Dear Friend - ft Nathan & Shawn

« Ah oui, j’viens de le voir. »

Matt, bien sûr que je l’ai vu et j’préfère pas en parler dans l’immédiat. Ce qui me concerne lui et moi, c’est justement lui et moi. Je glisse mes mains dans les poches et avance en shootant machinalement dans une canette vide, le regard baissé et ressassant l’échange que j’ai eu avec Matt. Nath avance au même rythme et j’le vois penaud, mais déjà mieux que la panique que c’était y’a quelques semaines avant qu’il « perde » son mec. Ces deux-là sont vraiment des cas et je suis halluciné de voir que Nath a trouvé chaussure à son pied avec un gars qui sait autant se saboter que lui a su le faire. De mon point de vu, il est passé de Damsel in distress à knight in shiny armor … Le genre chevalier blanc qui va sauver sa foutue princesse, traverser des océans, battre des créatures sauvages et déjouer les pièges les plus mortels juste pour obtenir la belle – le beau ici – et la ramener dans son palace. C’est quasi vrai vu l’appart que possède maintenant le brun depuis que son père a eu la bonne idée de passer l’arme à gauche … Un connard de moins sur terre qu’a su faire le bonheur de son fils ! Si c’est pas extraordinaire, devrait toujours y avoir plus de bonnes nouvelles de ce genre plutôt que la dernière qu’il m’a pondu de devoir veiller sur sa fille parce qu’il savait pas combien de temps il allait mettre à revenir et qu’il devait se barrer vite pour retrouver Dante … J’ai cru m’arracher les cheveux et sans doute les poils de barbe avec. Le petit bonus ça a été quand même de découvrir qu’il a traîné mon mec dans l’histoire et clairement, ces deux-là auront aussi un truc à régler entre eux et qu’ils comptent pas sur moi pour faire le médiateur, ils se démerdent ! Faut qu’à un moment ils assument tous leur responsabilités et je compte pas porter le poids du monde. Je suis là pour Matt, je suis là pour Nath et basta.

« Ça va vous deux du coup ? Me fais pas le détail, mais juste … non mais en fait c’est quoi ce merdier entre vous deux ! »

Je balance ma main par-dessus ma tête comme pour jeter l’idée stupide de comprendre ce qu’ils ont voulu faire en créant le drama qu’ils ont joué là-bas … c’est coup de foudre à Bollywood et j’suis à peu près sûr que ce foutu film est passé un millier de fois dans les magasins de télé puisque c’est bien le seul endroit où j’aurais pu capter la référence. Je secoue la tête pour oublier l’idée stupide de vouloir mettre des mots sur les conneries.

« Nan oublie, juste comment tu vas toi ? »

Je dévie de ma route pour lui donner un coup dans l’épaule avec la mienne en toute amitié, mais histoire de le sortir de sa monotonie. S’il continue de réfléchir, il va finir par griller les deux neurones qu’il lui reste et les miens avec. Et t’façon, c’est bien là tout ce qui m’importe, savoir comment va mon ami. Je jette un regard dans sa direction et nous tournons dans une autre ruelle tout aussi miteuse, mais dont je connais chaque recoin pour m’y être promené plus d’une fois. J’pourrais pas en dire autant des recoins de la tête de Nath … ça doit être un sacré dédale là-dedans et pourtant …

J'dois avouer que c'plus par politesse qu'autre chose que j'y demande si il a eu des nouvelles de Matt depuis notre retour. Parce que j'écoute pas plus sa réponse que ça, pour tout dire, me perdant rapidement dans mes pensées, à nouveau. Et Shawn me laisse m'y complaire un moment alors qu'on avance épaule contre épaule, le rythme de nos pas aussi calé que celui de deux chevaux du même attelage, sachant où on va sans avoir à se poser la question. C'est l'idée de se connaitre depuis... plus de vingt ans. Et un coup de vieux dans la tronche, un!

Je tourne le regard vers lui, rapidement, quand sa voix s'élève soudain plus haut que la normale, et je lui offre un sourire en coin avant de regarder de nouveau devant moi, n'ayant pas le temps de songer à lui répondre qu'il change de sujet, presque, m'offrant un coup d'épaule pour attirer mon attention. Je le suis sans y réfléchir alors qu'il tourne dans une nouvelle ruelle.

"Ce merdier, c'est juste que ça fait quinze ans qu'aucune de mes relations n'a duré plus de six mois, et trente ans que Dante se la joue solo. Je l'aime, et il m'aime, sans aucun doute, mais on est quand même deux cons incapables de jouer en équipe."

Je soupire, avant de hausser les épaules et fourrer mes mains dans mes poches, tout en restant épaule contre épaule avec lui.

"C'est le bordel dans ma tête, mon mec me fuit autant que j'le fuis, et j'ai bien failli buter le tien avec ma magie. Tout baigne."

Ouais Nath, t'es vachement crédible, tout baigne.

"Ok, j'crois que j'ai b'soin d'un câlin frangin."

Ah oui, c’est vrai que le vampire a l’amour de la solitude … et Nath celui de courir à la catastrophe. Je sais bien qu’il a toujours fait fort avec ses relations, mais avec celui-ci, ils avaient presque l’air de s’en tirer et voilà qu’ils font de la merde et qu’ils se la jouent théâtral. Je sais que de n’importe qui d’autres, je trouverais cela ridicule et j’ai quand même envie de dire à Nath que le but de la vie c’est de profiter et pas de se compliquer la tâche, y’a déjà bien assez de merde qui arrive sans qu’on les génère … Je soupire et ferme les yeux l’espace d’une seconde. Il va me faire avoir des cheveux blancs avant l’heure s’il continue.

« Matt se démerde t’inquiète. C’est pas tant ça qui devrait être ton soucis que tes deux premiers arguments. Ça serait peut-être temps que tu lui accordes ta confiance à 200%. J’sais bien que c’est pas facile et j’suis le premier à faire la même connerie, mais au bout d’un moment faut bien que y’en ai un d’vous deux qui se lance. »

Sans m’en rendre compte, ma voix s’est un peu durcie et j’regrette aussitôt quand j’vois sa tête dépitée. J’l’attire contre moi et le serre un coup dans mes bras. J’vois bien qu’il est au bout du rouleau et qu’il va falloir recoller des morceaux et pas que de son couple, mais de sa vie tout entière. Nath est pire qu’un vase de chine. Il se brise parfois avec un simple souffle et j’mettrais ma main à couper que son père est pas pour rien dans tout ça. Après tout, il a été le premier à l’éclater en morceaux et parfois trop littéralement … D’un ton plus doux, je reprends :

« Rush pas, c’est pas le but, mais va dans le bon sens à ton rythme plutôt que de te retrouver à devoir reculer et avoir l’impression de fuir. Tu te fais du mal … j’serais toujours là pour toi, mais j’t’aime bien quand tu vas bien. »

C’est pas évident et à chaque fois que je retrouve mon ami comme ça, j’ai l’impression de revenir vingt ans en arrière. Ça entretient très certainement mon sentiment de jamais réussir pleinement à devenir adulte, pas que ça me déplaise, j’vois pas l’intérêt de se cataloguer comme tel, mais l’adolescence a pas forcément non plus été la période la plus douce de ma vie. Toujours arrêté, j’attends que Nath reprenne son souffle pour continuer notre chemin.

Je souris faiblement, au milieu de la tristitude ambiante, quand il me fait presque la leçon sur l'imbécile que je peux être à ne pas foncer sans réfléchir dans cette relation qu'on a/avait/compte récupérer avec Dante. Je prend le câlin sans hésiter avant de lui répondre, sautant sur l'occasion de lui rappeler un léger détail dans la leçon qu'il essaye de me donner.

"C'est moi ou au départ t'étais totalement contre lui?"

N'empêche que je reste encore un peu dans ses bras avant d'accepter de m'en séparer. Y a pas de question à se poser, dans une relation, quelle qu'elle soit, je suis plus facilement celui qui se fait consoler que celui qui console. Celui qui dort dans les bras de l'autre plutôt que celui dans les bras de qui on dort. Les seules qui ont su faire exception c'est Claire et Elaine, et de dire ça comme ça j'vais passer pour un gros misogyne, mais ça a rien à voir. Avec Claire ça s'est fait comme ça, et Elaine c'est un peu ma fille, j'vois mal que ce serait elle qui me consolerait et pas l'inverse, même si pas de doute là dessus, elle est plus mature que moi.

"Tu m'connais, fuir c'est c'que j'fais d'mieux. Chaque fois qu'j'y crois un tant soit peu, j'finis par être déçu, alors plus y croire c'bien aussi."

Et oui, j'en suis à peu près revenu à où j'en étais avant de rencontrer Dante. Enfin, ce foutu type en qui je "ne crois plus" m'a fait traverser la moitié du globe pour lui, alors je sens venir que mes actes ne sont pas vraiment en accord avec mes paroles.

"J'sais pas comment tu fais pour pas m'avoir envoyé bouler depuis l'temps. Mais j'suis heureux qu'tu l'ais jamais fait. J'sais pas comment j'passerais au d'ssus d'tout ça sans toi."

Je fronce les sourcils, faisant semblant de pas comprendre.

« Tah ! Change pas de sujet ! »

J’sais bien que j’ai pas été le premier à me réjouir à l’idée qu’il se maque avec un vampire, faut pas déconner aussi, j’pouvais pas m’empêcher aussi de penser à Elaine et que je sais que Nath a la fâcheuse tendance à chercher la merde en amour. J’ai cru qu’il avait trouvé comment y aller au paroxysme. Donc oui, j’ai un peu râlé, mais j’avais pas envie de le voir se saborder encore une fois et surtout au risque de sa vie et de celle de sa gamine.

« Ben alors, pourquoi t’es allé le chercher si tu fuis ? J’veux pas dire mon gars, mais j’crois que t’as trouvé une princesse à sauver plutôt que d’en être une. Ça doit bien te changer. »

Il est pas logique. Moi je me dis que même lui est pas sûr de ce qu’il est en train de me balancer comme argument. Et j’esquisse un sourire quand il évoque mon endurance à le supporter. Il a oublié que je sais aussi ne pas être un cadeau et qu’on a bien su l’un comme l’autre faire un sacré chemin. Je passe un bras par-dessus son épaule et nous reprenons notre petite marche l’un avec l’autre. C’est un cœur d’artichaut quand il s’y met.

« Autant que tu m’as aidé. Arrête de penser que tu es le seul à avoir été sauvé. J’serais pas là aujourd’hui non plus sans toi… Maintenant, tu vas faire quoi ? »

Parce que je veux bien être là pour lui, mais la suite, ça sera de son ressort et j’imagine pas qu’il va foutre son mec à la porte. Quoi que … s’il en a besoin pour réfléchir, pourrait bien le faire. C’est chez lui que je sache et l’autre doit bien avoir un coin ou pieuter en attendant. Oui je sais, j’lui dit de lui faire confiance et la seconde d’après, j’pense au fait qu’il pourrait bien aussi le foutre dehors. J’conçois qu’il l’aime, mais au bout d’un moment, il a aussi le droit de prendre son temps.

« Comme quoi, les histoires de cœur, on est pas rendu … moi qui croyait que c’était des histoires d’ado et que ça se tari avec l’âge. Soit on a oublié de vieillir, soit j’ai raté un truc. »

J’critique pas mon p’tit frère de ses choix, mais j’fais pas mieux. Un demi démon qui gère un hôtel et tout un régiment de personnel. J’suis à des kilomètres du genre de personne que je fréquente usuellement. Cela dit, Nath a fait fort aussi comme revirement. Son bel appart, son boulot stable et sa vie pépère avec sa fille en vrai père de famille. Il m’a bluffé.

A mon tour de froncer les sourcils face à ses paroles.

"Tu crois? Ca doit expliquer pourquoi j'suis aussi pommé."

Ok, faut dire que Dante et sa culpabilité maladive, c'est pire que Blanche-Neige et sa pomme ou Raiponce et sa tignasse. C'est pourtant pas le manque de lui rappeler qu'il est pas responsable de toutes les conneries de la planète, mais non, systématiquement, c'est sa faute. Et dans le genre "aller dans les extrêmes", faut avouer qu'on s'est trouvés lui et moi. Moi j'm'auto-détruit, lui, il... beh s'auto-détruit aussi, vu qu'il avait l'air bien décidé à attendre les fourches et le bucher dans sa kasbah...

"Tu parles, t'étais le roi du quartier à mes yeux. Si ça avait pas été moi, ça aurait été un autre gosse, j'me fais pas de bile pour toi là-dessus. T'es le mec que tout le monde voudrait avoir pour meilleur ami. Et j'regrette rien de c'que y a eu entre nous, à aucun moment. Sauf quand j't'ai lâché pour Claire, j'ai été nul sur ce coup."

Ce que j'vais faire maintenant? Aucune idée. J'ai du mal à ne pas me dire que Dante va pas encore se barrer la prochaine fois que va y avoir un pet de travers entre nous, et c'est pas une pression que j'pense être en capacité de gérer.

"Et j'en sais rien. J'ai besoin de pouvoir lui faire confiance à nouveau, et là dans l'immédiat, c'est pas ça."

Quant à ce qu'il me dit sur les histoires de cœur et la galère que ça peut être? Y a que dans les films que c'est facile, j'dirai.

"Laisse tomber, les histoires de cœur, c'est la merde d'un bout à l'autre. Tu veux que j'te dise? J'm'étais juré qu'après Claire j'laissais tomber, mais c'coup ci j'm'y tiendrais. Si ça foire, j'adopte un chien, c'plus simple à gérer... en attendant, ça t'emmerde si j'squatte ton canap cette nuit ou t'avais prévu un rancard avec Matt?"

Ah bah ouais, j’veux bien croire qu’il est paumé d’avoir inversé les rôles. Apparemment sa princesse lui a pas trop demander son avis et lui a fait endosser fissa l’armure sans entrainement. J’veux pas dire, mais il est allé le chercher à l’autre bout du monde, je l’en pensais pas capable.

Je sais que je me débrouillais bien, sans doute, mais pour une bonne raison. J’ai trouvé quelques rares personnes en qui avoir confiance. Vraiment très peu, mais après tout, il faut parfois pas plus pour se donner du courage et Nath y est pas pour rien. Quant à sa vipère, j’vais me taire sinon j’risque d’être grossier. Quand je vois comme il a fini : plonger dans l’alcool, la drogue, a abandonné sa fille pour sa sécurité … il est tombé tellement bas et j’la blâme totalement. J’suis pas impartial et je m’en tape.

« Te rush pas … la confiance ça se mérite et c’est normal qu’tu sois ébranlé. Par contre, c’est normal que ça m’choque que ça soit toi qui dégage de ton appart ? »

J’veux pas dire, mais ça serait à l’autre d’aller se chercher un canapé. J’ai de la place sur « le mien » comme il dit, je trouve injuste que ça soit Nath qui décarre alors que c’est le vampire qui squatte son appart. Je hausse les épaules, j’vais pas tenter de débattre de toute façon, ça me fera plaisir de l’avoir aussi à la maison si j’puis dire.

« Ben vient dormir, Matt a pas encore eu le loisir de goûter ma version du confort, donc aucun risque qu’il vienne. »

Quelque part, ça me rassure qu’à moitié qu’il parle de si ça foire avec son histoire de chien. Généralement, c’est pas de très bonne augure et j’ai pas envie de le ramasser à la petite cuillère. Je maintiens que j’l’aime bien et encore mieux quand il va bien.

« T’es quand même vachement défaitiste ! J’dirais pas que c’est de la merde, mais ça prend la tête c’est sûr. T’es avec un mec qui aime autant se saborder que toi, donc deux fois les mêmes et moi j’suis avec mon parfait opposé … Va savoir où on va arriver au bout, mais j’préfère y croire aujourd’hui plutôt que de me dire que ça va forcément capoter. »

Sinon, j’vois mal l’intérêt de commencer un truc si c’est pour aller droit dans le mur.

Je glisse une main dans ses cheveux, admirant combien cet homme a le chic pour s'inquiéter pour les autres avant lui-même. Sans doute au point de s'oublier parfois.

"J'te rassure, c'pas lui qui me vire de chez moi. C'moi qui préfère dormir avec toi. J'ai pas envie de me poser la question de savoir s'il sera là ou pas ce soir. J'ai pas envie de penser à lui tout court en fait."

Non pas que j'veux sortir Dante de ma vie, clairement pas. Mais si j'le sors pas de mes pensées au moins pour la nuit, j'vais encore passer la nuit à me faire des scénarios, des conversations et autres péripéties que je sais même plus si c'est vraiment arrivé ou pas quand j'y repense. Ca sert à rien de s'embrouiller plus l'esprit qu'il ne l'est déjà. Oui, j'peux dire que j'ai besoin d'une pause dans la connerie, et malheureusement pour lui, Shawn est plutôt bien placé pour accueillir mes besoins de pause.. un jour, faudra qu'il songe à me dire merde, quand même. Mais j'le remercie de pas le faire aujourd'hui.

"T'as songé à lui casser les jambes pour le faire tenir sur ton canap? A moins que tu te mettes à prendre goût aux matelas de son hôtel de luxe? Sincèrement, j'crois que tu pouvais pas trouver plus opposé à toi ouais, j'confirme. Mais si t'es bien avec lui, c'est l'principal."

Je le titille, et avec un grand sourire en prime. Déjà, c'est bien plus simple de faire dériver la conversation vers son couple que de la garder centrée sur le mien, ensuite, il me connait assez pour savoir qu'il a pas fini d'en entendre parler. J'me suis jamais immiscé dans sa vie privée depuis que lui et moi c'est moins privé que ça ne l'a été, au moins jamais pour balancer des critiques gratuites sur ses mecs, et c'pas maintenant que j'vais commencer. Mais j'ai toujours quelques conneries à lui offrir... et oui, son histoire avec un flic m'a forcé à lui demander de me fournir une paire de menottes... que j'ai jamais récupérées, ou réclamées d'ailleurs. Juste de quoi lui faire lever les yeux au ciel et se demander pourquoi il m'a pas sorti définitivement de sa vie. Avec Matt... ouais ben désolé, il va y avoir droit aussi. On change pas une équipe qui gagne, après tout. Même si on gagne pas souvent lui et moi, si on fait le compte de nos histoires.

"Et en passant. J'aime pas me saborder. J'suis juste doué pour le faire. Totalement différent..."

Et hop, p’tite fierté personnel, mon p’tit Nath qui préfère dormir à la maison dans mon vieux squat aménagé selon mes goûts. Ça va lui rappeler des souvenirs puisqu’avant d’avoir son appart, c’était plutôt ce genre d’endroit qui lui servait de logis. Au moins, je sais qu’il est pas chiant et qu’il va pas m’en vouloir si la couverture gratte un peu. J’ai pas d’assouplissant … et de machine à laver.

« Très bien, on a bien d’autres choses à discuter de toute façon. »

Oui, parce que parler de nos mecs, ça va trente secondes, mais ni lui, ni moi ne faisons partie de ces gens dont toute la vie tourne autour de ça. J’peux lui parler du dernier môme qu’est venue me voir avec ses yeux de biches et qui s’est révélé être un métamorphe, c’est pas souvent qu’on en croise des comme lui et il se retrouve seul, sa famille décimé dans la forêt … Je rigole lorsqu’il me ramène tout de même à notre sujet du moment et cette fois-ci, c’est Matt qui se fait assaisonner.

« Non, mais je l’aime bien ma grande tige et puis son hôtel … je crois que c’est un fait, je m’y habituerais jamais. »

Je peux pas, c’est viscéral. C’est trop grand, trop organisé et pleins de contrainte. On peut pas franchir un couloir sans se prendre des regards ou sourire de ses employés dès qu’on descend dans les étages.

« Après, je compte pas y emménager, donc ça me va. Ça a dû te faire bizarre quand t’as repris l’appartement de ton paternel aussi. Ben dis toi que c’est fois mille. Et encore, t’avais la bonne excuse de vouloir le confort pour Elaine. »

Parce que le jour où j’suis sortie de tôle pour qu’il me présente son palace, j’ai bien cru qu’il me faisait une blague quand même. Déjà rien que le hall, j’me suis dit que c’était louche. Ce que je retiens de l’instant présent, c’est que Nath a retrouvé le sourire et j’pense que c’est bien là tout ce qui compte, même si connaissant le coco, il a encore tout qui pète dans sa tête à l’intérieur. Mais comme il dit, il faut qu’il décante s’il veut pas que sa magie aussi se mette à lui faire défaut. D’ailleurs, j’suis surpris que ça ait pas pété … j’devrais checker si là où il a récupéré son mec y’a pas eu un accident inexplicable … Va savoir.

« Pfff »

Il se tourne vers moi et prend une mine offusquée. Je lève les yeux au ciel. Il me prend pour une quiche !

« Nan, mais nan, t’aimes totalement te saborder arrête de te voiler la face. T’as le syndrome du mec qui croit qu’il a pas le droit au bonheur et c’est pas à moi que tu feras gober l’inverse. »

J’enfonce mes mains dans mes poches.

« J’dis pas que j’ai pas aussi un peu le même genre de problème hein ! Mais j’me soigne et la prison ça a été un bon vaccin si tu veux tout savoir … enfin, j’te souhaite jamais d’y faire un séjour aussi long. »

Ni même tout court, mais le brun devient tellement sage, ça fait une paye qu’il a même pas été en garde à vue et j’me demande d’ailleurs si c’est pas un peu le fait de son mec quand même.

Ma main se pose sur son épaule alors qu'on se met d'accord sur plusieurs points. Plus causer de Dante aujourd'hui (notez que j'me connais, c'est moi qui vais refoutre ça sur le tapie), son mec est une grande perche et son hôtel, pas notre style de vie.

"J'essaye au max d'oublier que c'était le sien. Mais merci de me le rappeler." Je le charrie bien sur, et je pense que ça se voit aisément. "Faut dire que dans mon ancien appart, l'eau potable c'était celle qui passait à travers le toit et fallait pas causer de chauffage. Nous on s'en passe, mais j'crois que j'comprends que Claire était pas chaude de laisser Elaine là-dedans. Nan, y a qu'un truc dont j'me passerai plus aujourd'hui, c'est les douches chaudes.  Si y a bien un confort que j'apprécie, c'est cui-là."

Fin chaudes, c'est relatif, j'tourne jamais le mitigeur à plus de la moitié de la jauge. Pour le reste, je dors à coté d'un glaçon et jamais aussi bien dans le lit que sur le canapé, alors chauffage et matelas potable, j'saurai m'en passer. Et pourtant j'ai tendance à être frileux, mais quand on tourne pas le thermostat à 25 tout l'hiver, on se les pèle un peu moins de sortir par -10. Ca s'appelle de la logique, y a dix degrés de différence en moins quand fait 15 dans l'appart...

Bon, apparemment, il est pas convaincu par le fait que je cherche pas la merde mais j'me contente de la trouver sur ma route. En témoigne le soupir à peine exagéré qu'il m'offre en réponse. Je me retourne vers lui en croisant les bras, lui offrant la possibilité de détailler. De toute façon, il va le faire quand même que je le veuille ou non, alors...

"Peut-être. Peut-être qu'à chaque fois que j'ai essayé d'y croire j'ai pris des tôles, alors maintenant je garde un œil sur ce qui peut m'arriver dessus quand j'essaye d'y croire. On peut difficilement m'en vouloir. Trouves moi un seul truc de bien qui me soit arrivé par le passé qui ait pas été suivi par une tuile. Rien qu'un."

A vrai dire, j'aurai du dire deux. Parce que un, je sais qu'il va le trouver. Notre rencontre. J'ose penser qu'il m'a littéralement sauvé la vie quand j'étais gosse, et qu'ensuite, il a toujours été là quand j'partais en vrille. Même quand il me jurait haut et fort que j'pouvais me foutre en l'air, il s'en foutait comme d'une guigne, histoire que j'pige à quel point j'avais merdé. Le problème quand on merde, c'est qu'on s'en rend pas compte dans l'immédiat. C'est après, qu'on ouvre les yeux. Des yeux que je pose sur les cicatrices à mon poignet en y repensant. Faut savoir qu'elles y sont, mais moi j'le sais. Lui aussi. Et ouais, quand on est pas foutu de se foutre en l'air par overdose, on tente d'autres conneries. Et j'ai toujours eu un instinct de survie trop développé pour me foutre sous un train.

"T'es pas cui d'nous deux qui méritait d'finir en cabane, d'ailleurs. T'as manqué au quartier. Et les commerçants du coin ont tous eu l'impression d'avoir enfin appris à compter leur caisse le soir sans tes trucages de billets."

Si moi j'suis capable de le voir quand il entourloupe son monde avec ça? Du tout. M'est avis que la caisse est pas toujours bonne au bar quand il se ramène. Enfin, j'ai pas entendu Luther râler encore, alors il a du m'épargner les grosses différences de coupures.

De rien, de rien. Je suis en première loge pour savoir quel immonde batard son père a été envers lui, mais sans vouloir ramener cela sur le tapis, je saurais pas bien comment dénommer autrement ce lègue d’appart’ qu’il lui a fait. Enfin, cela dit, si j’ai bien tout compris à l’affaire, c’est plutôt le frangin qui lui a cédé du coup.

« Oui, bah j’l’ai pas beaucoup vu celui-là, mais vu tes précédents « appart », je te crois sur parole que celui juste avant était pas ouf pour accueillir la petite. »

Je retiens pas un p’tit rire moqueur à l’entendre me parler de douches chaudes. C’est qu’il devient civilisé le Nath ! Alors oui, c’est un luxe qui manque réellement au mec de la rue à tous les niveaux, réussir à maintenir un minimum d’hygiène, c’est plus que la croix et la bannière et ça me viendrait même pas à l’idée de me présenter devant Elaine sans avoir pu me rafraîchir un coup avant. Je veux bien concevoir que pour sa fille, il est refait de pouvoir être clean tous les jours de sa vie sans avoir à se poser de question. Moi ? Entre Matt, ma débrouillardise et mes squats chez le brun, je trouve aussi amplement de quoi être satisfait. Ce n’est pas le cas de tous les gamins que je croise et j’aimerais pouvoir leur dire qu’un jour ils arriveront à s’en sortir … Mais on ne sait jamais et y’en a bien assez qu’on pas tenu face à cette vie.

« Rien qu’un ? Déjà, moi j’estime que j’suis heureux de t’avoir rencontré et ta eu ta fille. Bon, ton frère me fait toujours tiquer, mais j’ai l’impression qu’il est pas si horrible. Luther il te prend clairement pour son gosse et ok, aujourd’hui, c’est la merde. Mais ton mec … fait bien la cuisine … »

Ok, c’est pas exactement que des exemples sans qu’il y ait une tuile, mais j’enchaîne.

« Les tuiles ça arrive et tu te ferais bien chier si tout était rose et mignon, donc ta fille toujours là, ton taf toujours là, ton frère toujours là et moi aussi. Les tuiles, t’as survécu j’pense que c’est pas le fait qu’on t’ai mis un genou à terre qui va t’arrêter. T’es bien plus fort que ça. »

Oh, mais c’est qu’il me chauffe à vouloir voir que le négatif. Je lui tapote l’épaule et lui adresse un sourire franc.

« Si c’était qu’une question de mérite ou non d’être en cabane … ça se saurait et comme toi, j’m’en suis sorti. La suite on verra bien, mais je me fais pas de bile. »

Quant aux commerçants, ils vont avoir tout le loisir de péter rapidement un câble à nouveau à force de continuer mes tours de passe-passe de faux billets. Les illusions, contrairement aux vrais faux billets, c’est indécelable ! Dans tous les cas, c’est pas moi qui vais culpabiliser de dérober de la nourriture de la sorte surtout que je sais toujours en faire profiter aussi les plus démunis que moi.

« D’ailleurs en parlant de commerce, t’as envie de manger où ce soir ? »

Franchement, j’me sens même d’humeur à lui proposer un resto. Y’a un p’tit chinois qui paye pas de mine et je pense avoir officiellement presque de quoi le payer sans trop l’arnaquer.

« Chinois ? »

Mon sourire ne trompe pas, j’en ai envie et il sait que j’suis pire qu’une femme enceinte quand j’ai envie de bouffer un truc en particulier. Heureusement que j’ai jamais eu de goûts de luxe, c’est souvent hot dog, chinois ou street food en tout genre.

"Mes précédents apparts c'était des squats à peine mieux installés que la pile de cartons qui nous servait de lit quand on avait quinze ans alors quand on y pense, me paraissait luxueux cet appart au début... même si le quartier était un coupe gorge sans nom."

Fin vu qu'à cette époque, je dormais plus fréquemment sur le trottoir que sous un toit, même squatté, ce coupe-gorge sans nom m'allait très bien.

"Mon mec fait bien la cuisine? C'est vraiment le seul truc positif que t'as noté chez lui? C'est que ma cuisine à moi doit vraiment être horrible alors!"

Oui bon d'accord, je suis plus adepte de la tranche de jambon sous cellophane et des pates à faire réchauffer au micro-ondes, quand on va pas simplement se commander des tacos à la baraque à frites du coin. Mais j'suis encore capable de me faire cuire un steak... je crois. D'accord, Dante cuisine trop bien pour mon régime, soyons honnêtes.

"Nan, j'suis pas fort. J'survis. Comme j'ai toujours appris à le faire."

J'joue au mec pour qui tout baigne, et la plupart des gens sont trop occupés à regarder dans leur propre direction pour se rendre compte que c'est qu'une façade que je leur offre. Ce qui me va bien faut dire, mes emmerdes regardent pas la moitié de la ville. Mais pas Shawn, lui il a toujours su regarder vers les autres avant de regarder vers lui-même, alors bien sur que mon coté sombre, il le connait par cœur. Je lui offre un sourire tout en glissant la main sur celle qu'il a porté à mon épaule.

"Va pour un chinois. C'toi qui paye, j'ai pas un rond sur moi."

D'accord, j'dis ça l'air de dire que c'est officiellement à lui de payer quand on se fait une bouffe, mais en général c'est assez à tours de rôle quand même entre nous... même s'il doit avoir quelques tours d'avance, pour être totalement honnête.

Je hausse les épaules. Dante, j’ai pas eu le loisir de me poser la question de ces bons côtés compte tenu que les mauvais m’ont un peu sauté aux yeux violemment. Il a sans doute des qualités, mais j’laisse Nath et Elaine faire la liste. Et non, je me permettrai pas de juger de la cuisine du barman en comparaison à la mienne, il gagne haut la main. De toute façon, tant que tu sais faire bouillir de l’eau et ouvrir un paquet de jambon, je vois pas bien l’intérêt de savoir faire des choses extraordinaires surtout quand on a pas de cuisine où y préparer.

« pff »

Je lui donne une tapette à l’arrière de la tête et avance au-devant pour nous guider jusqu’au p’tit boui-boui sympa du coin.

« T’as aucune honte à faire payer un SDF ! »

Okok, j’suis totalement en train de me marrer en même temps parce qu’j’peux pas dire que je me ruine littéralement en arnaquant les commerçants, mais c’est pas non plus mon plus grand plaisir. C’est juste qu’entre manger bien de temps en temps et pas non plus tomber dans des excès où je risque de mettre dans la panade les commerçants, y’a quand même une balance à respecter.

Je pousse la porte du petit resto et laisse Nath franchir le pas en premier. Rien que de sentir toutes ces bonnes choses et j’suis déjà en train de saliver.

« Bon allez ! Maintenant tu te détends et tu remplis ta panse au même rythme que tu vides ta tête ! »

J’ébouriffe sa tignasse et le pousse vers une table. On va pas remettre sur la table tout ce qui le travail et j’serais pas contre qu’il retrouve un semblant de bien être avant que j’le lâche pour aujourd’hui. J’aime pas qu’il reste à cogiter tout et rien à la fois.

Je prends une tape derrière les oreilles quand je lui annonce que c'est à lui de payer la bouffe, principalement parce que j'ai pas une tune sur moi, ce qui est tout sauf un mensonge. La mauvaise idée de changer de veste, et pas changer le portefeuille de poche. Bref.

"Aucune nope. Pas quand le SDF gagne mieux sa croute que moi. La rue c'est ton palais frangin, à ta manière, t'es plus riche qu'un paquet de types de ma connaissance, et pas que parce que tu peux faire apparaitre des biftons du ciel."

Je lui rends sa tape, mais sur l'épaule, avant de le suivre jusqu'au resto dans lequel on compte se rendre. Il me tient la porte et je passe devant lui, lui adressant, en toute plaisanterie, un regard comme deux amis ne devraient pas s'en jeter. Juste pour le plaisir de mettre mal à l'aise ceux qui s'intéresseraient de trop près à notre arrivée. Et si ça suffisait pas, sa main dans mes cheveux achève certainement le tableau. Comment j'ai pu survivre cinq ans sans l'avoir dans les parages déjà? On s'installe à une table alors que je ris tant de la situation que de ses paroles.

"Me détendre, me remplir la panse et me vider la tête... Tu sais depuis quand j'ai pas réussi à faire les trois à la fois?"

Et c'est entièrement ma faute, je sais, parce que j'ai si souvent touché le fond dans ma vie, qu'à chaque fois que j'ai l'occasion de mettre sa suggestion en pratique, je guette la chute, ce qui ne m'aide franchement pas à en profiter.

"Plus sérieusement, tu me passes le menu ou tu comptes commander pour moi?"

Comme si ça serait un drame en vérité... si y en a bien un qui connait mes gouts, j'l'ai en face de moi.