Shawn Harvey - Chicago's my home

Ma vie? Très simple, surtout pour les gens qui ont l'habitude des trucs compliqués. Mon père, ce héros, s'est tiré à la seconde où il a su que ma mère était enceinte, et ma mère m'a zappé devant un orphelinat à la seconde où j'ai fait montre de mes pouvoirs. L'orphelinat, ça a pas duré longtemps, j'étais un petit con à l'époque - je le suis toujours? peut-être -, et surtout une tête brulée qui refusait que l'on conduise sa vie à sa place. Si j'ai l'air de me plaindre? Honnêtement, du tout. J'préfère de loin la famille que je me suis choisie à celle que j'aurai pu subir.

Après l'orphelinat, la rue. Un sacré terrain de jeu qui s'offrait à moi. Ok, ça a pas toujours été sympa, mais un gosse débrouillard sait s'y démerder. Et y a pas besoin d'être black ou hispanique pour y survivre, n'en déplaise à ceux qui considèrent les rues pleines de, je cite "ces immigrés qui polluent le système" fin de citation. Bref, chacun nait avec la capacité de se débrouiller ou pas. Moi j'suis né avec. D'autres non. Autant vous dire que certains gosses de riches tous fiers de se tirer de chez eux pour un soir m'ont fait bien rire. Nath a été de ceux là, la première fois que j'l'ai croisé. La seconde aussi. La troisième moins. J'y ai demandé pourquoi il insistait alors qu'il finissait immanquablement par grimper tête baissée dans la super bagnole qui venait le récupérer. Il a juste eu à retirer son tee-shirt et faire étalage de tout l'amour paternel qu'il avait reçu jusque là. De là, j'y ai appris à se faire une place dans la rue. Ok, j'y ai surtout appris à compter sur moi quand il avait une emmerde. Il s'est fait rechoper quelques fois. Sa dernière fugue, il avait 13ans, j'en avais à peine 15. Et si j'étais son premier coup, il était pas le mien.

Les trois années suivantes ont été calmes, dans le genre. C'était Nath et moi contre le reste du monde. On pieutait dans un squat pas dégueu, il a enfin réussi à se rendre utile à piquer des trucs à l'épicerie du coin sans se faire choper, et j'ai réussi quelques coups pas dégueu grâce à ma magie. Celle de mon mec? Alors, pour info, il n'a jamais été convaincu que j'allais pas faire un drame avec de simples illusions alors lui rappeler qu'il en avait lui aussi? Nan, clairement pas.

Si j'vais rapidement donner l'impression que ma vie tourne autour de ce mec? Nan, du tout. Ok, peut-être. D'un coté, quand vous comptez un abruti pareil dans vos amis, faut savoir que ça vous prend 23h par jour de l'empêcher de faire une connerie plus grosse que lui. Il vous a jamais parlé de la fois où il s'est emmanché de sauter du DuSable Bridge malgré sa peur du vide, juste pour prouver qu'il pouvait le faire? C'un boulot à plein temps j'vous assure.

Bref, tout allait pour le mieux pour nous, jusqu'à ce qu'il en invente une de plus. Un mec normal, quand il dépanne une greluche qui se fait piquer son sac, il lui rend avec un sourire et l'affaire s'arrête là. Avec Nath, faut raccompagner la donzelle chez elle, l'épouser et lui faire deux gosses. Bon, si encore elle était vivable, mais Claire, c'est une mante religieuse déguisée en tarentule. Bref, faut avouer que passé une bonne crise de jalousie, j'en étais pas mécontent de mes neveux préférés. Et être le tonton gâteau qui passe à l'improviste dès que madame est sortie ça a fini par m'aller. J'suis convaincu que Claire a toujours pensé que j'me tapais son mec dans son dos, mais avec Nath et ses foutus principes, ça risquait pas.

Bref, ma vie était loin d'être parfaite, la plupart des gens diraient même qu'elle craignait grave, mais elle me plaisait bien, ma vie. Quand à Nath? Ah, j'ai bien rebondi. Réussi à corrompre un flic même que. Bon ok, il était plus à la circulation que chez les fédéraux, mais entre nous, on s'en cogne de son taf. Ok, c'était presque amusant de se faire virer par son propre mec et ses collègues quand  Monsieur le Maire jugeait que mes "activités illicites" perturbait le tourisme local. Moi j'crois que si les gens jouent aux jeux de hasard c'est qu'ils ont envie d'y jouer non? Bref, allez pas croire, j'ai vraiment essayé de, comment ils disent déjà? "m'intégrer à la société", mais la société veut pas de moi donc j'vais pas la forcer.

Bref, ça, c'était jusqu'à la bombe. Nan, pas une vraie bombe au sens littéral, mais en fait, j'crois qu'une vraie bombe aurait fait moins mal. Si l'accouche ma bombe? Si c'était facile d'en causer ça serait déjà fait. Bref, la bombe, ça a été la disparition soudaine de mon neveu. Et là, je peux vous dire que c'est parti en couilles mais comme y a pas deux. Déjà que Nath et Claire c'était pas top mais là ça a été l'apothéose. Donc j'l'ai récupéré en miettes, le Nath, et question "freiner la descente en enfer", j'ai été le pire des frères. J'ai essayé, bien sur que j'ai essayé, mais pas assez apparemment. Alors j'ai fait les choses autrement. Entre deux envois en désintox qui ont servi à rien hormis le couper encore un peu plus du monde, j'ai fait le lien entre Nath et Elaine. Comme j'ai pu. Si j'ai un peu beaucoup bousillé ma vie pour ce con? Vous avez pas idée.

Bref, a fallu six ans mais il a enfin eu le déclic. Elaine est douée pour se faire du mal sans le vouloir, et son père doué pour se soucier d'un bleu sur le genou de sa fille donc au final, ça a été assez simple. Bon ok, faudra compter huit ans de plus - et un foutu vampire - pour le sortir du trou pour de bon, mais voir Nath reprendre sa vie en main, pour le coup, c'était assez inespéré pour appeler ça une réussite. Bref, assez parlé de cet idiot, à mon tour.

Moi j'ai repris ma vie, normal, un squat peinard, deux ou trois copains lâchés dès qu'ils causaient d’emménager ensemble ( c'pas l'engagement hein, c'est le coté "s'enfermer dans une routine et entre quatre murs et un toit"). D'accord, ma relation la plus longue a duré 3ans et j'avais pas 20ans à l'époque, mais contrairement à d'autres, j'arrive encore à mettre un nom sur chacun de mes exs, moi.

Le dernier? Ah, difficile de l'oublier cui-là, il m'a offert cinq ans à l'ombre. Moi qui aimait ma liberté au point de même pas être capable de me prendre un appart, j'ai été servi. Vous voulez le début de l'histoire? Ok, pas de souci, j'rembobine. Faut dire ce qui est, il était pas hyper net. Non mais du genre moins net que la totalité de mes potes réunis. Mais bon, voilà, on fait pas toujours que des trucs intelligents. Bref, il avait besoin d'une caisse, et d'un chauffeur. Bonne pomme j'ai suivi. Le hic, c'est qu'il avait prévu un casse à main armée en plein jour et avec à peu près zéro préparation, donc bien sur, les flics étaient quasi là avant les coupables. J'vous rassure, eux, ils ont su se tirer, no problem, d'ailleurs j'attends encore d'en retrouver un ou deux pour leur montrer ma reconnaissance pour ça. Et c'qui la bonne poire trop conne qui s'est fait choper alors qu'il était même pas au courant de l'histoire? Ben c'est bibi.

Vous me direz, en tôle, vous êtes nourri, logé, blanchi. On vous dégotte même deux trois problèmes de santé dont vous étiez pas au courant que que vous auriez préféré ne pas connaitre. Mais l'enfermement, ça, c'est ingérable. J'crois que j'ai connu ma première dépression. Fin bref, pour les détails, on passe, demandez à ma thérapeute. Oui genre, les meilleures heures de ma vie pendant cinq ans, ça a été de passer deux heures par semaine avec UNE psy. Canon faut dire, presque à songer à revoir mon orientation... Breeef. N'empêche que l'air libre c'mieux.

L'air libre donc. Retrouvé y a quelques mois. Enfin presque, parce qu'en presque frère qui se respecte, il s'est donné pour mission de m'aider à rebondir. Et a trouvé que me loger chez lui était une brillante idée. Ok, passer du temps avec Nath et Elaine, surtout cette pauvre Elaine adolescente qui est en train de récupérer tous les secrets de son paternel en même temps, moi je dis oui, totalement oui. Sauf que la coloc à quatre (oui, rajoutez le vampire), ça a tendance à me rappeler la tôle.

Donc, résumé de la situation actuelle? Ma nièce est une ado qui a toutes les raisons d'être perturbée, mon meilleur ami a enfin réussi à se caser, même si j'ai encore deux ou trois doutes sur la personne, j'suis libre, dans tous les sens du terme, et j'ai toujours pas prévu de voir mes cinquante balais arriver. Par contre, avant de canner, j'me donne une mission... réussir à réunir cette foutue famille que j'me suis choisie dans la joie et la bonne humeur pour le prochain ThanksGiving... et croyez moi, si j'm'y prends dès janvier, c'est que ça va être la merde pour y parvenir.