Bon ok, j’ai menti … j’ai pas 3000 exactement, ni même à quelques dizaines d’années près. Je suis né en 956 avant Jésus-Christ et du coup, avec un petit calcul mental vous vous dites « Hey attend ! t’a quand même presque 50 ans de moins que ce que tu te vantes ! »

Et  t’auras raison ! Mais je m’en fiche assez royal, j’ai de toute façon passé 2000 ans sous la forme d’un Chien, donc foutez moi la paix avec mon âge. Pour faire simple, je fais partie des premières générations et cela devrait amplement suffire à m’imposer comme démon que t’as pas envie de titiller pour des détails.

Je ne vais pas faire un compte-rendu sur la famille, j’ai jamais été très fort en arbre généalogique et j’avoue que je n’en vois pas l’utilité. Pour moi, on est juste tous plus ou moins frères, sœurs, pères et mères. Parfois plusieurs de ces intitulés à la fois, que cela vous choque, je vous rappelle qu’on ne parle pas d’un dessin animé pour enfants.

En parlant d’enfant, je dois dire qu’il y a une chose qui me fascine : l’humanité. J’ai jamais bien tenu ma place aux Enfers et je me suis toujours plus à faire des allers-retours entre mon lieu de naissance et la surface. Les découvertes, les avancées technologiques, les créations … Je ne vais pas dire que je comprends tout, mais j’y vois une beauté qui me fascine et m’invite à perpétuellement revenir surveiller ce qu’ils proposeront de nouveaux. Les humains sont ma muse, ma source d’inspiration. Pour me fondre au milieu de ces êtres, j’ai commencé à prendre l’apparence d’un molosse noire comme l’ébène, à la carrure impressionnante, prêt à les défendre si besoin est, il faut dire que je manquais de choix … ma nature démoniaque ne pouvait que transpirer malgré mon déguisement. Je reste perplexe face à leur capacité d’ignorer la chance qu’ils ont, la liberté que génère leur existence si courte. Je deviens la légende que je suis encore aujourd’hui, et bien plus encore. Cette faculté me permet de les approcher et d’explorer l’humanité sous sa forme la plus simple, une relation entre un homme et son animal.

Je pense que je ne remercierai jamais assez Abraxas de m’avoir convaincu de ne pas oublier qui je suis, de garder un peu de mon apparence humaine en moi et ne pas me perdre en chemin par la même occasion. C’est avec force et persévérance que j’appris donc à contrôler cette transformation pour passer d’une forme à l’autre sans trop d’encombre. Je navigue ainsi entre les humains, trouve compagnes au fils des siècles et permets au temps de voir les miens croître en nombre et en puissance. Certains diront que je suis responsable de l’apparition des métamorphes parmi les humains, mais qu’en sais-je … Je me laisse porter par ce rythme, prends le plaisir le plus simple et le savoure.

Mais tout a une fin …

La guerre éclate et je ne vois d’autres possibilité que celle de me tenir auprès de mes amis. Lucifer déserte l’Enfer, Satan le relègue et c’est peu dire que ma capacité à interférer dans ses plans ne lui déplaise. Pour me punir, il me condamne à vivre sous ma forme bestiale. Je deviens le Gardien des bas-fond de l’Enfer …

La mort de Satan lui-même ne leva pas la malédiction qui s’est abattue sur moi et j’erre depuis deux millénaires de la sorte. Toujours prisonnier de ce corps, cette prison à quatre pattes, je perds peu à peu la notion même de ma propre existence, autant que les autres me laissent tomber dans les limbes. On oublie Cerbère. On oublie le démon … Un Enfer pour celui-là même qui en garde l’antre. L’enfer de Dante, le Purgatoire … Ce repère devient un lieu de Cauchemars pour quiconque s’y retrouve captif et aucun démon, même parmi les plus puissants ne peut en réchapper.

C’est après 2000 ans de supplice qu’on me rappelle, qu’on me donne l’opportunité de redevenir le démon que je suis, celui naît en Enfer et non pas le Molosse que je me complais à arborer. Je m’étais pourtant habituer à la noirceur de ma caverne, à la routine interminable de Gardiens des Enfers et l’obscurité protectrice qui m’enveloppait et me permettait d’occulter la partie en moi que je délaissais tous les jours un peu plus. Le temps peut prendre un autre visage lorsqu’on s’amuse à faire souffrir ses locataires contre leur gré. Et j’avoue m’être laissé charmer par cet aspect de mon rôle.

Une fenêtre, un espoir, encore et toujours grâce à mon vieil ami Abraxas. Je retrouve le plaisir de flâner parmi les humains afin de l’aider à retrouver sa descendance. Croyez-en le flaire d’un chien, le sang du démon a imprégné ses enfants d’une odeur unique. Le plaisir revenant peu à peu, je brise ma routine infernale et recommence à m’exalter devant tout ce que j’avais raté. Je suis dépassé par tout, mais curieux. Abraxas réveille en moi le jeune démon que j’ai su être et l’avidité de faire renaître l’artiste en moi. Je le suis, intrigué par les rencontres que cela engendre … Une jeune ange-démon ? Des arrière-arrière-petit-enfants au sourire Angélique ? Pas commun pour un démon me diriez-vous. Et pourtant …

Le plus impressionnant, je le dois à son arrière-petit-fils. Maxwell Abraxas. Ce petit a hérité de son ancêtre démon sans l’ombre d’un doute et cela peut même être très confusant quand on le voit à l’œuvre. Je parlerais plus volontiers de cette nuit … celle où grâce à eux, j’ai pu briser les chaînes. Le maléfice de Satan rompu, ma liberté rendue … me voilà à nouveau capable de revêtir forme humaine et il n’appartient qu’à moi d’en faire bon usage.

Avec plus de 2000 ans de retard, un milliard de tourments à extraire de mon âme, je profite de ce trop pleins pour l’appliquer sur toile. Mes œuvres … mes complaintes … c’est une retranscription des plus réalistes qu’un démon puisse offrir de la noirceur de son âme et je ne promets pas qu’un simple humain ne perde pas de sa santé mentale en les contemplant.