça? J'le connais, c'est aussi simple que ça. Je finis par me retourner légèrement vers lui, l'utilisant bientôt comme oreiller alors que son bras se glisse autour de moi.

"J'te dis pas non. Et j'te dis pas oui non plus. Je t'aime, et si y avait que nous tu sais que ça me poserais aucun souci. Mais Elaine a son mot à dire. Et pas que pour cette histoire de temps qui passe d'ailleurs. Tu sais quel sorcier de pacotille je fais, même avec le secours de Max. "

Autant dire que si j'arrive à canaliser davantage mes émotions, et même à faire quelques trucs très basiques avec mes pouvoirs, je ne suis pas prêt d'avoir le niveau que mon frère souhaiterait me voir atteindre. Perso, avoir moins peur de mes pouvoirs, c'est déjà une victoire en soi. Il ne peut pas imaginer ce que ça peut être, de vivre avec ce poids dans la poitrine. Cette magie dont je ressens la présence et craint l'absence, tout en ayant peur d'en perdre le contrôle à chaque sursaut de cœur. Et si il m'a bien dépanné ces dernières années, je sais que j'ai encore des progrès à faire pour l'accepter à sa juste valeur.

"J'suis pas convaincu de faire un meilleur vampire. J'vois bien les efforts que ça te demande pour tenir quand quelqu'un trouve à se blesser à sang devant toi. Si j'en serai capable? Aucune idée. Et faire du mal à qui que ce soit de notre famille, ça, j'm'en remettrais pas. Et toi non plus. Bref. J'ai peut-être pas l'éternité devant moi mais j'compte pas canner demain. Donc j'propose qu'on dorme et qu'on voit ça plus tard. Deal?"

Non. Je ne Remarque même pas son hésitation, trop investi par l’intensité de mon démon intérieur. Sa manifestation m’empêche de voir et c’est cela qui m’inquiète le plus quand je finis par m’en rendre compte. Plus le temps passe, moins je me permets de lui octroyer de la place et plus ses apparitions prennent une ampleur désastreuse. On évitera de remettre sur le tapis les nombreuses anicroches qu’il y a eu ces dix dernières années lorsque je me suis vu perdre le contrôle. Mon homme finit par en reparler de lui-même et je l’enlace alors qu’il se positionne au creux de mes bras. Je lève les yeux au ciel un peu frustré par sa réponse. Surtout que je ne comprends pas où il veut en venir avec ses pouvoirs qui fluctuent sans doute autant que la bête qui sommeille en moi. On s’est toujours compris lui et moi, notre incapacité à gérer quelque chose qui sommeille en nous, savoir qu’elle existe, mais dont on ne sait pas quoi en faire. Ce que je ne saisis pas, c’est ce que cela implique. Si je le transforme, il perd ses pouvoirs, non ? Il devient juste un vampire ?

« J’suis désolé, mais je ne suis pas d’accord. Elaine a pas son mot … si demain, elle décide de se faire transformer pour vivre éternellement avec Tomas, je ne vois pas ce qu’on aurait à dire ni toi ni moi. C’est sa vie et là on parle de la tienne. Faut que tu coupes le cordon … »

Je vais trop loin, je le sais, mais comme je disais, je suis instable en ce moment et je me sens perdre le contrôle de mes états d’âmes sans pouvoir stopper le flux de paroles qui se déversent sur le brun alors qu’il ne veut plus que dormir.

« J’ai l’impression qu’on repousse de toute manière tous les sujets les plus important. Toi ça te paraît long, mais tu ne vois pas comme le temps passe pour moi. Il file. Une année me paraît une seconde et demain, c’est dans dix ans … sauf qu’on va pas se mentir Nath, c’est pas dans dix ans qu’il faudra que tu la prennes cette décision et je vais en avoir besoin pour juste gérer mes émotions. Savoir où je vais avec toi. »

Enervé, je le repousse. Je me lève du lit et enfile mon fute à la hâte.

« T’as raison, je me contrôle pas … »

Je me fais peur moi-même en entendant le ton glacial de ma voix.

« J’vais aller boire un coup si tu vois ce que je veux dire … pour pas faire mal à « notre » famille. »

Je me suis jamais vraiment énervé, mais là, la corde sensible vient d’être touchée. Lui aussi le voit que c’est un combat de tous les jours. Et alors ? Je croyais qu’il comprenait justement. Mauvais moment, tout simplement. Je n’attends pas vraiment sa réponse et me faufile par la fenêtre la laissant grande ouverte et les courant d’air en seul témoignage de ma présence dans la chambre.

Encore une soirée où je suis heureux d’être partie avant que ce ne soit effectivement Nath qui se prenne de pleins fouet ma transformation. J’arpente les rues et je finis par arriver à une salle de saigné … mais je ne suis pas satisfait et sur le pas de la porte, je me prends à faire demi-tour, ignorant la voix qui hurle en moi d’entrer. J’ai besoin de chasser, de me sentir vivre et je fouille dans ma mémoire les éléments d’un dossier sur lequel je bosse avec Silas. Un taré, mais humain. On est bloqué parce que rien de surnaturel pour le coincé, mais je ne suis pas aussi raisonnable ce soir et ce n’est pas ce détail qui va m’arrêter. Il ne me faut pas longtemps pour arpenter la rue dans laquelle il vit. Décidé à me déchaîner, j’ouvre la porte de son taudis d’un violent coup de pied et il débarque dans ma direction un fusil à pompe à la main. Un sourire diabolique se dessine sur mon visage. Il semble que je vais finalement avoir le bain de sang que j’espérais.

Si le tueur était un adversaire de taille, l’issue du combat ne faisait aucun doute et je me lèche les babines alors que son cadavre retombe sur le sol dans une position difforme. J’expulse un soupire de satisfaction et essuie mes lèvres d’un revers de bras. C’était quand même une idée à la con de sortir sans t-shirt et chaussures, je tiens à le dire. Sans scrupule, je jette un œil dans le hall et dégote une veste en cuir noir longue d’une élégance certaine, presque choquante pour le personnage. Je la revête et lui emprunte également une paire de chaussures un tantinet trop grandes. Tant pis, ça fera le taf jusqu’à la maison, juste de quoi dissimuler la blessure dégueulasse qui parsème mon torse. C’est le problème des fusils à pompe. Ça fait une blessure étendue, sale et extrêmement douloureuse. Je suis bien content d’être sorti sans ma perle, sans quoi j’aurais autrement plus douillé à l’impact du plomb sur ma chair. Sur la table de l’entrée, je récupère un paquet de clopes et m’en allume une avant de rejoindre la nuit. Mon mégot au bord des lèvres, j’avance en essayant de réprimer une grimace de douleur. Il ne m’a touché qu’une fois, mais comme il faut. Un regard vers le ciel me permet de constater que l’astre du jour n’est pas loin et si l’absence de mon artefact m’a porté chance, face au soleil, ce ne sera pas la même. J’avance donc aussi vite que possible jusqu’à notre appart. De justesse je ferme le rideau du salon alors que les premiers rayons commencent à brûler ma chair. Las, je me dirige vers la salle de bain espérant que Nath dorme encore. Faut que je soigne ça avant qu’il ne me voit …

Réussir, dans la même nuit, à se fiancer, avoir une conversation de celles qu'on veut pas avoir, et se prendre la tête, le tout entre deux - ou trois - sessions de réconfort sportif, c'est totalement nous ça. J'dirai même qu'on est forts dans des coups pareils. Alors, quand je le vois prendre la guêpe et disparaitre tout à coup par la fenêtre, je n'essaye pas de le retenir. Je n'en ai pas le temps, de toute façon. Je me contente de remarquer qu'il n'a pas pris le temps de récupérer sa protection anti-UV en partant, et donc qu'il devrait revenir avant l'aube. Il irait pas faire une connerie pour quelques mots de travers, hein?
Je commence déjà par ramener un drap sur moi. Il n'a clairement pas la température corporelle d'un chauffage central, mais c'est une autre forme de chaleur qu'il m'apporte, et de le voir partir de cette humeur, j'ai froid. Et après avoir jeté un regard à l'heure qu'il est, je finis par me lever. L'idée d'une grasse mat sympa c'est d'en profiter pour trainer dans les bras de son mec, pas de regarder un plafond vide en attendant que le temps passe, et pis soyons honnêtes, j'ai plus sommeil. Donc il est peut-être bien que 4h, mais j'dormirai mieux demain. Avec Dante au calme et à la maison.

Je finis donc par passer le drap autour de ma taille en me levant, décidant de m'accorder une bonne douche froide pour finir de me réveiller, repensant à ce qu'on s'est dit et le moment où la corde a cédé. Il a raison sur un point et tord sur un autre. Ok, Elaine n'a techniquement pas son mot à dire concernant mes choix de mortalité/immortalité, même si j'espère bien qu'on pourra avoir ce genre de conversation, juste comme ça, disons, pour m'aider à y voir plus clair avec l'avis d'une personne un peu plus objective que le fiancé transi qui n'a absolument pas envie de me perdre un jour. Mais je crois qu'on voit nos petits-enfants assez souvent pour penser qu'elle a le droit de décider ou non de laisser un tel danger dans leurs environs. J'suis pas fou, m'a fallu à peu près 40ans pour éviter de péter une durite magique à chaque mauvaise émotion qui passe, alors je me doute bien que j'vais pas briller dans le genre vampire. Même si je doute que Dante irait me traumatiser comme a pu le faire mon paternel, mais ce manque de confiance en mes propres capacités magiques, c'est ancré là, et c'pas qu'il soit sur à 300% qu'il saura gérer qui y changera quelque chose. Faudrait déjà qu'il se gère lui-même. Parce que je sais parfaitement où il est parti là. Aller planter ses crocs dans autre chose que ma propre gorge.

Après ce qui me semble une éternité, je finis par sortir de la douche, pas spécialement requinqué mais avec les idées un poil plus en place. Pour finir par m'habiller et déjeuner, avant de me caler sur le canapé pour attendre aussi bien le lever du jour que son retour. Ok, peut-être que j'aurai du allumer la télé pour ne pas me laisser embarquer par ma fatigue. Faut être honnêtes, j'ai plus 20ans depuis un moment, les nuits blanches, c'est plus trop mon rayon.
C'est pas le bruit qui me réveille. Il est trop discret pour ça. Plutôt la sensation de sa présence. Faut dire ce qui est, on peut s'engueuler autant que possible, j'ai besoin de lui à mes cotés, et il ne peut pas passer inaperçu bien longtemps. J'ouvre les yeux pour trouver le salon plongé dans le noir et la lumière de la salle de bain allumée, et je me relève du canapé pour aller voir ce qu'il y fabrique. Poussant légèrement la porte pour jeter un œil discret à l'intérieur, avant de l'ouvrir plus franchement en ayant une première vision des dégâts. Qu'est-ce que?

"Attends. Laisse-moi t'aider."

Pas que j'ai fait de quelconques études de médecine, mais heureusement, normalement, il risque pas de mourir si j'm'y prend de travers. Pas vrai? Je pose ma main sur son bras tout en regardant la boucherie qu'il s'est fait, et croyez-moi, c'est pas beau du tout. Même avec ses capacités de guérison. Au final, heureusement qu'il avait pas pensé à emmener son caillou, parce qu'il aurait surement pas cramé, mais j'l'aurait p't'être bien retrouvé canné dans une impasse, parti comme ça.

"Ca va mettre son temps à cicatriser. J'peux faire quoi pour t'aider?"

C’est en pénétrant dans la salle de bain qu’un élément de notre conversation me revient. Je reste fichet devant le reflet du miroir, observant la moindre goutte de sang qui me recouvre et je soupire, exaspéré d’avoir agi de manière aussi sanguine. Pour un vampire, c’est quand même le comble et j’aimerais définitivement ne plus avoir de reflet. Résigné à ne plus affronter ma propre image, je retire les grôles défoncées par la course et ouvre la fenêtre pour les y balancer, en bas ce n’est qu’une ruelle sombre non fréquentée, pas de risque que j’assomme qui que ce soit. Pour la veste, j’hésite. Je la regarde et décide qu’elle ira finalement très bien dans ma garde-robe une fois remis en état. Tous les tueurs en série conservent des souvenirs de leur victime. Je suppose que je me vois comme tel même si ma victime n’avait rien d’une à la base. Face au crocs d’un vampire, il en est devenu une et je l’ai saigné sans ciller. J’accroche donc mon trophée à la porte avant de m’avancer vers l’inconnu du miroir. Si ma discrétion est surnaturelle, Nath souffre de l’absence de cette habilité et encore plus quand il se lève pataud après une nuit trop courte. Je regarde dans le reflet la porte s’entrebâiller et le visage de mon homme apparaître avant de finalement me retourner vers lui. Si j’avais honte qu’il me trouve comme cela les premières fois, j’ai appris à passer outre. Il me fait confiance sur mes victimes et pourtant, je n’arrive pas à savoir s’il a raison de m’accorder cette confiance. Je ne la mérite pas.

Mais bon, aujourd’hui je suis un gros con et je m’irrite fissa en l’entendant me proposer son aide. Je me dégage de son contact avant que le réconfort ne gagne mon cœur et laisse l’imbécile parler à la place. L’imbécile, c’est moi. J’ai de nombreuses facettes et entre le démon et celui-là, je donne définitivement pas le meilleur de moi-même aujourd’hui … à croire que je veux lui faire arracher la bague qu’il a mis dix ans à accepter …

 « Je crois que ce qui m’aiderait vraiment, c’est que tu t’énerves contre moi. J’suis un con. Dit le moi Nath s’il te plaît. »

Je l’implore tout en sentant le ton de ma voix monté une fois encore. Faut croire que je cherche la merde, mais je ne comprends pas comment il fait pour garder autant son calme et ça m’exaspère. J’ai envie de hurler, qu’il me traite d’un milliard de noms d’oiseaux, je ne mériterai pas mieux. Etre trainé dans la boue pour tout le mal que je lui fais. Je lâche un soupire essayant de relâcher la tension que j’initie tout seul.

 « Tu m’as menti, t’as jamais été un drogué insouciant à errer. J’suis sûr que quand je t’ai trouvé en prison, c’est l’autre qu’ils voulaient embarquer. T’es toujours calme, à me rassurer. »

Je baisse le regard avant de finir par m’accroupir en position fœtal, la tête au creux de mes bras. Un grognement de douleur accompagne mon geste et je sens les plombs dans mon torse danser la gigue en espérant pouvoir être expulsé naturellement par l’entité démoniaque qui me hante. Je vais foutre du sang partout …

Il se rapproche et je sais pas si je vais me prendre une claque ou s’il va continuer sur sa lancé de bisounours, je prends donc l’initiative et attrape sa main … la gauche et plus spécifiquement son annulaire. Je fais tourner l’anneau sur son doigt et tente de relever les yeux pour affronter ma connerie, je lui dois au moins ça. Je reste bloqué comme cela, attendant le verdict. Mon regard se perd dans le sien. Ça ne m’effleure même pas l’esprit que s’il garde autant son selfcontrol, c’est éventuellement pour faire taire lui aussi l’effluve magique qui bouillonne en lui. Mais cela je l’oubli. Trop facilement. J’ai connu Nath au moment où il a commencé à ne vraiment plus faire de bourde et garder sous contrôle ses pouvoirs. Si lui gagne en sagesse sur la chose, moi je m’enfonce. J’essaye de réduire au silence ma nature même et plus le temps passe, pire c’est. Mes pouvoirs s’affirment de plus en plus et plutôt d’embrasser ce nouveau-moi, je le refoule sachant que je ne fais que repousser l’échéance où il me faudra l’accepter. Arrêter peut-être les poches dans la congèle, chasser toutes les deux – trois nuits pour assouvir ma soif de sang. Si j’aime Nath de tout mon cœur et ne veut pas le perdre par amour, je sais qu’une part de moi aimerait également ne pas vivre seul cette transformation, qu’il m’y accompagne et je me persuade que de le voir être contraint d’agir comme un vampire me convaincra autant d’accepter d’en être un. Pour l’instant, je me rattache à l’humain et c’est ça qui me rend malade.

"Alors j'te le confirme. T'es un con. Mais t'as du bol. J'ai un faible pour ce genre de mec."

Je m'assied à coté de lui, à même le carrelage, et passe un bras autour de ses épaules pour l'attirer vers moi, ne supportant pas de le voir s'autoflageller une fois encore.

"Nan, j't'ai pas menti. J'ai eu mon paquet d'années... disons compliquées. T'es arrivé au bon moment. C'est toi qui m'a offert ce calme que t'aimes aujourd'hui. J'suis sur que t'as pas idée à quel point t'as changé ma vie. Pour le meilleur. Max m'a peut-être aidé à me responsabiliser assez pour être digne de ma fille, en me forçant à apprendre à être un "grand frère" pour lui, mais c'toi qui m'a apporté la stabilité. Toi le premier à qui j'ai fait assez confiance pour envisager l'idée que tu sois pas qu'un coup d'un soir sans lendemain. Toi encore le premier mec que j'ai présenté à ma fille. Ou qui m'a appris à dormir plus de trois heures par nuit sans m'offrir autant d'insomnies... d'accord, sauf quand t'oublie que j'ai besoin de dormir, mais si c'est que ça, j'te rassure tout de suite, t'es tout pardonné."

Je le laisse jouer avec mes doigts, les repliant légèrement quand il se met à attaquer la bague qu'il a enfin réussi à me passer au doigt, ayant vraiment pas envie que l'idée lui prenne de la reprendre. Finissant par poser ma main sur le dos de la sienne pour croiser nos doigts ensemble. Et poser mon menton sur son épaule, mon regard planté dans le sien.

"Tu m'as sauvé. Laisse-moi te sauver en retour. Pour commencer, t'as besoin de te ressourcer pour guérir. Sans craindre de perdre le contrôle."

Je lui tend mon poignet, celui sur lequel restent marquées les traces d'une autre connerie dont je ne suis pas fier. C'est facile de prendre une dose trop forte de ce que vous prenez pour planer. C'plus dur de s'infliger de vraies blessures soi-même. Mais si ce jour-là j'ai pas réussi à m'ouvrir les veines suffisamment pour y rester, les marques, elles, sont jamais parties. Elles se sont jute mêlées à celles que m'a infligé mon père dans ma jeunesse. Accessoirement, j'ai pris l'habitude de les cacher sous mon bracelet en cuir, histoire que Elaine me pose pas de questions à ce sujet.

"J'te fais confiance. A 300%. Et si tu me répond que je devrais pas, je te promet de te faire dormir sur le canapé pour les dix prochaines années."

Je hausse les épaules, las et trop fourbu par la douleur de mon torse pour faire plus dans ma position actuelle. Je le sais bien que j’ai une chance inimaginable de l’avoir à mes côtés, dans mon lit et dans son coeur. Il me met tout le temps en avant ma soi-disant perfection, mais je pense qu’il ne doit parler que physiquement, sinon je suis un con. Jaloux par moment, impulsif sans même savoir pourquoi, voire sanguin dans les pires instantts. Sa main toujours dans la mienne, il finit par s’accroupir à mes côtés et un soupir de soulagement franchit mes lèvres alors que je craignais de le voir partir pour de bon. Je pense que je suis passé maître dans l’autoflagellation. Je l’écoute passivement sans pouvoir m’arrêter de jouer avec la bague jusqu’à ce qu’il change de position et attrape tous mes doigts entre les siens.

« Je pense que ça a été un sauvetage mutuel mon cœur … »

Je lui dis cela alors qu’il vient de me tendre son poignet et me propose de reprendre les forces que j’épuise à guérir depuis tout à l’heure. Il a pas tort … la tête me tourne et au vue de ce que je me suis infligé, du sang que j’ai perdu, je n’ai pas bénéficié autant que ce que j’espérais de ma beuverie nocturne.

« Je viens de tuer un homme de sang-froid par plaisir de tuer Nath … J’ai défoncé sa porte, pas esquivé son attaque pour continuer d’avancer vers lui et planter mes crocs dans sa gorge en le serrant contre moi jusqu’à sentir son corps devenir mou et flasque dans mes bras. Après ça, j’ai volé ses affaires pour ma collectionnite de meurtrier. »

J’attrape son poignet avec douceur et caresse les cicatrices du bout de mon doigt ne sachant que trop bien leurs origines. Je dépose un baiser à cet endroit et relève mon regard vers le brun.

« Le vampire ne me lâche plus et j’ai peur. Même ma perle perd en efficacité certains jours et je me demande … je pense que je complique les choses à le refouler. J’ai juste tellement peur qu’en l’acceptant, ça dégénère encore plus. »

Je soupire.

« J’ai pas confiance en moi, mais je sais que t’es là et si t’as confiance … ok. »

Plus transparent … tu meurs, enfin c’est sans compter que je suis déjà en sursis, mais bon, admettons. J’effleure de mes lèvres sa chair et mes crocs s’y plantent sans aucune résistance. C’est horrible, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il n’est plus tout jeune et que pour cette raison aussi, je dois vraiment m’arrêter rapidement. Le liquide chaud coule dans ma gorge et je déglutis avec plaisir, merde, il est délicieux au sens propre du terme. Je ne compte plus le nombre de fois où le brun m’a proposé le même deal et j’ai tout bonnement refusé. Mais là … je ne suis pas en mesure de retourner chasser, le soleil a pointé son nez, mon corps est trop affaibli et j’en ai besoin. Sentant mon homme s’affaisser contre moi, je me retire et mon regard bleuté se plante dans le sien. Je ne peux pas dire que j’ai pris grand-chose, mais ce sera amplement suffisant pour m’aider à tenir jusqu’à la nuit prochaine.

« Ça va ? »

Si l’inquiétude dans ma voix ma trahi, c’est parce que je le suis. On doit pas avoir l’air con les deux effondré sur le carrelage de la salle de bain comme des loques. Je me redresse en lui évitant de chuter et nous nous soutenons jusqu’au canapé du salon …

Le seul problème c’est que le goût persistant de son sang dans ma bouche incommode l’humain en moi, le vampire, lui, s’en délecte. Je n’ose pas le formuler à voix haute, mais je ne pense pas avoir jamais eu l’occasion de m’abreuver de manière aussi efficace compte tenu de la quantité, comme si son sang était plus … nourrissant, puissant, que sais-je. Me perdant dans mes pensées, j’en viens à me remémorer certaines légendes sur les paire humain – vampire et une histoire d’âme sœur. Je souris bêtement en le regardant. Mon âme-sœur.

Je lui offre un soupir quand il tente de repousser ma proposition en m'exposant les tenants et les aboutissants de sa situation actuelle. Il veut quoi? Que je découvre soudainement qu'il serait un monstre assoiffé de sang à qui faudrait surtout pas faire confiance? J'découvre pas ce qu'il est, et y a que dans les bouquins que les vampires se contentent de sang de lapin ou de sang synthétique en bouteille. Tout ce avec quoi il essaye de me repousser depuis dix foutues années, j'en ai plus que conscience, et j'l'ai accepté avec lui. C'est à lui d'accepter que je suis un indécrottable entêté à qui il en faut bien plus pour retourner sa veste.

"Tu veux que j'te dise? Quand j'ai récupéré mon chat, je savais qu'il serait pas sans me ramener une souris morte de temps en temps. J'peux pas dire que j'sois fan, mais c'est dans sa nature. Et c'est dans la tienne de chasser pour te nourrir... J'te ferai pas de reproches là-dessus. J'te connais. T'as bien assez de conscience pour choisir tes cibles. Le seul truc sur lequel je peux râler, c'est que tu te fais du mal à essayer de t'en empêcher."

Je laisse filer ses doigts pour glisser ma main dans ses cheveux, sentant bien qu'il a plus que besoin de se rassurer avant d'accepter l'idée de se servir sur le poignet que je lui tends. C'pas dans mon intérêt que j'le fais, même si il parait que certains tombent totalement accros à la morsure. Si il en avait pas besoin, j'y proposerai pas. Mais là, il en a besoin, et je crois que même lui s'en rend compte, vu qu'à part une hésitation qui me laisserait largement l'occasion de retirer mon offre, il n'essaye pas de me repousser davantage.

Plus que la douleur de la morsure, c'est surtout la force et peut-être même la magie que je sens m'échapper, et si au départ, c'est moi qui le soutient, il faut peu de temps pour que la situation s'inverse. Je maintiens ce que je disais la première fois qu'un vampire s'est fait les crocs sur moi, je suis pas fan, et j'irai clairement pas le supplier de remettre ça. Mais je remarque qu'il arrive à s'arrêter de lui-même, bien avant que je me sente réellement défaillir, même si j'irai pas courir un cent mètres ici et maintenant. Tueur sanguinaire de mes deux.

"Ca va. J'suis pas mort, alors ça va. Par contre, espère pas m'embrasser avant de t'être lavé les dents."

Je rigole, mais je refuse pas son aide pour me relever, j'avoue. Quand à se mettre sur le canap, j'ai développé une méthode bien rodée pour me caler contre lui juste assez pour l'empêcher de s'échapper sans risquer de me réveiller. Si il peut peut-être pas dormir au sens littéral du terme - même si je suis pas archi convaincu de cette "vérité" -, se reposer lui fera pas de mal. Accessoirement, son bras fait un excellent oreiller.

Et je dors presque quand je pense à un truc à lui dire. A défaut d'ouvrir les yeux, je me réveille quand même juste assez pour parler assez distinctement pour qu'il ne prenne pas ça pour les paroles d'un rêve.

"T'as pensé à demander à Silas pour savoir quelle longueur de laisse laisser à ton vampire? Il a l'air moins stressé que toi à l'idée d'aller chasser quand il en a besoin. Sans offense. Il aurait t'être un truc ou deux à te refiler."

Et de me tasser davantage contre lui, oubliant presque que ça serait pas si mal d'éviter de m'appuyer sur sa plaie. Me décalant au dernier instant quand je finis par m'en rappeler, non sans conserver ma tête sur son bras. Se coucher au lever du jour, c'pas comme si ça m'arrivait jamais.

Je rigole et un nouveau spasme de douleur vient ponctuer mon écart. J’en fais un sacré de chat si c’est ça la comparaison et je ne compte pas lui ramener des cadavres dans son lit. Il a raison, je me base toujours sur des victimes qui ne « méritent » pas de vivre, mais je ne suis pas au-dessus de la justice et c’est sans doute cela qui m’a conduit à réduire mes heures comme détective au commissariat. On ne va pas se mentir, tuer des détraquers avec Silas, c’est jouissif, mais ça ramène que dalle comme thune et j’aime faire des emplettes … je ne parlerai même pas de ma garde-robe que je renouvelle fréquemment sous les yeux incrédules de Nath. J’acquiesce en silence, sachant que mon homme a encore une fois raison. Faudra m’expliquer à quel moment je suis parfait quand on compare entre lui et moi. Il est canon, il est intelligent, il est calme et prévenant. Moi je triche avec mon physique de vampire qui bouge pas, je peux manipuler les gens en leur parlant, je suis un tueur redoutable et je deviens de plus en plus sanguins. Y’a pas photo quand même. C’est lui le mec parfait de nous deux.

Après m’être sustenté, le commentaire du brun m’arrache un nouveau sourire alors que je le sens faible contre moi.

« T’es pas mort, mais t’es une loque … on va essayer de se reposer que ça ne ferait de mal ni à l’un ni à l’autre. »

Pour le brossage de dents, on repassera, j’sais pas si le mélange dentifrice et sang c’est bien ouf et j’ai honnêtement une petite préférence pour le goût que le sorcier m’a laissé en bouche.

Il s’étale avec moi sur le canapé sans broncher et je pense que même sans dormir, fermer les yeux ne me tuera pas. Je suis épuisé. Je l’aime et j’ai envie de ne plus penser à rien d’autre qu’à lui. Mais c’est sans compter sur sa bienveillance extrême et il aborde une solution à mon problème à laquelle j’avais déjà songé. Je grimace.

« Je sais, mais si t’étais pas au courant, j’ai déjà un gros complexe d’infériorité envers 99% des gens que je côtoie. Alors aller exposer une autre de mes faiblesses … enfin, cela dit tu as raison. Il est vampire depuis quasi le même nombre d’années que moi. Je suppose que ce serait parfait. »

Sa tête caler sur mon bras, je dépose un baiser sur son front brûlant tandis que son souffle devient de plus en plus régulier et lent. Son cœur quant à lui est loin des cavalcades de plus tôt dans la nuit et un sourire se dessine sur mon visage alors qu’il s’endort contre moi. Lentement, mais surement, j’arrive à glisser ma main vers la sienne ornée de la bague de fiançailles. Mes doigts s’entrelacent avec les siens et c’est à mon tour de fermer les yeux. Je me répète … je l’aime.