Fantasmagorie [Nath, Silas & Sylvana]

Ni Dante ni moi n'avons besoin de dormir à présent, mais soyons honnêtes, trainer au lit à coté de lui, c'est un truc dont je ne saurai pas me passer. Même si on pourrait appeler ça du temps perdu, vu que le sommeil, bah, en fait, j'sais plus faire.
Du coup, Dante se retrouve à s'occuper de ses papiers sur le lit, pendant que je "dors" à coté de lui, profitant surtout de sa présence, de son odeur, du bruit régulier du papier qu'il froisse quand il tourne les pages ou encore du stylo qui parcourt les feuilles. Ok, disons le clairement, rien qu'avec mon ouïe, j'arrive à suivre chacun de ses mouvements, et si ça me donne un peu beaucoup l'impression de l'épier, je ne sais surtout pas faire autrement.

"Tu te rappelles que tu n'as plus besoin de dormir?"

Je me redresse sur un bras, sortant le nez de son tee-shirt et retirant le bras que j'avais passé par dessus sa ceinture (une position qui devait être pratique pour lui avec ses dossiers, maintenant que j'y pense) pour mieux lui voler un baiser et terminer le mouvement en m'asseyant finalement contre lui. J'en profite pour lui chiper une feuille sur laquelle je parcours (d'accord, survole) rapidement un compte rendu qui donnerait la nausée à un tueur en série, feuille que je repose rapidement dans le coup.

"Je crois que je comprendrais jamais comment tu peux supporter ça."

J'veux dire, je sais qu'il a pas eu une vie facile avant de devenir vampire, et que si j'peux dire que j'suis pas à mon premier cadavre (d'un coté, dans les rues de Chicago... la réputation de la ville n'est pas franchement surfaite), j'dois être loin de son compte à lui. Et pourtant, j'me dit qu'on doit pas être si différents sur notre envie de gerber quand on en voit un. Suffit de le regarder veiller sur ses plantes ou simplement laisser les lumières de la ville se refléter dans ses yeux quand il cherche les étoiles pour comprendre que le coté morbide tant de son travail que de son existence même de vampire, c'est loin d'être la part principale de ce qu'il est. Je glisse une main sur sa cuisse avant de déposer un baiser sur sa joue et me relever du lit.

"Bon allé, j'te laisse finir. Moi j'vais faire un tour. J'te ramène un truc?"

Si j'pousserai le vice jusqu'à lui faire une liste de groupes sanguins parmi lesquels choisir? Je crois que j'suis pas encore prêt pour ce genre d'humour. En attendant, je file avant de vraiment réussir à le déconcentrer de son travail, et permettez moi de me vanter d'être plutôt doué en la matière. Autant qu'il l'est en retour. Même si, après avoir apprécié la fraicheur de sa peau l'été et maudit sa froideur l'hiver, j'ai un peu de mal avec le fait de le trouver tempéré à présent. Là où les gens sursautent face aux doigts glacés des vampires, moi je sursauterai presque de ne plus les trouver glacés, étant donné ma récente baisse de température corporelle.

Deux bébés vampires en moins de quinze jours.  Y a pas à dire, Dante sait se mettre dans les ennuis jusqu'au cou. Non pas qu'il le fasse souvent, mais quand il le fait, il fait rarement semblant. Bref, loin de moi l'idée de me moquer, parce que pour être totalement transparent, je ne souhaiterai pas me retrouver à sa place. Entre une qui ne compte apparemment pas l'avoir dans sa vie, et un qui ne compte apparemment pas se détacher de lui parce qu'il a besoin du contrôle qu'il exerce sur lui pour ne pas partir en vrille... tout ça pour dire qu'en bon copain que je suis, je n'ai pas pu m'empêcher de proposer mon aide, même si ma propre famille est un peu en bordel ces derniers temps entre le retour inespéré de Gwen et les absences trop fréquentes (non je ne parlerai pas de départs, même si ça y ressemble bigrement) de Adé et Tom. Je crois que m'occuper des emmerdes des autres m'évite de penser aux miennes.

Bref, je suis installé dans ma voiture garée sur Michigan Avenue, occupé à confirmer mes doutes sur le suspect de l'une de nos affaires quand mon regard s'arrête sur une figure bien connue installée à la terrasse du bar de l'autre coté de l'avenue. J'ai joué à ce jeu suffisamment longtemps pour repérer un vampire en chasse quand j'en vois un, même si lui-même ne doit pas avoir conscience d'être si facile à lire en ce moment. Ni lui, ni les humains autour de lui, mais si chez les animaux, les proies savent définir à l'attitude du prédateur si il est une menace ou non, il est clair que c'est un instinct que les humains ont perdu depuis longtemps. J'observe le manège de l'ex-sorcier ayant récemment rejoint nos rangs en remarquant que si nos méthodes divergent (à savoir? Je crois qu'il est clair que je suis assez pathétique face au genre féminin, ma prestation déplorable avec Inaya m'en soit témoin, alors ne parlons même pas de faire du charme à un autre homme), le but reste le même. Isoler l'animal traqué de son troupeau. Et il y parvient à merveille, si vous voulez mon avis. Si je ne les connaissais pas, j'aurai un sacré rapport à faire à Dante, mais si ce maudit barman est passé maitre dans l'art de se faire payer des tournées simplement avec de belles paroles et son attitude générale, je sais aussi que celui ou celle qui se mettra entre Dante et lui n'est pas encore né. Bref, avec ce genre de réflexion, je l'ai perdu de vue juste assez longtemps pour qu'il s'éloigne avec sa proie désignée, et je finis par sortir de ma voiture pour aller y voir de plus près. Des fois, je me dit que je devrais ajouter "baby-sitter" à mon CV, entre son mec et lui.

Mon instinct me conduit jusqu'à la première ruelle obscure que l'on peut rejoindre à partir du bar, et mes sens font le reste comme je peux entendre les battements de cœur affolés de l'homme alors que les crocs de Nathan sont enfoncés dans sa carotide. Je lui laisse trente secondes d'amusement supplémentaires, montre en main, avant de décider que je n'ai pas envie d'enterrer de cadavre ce soir et aller mettre un terme à la petite sauterie d'une main se posant sur l'épaule du vampire.

"T'as assez bu pour ce soir. Tu voudrais pas avoir à creuser une tombe dans l'asphalte après ça."

Si j'en suis capable, de lui faire creuser l'asphalte? Qu'il me mette au défi pour voir. Si il se montre sage, il aura peut-être droit à une pelle pour l'aider. Enfin, se montrer sage, c'est s'il ne s'amuse pas à me grogner dessus comme il le fait, et avant que j'y ai réfléchi, il se prend une baigne de ma part en passant.

"Retourne auprès de ton créateur. Et laisse-moi gérer le bordel que t'as foutu ici. Allé dégage!"

A mon tour de lui montrer les canines, laissant le prédateur remonter à la surface juste assez pour être clair sur la hiérarchie qui existe entre nous. J'ai beau n'être qu'un gamin aux yeux de la plupart des vampires de la ville, celui-là aligne trois décennies et deux générations de moins que moi, et si ça peut lui éviter de commettre des atrocités qu'il regrettera ad vitam aeternam, je ne vais pas me prier de le lui rappeler.

Si un regard pouvait tuer... je crois qu'il m'aurait vidé le chargeur en pleine tête, mais il finit par s'éloigner, et j'espère que ce n'est pas en quête de son prochain repas. Je ne peux pas encore être à deux endroits à la fois, et ma priorité du moment est davantage l'homme qui se vide de son sang au sol que celui qui se tire.

"Putain de..."

J'ai pas l'injure facile, mais bordel, il pourrait apprendre à mordre proprement. Je retire mon foulard de mon cou pour en faire un bouchon que j'utilise pour appuyer sur sa plaie, devant cependant me battre avec moi-même pour garder le contrôle alors même que l'odeur du sang chaud attire le prédateur en moi comme un aimant. Je suis pas doué pour jouer les samaritains, et ce n'est pas de sentir le flux s'estomper qui va m'aider alors que par la même occasion, je sens que j'en ai les mains couvertes.

Ce qui parvient à me sortir de ma torpeur? Les lumières bleu électrique qui vont et viennent au coin de mon regard, et celle, bien plus vive, d'une lampe torche bientôt braquée dans ma direction. Super, voilà la cavalerie. Et si je n'aurai en vérité aucun mal à me défaire de deux gros bras en uniforme se prenant pour des GIs, mon instinct est mis bien trop à fleur de peau ici et maintenant pour que je prenne le risque d'une bagarre rangée. J'ai pas épargné un type ce soir pour en tuer deux autres, aussi je me laisse presque calmement embarquer par l'un tandis que le second daigne enfin appeler du secours. Bon, j'aurai peut-être pas perdu toute ma soirée en fin de compte. Quand à cette interpellation somme toute arbitraire? J'ai mes entrées au commissariat après tout, je devrais pas avoir trop de mal à rétablir la bonne version de l'histoire et en sortir avant que l'aube ne se lève non?

C'est d'un calme... comment un commissariat d'ordinaire mouvementé situé en plein centre-ville d'une ville aussi énorme que Chicago peut être aussi mortellement calme ce soir? C'est pourtant pas Halloween... Bref, je suis arrivé au bout de mon troisi... ah non, c'est le quatrième, crayon machonné d'un bout à l'autre pendant que je perds mon temps à mettre à jour des dossiers qui n'étaient absolument pas importants à mettre à jour, et pour parfaire à mon malheur, Vladimir a décidé d'être de sortie ce soir. On pourrait se dire que youpi, ça me laisse les rênes de la boutique ou presque, mais en vérité, c'est d'un ennui...

Enfin, un peu de bruit! Et autre chose que les éternels bruits de roulettes du babyfoot, ce qui n'est pas pour me déplaire. Des gars qui rentrent de patrouille avec une interpellation, c'est pas le summum de l'intéressant, mais pour ce soir on fera avec. Je boucle mon dernier résumé avant d'avoir perdu le fil et laisse mes sens s'y aventurer jusqu'à ce qu'un sourire enthousiaste me barre le visage. Oh que la soirée va devenir intéressante! Pourquoi? Parce que si ça, c'est pas mon petit frère vampire préféré, je sais pas qui c'est.

Je laisse les agents finir de faire leur boulot et me transmettre les infos qui vont avec avant de laisser mon bureau en plan et descendre dans les geôles retrouver mon nouveau prisonnier préféré.

"Tiens attends Wilkins, met le dans la 4 plutôt. Fais moi plaisir?"

Ce qu'on peut obtenir d'un homme avec le bon battement de cils et le bon air aguicheur, je vous dit pas. Pourquoi la 4 spécifiquement? Parce que j'en avais envie. Je laisse le policier repartir à son service tout en feuilletant l'air de rien le dossier que j'ai dans les mains. Faut le reconnaitre, certains sont plus malins que d'autres pour effacer leurs traces. Même pas une contravention avec le petit bolide qu'il conduit? Si ça c'est pas suspect...

"Alors comme ça, on s'en prend aux gens en pleine rue maintenant?"

L'homme assis sur la banquette de la cellule se relève rapidement pour venir se coller aux barreaux, à quelques centimètres de moi. A dire vrai, si nous étions tous deux en capacité de respirer, sans doute que nos souffles se croiseraient.

"Sylvana. Tu sais aussi bien que moi que là, ça tourne au ridicule."

Un détail que je note sans l'ombre d'un doute, c'est l'odeur du sang sur lui. Mais pas sur ses lèvres, là où on pourrait s'attendre à en trouver après un repas. Sur ses mains. Comme s'il avait tenté d'empêcher un homme de se vider de son sang. Ces bébés vampires sérieusement...

"Qu'est-ce qui tourne au ridicule? Toi dans une cage, et moi qui profite du spectacle? Moi je trouve plutôt cela... intéressant."

Je m'adosse à la grille, le mettant sans mot au défi de m'attaquer à travers les barreaux, tout en utilisant les feuilles que j'ai dans la main comme éventail, avant de tourner légèrement le regard vers lui, toujours si proche de moi. Soyons honnêtes, je dois avoir un souci avec les yeux bleus, parce que y a pas à dire, il a un truc, le jeune. Comme Dmitri? Du tout. Lui, j'adore l'embêter parce qu'il me le rend bien, en plus de faire rager Mina à chaque fois que, de près ou de loin, il ramène un peu de mon odeur sur lui. J'adorerai être une petite souris pour voir ça! Enfin, l'imaginer me va très bien, pour le moment. Non, Silas c'est différent, disons que si j'avais quelques siècles de moins, je pourrai me laisser tenter. Non pas que je sois trop vieille pour ce jeu, jamais, c'est surtout que j'ai d'autres priorités à l'heure actuelle, et hormis m'amuser un peu aux dépens de ces enfants auxquels Vladimir a accordé une partie de son pouvoir... nous dirons que je me suis assagi avec le temps.
Nos regards finissent par se croiser, rien qu'un instant, avant qu'il ne fasse volte-face et s'éloigne dans les quatre mètres carrés de sa cellule.

"Ok, maintenant que t'as bien joué. Laisse moi sortir. Un vampire en prison, c'est pas le meilleur plan sur du long terme, j't'apprends rien de nouveau il me semble."
"Du long terme? Tu devrais tenir jusqu'à l'aube non?"

A son air perplexe, je lui indique le lanterneau au dessus de sa cellule. Non, mon choix n'était pas totalement innocent.

"Me semble que l'aube se lève à l'est. J'dis ça, j'dis rien."

Je recule juste à temps alors que sa main jaillit finalement à travers les barreaux, ce qui n'arrive qu'à me donner davantage encore le sourire s'il le fallait.

"Mais puisque tu le demandes si gentiment, j'te rapporte une couverture."

Mon sourire se fait plus narquois alors que j'approche d'une étagère où je me saisis d'une couverture que je finis par lui tendre, avant de la balancer au sol quand il m'ignore totalement.

"Bon, c'est pas le tout mais j'ai encore du boulot. Appelle si t'as besoin, j'suis là jusqu'à... un peu avant l'aube, t'imagines bien. Si t'es sage on te laissera sortir demain matin."

Je me sauve comme une gamine sous les appels désapprobateurs du vampire qui risque fort de me casser les oreilles une partie de la nuit... J'dois bien avoir un casque à musique dans un tiroir. Ou doit bien y en avoir un qui traine dans un bureau. Plus sérieusement, faut encore que je pense à prendre des nouvelles de l'humain à demi mort qui était avec lui. Si il y passe, ça va vraiment être le boxon pour le faire sortir, notre bébé vampire... l'aube c'est peut-être pas un mauvais plan en fait.