Un coup de fil attendu [Silas & Elaine]

Deux jours que je dois la rappeler, cette jeune sorcière. Mais je me suis laissé avoir par un autre dossier, Adé qui tient une crève pas possible, faire mine de dormir une heure ou deux quand même, et quand j'ai trouvé un créneau pour l'appeler, il était 3h du mat. Pas l'heure à laquelle appeler une collégienne. Donc, ce matin, j'ai fait plus malin. J'ai mis mon portable à sonner. 18h, d'après mes souvenirs, c'est une bonne heure pour ça. Fin des cours à 17h30 max, diner à 19h... j'dérangerai pas. Je termine donc de me prendre une raclée sut Switch, merci Tom, avant de quitter le canapé puis l'appartement, rejoignant le dernier étage pour atteindre le toit terrasse. Non pas que j'ai des choses à cacher aux miens - hormis tout ce qui concerne la magie et ma nature... -, mais je ne supporte pas de téléphoner quand y a du monde à coté. J'ouvre le dossier que j'ai pris en partant pour composer le numéro de portable de la jeune fille, avant de poser le téléphone sur le muret, attendant qu'elle ne réponde. J'ai l’ouïe assez fine pour entendre Adé tousser quatre étages plus bas, alors c'est pas d'être à un mètre du portable qui me fait ne pas l'entendre. Et quand sa voix se fait enfin entendre au bout du fil, j'attrape le portable pour le caler contre mon oreille. Oui, je l'entendais parfaitement, mais elle n'a pas l’ouïe d'un vampire.

"Elaine? C'est Silas Evenson, le détective. J'ai chopé quelques infos alors j'reviens vers toi, comme promis."

Voilà quelques jours que j'avais rencontré le vampire Silas. Il était sympa, il m'avait aidé à me calmer et à contrôler momentanément mes pouvoirs. Il m'avait même proposer de trouver lequel de mes parents étaient un sorcier et avaient omis de m'en parler. Nous avions échangé nos numéros et le soir même je lui envoyé le nom de mes grands parents paternels et maternels pour essayer de l'aider dans sa tâche, pour élargir son champs de vision, même si il aurait trouvé assez facilement ces infos, on avait gagné un peu de temps quand même.
Je suis sortit des cours, et j'ai même eu le temps de rentrant à la maison, lorsque mon téléphone sonne. Son nom s'affiche sur l'écran.

- Je range dans deux minutes. J'en ai pas pour longtemps; Emily qu'à une question sur un truc.

Je sors rapidement de la cuisine où je prenais un goûter, et je décroche, pour ne pas que ma mère qui était juste à côté entende et je monte quatre à quatre les escaliers pour me réfugier dans ma chambre où je peux enfin lui répondre :

- Bonjour. Vous allez bien ? Vous avez des infos? Vous savez de quel côté de ma famille ça me vient ce truc?

Je l'entends monter les escaliers avant de fermer une porte. Enfin, son souffle se fait entendre dans le combiné un instant avant qu'elle ne prenne la parole. Un truc qu'il faut que je travaille ça. Simuler le mouvement d'une respiration est facile. Simuler un souffle, surtout dans un combiné, bien plus compliqué.

"Ca va, je te remercie. Et toi? Tu arrive à gérer?"

Je tourne une page de mon dossier, la calant avec ma main pour éviter que le vent, léger mais présent à cette hauteur, ne me la fasse perdre.

"Savais-tu que dans la mythologie chrétienne, Abraxas est le nom d'un démon? 'Fin, je m'écarte du sujet, excuse-moi. J'ai rien sur ta mère, déjà. Concernant ton père, je ne suis qu'un humble vampire, mais je dirai que les vitres brisées et autres départs d'incendie peuvent être une piste à suivre."

Je laisse un blanc, pendant lequel je la laisse assimiler ce que je lui dit, le rythme de sa respiration m'indiquant quand je peux reprendre.

"J'ai rien de plus que quelques incidents fortement imputables à la magie le concernant. C'est davantage ton grand-père paternel qui m'a éclairé. Lui était un sorcier, j'en met ma main à couper."

Autant par ses activités en ville que par ses fréquentations, d'ailleurs, même si ma source m'a affirmé que l'homme avait coupé de nombreux ponts après le décès tragique de son premier fils. Je peux comprendre. J'aurai surement arrêté toutes ces conneries de vampire si j'avais pu, après avoir perdu Gwen. Ok, j'ai eu des pensées suicidaires même, mais Adélaide est arrivée dans ma vie au bon moment.

"Pour résumer. Je sais pas si ton père est 100% au courant du truc, mais il doit forcément se douter de quelque chose. T'es futée, t'as compris toute seule, tu dois bien tenir ça de quelque part, non?"

Bon après, des observations que j'ai pu faire, il n'a pas l'air vraiment préoccupé par sa magie, le paternel. Maladroit de nature, ça c'est certain, mais je crois qu'au lieu d'être une aide, c'est un poids de plus dans la maladresse. Fin je sais pas, je me suis toujours figuré que les sorciers n'avaient qu'à claquer des doigts pour se débarrasser de leurs corvées, et en fait, j'me rend compte que ça doit être un truc de Harry Potter, de ranger d'un coup de baguette magique.

"Si j'étais toi, c'est par là que je commencerai. J'vais continuer à chercher de mon coté, j'ai pas encore pu me concentrer sur ton oncle, aussi."

Je respire deux secondes avant de prendre la parole. Je lui demande si il a des nouvelles. pour notre affaire, si il sait de qui ça me vient ces pouvoirs. Si je gère ?

- Oui j'ai pas essayer de tuer quelqu'un ces derniers jours. C'est plutôt agréable.

Abraxas égal démon ? Wouahhh ça non je savais pas et honnêtement j'aurais préféré l'ignorer. Cela signifie t-il que nous descendons d'un démon, que je suis vouée au mal ? Je ne sais pas, mais ça me fait un peu peur.
Y a rien du côté de ma mère, par contre il me dévoile les exploits de mon père par lesquels il déduit que c'est de ce côté là qu'il faut chercher et ses soupçons se sont confirmés quand il s'est occupé de mon grand-père paternel. Il en est sur pour lui. OK donc là c'est sur, les Abraxas sont des sorciers. Je suis contente que ça vienne de son côté et rassurer parce que mon père même si il a deux mains gauches et fondamentalement bon et mon grand-père ... c'est un cas à part dans cet famille puisque mon oncle Max est un amour. D'ailleurs il n'a pas fouillé de ce côté ci, mais surement qu'il y a quelque chose aussi chez lui, sinon c'est un cracmol qui sait ?
Tient en parlant de cracmol y a toujours ce niffleur dans la nature, chelouuuu! J'sais pas si ils vont réussir à le choper un jour celui-ci! J'aimerais bien le voir moi, à l'air mignon sur les photos que quelques passants ont réussi à prendre. Bref ...

- Ok cool. Merci. Plus qu'à me jeter à l'eau quoi ... Max ? Ouais je sais pas! Il est dans la police je crois un truc comme ça, ça pourrait peut-être aider à vos recherches.

Je m’assois sur mon lit, en tailleur. C'est machinal cette position pour moi. J'y réfléchis pas.

Elle me dit que c'est plutôt agréable de ne pas avoir essayé de tuer quelqu'un ces derniers jours. Je peux le comprendre. Après, je n'appelle pas vraiment notre rencontre une "tentative de meurtre". J'appelle plutôt ça un malencontreux accident, d'où je suis sorti parfaitement indemne... même si je dois avouer avoir eu peur à un moment donné, faut être honnête.

"Je comprends. Je vois de quoi tu parles."

Du fait que si je suis le genre de monstre à rejeter sa monstruosité 95% du temps, je la laisse volontiers ressurgir quand il s'agit de traquer et me nourrir, parce que c'est plus simple de laisser mon coté prédateur agir loin de mon humanité? J'en sais rien. Une part de moi prend plaisir à ce jeu du chat et de la souris, mais ce n'est pas celle qui me caractérise le plus. Du moins je l'espère.
Son silence après que j'ai évoqué son nom de famille est éloquent, et je me permet de placer une rectification. Si elle descend d'un démon, moi je suis un loup-garou. Y a rien de démoniaque chez cette ado. Et j'en ai élevé trois, je commence à connaitre le truc.

"Tu sais, je suis convaincu que certaines lignées de sorciers se sont chopé le nom d'un démon pour se rendre plus importants face aux autres. Z'êtes un peu imbu de vous-même vous autres!"

Je tâche de détendre un peu l'atmosphère, avant de l'entendre me dire qu'il lui reste à se jeter à l'eau. Honnêtement, si elle cherche une excuse pour aborder le sujet avec son père... elle a qu'à lui demander le pourquoi du comment la prochaine fois qu'il nous pond une bourde magique. J'ai dans l'idée qu'elle n'aura pas à attendre six mois. La mention du flic me fait grincer des dents, en revanche. Les flics ont une notion toute particulière des enquêtes, avec leurs conneries de mandats et autres commissions rogatoires. Et pendant qu'un magistrat quelconque réfléchit à leur donner ou pas encore deux diners d'affaires, on retrouve le gosse tué... Pour ma part, j'agis d'abord, je demande l'autorisation après.

"Ok, merci du tuyau, je regarde ça et j'te rappelle. Mais tu devrais peut-être aborder le sujet avec ton père, vraiment. Lui-même ne sait peut-être tout simplement pas comment l'aborder avec toi. Je t'ai dit que j'avais un fils, et une sœur. Crois moi que j'ai manqué leur dire ce que je suis un bon million de fois... pour au final toujours mieux reculer au dernier moment.

Je marque une pause lorsque mon regard est attiré dans la rue en contrebas. Un mouvement fugace, un truc brillant à la lumière des lampadaires... surement un chat avec une médaille autour du coup... même si le mouvement ne me semble pas très félin. A cette distance et sans me concentrer dessus, pas évident. Bref, j'ai perdu mon attention, que je finis par replacer sur mon portable, avant de reprendre.

"C'est pas une situation évidente, et je sais que si l'un d'eux venait me dire en face qu'il a tout deviné, ça serait tout de suite plus simple... bon, si on oublie le fait que je suis un prédateur sanguinaire et un tueur en série multi-récidiviste... ton père a cette veine d'être peinard de ce coté là, j'pense pas qu'il craigne que tu ai peur de lui ensuite."

- Je ne vous permets pas!

Je prends un air faussement courroucé, quand il dit que nous autres sorciers sommes imbus de nous même. Honnêtement je ne risque pas de le prendre mal, je ne connais pas d'autres sorciers jusqu'à présent... enfin si mon père et mon oncle du coup, mais je les vois pas imbu de leur personne ... les autres ? j'en sais fichtre rien et je m'en moque.

- Oui c'est sur, vous avez raison ! Il faut que je lui en parle. On ne s'en sentira que mieux tous les deux, pas vrai ?

Non c'est sur, mon père n'est pas un meurtrier, mais bon chacun son fardeau ... Visiblement l'homme que j'ai au bout du fil ne s'en sort pas trop mal au vu de ce qu'il est.

- Mais votre soeur, elle est pas au courant, depuis le temps qu'elle vous connais ? Enfin je veux dire, la base d'un vampire c'est de pas vieillir quoi ...

En même temps quand on veut pas voir ... et bin on voit pas, je sais de quoi je parle, sans compter mon père... bref...

"Tu auras l'autorisation de ma part de te le permettre face aux dents pointues qui affirment que les pharaons de l'époque étaient des vampires. On a tous nos vantardises."

Elle finis par accepter d'en parler avec son père, précisant qu'ainsi, ils s'en sentiront mieux tous les deux. Ce qui est certain, à mon sens. Vivre avec un tel secret... il ne faut avoir aucune conscience pour vivre sereinement ainsi. Je ne vis pas sereinement ainsi, et j'ignore si les vampires sont doués de conscience.

"C'est sur oui. J'ai été libéré quand j'ai pu en parler à ma fille, à l'époque. Même si les circonstances n'étaient pas vraiment les plus parfaites pour nous à cette époque."

Et c'est pourquoi je n'ai jamais pu cracher le morceau à Adé? Ce qui est arrivé à Gwen était ma faute. Je n'aurai pas du l'entrainer dans mon monde. J'ai voulu en préserver Adé. Et quand elle a grandi... je n'ai plus su me défaire de ce mensonge.

"Ce serait la prendre pour une idiote que penser qu'elle n'a pas compris ce que j'étais. C'est une discussion que je repousse cependant. J'ai trente années de retard pour que ce soit facile. Bien que je ne me défilerait pas le jour où elle décidera de me coincer entre deux murs. Alors honnêtement, offre vingt ans d'avance à ton père. J'imagine qu'il n'aimerait pas ma place."

- Ah ouais! Classe! Pas dégueu ça, les pharaons vampires ? J'y aurais pas pensé, mais maintenant que vous le dites... je comprends mieux pourquoi ils étaient immortels!

Je rigole doucement. Je n'y crois pas, je ne suis pas complètement naïve, mais je peux concevoir qu'on y pense. A l'époque il prenait bien leur pharaons pour des descendants des dieux, alors pour des vampires...

- Oui je crois que je comprends ça! Y a déjà un peu que j'attends le bon moment. Même le fait d'être sur qu'il est comme moi, je suis pas sure que ce soit plus facile. Comment je fait pour parler de ça. Vous lui avez dit quoi vous à votre fille ?

Pas sûre qu'il veuille en parler et il aurait tout loisir de m'envoyer promener si il le voulait.

- Bin du coup, je crois que votre conseil vous pouvez le prendre pour vous aussi alors! Si je peux me permettre!

J'allais acquiescer à sa remarque, mais j'entends ma mère qui m'appelle. Une histoire de rangement que je ne fais pas contrairement à ce que j'avais promis :

- Oui oui j'arrive!

J'hurle pour me faire entendre, mais à l'autre bout du fil, il a du reculer d'un pas.

- Désolée je dois y aller, ma mère m'appelle! Promis je vais faire ce que vous avez dit. Mais vous aussi ein ?

Je ne raccroche qu'une fois qu'il a affirmé qu'il le ferait. Je descend les escaliers 4*4 comme je les ai monté. Je file ranger ce qui doit l'être, sans cesser de penser à cette discussion que nous venons d'avoir avec le détective. Faudra que je trouve à le remercier d'une façon ou d'une autre...

"On en reparlera quand j'aurai croisé la route d'un immortel de cette époque. En attendant, écoute les livres d'histoire."

Comment j'ai fait pour en parler à Gwen? Je l'ai transformée avant et je lui ai expliqué comment ça marchait après... dans le genre "j'ai su comment m'y prendre" ... on repassera.

"Je l'ai mise devant le fait accompli sans possibilité de retour en arrière. Loin d'être la solution du siècle, crois moi. J'sais pas, essaye de faire un truc magique devant lui, et si j'me suis pas planté il devrait logiquement se dire qu'il est temps d'avoir cette conversation..."

Pas faux. Sa constatation est réelle. Je devrais prendre mes conseils pour moi. Mais on sait tous qu'il est plus facile d'en offrir que de s'en servir, des conseils. J'écarte rapidement le téléphone de mon oreille alors qu'elle crie soudain dedans, répondant à une autre voix en arrière fond, aisément captée par mon ouïe développée malgré les grésillements du téléphone.

"D'accord, à la prochaine. Et j'y réfléchirai."

Elle finit par raccrocher, et je détache le téléphone de mon oreille, récupérant mon dossier avant de descendre l'escalier du toit, retournant à l'appartement que je partage avec ma sœur et mon fils adoptif. J'ai la tête ailleurs, et Adé semble le remarquer, raison pour laquelle je la rassure d'un sourire et d'un câlin avant de proposer une soirée DVD. Si j'avais prévu d'aller chasser ce soir? J'irai demain. J'ai de la marge avant d'être affamé.