Newborn - ft Elisabeth & Dante

C’est dommage, j’ai été un poil trop lent. Et c’est généralement pas un de mes défauts, mais dans ce cas, même ma vitesse surhumaine n’a servi à rien. Le mal était déjà fait et je regarde son corps sur le sol, sentant chaque centilitre de son sang se propager sur le trottoir. C’est dommage. Oui, aussi tout ce sang perdu et ça me donne faim. Je soupire et jette ma clope au loin alors que les petites frappes responsables de ce carnage ont déjà pris leurs jambes à leur cou. Je ne vais pas aller les confronter, c’est du ressort de la police et j’ai plus important à réfléchir dans l’immédiat. Qu’est-ce que je fais d’elle. Je pourrais bien crier à l’aide et laisser les humains résoudre cela entre eux ou juste ignorer ce que je viens de voir, lancer un appel anonyme pour des secours qui arriveront bien trop tard pour la sauver. Un soupire franchit mes lèvres et je m’agenouille à ses côtés. Un sourire qui se veut rassurant se dessine sur mes lèvres et je lui parle de la voix la plus calme qu’il m’est donné d’avoir.

« Je m’appelle Dante … si ça te dit, on va essayer de faire en sorte que ce soir ne soit pas ton dernier. »

Vivante oui, mais je me suis mis en tête que j’allais lui offrir une seconde chance. Mon instinct, sa mine angélique qui devient de plus en plus blafarde ou juste la connerie. Je ne sais pas quoi blâmer pour cette décision inconsciente que je prends sans même demander son avis à la demoiselle étendue sur le parvis. Moralité, je saisis avec délicatesse sa nuque et attire la poupée de chiffon vers moi, mes lèvres pour un baiser des plus mortels. Mes crocs percent sa chair et je finis de prélever ce qui lui reste de vitalité, attendant le moment opportun pour m’arrêter. Quelle ténacité. Elle n’a pas encore perdu connaissance et pourtant, je devine que plus rien ne répond, la vie la quitte. Je la repose sur le sol humide et froid avant de me saigner à mon tour au poignet. Une fois sur ces lèvres, elle m’adresse un regard horrifié, mais incapable de lutter, elle boit, puis avec plus de vigueur jusqu’à finalement rejoindre les limbes, exténuée par ces derniers efforts. Un nouveau soupir franchit mes lèvres et je porte une nouvelle cigarette que j’allume. Je me redresse et m’étire. Juste le temps de la fumer tranquillement et je m’en retourne vers la jeune femme toujours endormie. Maintenant, je l’amène où ? Il faut être honnête, je ne vais pas avoir quinze mille choix. Soit c’est au bureau et c’est à Silas qu’il faudra que je rende des comptes, soit c’est à l’appart … Reste à savoir à qui j’ai envie de parler de ma connerie en premier. Il y a bien sûr toujours une chance sur deux pour que l’un comme l’autre ne soit pas sur place et que je puisse prendre mon temps avant de trouver une justification qui tienne la route sur pourquoi j’ai fait ça. Je finis par me décider et embarque le corps encore inerte de la demoiselle contre moi, une fois de plus avec autant de délicatesse que possible. C’est donc finalement sur le divan de la salle d’attente du bureau que finit ma nouvelle amie, par chance mon collègue manque à l’appel. Pourquoi ici ? Parce que si Nath et Silas ne sont pas chiants, je n’ai quand même pas envie de risquer de tomber sur Elaine et je n’arrive plus à me souvenir si elle est à la maison ou non ce soir. Ça ne va pas plus loin que ça. Le hic, c’est que je n’ai pas ma perle et qu’avec tout cela, l’aube est sur le point de se lever. Je m’attèle donc à fermer tous les stores de l’office puis m’installe sur l’un des fauteuils. J’ai bien plusieurs heures avant qu’elle ne se réveille et par chance, la salle de pause est équipée d’un congélateur et d’un micro-onde … je vous laisse deviner pourquoi ! avant de m’occuper en allant chercher un ou deux dossiers à lire, j’envoie un message à mon homme pour lui expliquer rapidement la situation et soit disant « t’inquiète je gère » à la fin pour la rassurer … on verra bien à la maison pour le reste.

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Naïvement, j'ai toujours cru qu'au moment de sa mort, on voyait notre vie défiler devant nos yeux. Etrange venant d'un esprit scientifique comme le mien, mais je me suis toujours dis que c'était une question à laquelle je n'étais pas pressée de répondre. Maintenant, je peux vous dire ce qu'il se passe, du moins lorsqu'on meurt d'une hémorragie : le cerveau n'est plus assez oxygéné et les pensées n'ont plus aucun sens.

C'est décevant, mais au moins, je me console en prenant conscience dans un éclair de lucidité que je ne rendrai pas mon dernier soupir seule, étendue sur un trottoir glacé de Chicago. Mon cerveau ne semble vouloir retenir que le prénom du type qui se soucie de moi : Dante.

Le reste n'a plus d'importance. La douleur dans mon thorax disparaît pour laisser place à une étrange béatitude, et je me laisse emporter par la sensation. Etrangement, j'ai l'intime conviction que je meurs, pourtant quelque chose se débat dans mes entrailles. Peut-être est-ce dû au sang qui glisse dans ma gorge. Je l'ignore. Mais malgré ce sursaut, le monde se dissout et le néant m'englouti.

Lorsque je reprends conscience, c'est tout d'abord le bruit régulier et agaçant d'une trotteuse qui m'atteint les tympans. Ensuite, lorsque j'ouvre mes yeux, j’appréhende un environnement totalement inconnu, dont un homme qui lit ce qui ressemble à des dossiers.

Deux neurones se connectent et je reconnais le type : c’est celui qui était là quand je suis morte. Enfin...

Instinctivement, je me redresse, palpe mon thorax à la recherche de ma blessure, mais il n’y a rien, alors que mes habits sont couverts de sang. Mon mouvement soudain attire l’attention de mon hôte sur moi mais je l’ignore pour l’instant.

Plein de questions se bousculent dans mon esprit. Qui il est, que c’est-il passé, où sous-je, est-ce que je suis en retard pour le travail, pourquoi je ne suis pas morte ? Mais avant que je ne puisse former le moindre mot, une sensation étrange, un vide hurlant dans ma poitrine me secoue le corps et balaye mes pensées. Debout, je me serais certainement effondrée. Ma gorge est étrangement sèche et la sensation désagréable ne disparait pas mais se contente de se lover au fond de mon corps, prête à ressurgir n’importe quand.

Ce pseudo répit me laisse le temps de reformer des idées cohérentes, qui sont rapidement soumises à l’inconnu. Je ne lui demande pas qui il est vu que j’ai retenu son prénom, aussi farfelu que cela puisse être.

- Qu’est ce qu’il s’est passé et quelle heure est-il ?

J’ai une grosse présentation à faire avec Perséphone et cette dernière va me tuer si je la lâche pour ce genre d’exercice. Mais au fond, les réponses ne m’intéressent pas autant que cela. Mon esprit est entièrement focalisé sur autre chose. Une odeur entêtante, enivrante, qui réveille en moi la sensation dévorante de vide qui m’a étreint un peu plus tôt.

Non. La vraie question qui me vient maintenant à l’esprit c’est qu’est ce que je dois faire pour que cela cesse ?

- Qu’est-ce que vous m’avez fait ?

Ma question, plutôt innocente dans mon esprit, prend des accents accusateurs et un brin menaçant. Il y a quelque chose qui ne va pas et j’ai l’horrible sensation que je ne suis qu’au début des mauvaises nouvelles. Et vu la mine de l’inconnu-Dante, je ne me fais pas de grandes illusions : il est pas là pour m’annoncer que j’ai gagné à la loterie.

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Toujours autant imprégné qu’elle de mes anciens réflexes, je prends une grande inspiration, la regarde et me tais. Je l’observe alors qu’elle m’a de suite capté, mais attends simplement qu’elle prenne connaissance aussi des « dégats ». Ce n’est pas le visible qui m’inquiète, mais l’imperceptible. Elle n’a plus de pouls, ne respire plus par nécessité et toutes les odeurs de son corps sont en train de se muer en quelque chose de nouveau. C’est fascinant. C’est la première fois que je transforme un autre humain en un de ma race et j’avoue être sous l’influence d’une curiosité un tantinet malsaine. Assis en tailleur sur le fauteuil, je pose le dossier dont je finissais la lecture entre mes jambes et la contemple. Même lorsqu’elle s’adresse à moi, je prends le temps d’analyser chacune de ses réactions avant de me décider à lui répondre. Je jette un œil à ma montre, poignet droit, tournée vers l’intérieur. D’une voix calme et posée, je reprends chacun de ses questions pour lui répondre.

« Vous êtes morte. Il est 15h. Je vous ai transformé en vampire pour vous sauver. »

Tout est question de point de vue bien entendu. Certains ne pourraient pas se considérer sauver que de devoir vivre éternellement en s’abreuvant du sang d’humain. Il n’y a pas grand-chose à débattre dans l’immédiat de toute manière puisque la chose est déjà faite. J’essaye toutefois de lui faire un sourire désolé car j’imagine qu’aucune de ces nouvelles ne vont la réjouir… Sauf peut-être l’heure parce qu’on pourrait presque dire que c’est l’heure du goûter et que je me souviens de l’oppression ressentie lors de mon réveil. Un besoin d’hémoglobine qui pourrait faire perdre la tête au plus sage.

« Ne vous exposez pas à la lumière du soleil … je vais vous chercher de quoi calmer la faim. »

Je ne sais pas si elle panique de me voir bouger alors que j’étais presque parfaitement immobile si ce n’est le mouvement de mes lèvres, à moins que ce ne soit le fait que je m’en aille, que je la laisse. Peu importe, je n’ai pas le choix si elle veut que je lui prépare de quoi se sustenter. Je n’ignore pas qu’une poche de sang ne sera synonyme que d’apéritif pour cette nouvelle-née, mais il faudra attendre le coucher de l’astre du jour pour nous mettre en route vers une victime potentielle. C’est là que la lecture de mes dossiers entre en jeu, j’ai mis deux côtés deux adresses de criminelles qui pourraient très bien servir de premier repas sans qu’ils ne manquent à personne. En attendant, je me dirige vers la cuisine et lui concocte machinalement une tasse de sang que je réchauffe rapidement au micro-onde. C’est immonde comparé à du sang frais. Un nouveau texto me parvient de mon cher et tendre qui semble un tantinet s’inquiéter que je ne donne pas de nouvelles. J’étais tellement plongé dans mes lectures que je n’avais pas pris le temps de lui répondre. Je lui envoie simplement un smiley la tête en bas. Il sait que cela signifie généralement que je m’expliquerais plus tard. Plus ou moins en tout cas. Je reviens dans la salle d’attente où la jeune femme explore vaguement le lieu, dans le genre lion en cage, elle s’en sort pas mal. Je lui tends la tasse.

« Excuse-moi, c’est pas ce qu’il y a de meilleur, mais il faut qu’on commence à apaiser ta faim si on veut pouvoir aller chasser dans de bonnes conditions tout à l’heure. »

Contrairement à Môsieur Silas, je ne compte pas l’abandonner et lui laisser découvrir toute seule l’horreur que cela représente d’appartenir aux créatures noctambules.

D’un air dubitatif, elle attrape l’objet et le regarde comme si je venais de lui confier une horreur sans nom digne de l’univers de Lovecraft. Dégoût, peur, colère … c’est un arc-en-ciel émotionnel ! Peut-être que si je passe en mode licorne et bisounours, nous finirons par nous accorder.

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Ses réponses méthodiques ne me vont pas. J'entends ce qu'il me dit, mais je ne comprends pas. Quelque chose refuse de percuter dans mon esprit, et je reste focalisée sur l'heure sans parvenir à donner un sens au reste.

15h. J'ai loupé la présentation. Persé va me tuer. Et cette fichue trotteuse qui m'irrite les tympans à égrener les secondes de la sorte...

Mais j'ai un autre problème en cet instant. Je tâte mes poches, à la recherche de mon portable pour appeler mon amie, alors que Dante se lève et quitte la pièce. Je me souviens que mes affaires sont dans mon sac. Je fais le tour de la pièce pour retrouver mes biens, mais rien.

Je n'entends plus que le tic-tac agaçant et mon attention est déchirée entre la sensation désagréable à l'arrière de ma gorge et une odeur qui semble me tenir étrangement en alerte. Je suis incapable de réfléchir et ça me rend dingue. Je revérifie sommairement le canapé sur lequel j'étais, lorsque le "ding" du micro-onde me fait sursauter, me coupant dans ma rechercher. Pourquoi j'avais besoin de mon téléphone déjà ?

Je n'arrive pas à reprendre le fil de mes pensées et je suis entièrement focalisée sur la tasse que me rapporte Dante. L'odeur qui s'en échappe ne m'est pas inconnue, mais rien en me vient à l'esprit, alors je m'avance, l'écoutant d'une oreille distraite, incapable de me concentrer.

« Excuse-moi, c’est pas ce qu’il y a de meilleur, mais il faut qu’on commence à apaiser ta faim si on veut pouvoir aller chasser dans de bonnes conditions tout à l’heure. »

J'attrape le récipient et quasiment aussitôt, mes neurones semblent recommencer à fonctionner. Au vu de la texture, de l'odeur et de la couleur rouge sombre que je devine plus que je ne la vois, je tiens une tasse dans sange entre mes mains.

Je relève les yeux sur Dante - c'est un taré en fait !- alors qu'une vague de dégout me traverse. J'ai envie de lui hurler à la figure, de fracasser la tasse au sol mais quelque chose m'en empêche. Aussi étrange et écœurant que cela paraît, l'odeur réveille le vide lové dans ma poitrine, et presque contre ma volonté, je me retrouve à boire le liquide, fermant les yeux devant le réconfort apporté. Incapable de m'arrêter, je finis la tasse, me retenant d'en demander une deuxième.

Le feu qui faisait rage dans ma gorge semble s'être apaisé juste assez pour que je puisse recommencer à réfléchir à ce qui vient de se passer. Lentement, mon cerveau commence à assembler les pièces, me donner du sens à ce qui a été dit avant.

Oui il est 15h, mais ce n'est pas l'information à retenir, c'est ce que mon esprit essaye de me faire comprendre. Les informations se bousculent dans ma tête. Les phrases prennent enfin un sens et je recule d'un pas.

- Qu'est ce que vous racontez ?

Cette fois aucun doute, c'est de la colère pure et dure qui franchit mes lèvres, déformant presque les mots qui en sortent. Je n'arrive pas à croire que je ne réagis que maintenant sur ce qu'il me raconte depuis que je me suis réveillée.

Les histoires de vampires, c'est bon pour les soirées à becqueter des sucreries, dans l'immédiat, je me suis plutôt faite kidnapper par un taré et en état de choc -ou droguée- je ne percute que maintenant sur l'absurdité de ses propos. C'est l'explication la plus logique qui s'impose à moi. Je recule encore d'un pas, crispant ma main sur la tasse :

- Je ne sais pas ce que vous attendez de moi, mais je veux sortir d'ici !

Louper la présentation à cause d'un pignouf d'illuminé, non merci ! Une explosion de fureur me secoue et, pour la première fois de mon existence, je ne cherche pas à lutter. A trop serrer le mug dans ma main, il se brise en mille morceaux : je ne contrôle plus rien, je ne suis qu'une passagère a bord de mon propre corps.

Ma colère enfle et telle une furie, je réduis l'espace que j'avais creusé avec mon ravisseur. Je le saisi au col, ignorant d'où me vient cette rage soudaine et cette envie viscérale de fuir d'ici en détruisant ce qui se dresse en travers de ma route.

- Libérez-moi !

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Je la regarde avec douceur, sachant que le premier pas n’est jamais le plus facile. J’essaye tant bien que mal de ne pas être un mauvais exemple pour elle et lui prouver ma bonne foi comme je peux. C’est pas gagné.

« Tu t’es fait agresser par une bande de vauriens et pour te sauver la vie, je t’ai transformé en vampire. Tu te vidais de ton sang. »

Accepter qu’on soit mort, ça peut aussi prendre du temps et j’essaye de faire appel à tout mon pragmatisme et au sien. Pas de chance, le reste de sang qui lui reste ne fait qu’un tour et la voilà qui se met dans une rage folle. Lorsqu’elle me saisit par le col, je n’arrive pas à réprimer un sourire. C’est drôle comme nous sommes tous des boules de fureur dès que nous mourrons.

J’attrape son poignet et la force à me lâcher sentant bien toute la force qu’elle emploie à me résister. J’entends presque son os se briser, mais cela ne m’arrête pas. Elle s’en remettra rapidement et au pire, ça finira de la convaincre sur sa nouvelle condition. Déjà, si elle observe son comportement, elle se rendra vite compte que ses capacités sont en train d’exploser.

« Prends ton pouls. »

Je suis un tantinet froid, mais je ne la connais ni d’Eve, ni d’Adam et je n’aime pas ses manières, ni la trop grande proximité. Pourtant, je sais qu’il va falloir également trouver les bons mots pour na pas la braquer. Je soupire. Je croise son regard entre la frayeur et l’incompréhension, il faut que je m’adoucisse, que je prenne le temps de lui expliquer, mais comment lui demander de me faire confiance alors que moi-même je me rends bien compte que le plus compliqué dans l’immédiat, c’est d’avoir affaire à quelqu’un que je ne connais pas.

« S’il te plaît, prends ton pouls. Je ne te retiens pas prisonnière, malheureusement, je te déconseille de tester l’exposition au soleil … tu peux essayer, mais va déjà juste en mettant ton bras par la fenêtre et tu comprendras bien ce que je veux dire. »

Je relâche son poignet qui lui-même a arrêté d’agripper mon col de chemise. J’en ai marre qu’on s’en prenne à ma garde-robe, les demoiselles se sont données le mot ? Il y a que Nath qui a le droit de m’arracher les vêtements … et c’est pas son genre ni le mien. Je me dirige vers mon bureau et ouvre la fenêtre en me gardant bien de m’exposer à la lueur qui pénètre lentement par les interstices. Je l’invite d’un geste à effectuer ce que je lui propose. Elle pourrait tout aussi bien décider de se casser, sortir et elle finirait en tas de cendres sur le parvis. Au moins, j’aurais essayé de la sauver, mais je ne suis pas magicien.

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Peu importe la force que je déploie contre Dante, sa poigne est plus puissante que la mienne et c’est par un réflexe d’auto préservation que je cesse de lui résister : je ne perdrai pas mon poignet dans ce petit jeu de lutte puérile. Je dois me calmer, mais je maîtrise à grande peine ma colère alors qu’il me demande des choses étranges mais facilement vérifiable.

Il me parle de soleil, de pouls... Il relâche mon bras et je recule, toujours fulminante. Je plaque mes mains sur mes oreilles, mes doigts agrippant mes cheveux au passage. Je deviens folle ? Jamais je n’avais porté la main sur quelqu’un et rarement une telle colère me dévorait, mais je n’arrivais que difficilement à garder un fil de pensées cohérent. Je ferme les yeux, essayant d’ignorer la course régulière et fortement agaçante de la trotteuse que j’entends toujours.

Malgré la situation, je tente de détourner mon attention comme lorsque je stresse avant un examen ou une présentation. Ça m’arrive rarement, mais j’ai une technique infaillible pour passer à autre chose : focaliser mon esprit sur une répétition inlassable de mes connaissances sur les 22 acides aminés. Le truc que j’ai appris lors de ma première année de fac. Je m’efforce de me remémorer chaque molécules, chaque formules, de les réciter par groupes. Les soufrés, les polaires chargés, les polaires non chargés...

A force de concentration j’en viens à ne plus entendre la trotteuse et je finis par relâcher mes pauvres mèches de cheveux qui ne m’avaient rien demandé. Dante est toujours dans son coin, rideaux à la main et je semble être dans une disposition moins agressive. Bien. S’il veut que j’aille me pavaner au soleil, soit. Je sais que je suis extrêmement pâle, mais quand même ! J’approche à grands pas de la fenêtre, bien décidée à lui montrer qu’il ne m’arrivera rien de bien méchant.

- Je n’arrive pas à croire que je le fasse !

C’est tellement délirant ! Pourtant à chaque dizaine de centimètres qui me voient m’approcher de l’ouverture lumineuse, mon esprit ne peut s’empêcher de se remettre à tourner à plein régime. Le sang sur mes vêtements, le sang dans la tasse, des images floues de types qui me cherchent des noises en pleine nuit... Juste devant les rideaux, ma belle détermination fond comme glace au soleil. Après tout, si je passe vraiment que mon bras comme il me le demande, c’est déjà bien, non ? Dans le doute...

Je prends une grande inspiration et fiche mon poignet précédemment meurtri devant la fenêtre, me faisant au passage la réflexion qu’il fallait vraiment que je sorte plus souvent la journée, bientôt j’allais étinceler au soleil en étant si blanche !

C’est la dernière stupidité qui me traverse l’esprit avant que je ne retire mon avant bras de devant le rideau, dans un glapissement de douleur.

Par réflexe je plaque ma main sur la brûlure, tentant vainement de diluer la douleur, alors que j'obtiens l'exact effet inverse. Je suis une championne.

Je regarde les dégâts, interdite. Je ne peux pas nier la peau rouge et brûlée qui couvre ma main, pourtant mon esprit essaye d'échaffauder à toute vitesse des hypothèses valides mais aucune ne peut expliquer le phénomène. Alors, dans un dernier élan de... de quoi, d'ailleurs ? Je ne saurais dire pourquoi je m'entête a trouver un pouls sur mes poignets et sur mes carotides, alors qu'une partie de mon esprit me souffle qu'il faudrait tout simplement que je commence à écouter Dante.

Comme pour m'en convaincre, ma mémoire m'envoie quelques souvenirs de la nuit dernière. La soirée, ma résolution de pas rentrer trop tard, la ruelle...

- J'ai besoin de...

J'ai besoin de quoi au juste ? Pas de m'asseoir, je ne ressens aucune fatigue, même si j'ai l'impression de vaciller. Je cherche encore une raison logique à tout ça, mais c'est cette même logique qui m'impose la vérité de Dante comme étant la seule hypothèse valable. Encore espérer que je sois droguée ou endormie relèverait du déni pur et simple.

J'observe de nouveau ma main, constate que la brûlure est partiellement résorbée mais j'ai encore mal. J'ai pas besoin de réfléchir non plus. Parfois la réponse est tellement évidente que j'ai un peu peur que celle-ci me crève les yeux avant que je n'accepte de la voir.

Mon bras retombe le long de mon corps et je reste plantée au milieu de la pièce, incertaine de la conduite à tenir. Je suis vraisemblablement coincée ici temps qu'il fait jour, alors autant en profiter pour comprendre ce qu'il m'arrive. Et pour cela un brin de civilité serait sans doute la bienvenue. Je ne pense même pas m'être présentée, c'est dire mon état il y a encore dix minutes.

- Je crois que nous devrions reprendre depuis le début. Vous pouvez m'appeler Elisabeth et je crois que je suis prête à vous écouter.

Même si en théorie, je n'ai pas vraiment d'autre choix.

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