Errance - ft Rowan & Elisabeth

Appuyé contre la balustrade de son balcon, Rowan contemple d’un air vague, le vide qui s’offre devant lui. Cela fait bien trois heures qu’il n’a pas réussi à être productif et pourtant, il s’obstine à ne pas quitter l’entreprise. Un soupir lui échappe et son regard se retrouve attiré par les éclats de la lune au loin, à la surface du lac Michigan. Voilà qui pourrait le détendre avant de regagner son appartement. En ce moment, les insomnies le guettent plus que de raisons et fermer l’œil devient un véritable parcours du combattant. Il ignore si c’est l’agitation générale de la ville ou si simplement autre chose le travail sans qu’il puisse mettre le doigt dessus. Le PDG retourne donc à l’intérieur de son office et attrape sa veste adosser à sa chaise de bureau. Il referme les dossiers ouverts sur son ordi portable et ferme le clapet avant de l’enfourner dans sa sacoche. S’il fait une nuit blanche, il sera bien content d’avoir récupérer son travail et de quoi l’occuper.

Empreint de petites manies dont il ne cherche pas à se défaire, il entame la longue descente du building par les escaliers jusqu’au 12ème étage, où se trouve les labo. Là, il erre un moment, écoutant le ronronnement apaisant des machines qui continuent de tourner malgré l’absence des chercheurs. A 2h du mat’, rien de surprenant. Les équipes de nuit ne sont pas encore mises au point et il aimerait les limiter à une ou deux max. Il apprécie bien trop de pouvoir se promener dans son entreprise sans être dérangé par les professionnels qui y bossent.

Alors qu’il s’apprête à rejoindre l’ascenseur pour achever la descente de l’immeuble, le bruit d’un objet en verre qui éclate sur le sol le fait sursauter. Aucun doute, il n’est pas seul … il se stoppe net et écoute le silence revenu. Est-ce un voleur ? un scientifique qui n’aurait pas vu l’heure ? Le service d’entretien des locaux ? Dans tous les cas, sa curiosité est piquée à vif et le voilà à se détourner de son objectif pour aller à la rencontre du mystérieux casseur.

Made by Neon Demon

Cela fait pas loin d'une bonne demie heure que je m'arrache les cheveux. Impossible de me souvenir des résultats que j'avais obtenu sur l'une des dernières expériences sur un échantillon reproduisant la photosynthèse à quatre carbone. Une photosynthèse qui différe des la photosynthèse habituelle et mieux adapté à des climats secs... ou aux sècheresses.

Habituellement, je demande à Persé de me rapporter les comptes rendus dont j'ai besoin pour continuer à avancer le projet malgré ma défection au seuil du labo. Voir même du petit matos, mais j'ai toujours mauvaise conscience de lui demander cela. Si elle venait à se faire prendre...

Je soupire, malgré l'inutilité de la chose et regarde mon téléphone. Bientôt 1h du matin. Je ne vais pas réveiller Persé parce que j'ai un cerveau qui refuse de connecter deux neurones. En plus vu l'heure, je peux sans souci me charger moi-même d'aller récupérer ce qu'il me faut. Aux dernières nouvelles, j'ai toujours accès aux bâtiments.

J'espère.

Une étrange sensation de stress vient se lover dans mon estomac. Peut-être que j'ai été viré et que Persé n'a pas eu le courage de me l'annoncer ! En même temps, si je prenais la peine de lire mon courrier... Je jette un œil sur la pile d'enveloppe sagement posée sur la table basse. ça fait de super dessous de tasse quand je suis devant la télé. Ou en train de lire. Bref, un pile de lettre, c'est bien utile.

Je me lève, chassant mes mauvaises pensées, attrape mes clés et badges, et file rejoindre mon lieu de travail. J'ai suivi les dernières nouveautés du labo de loin, en ce qui concerne les collègues et la direction. Je sais que j'ai changé de patron -je me suis vaguement renseignée à son sujet- et qu'il va y avoir quelques changements d'organisations internes, mais je ne connais pas encore tous les détails. Mais je ne pense pas que l'organisation des lieux ait changé, sinon Persé me l'aurait dit. Et peut-être même que je serais venu mettre mon nez dans l'affaire. J'ai un côté psycho rigide sur la place des choses sur mon lieu de travail. C'est sans doute horrible pour mes collègues, mais au moins je ne perds jamais de temps à chercher ce dont j'ai besoin. Alors malheur à celui qui oserait carrément changer les agencements des laboratoires.

Je marche d'un bon pas dans la nuit fraîche. Insensible à toute forme de fatigue physique, je me retrouve bien vite devant les infrastructures qui m'intéressent. Je passe ma carte devant le lecteur et le bruit rassurant d'une porte qui se déverrouille évacue la boule de stress qui était toujours nichée dans mon ventre. Parfait ! Je vais pouvoir récupérer ce dont j'ai besoin ! Je dédaigne les ascenseurs et monte rapidement les quelques étages silencieux qui me séparent de mon bureau. Il ne me faut pas longtemps pour trouver ce que je cherche, et je décide de m'emparer du dossier. Si Persé en à besoin, je lui enverrai la copie. Paperasse sous le bras, je m'apprête à quitter les lieux, quand un besoin quasiment viscéral me fait emprunter les escaliers pour descendre d'un étage seulement. Le chiffre de l'étage est éclairé par la lumière froide du bloc de sécurité : c'est le 12.

Presque inconsciemment je ressors mon badge et déverrouille la porte pour arriver sur un couloir qui je connais bien. Je n'ai pas besoin de lumière pour trouver la bonne porte, celle qui m'amène dans mon labo. Enfin "mon"... Celui dans lequel je travaille la plupart du temps. Je tâtonne à peine pour trouver l'interrupteur et embrasse la salle du regard. Comme dans mes souvenirs, tout est propre et bien rangé. A première vue tout du moins. J'avance dans la pièce et pose mon sac sur les porte-manteaux le long du mur. Un peu plus et j'embrasserai presque ma paillasse sous le coup de l'émotion. Je dépose le dossier que j'ai récupéré juste avant et fait le tour du propriétaire, me laissant bercer par le ronronnement rassurant des machines qui continuent le travail des chercheurs pendant qu'ils profitent d'une bonne nuit de sommeil. Curieuse, je fais le tour, enclanchant un autoclave qui n'a pas été lancé. Petit oubli qui peut faire perdre quelques dizaines de minutes. Le genre de truc qui m'agace de bon matin. Je regarde les cultures en incubation, notant qu'un nouvel incubateur pour végétaux a trouvé refuge dans ce labo-ci. Sans doute Persé qui a demandé à ce qu'on lui en fournisse un, vu que la pauvre doit s'occuper de mes tests aussi.

Maintenant curieuse des derniers résultats obtenus, je vais fouiner là où Persé et moi-même- après des mois de persuasion de mon amie que si, laisser les notes des travaux en cours dans le labo ce n'est pas du fouillis mais un gain de temps considérable- laissons habituellement nos brouillons. Veillant à ne pas mélanger les feuilles entre elle je lis une première fois ce qu'elle a écrit, ignorant totalement l'arrêt de l'autoclave précédemment lancé. C'est toujours amusant de voir qu'on ne choisit quasiment jamais le même chemin pour prouver -ou non- nos théories. Alors je dégaine un stylo violet du tiroir de la paillasse, et me permet de lui ajouter quelques notes ici et là. Cela nous arrive régulièrement de le faire, partant du principe que deux cerveaux valant mieux qu'un. Il y a un truc qui me chiffonne dans ses dernières notes, et je suis incapable de mettre le doigt dessus. Alors je me lève de mon tabouret et refais un tour, m'arrêtant devant l'autoclave, me souvenant soudainement que je l'avais lancé un peu plus tôt. Je le déverrouille, la tête toujours dans les notes de mon amie et me laisse totalement surprendre par un erlen qui décide de fuir et de finir tristement sa vie sur le carrelage immaculé du labo.

Qui est le crétin qui ne sait pas remplir correctement un autoclave, sérieux ?

J'oscille entre la colère et la lassitude, avant d'opter pour la seconde. Moins dangereux je suppose. Je pars en quête du balai, lorsque je me fige. Je ne suis pas seule, en atteste le bruit de pas rapide qui se rapproche de moi. Même si je n'ai pas allumé tout le labo, si la personne -un humain en l'occurrence, remerciez mon odorat pour ce détail- a entendu le suicide de l'erlenmeyer, il va vite s'apercevoir qu'une pièce émet un peu plus que le filet de lumière d'un bloc de sécurité. Peut-être que j'aurais le temps de fuir, mais j'estime être dans mon bon droit. Et il est hors de question que je laisse tout en plan -en bordel- dans ce labo. Je vais donc tranquillement chercher balai, balayette et sa fidèle pelle, ignorant la porte qui s'ouvre alors que je rassemble les débris. Après tout, c'est comme si j'étais au travail, et je ne supporte pas que l'on vienne m'interrompre dans mes tâches.

Avantage et désavantage du mobilier de laboratoire ? Tout est haut sur patte. Facile pour nettoyer, mais rien n'a arrêté les éclats de verre. Résultat, il y en a de partout. C'est donc pour cette raison que je m'octroie le droit d'ordonner au rôdeur inopportun de rester à la porte le temps que je nettoie le tout. Il ne me faut pas longtemps pour faire un joli tas avec ce qui fut un fidèle erlen et ce n'est qu'une fois le tout mis sur la pelle que je m'intéresse au visiteur nocturne. Dire que je suis surprise d'y découvrir celui qui désormais me verse un salaire serait un euphémisme. Mais l'avantage d'être morte, c'est que je ne rougis plus. Alors il me suffit de continuer mon mouvement, et ma surprise passe inaperçue. J'espère.

En même temps, c'est totalement improbable. Qu'est ce qu'il fiche en plein milieu de la nuit dans les labo lui ? Emportant ma précieuse cargaison de débris tranchants jusqu'à la poubelle, je m'arrête devant un tableau blanc sur lequel est noté qui a cassé quoi. Hors de question que j'ajoute ce pauvre erlen à ma liste entièrement vide. C'est le babet qui a rempli l'autoclave le responsable. C'est donc très arbitrairement que je mets ça sur la liste d'Elijah. Reposant le stylo à sa place, je vais enfin à la rencontre de mon nouveau patron.

Rowan Weeler. Un type riche qui possède des entreprises de robotiques, et qui continue d'augmenter sa fortune en vendant ses créations à l'armée et dans le milieu médical. Qu'est ce qui a motivé son rachat d'un laboratoire spécialisé dans les recherches sur le climat et les changements induits par le réchauffement climatiques ? j'en sais foutrement rien. Pour moi c'est plutôt le contexte actuel de Chicago qui a dû l'attirer. Mais s'il veut finir éventré par un garou ou exsanguiné par un de mes semblables, c'est son problème.

Je lui tends la main gauche, la droite tenant toujours la balayette.

- Elisabeth Aasen. Je venais seulement récupérer un compte rendu.

Je n'ai pas spécialement d'attente quant à ses réactions. On est nombreux a travailler ici, il ne doit même pas savoir que je suis en congé sans soldes pour une durée indéterminée. Je veux seulement terminer ce que j'ai commencé, à savoir ranger le matériel de l'autoclave, ranger les notes de Persé et repartir chez moi avec mon dossier.

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