Même après avoir vu ce qui se passe, Amélie préfère rester à Chicago. Il y a encore la librairie qu’elle aime tant, et ses amis avec qui elle se sent à l’aise. Il y a aussi ce côté magique, plus fort qu’il ne l’était à Los Angeles lors de son enfance. Mais avant, ce côté magique était caché de ceux qui ne le connaissait pas. Maintenant, tout le monde pouvait le voir. Et même si elle veut rester à Chicago, au fond elle comprend pourquoi son frère veut qu’elle en parte.

La méfiance règne à Chicago. Les habitants se demandent ce que pourrait être le collègue qu’ils côtoient au boulot, le voisin qu’ils saluent en rentrant chez eux, le colocataire avec qui ils vivent… Ils ne savent même pas quelles créatures surnaturelles ils croisent tous les jours sans s’en rendre compte. L’ambiance est donc tordue. Avant, les clients tendaient à sourire aux libraires et avaient de l’aisance à dire ce qu’ils voulaient. Enfin, quand ils ne trouvaient pas normal de traiter les libraires comme leurs esclaves. Maintenant, les clients avaient moins d’aisance à dire aux libraires ce qu’ils voulaient, ils souriaient moins, et ils les regardaient d’un air anxieux ou méfiant. Les libraires continuent à sourire, mais ce n’est plus le même sourire. Certes, avant leur sourire pouvait être forcé, mais cela pouvait être parce qu’ils s’adressent à des clients désagréables, parce qu’ils traversaient une mauvaise période, ou simplement parce qu’ils n’avaient pas le moral. Sinon, ils faisaient aisément un sourire naturel. Maintenant, le sourire des libraires est toujours crispé et forcé.

En général, à cette heure du soir, les clients se font plus rares. Vu l’ambiance actuelle, ce détail s’est encore plus accentué. Donc quand un simple client franchit les portes, les libraires n’étant pas occupés le remarquent. Amélie est un peu fatiguée. C’est souvent le cas à cette heure, et l’angoisse n’y aide pas, mais elle va aller aider cet homme du mieux qu’elle peut.

Elle fait son possible pour faire un sourire chaleureux, même si elle n’est pas sûre du résultat. Plus elle s’approche de lui, plus sa tête brune lui dit quelque chose.

- Bonsoir, monsieur.

Elle allait lui demander ce qu’il voulait, comme elle le fait souvent pour plus facilement lire les souhaits du client dans sa tête. Mais ce sentiment de familiarité l’empêche de se concentrer. Elle pensait que c’est une coïncidence et essayait de ne pas y prêter attention, mais cette impression n’a fait qu’augmenter. Elle en est maintenant certaine, elle doit l’avoir vu quelque part. Le fait que ça la déconcentre autant la trouble. En temps normal ce genre de choses ne la distrait pas si aisément. Peut-être qu’elle est trop fatiguée, en ce moment.

- J’ai l’impression de vous avoir vu quelque part…

Des mois plus tôt c’était Eliott qui lui avait dit quelque chose de similaire en tant que client. L’ironie du sort devient marrante.

D’un coup, elle comprend enfin qui il est. En fait c’est très évident, mais son cerveau semble fonctionner au ralenti. Elle fait comme si ça ne l’embarrassait pas.

- Ah oui, vous êtes Gabriel Bluenote. Enchantée de vous connaître. Qu’est-ce qui vous amène ici ?

Et elle commence à lire dans ses pensées. Les raisons de sa venue l’intriguent, elle n’est pas certaine qu’il soit venu juste pour acheter un livre.

Debout devant le comptoir d’information, mon regard croise une horloge, mais je n’ai pas le temps d’y faire attention qu’une voix féminine s'élève. Je lui souris tranquillement sur l’affirmation qu’elle m'a peut-être déjà vue quelque part. C’est souvent l’impression que j’ai sur les gens. A ma défense, cela fait un moment que je suis de retour en ville.

-Il est fort probable, oui..

Mon un mètre quatre vingt cinq, ne passe pas inaperçu que je me dit, elle semble chercher un détail sur ma personne, je me suis légèrement redressé à l’énonciation de m’avoir déjà aperçu. Je me questionne à mon tour, pour me demander si je l’ai déjà croisé. Je croise littéralement trop de gens pour tous les retenir. Il y a une chose dont je suis sûr, c’est de n'avoir jamais mis les pieds dans cette boutique. Le fait qu’elle nomme mon nom aussi aisément, me surprend, nous nous connaissons donc?

-En effet.. Mais… Comment connaissez vous mon nom? Nous nous sommes déjà rencontré?

Laissons ma recherche de côté, cela ne presse pas. Serait-elle déjà venue à l’une de mes entreprises? Peut-être, il y en n’a dans chaque continent. Avec plusieurs filières rattachées, d’imprimerie, d’édition, café, librairie, papeterie, ect.

Gabriel semble s’étonner du fait qu’elle le nomme aussi aisément, ce qui la surprend à son tour. Elle pensait que ce serait anodin pour lui. Est-elle à côté de la plaque sur quelque chose ?

« Il me semble avoir vu votre tête dans une photo. »

Il est aussi possible qu’elle l’ait réellement vu quelque part sans s’en rappeler. Elle n’en serait pas étonnée, vu que ses neurones se reposent aux Antilles. Mais elle n’a pas envie de s’étendre là-dessus. Elle doit déjà rassembler son énergie pour parler aux clients et leur sourire, elle préfèrerait aller le plus vite possible.

« Peu importe… En quoi puis-je vous aider, monsieur ? »

Vu sa fatigue, elle n'est pas totalement sûre d'arriver à lire grand-chose par télépathie. Elle espère y parvenir, mais au pire, elle pourrait lui demander des clarifications.

Ce n'est pas tous les jours que je me fait reconnaître de la sorte, habituellement cela prend un moment avant que la personne en face de moi mette un nom sur ma personne. Cela m'épate encore et toujours lorsque que cela est fait du premier coup d'œil.

-Fort possible, un média quelconque j'imagine?

Ou bien d'un de mes bouquins de chez: Les éditions BlueNote là où j'ai publié certains ouvrages et de là d'où j'arrive également. Je redécouvre le quartier tranquillement, il a légèrement changé durant mon absence, je dois me familiariser de nouveau avec ce qui m'entoure. Comme cette librairie qui semble toute récente, un délice.

-En fait c'est plutôt la curiosité qui m'amène, es ce que vous avez quelque bouquin des éditions BlueNote?

Etrangement, je n’en ressent pas la magie qu’ils émanent habituellement à moins qu’il en ait très peu ou voir pas du tout.

Amélie arrive à peine à lire dans les pensées de M. Bluenote, elle en saisit juste des épars. Même s’il a peut-être un moyen de contrer sa télépathie, sa fatigue semble beaucoup y contribuer. Heureusement pour elle, la demande de son interlocuteur est claire. Il est juste curieux de savoir s’il y a des livres de sa maison d’édition.

« Je vais le vérifier. »

Elle regarde l’ordinateur du comptoir. Après avoir un peu baissé la luminosité de son écran de recherche, elle sélectionne le filtre « éditeur » et écrit BlueNote sur la barre de recherche.

« Il y a des livres d’édition BlueNote. Par exemple, on a Par le fer : La Légende de Kerowyn écrit par Mercedes Lackey. On a aussi deux tomes de la série littéraire Six of Crows et cinq tomes de Night World. »

Sentant un bâillement venir, elle met son bras devant sa bouche et essaie de bâiller d’une manière discrète. Quand elle a fini, elle regarde le brun.

« Vous cherchez un livre en particulier ? »

Quand il lui dit qu’elle est l’une des rares qu’il croise et qui tiennent en boutique, elle sourit et l’en remercie. Quelque part elle en est rassurée. Malgré sa grosse fatigue, malgré ses neurones en vacances, elle n’était pas devenue une bille à son boulot.

Il demande s’il y a des livres écrits par G.U.Bluenote. Basiquement, son nom de plume. Elle vérifie ça.

« Oui, il y en a, notamment Cheval Noir. Si vous voulez, je peux vous réserver un livre en particulier. »

Plus ça va, plus elle est curieuse de la raison de la venue de Gabriel ici. Elle sent qu’il y cherche quelque chose sans le lui dire, et ça commence à l’intriguer. Elle souhaite alors le découvrir, même si cela implique de fouiller le dépotoir des pensées de cet homme malgré sa forte fatigue. Donc quand il lui demande où sont les livres évoqués précédemment, elle se dit que c’est un bon moment pour essayer de le comprendre.

« Je vais vous les montrer, monsieur. »

Sentant un bâillement arriver, elle met sa main devant sa bouche et essaie de le faire sortir le plus discrètement possible. Puis elle se lève, va vers les rayons où sont ces livres et les lui montre. Tout en faisant cela, elle essaie tant bien que mal de lire les pensées de ce brun.

Vous avez déjà essayé de chercher quelque chose dont vous avez juste une idée vague, dans une salle tout en désordre ? De plus avec une grosse fatigue ? C’est à peu près ce qui se passe pour Amélie dans la tête de Gabriel. Apparemment il cherche une sorte de magie, mais elle a du mal à comprendre de quoi elle en retourne.

Tout en essayant de lire dans les pensées de Gabriel, elle essaie de se concentrer sur l’instant présent. Ainsi, elle entend la question de son interlocuteur et fait son possible pour y répondre.

« J’aime bien, parfois, sentir l’odeur des feuilles fraîchement imprimées. Et l’odeur des livres anciens, aussi. Dans les brocantes, je tends à regarder ces livres. Les pages anciennes qui tournent, les mots qui volent, l’odeur qui se diffuse… »

Se rendant compte qu’elle se déconcentre, elle essaie de revenir à la réalité.

« Enfin, bref. J’aime bien. Et vous, monsieur ? »

Et elle essaie à la fois d’écouter sa réponse et de fouiller tant bien que mal dans sa tête.

« Oui, les dictionnaires sont intéressants. J’aime bien lire un mot et sa définition dans une page au hasard. »

Il ne semble pas avoir trouvé ce qu’il cherchait. De son côté, Amélie a encore du mal à comprendre ce qu’il voulait trouver. Elle sait que c’est en lien avec la magie et ses livres, mais à part ça…

« Je me demandais, vous cherchez quelque chose en particulier, dans vos livres ? »

-Et cela vous permet d'apprendre un mot de temps en temps qui plus est… C'est une belle idée…

Non, non, je ne me moque pas de ceux qui désire s'instruire, il m'arrive encore de chercher quelque mots dans le dictionnaire ou de faire la même chose. Avant de ranger le bouquin dans le rayon, j'attrape ma plume.

-En quelque sorte, oui.. Mais je ne saurais dire quoi exactement sans passer pour un désaxé.. Bien que je le sois déjà pour certains En même temps, non, mais cela me laisse l'occasion d'en signer un exemplaire…

J’ouvre la couverture sur mes paroles et en joignant le geste. En y apposant une sorte d'autographes: Que ce livre vous amène dans le pays de l’imaginaire en apaisant vos tourments. G.U.Bluenote. Ce livre sera choisi comme une baguette choisit son sorcier grace a l’encre que possède ma plume, encre que j’ai créé et insufflé un peu de magie. Une personne qui souhaite s'évader pour mieux reprendre par la suite à tête reposée suite a un peu de lecture. Ensuite, je range le livre que je tiens entre mes mains dans le rayon d'où il vient. Plus ou moins satisfait de ce que j’ai retrouvé.

-Interdit de le vendre plus cher à cause de ma signature…

« Je connais d’autres désaxés, vous savez », dit Amélie avec un sourire taquin.

Ce que Gabriel fait par la suite, elle s’y attendait à moitié. Avec sa télépathie, elle se doutait qu’il allait le faire, mais cela reste un geste surprenant en soi. Après avoir dédicacé de sa propre plume un livre à son nom, Gabriel le range à son rayon d’origine, lui interdisant de vendre le livre plus cher.

« D’accord… Merci, monsieur. »

Il va partir… Il fouillait dans ses livres, et elle n’a toujours pas compris ce qu’il y cherchait. Elle n'arrive à rien trouver dans le débarras qu'est l'esprit de Gabriel, et elle a l'impression que sa fatigue y joue. Essayant de contenir sa frustration, elle va devant lui et lui demande :

« Monsieur… Puis-je aller vous voir, quelque part ? »