La moi que personne ne voit

Le nez fourré dans mes notes, je remonte distraitement les lunettes de labo qui me pare le visage et me donne l’air d’un crapaud bigleux. Ma tignasse est remontée en une masse informe et tentaculaire sur le dessus de ma tête, ma blouse quant à elle est impeccablement boutonnée. Je soupir, pose le document sur ma paillasse et soupir encore. Il manque quelque chose. Un chapitre entier me semble erroné et la présentation est demain. Liv est déjà partie fêter notre réussite en avant sans réussir à me trainer à sa suite. Après tout, c’est ma partie qui foire, je ne veux pas me risquer à nous faire perdre les subventions pour ce projet. Je quitte le laboratoire et rejoint mon bureau au calme, ignorant les remarques de certains de mes collègues se moquant de mon aspect général. Je sais bien que je ne ressemble à rien, mais si j’étais ici pour être jolie, ça se saurait. Liv n’a pas ma chance, elle ne peut pas cacher son charisme et sa sensualité derrière un apparat de chercheuse, en contrepartie, elle s’est forgée un caractère assez imposant pour éviter aux mâles en rut de lui adresser la parole avec irrespect.

Je détache mes cheveux non sans une grimace et masse mon crâne endoloris pour les avoir trop longtemps maintenus serrés. Mon écran s’allume enfin et je me connecte à ma session et affiche notre présentation de demain sur l’écran du centre. C’est ce que je me disais. J’ai oublié de parler de tout un pan de mes résultats qui permettent de justifier sans équivoque nos besoins. Il me faut bien trois heures pour reprendre toutes mes synthèses et les inscrire dans un tableau, puis reporté l’ensemble sur notre présentation avec des explications claires de chacun des points.

Notre projet a pour ambition de développer des technologies entière d’assainissement de l’air sur de larges zones, réutilisation de ressources pour permettre une autonomie presque totale. Bien sûr, nos patrons n’y voient que le côté grande entreprise fermière – agricole qui achèteront à prix d’or cette technologie. Pour cela, Liv et moi avons créent notre partenariat biologie – biochimie pour construire notre présentation de demain. Obtenir des fonds n’est pas négociable. Les CEO présents demain seront les premiers à y mettre des thunes si nous arrivons à leur vendre le truc. Cela veut aussi dire que ce sont pour la majorité des abrutis ignorants pour qui il va falloir assez simplifier pour qu’ils comprennent sans trop autant pour qu’ils sentent que le projet est sérieux. Ils aiment bien voir des photos de nos expérimentations à petite échelle ou des choses de ce genre. Je soupir. Encore. Demain, Liv leur fera même une démonstration juste pour leur en mettre pleins les mirettes et je compte sur le reste de son charme pour les convaincre. Ben oui, on nous balance sans arrêt à la gueule qu’on est des femmes, alors pour une fois qu’on peut l’utiliser à notre avantage … Je souris. Le seul hic, c’est que ma partenaire n’a pas la langue dans sa poche et je compte sur elle pour garder son calme même s’ils posent des questions futiles ou même interroge notre intelligence au regard de notre genre. Ça arrive …

Je masse mes paupières endolories et me lève de mon fauteuil. Je m’étire. Le canapé de mon bureau me semble incroyablement amical et je sais très bien que je ne vais jamais avoir la foi de retourner chez moi pour revenir ici à 8h tapante. Autant me pelotonner là et m’éviter un trajet inutile. Je déloge une couverture de derrière le dossier et retire mes talons, ma blouse et mes lunettes. Un dernier regard à la présentation et j’éteins mon ordi qui m’indique qu’il est 2h du mat’. Je grimace. La nuit va être courte, j’espère que ma blondinette ne se couchera pas trop tard pour palier à ma tête de déterrée. Un bâillement et me voilà prête à rejoindre les bras de Morphée. Malgré l’excitation, je m’endors presqu’immédiatement et aucun rêve ni cauchemars ne vient perturber mon sommeil.

Made by Neon Demon