Soirée entre mecs

Silas & Lyra

Soirée entre mecs

Ce soir, je prend une journée de repos. Pourquoi? Parce que je suis mon propre patron, et je fais encore ce que j'ai envie de faire. Pour être honnête, j'ai bien avancé sur mes dossiers aujourd'hui, entre études de dossiers, coups de téléphones et autres mails aussi bien envoyés que reçus, et j'ai donc décidé d'offrir ma soirée à Tomas, mon protégé, le gamin qui est comme un fils pour moi depuis huit années, et que j'ai plus que négligé ces derniers temps. Je sais ce qu'il répondrait à cela. Il n'a plus dix ans, et est capable de se faire à manger tout seul, mais il n'empêche que je ne supporte pas de les négliger, Lyra et lui. Donc, cette soirée est la sienne. Tant qu'il a la bonne idée d'attendre que le soleil ne se couche avant de me demander de le suivre dehors. Et si je me permet présentement d'être installé à la fenêtre, occupé à lire, alors qu'il ne fait pas encore nuit, je le dois surtout aux carreaux anti-UV qui m'ont couté une blinde à faire installer dans l'appart. Plus qu'à attendre que le gamin ne rentre des cours. Mais j'ai le temps. Quand on a l'éternité devant soi, et que nos journées durent 24heures au lieu de 16, comptant les heures de sommeil dont je n'ai plus le loisir de profiter, on apprend à relativiser une attente d'une heure. Parce que non, je n'ai pas dormi depuis 32ans, bien que les draps pliés au pied du canapé soient là pour donner le change. Au moins, quand je ne travaille pas de nuit. C'est plus simple en journée, je peux très bien prétendre avoir dormi pendant que Tom était en cours et Lyra au boulot. Bref, j'arrive au dernier chapitre de mon roman, et si je pouvais éviter d'en entamer un nouveau pour cinq pages, ça m'arrangerait. Il est quelle heure là?

Silas & Lyra

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Tomas a beau avoir le pas aussi léger qu'un renard, il reste loin de m'arriver à la cheville. Je l'entends sans souci aucun marcher dans le couloir avant qu'il ne franchisse la porte de l'appartement, le bruit de son sac heurtant le sol me vrillant une seconde les oreilles, habitué que j'étais au calme qui dominait la pièce depuis ce matin. Il s'installe sans cérémonie sur le canapé, et je lui jette un regard en coin alors qu'il se relève, combattant la fatigue pour se trainer jusqu'au congel. Passant à coté de moi, il m’ébouriffe les cheveux et je chasse sa main comme je chasserais un mouche, davantage amusé que vexé de son geste, dont j'ai trop l'habitude. Je termine la dernière ligne de mon roman avant de fermer le livre et me lever.

"J'ai eu le temps de faire ce que j'avais à faire entre deux siestes.

Je me rapproche de lui, glissant une main dans ses cheveux par dessus le canapé pour me diriger vers la bibliothèque, où je range le livre à sa place. Note à moi-même, m'en racheter quelques uns. J'ai trop de temps à tuer dans une journée apparemment.

"T'as reçu ça ce matin. Remercie moi de bosser à domicile en journée. C'est bien ce que tu voulais?"

Je reviens vers lui, débarrassant le canapé de l'oreiller et du drap pas franchement déplié aujourd'hui qui me servent à prétendre dormir quand mosieur Tom ici présent décide de se lever en pleine nuit pour vider le frigo, pour aller les poser sur le rebord de la fenêtre où je me trouvais précédemment. Et finir par m'installer à coté de lui sur le canapé.

"Alors ta journée? Ça a été?"

Un truc que j'ai du mal à comprendre. La folie de ce gamin pour les études. Personnellement, j'ai beau être un minimum instruit, et avoir même fait de pas si mauvaises études que ça, ça n'avait quand même rien à voir. D'accord, je parle de ça, c'était y a un demi-siècle, mais je trouve quand même que c'est plus lourd aujourd'hui. Et pas forcément pour être plus poussé.

Silas & Lyra

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Je laisse Tom se serrer contre moi comme le ferait un chat en quête d'attention, glissant tendrement un bras autour de lui pour caresser ses cheveux d'une main. J'en profite avant qu'il ne réalise qu'à son âge, il devrait plutôt m'éviter, communiquer avec moi uniquement à base de SMS et prendre une indépendance que je ne tiens pas à le voir prendre. A moins que je n'ai peur qu'il ne s'éloigne définitivement quand il apprendra toute la vérité sur notre rencontre. Une pensée qui me tire un frisson, un vrai, malgré ma nature me rendant plus qu'imperméable à la température extérieure. Et je serre Tom plus fort l'espace d'une demi seconde avant de le relâcher, conscient de ne pas le blesser par accident.

"Ce qui m'importe c'est que ça te plaise. Les notes c'est secondaire. Mais tu m'impressionnes toujours autant, je dois bien l'admettre."

Je le laisse s'écarter pour mieux le voir brandir sa manette de jeu, prenant un air offusqué quand il me traite d'ancêtre, et, par opposition aux "jeunes" dans lesquels il s'inclue, de vieux.

"L'ancêtre t'emmerde, jeune homme, allé montre-moi ça."

Ok, c'est ça sa manette? Sérieusement? C'est bien plus petit que les autres. Ok en vrai, la console entière a la taille d'une manette habituelle. Il en a fait quoi de sa PS2? A ça, je me débrouille pas mal... ok, ok, j'ai plusieurs centaines d'heures d'entrainement nocturne à mon actif, faut dire ce qui est. Même si mes yeux de créature nocturne n'apprécient guère la luminosité de l'écran quand je passe cinq heures d'affilée dessus. Bref, hormis la taille et la forme de la manette, y a pas grand chose qui change. Si, l'inutilité de la main droite. En vrai, ça a été inventé pour Jaime Lannister et le Capitaine Crochet, ce genre de manette. Ok, ou pas. Ouais ben il a des petites menottes le gamin. C'est pas pour les maçons ce genre de manette moi j'vous dis. Oui je sais, ça tombe bien, j'ai jamais été bien manuel.

Si je galère? A peine. Et une marche arrière, et enchainons avec un tourneboulé le long de la piste. Ok attends. Arrêt du véhicule, on reprend. Et t'es pas obligé de faire ton kéké à me doubler avec un tour d'avance, sale mioche! Bon ça vient, doucement mais surement.

"J'appelle ça "rapporter le travail à la maison", mais si tu veux, ouais, j'ai glandé. J'attends des infos sur certains dossiers, et la bonne occaz de jouer mon rôle de détective sur d'autres. Et c'est curieux, les occaz se présentent plutôt de nuit."

Quand à mes "insomnies"?

"J'dormirai mieux cette nuit - ok, demain matin."

Oui, j'ai tendance à jouer les couche tard. Faire mine de m'endormir sur le coup de 2h du mat, courant. Autant que chez une bonne partie de la population humaine. Rien de surprenant. Sauf peut-être qu'en général, ces humains ne sont pas debout réveillés frais dispos à 5h du mat. Bah, il m'arrive aussi de simuler des grasses matinées... pendant lesquelles Tom et/ou Lyra ne décahutent pas de l'appart pour me laisser l'option de faire autre chose que semblant de dormir. La vie de vampire, c'est d'un chiant parfois... ok, j'en cherche encore les bons cotés, au bout de trois décennies.

"T'en fait pas. J'ai un tas de trucs dans le crâne, ça me tient éveillé. Mais ça va, je gère."

Et un bonus d'accélération. Ca y est, j'ai pris le truc. Et j'ai un avantage certain sur le gamin, même s'il a l'expérience de cette console contre moi. Des réflexes si supérieurs aux siens que je suis même handicapé par la manette, qui a du mal à suivre mon temps de réaction. Enfin, de là à le rattraper... C'est pas parce que je suis rapide que ma voiture de course est plus rapide que le jeu, donc tant que Tom ne se retrouvera pas dans le décor, je resterai derrière. Surtout si je me bouffe une bombe. Fait exprès, pour tout dire. Personne ne débute sur un jeu vidéo en évitant tous les pièges et en prenant tous les bonus, faudrait que je sois stupide pour l'oublier. 30années que je soigne ma couverture d'humain presque parfait, c'est pas pour la foirer aujourd'hui.

Silas & Lyra

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La partie terminée, je suis moins brusque que le gamin avec ma propre manette, me contentant de la poser sur la table basse.

"Et on peut savoir combien d'heures tu as passé à t'entrainer avec le jeu d'un copain avant de me mettre la pâtée sur cui-là?"

Je hausse un sourcil amusé quand Tom s'amuse à se moquer ouvertement de moi, again, et je croise les bras contre ma poitrine tout en croisant mes jambes, pieds posés sur la table basse.

"Pour ça, il faudrait déjà que tu chantes juste. Mais tu réveillerais un mort plus surement que tu l'endormirais, mon garçon."

Oui, j'avais dit être doué pour dissimuler ma nature, et voilà que je lance une mauvaise blague sur la dite-nature. Que ce soit Lyra ou lui, ces gosses me perdront. Mes affaires, voilà un sujet sur lequel je sais éviter les bourdes de langage. Il est malin, y a pas à dire.

"Alors voyons...Le dossier du jeune loup disparu est entre les mains des flics. Et ça me va bien. J'aime pas les histoires qui finissent mal. Sinon j'ai une suspicion de sirène dans le lac Michigan, un mari qui pense que sa femme le trompe, une épouse qui pense que sa femme la trompe, ... Je dois avouer que y a peu de choses intéressantes en ce moment. Ça dure jamais vraiment, les moments de calme, je dois dire. Alors j'en profite, comme tu peux le voir."

Je tourne légèrement la tête vers le jeune homme, l'observant un instant du coin de l’œil, de haut en bas et de bas en haut, avant de hocher la tête, m'accordant avec moi-même.

"Apparemment, la sirène attaquerait à la pleine lune... Une croisière au clair de lune, lundi prochain, t'en serais?"

Si je compte utiliser mon presque fils comme appât? Assurément que non. Même si je dois avouer que si la créature a bon goût, elle préfèrera attirer à elle un jeune homme plein de vie tel que lui plutôt qu'un cadavre tel que moi. Pour ma part, je devrais être assez rapide pour attirer la dame à bord avant qu'elle n'entraine Tom sous l'eau.

Silas & Tomas

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Tom me fait rire en me parlant de ses nouvelles exigences à son propos. Qu'il fasse attention à ce qu'il dit, j'ai pour habitude de prendre ce genre de proposition au premier degré.

"Si ça te dit. J'te pensais assez grand pour me dire "t'es gentil Silas, j'ai plus dix ans", mais si t'en a vraiment envie, j'vais pas te le refuser hein. Pis j'irai te tenir la main pour t'emmener à la fac aussi, si tu veux."

Non, là j'exagère. Déjà parce que bon, j'imagine qu'à son âge on a pas trop envie de supporter son père adoptif en extérieur. De deux, parce qu'aux heures où il commence le matin, et ben, il fait jour.

C'est sympa de pouvoir parler avec Tom de mes affaires sans avoir à dissimuler la nature de mes clients. Je ne me rappelle plus trop à quel moment il a compris que le surnaturel existait, ni à quel moment nous en sommes venus à mettre ça sur la table, mais ça reste agréable. Même si je me dit qu'il en faudra peu pour qu'il mette deux et deux ensemble et comprenne ce que je suis. Ça encore, je pourrai le supporter, étant donné qu'il n'a pas l'air de trop mal prendre toute cette histoire. Ce qui sera plus douloureux, c'est quand il mettra trois et trois ensemble et comprendra tout des circonstances de notre rencontre...
C'est dans ces moments que je me dit qu'être vampire, ça craint, parce qu'après tout, il faut bien manger, et la chasse est vraiment le seul moment que je m'accorde à être ce que je suis, lâchant la pression qui me serait insupportable sans cela. Grâce à ça, je parviens à garder un calme olympien quand Lyra fait preuve de maladresse et se tranche la main avec le couteau à viande... A cause de ça, je dois parfois faire avec les conséquences de mes actes... même si vous ne m'entendrez jamais dire que je regrette la présence de Tom dans ma vie... juste que j'aurai souhaité que ça se fasse autrement...

"Tu sais, je m'étais plutôt attendu à ce que tu me demande si c'était dangereux comme plan à la con. Alors oui, c'est la version sardine et continue, t'en en train de me convaincre de changer mes plans. Si t'es sous le charme sans voir la bestiole on est mal barrés quand tu seras devant, tu crois pas?"

Sa question me laisse sur le cul un instant. C'est les ados d'aujourd'hui ou j'ai été pareil à son âge? Ok, j'ai été pire à son âge, c'pas pour rien que j'me suis retrouvé marié bien trop tôt, pas à la bonne fille, tout ça parce que j'avais rien trouvé de mieux que de la foutre en cloque... enfin c'pas l'existence de ma fille que je regretterai non plus hein.

"Sans vouloir blesser ton amour propre... Tu crois qu'ils étaient tous à tomber par terre les marins qu'elles entrainaient par le fond à leur grande époque, les sirènes? Enfin, emmène une boite de thon mariné si ça te fait plaisir, elles aiment peut-être..."

Silas & Tomas

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Autant j'adore la confiance aveugle que Tom place en moi, autant j'espère bien qu'il saura me dire non le jour où j'y proposerais de sauter sans élastique du haut de l'Empire State Building...

"Ouais... fin je croise pas non plus des sirènes tous les jours donc attends pas que je réagisse avant de te barrer, si jamais."

Je glisse un bras autour de ses épaules, m'amusant de ses paroles suivantes. Ouais on peut toujours y croire tiens. On doit penser que je désespère de moi-même pour pas me lancer tout seul face à cette sirène. J'suis pourtant encore fringuant pour mon âge, faut dire. M'enfin, j'ai des doutes sur le fait que le coté "mort-vivant" attire la dame.

"Ouais, c'est bien pour ça que je t'emmène. Aucun risque qu'elle succombe au mien."

Je ris avec lui, avant de le repousser juste assez pour me relever du canapé, et passer dans mon bureau, récupérer le dossier concernant la sirène. Au moins ce que j'arrive à retrouver dans mon fouillis. Si si, c'est rangé, mais selon une organisation signée Silas, pas toujours évidente à suivre. Ça décourage les concurrents de me piquer mes dossiers.

"Laisse moi en douter. Quand j'aurai réussi à te faire presque tuer, je reverrai nos projets de collaboration... Bref, doit y avoir à peu près tout là dedans. Y compris les photos de ses dernières victimes. T'es prévenu."

Revenu vers lui, je lui passe la pochette par dessus le canapé, avant d'appuyer mes bras sur le dossier du meuble, lisant par dessus l'épaule du gamin.

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"Si tu veux. Je te lirai toutes les histoires de princesse que tu veux. Dois bien me rester quelques bouquins de contes de fées que je lisais à Adé quand elle avait cinq ans."

Je le charrie, mais si j'avais prévu de lui faire lire ça, j'aurai viré les photos. Et encore, je lui vole les pires, d'un geste bien trop rapide pour l’œil humain. Je récupère le dossier qu'il me rend, y réintégrant les pages que j'avais retiré, pour le poser sur la table derrière moi. Je rangerai plus tard. Quand Adé se plaindra que mon bureau déborde dans le salon.

"Ok on fait ça. Ça va aller quand même? Moi qui te croyais un grand garçon..." Je le vanne, tâchant de lui faire oublier son malaise. Avant de répondre à sa question concernant mon plan. Simple dans les grandes lignes, mais je prévois toujours les galères à venir. "Simple. On va s'offrir une traversée du lac à la prochaine pleine lune, et on attends que ton charme légendaire fasse son effet... et dans l'idée, je la pêche avant qu'elle t'emmène par le fond. Sinon... bah ça me fera une bouche de moins à nourrir... mon salaire va apprécier, petit ogre!"

Je lui ébouriffe les cheveux par dessus le canapé, riant de bon cœur avec lui. Bien sur que je n'en pense pas un traitre mot et que je serai prêt à tout pour Adé et lui.

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Si je suis convaincu que l'idée est brillante? Du tout. J'ai même passé plus de temps que d'ordinaire à l'appart ces derniers jours, espérant entendre Tom me dire qu'il avait changé d'avis et préférait rester à l'écart de ce plan. Le soir venu, j'ai chargé le coffre de la voiture plus que nécessaire, et nous voilà bientôt arrivés au bord du lac, où je décharge seulement ce qui me semble utile dans l'immédiat. Je n'y connais pas grand chose en sirène, hormis ce que j'ai pu trouver sur internet ou les rares infos que j'ai obtenu de celle de l'autre jour, et j'espère que ça suffira.

"Aucune idée fiston. On verra bien. Si c'est pas aujourd'hui, ça sera un autre jour. Et non, pas que je sache."

Je récupère un couteau automatique dont je vérifie le bon fonctionnement avant de me retourner vers Tom, le lui glissant dans la main.

"J'ignore si ça lui fera du mal, mais en cas où, ça devrait assez la surprendre pour qu'elle lâche l'affaire. J'ai bien dit "en cas où". En principe, t'en a pas besoin."

Disant cela, je glisse la main sur le visage du jeune homme, autant pour le rassurer que pour me rassurer. Il est passé où, ce gosse de dix ans à peine que j'ai un jour ramené à la maison?

"Il est encore temps de reculer tu sais."

Encore une fois, une façon de le convaincre à demi mot de me laisser faire seul. A présent qu'on y est, je sens l'énormité de la connerie de l'emmener et du risque que je lui fait prendre...

Je me sens bêtement apeuré. Qu’est ce qu’il pourrait m’arriver de bien grave si Silas est dans les parages. J’ai une foi aveugle en mon paternel et sans doute que je commence à me faire à l’idée qu’il n’est pas % humain. Ça aide.
Je me saisis du couteau ne sachant si j’arriverais réellement à blesser cette femme, enfin créature à l’apparence de femme. Je ne me sens pas un monstre et je n’ai jamais eu à faire face aux dangers.

    « Okok … mais tu seras là de toute façon … »

Je lui lance un regard avec un demi sourire pour le rassurer. Tentative désespéré, je ne pense pas l’avoir vu aussi sérieux excepté lorsqu’il s’agit de ses sordides affaires de meurtres et tout ça. Mais là, il y a quelque chose d’autre. Je mets ça sur le compte de l’inquiétude d’un père pour son fils. Il pose san main sur mon visage et je n’ai qu’une envie, me blottir contre lui. Je le sers dans mes bras et le conforte.

   « Non, non. On y va, il faut arrêter les disparitions… »

J’aimerais juste ne pas en être une de plus ce soir. Je m’écarte de lui et le regarde à nouveau.

   « Je suis fort tu sais … »

A deux doigts de lui parler de mes capacités, mais ma voix se coince dans ma gorge et je n’arrive pas à en dire plus. Il le verra sans doute bien assez tôt que lui-même n’a pas choisi de recueillir sous son aile un oisillon sans défense.

La nuit s’annonce fraîche, toutefois, je n’hésite pas à quitter mon pull, mes chaussures et presque tout lorsqu’il s’agit d’entrer dans le lac. Les eaux froides sur mes orteils, je me rends enfin compte de ce que cela va signifier de nager au milieu de ces eaux noires. Aucun repère spatial une fois sous l’eau je serais grandement à mon désavantage … mais pas tout seul. Je prends une profonde inspiration et me lance à l’eau dans un crawl loin d’être parfait pour m’enfoncer toujours plus loin, m’éloigner de la rive et attirer l’attention de la présumé coupable. Je m’allonge sur le dos, mode étoile de mer et contemple les étoiles à l’affut du moindre mouvement, du moindre son.

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Plus le temps passe et plus je suis nerveux, même si je tente de n'en rien montrer à Tom. Il a pas besoin de mon stress en plus du sien. Quand à ce couteau? Une simple précaution, mais il n'en aura pas besoin. C'est du moins ce dont je tente de me convaincre depuis que nous sommes arrivés.

"Je ne te lâche pas des yeux. Tu peux me croire."

Et je ne lâcherai pas les alentours du moindre de mes autres sens, il peut en être convaincu. Je le sers contre moi un moment, appréciant le fait que malgré qu'il ai grandi et se prenne parfois à jouer au grand garçon, il reste un peu du gamin que j'ai recueilli à l'époque. Ce qu'il en aurait été si il avait pu grandir avec sa mère plutôt que moi? Je vais éviter de me torturer l'esprit avec ça ce soir. J'ai besoin d'y voir clair et de rester concentré.

"Je sais mon grand. Mais tu pourrai être Captain America que je m'inquièterai quand même pour toi."

Et il ne faut pas qu'il soit dans l'eau cinq minutes pour que mon attention capte les premiers mouvements de vague allant contre le courant. De quoi indiquer une présence sous-marine, ou je suis un loup-garou.

"Tom!"

Il m'a dit qu'il gérait? Oui mais non. L'instant présent je suis seul sur la berge, au sec. L'instant suivant, je suis trempé de la tête aux pieds, glissant une serviette épaisse autour des épaules du jeune homme, ramené sur la terre ferme. Les explications attendront. D'autant plus que je sens soudain une traction sur ma jambe, un instant avant de me retrouver à terre, trainé dans le sable jusqu'à l'eau du lac. Si je l'ai vu venir? J'y aurai échappé sinon. C'te question con. J'essaye de m'accrocher à quoi que ce soit qui serait assez solide - c'est à dire pour le moment, pas grand chose -, tout en donnant un maximum de coups de pieds en direction de mon attaquant. J'ai déjà dit que j'aimais pas ce lac?

Ouais … dans les eaux noires et troubles par nuit sans lune … tu ne me lâches pas des yeux ? j’octroie cette capacité aux vampires, aux loup-garou et aux chats et j’ai pas l’impression que cela te concerne … enfin quoique si en fait. Je déglutis sur les paroles rassurantes de mon père ne cessant de faire tourner dans ma tête l’idée qu’il aura quelques difficultés à mettre cela en œuvre. J’essaye de paraître fort tant bien que mal, aucun doute qu’il voit clair dans mon jeu et je ne pense pas pouvoir tromper le vieux aussi facilement.

Le froid glacial me transit et l’eau dans mes oreilles me procure presque une sensation de vertige au contact de mes tympans. Je comprends mieux qu’il soit aisé de s’y endormir pour ne pas s’y réveiller. Pauv’ gens du Titanic … Entre les bloup bloup de l’onde et mon doigt qui tente de déloger la sensation désagréable de mon conduit auditif, je ne capte même pas l’arrivé de Silas qui me tire d’un coup. Je panique un peu avant de comprendre que ce n’est que lui et arrête de gesticuler avec la lame du couteau qu’il évite soigneusement comme un ninja.

Sans avoir le temps de demander au paternel ce qui l’a poussé à avorter le plan, le voilà le nez dans le sable qui trébuche. J’en aurais ris si l’instant d’après je n’avais pas rôdé la présence à ses pieds responsable de sa chute. Le voyant à son tour de débattre et se trémousser pour échapper à son assaillant, je bondis sur lui pour tenter de le retenir. Un cri venu d’un autre monde retenti alors que le vampire parvient enfin à mettre un coup en travers de l’innommable chose. Faut dire qu’entre l’agitation, la nuit et le côté couvert de sable humide. J’essaye d’aider mon père à se relever alors que lui essaye de m’écarter. Je m’en fâcherai presqu’il insiste autant à m’évincer. Il m’a demandé de venir, c’est pas le moment de revenir sur sa décision et la créature ne semble avoir que faire de si je suis assez âgé ou pas pour l’affronter donc autant y aller de tout mon cœur.

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Autant j'adore l'océan et les navires anciens, autant je ne supporte pas le sable. Ceux qui aiment n'ont jamais essayé d'en déloger de leurs chaussures, ou de marcher avec ces maudits grains qui grattent en travers des orteils. Pourquoi je me plains? Alors même que Tom et moi sommes parvenus à faire équipe pour se sortir de cette galère? Parce que le sable humide sur les vêtements mouillés, ça colle. J'ai envie d'être rabat-joie et grognon ce soir. Idée stupide qui m'est passée par la tête d'emmener Tom là-dedans.

Se sortir de cette galère? Oui, je vais essayer de la refaire sans rire, celle-là. Parce que la sirène semble en avoir plus que rien à faire que j'ai pu lui démonter la mâchoire avec un coup de pied mieux placé que les précédents. Je me relève avec l'aide de Tom avant de l'aider à se relever à son tour, le forçant à se placer derrière moi. Essayant en tout cas. Le jeune a prévu d'être têtu ce soir...

"Reste derrière, Tom, s'il te plait."

Je parviens à le faire reculer avec moi jusqu'à être hors de portée des vagues et donc de la sirène. J'aurai peut-être du suivre le conseil de la première que j'ai croisé ce mois-ci... Ma main vient se glisser dans ma poche, où je ne trouve pas ce que j'étais venu y chercher. Non mais si je joue au con en plus du reste...

"Dis, tu peux aller à la voiture vite-fait? J'dois avoir un taser dans le vide-poche... parions que les poissons aiment pas prendre un coup de jus."

Chercher à l'éloigner? Non. Juste que je préfère que ce soit moi qui reste ici plutôt que lui. Et puis, je crois que j'ai déjà bien assez grillé ma couverture pour ce soir, si en plus je fais un aller-retour mode Flash jusqu'à la voiture, ça va vraiment commencer à se voir que je cache un truc pas net...

Je grogne à ses paroles, on dirait presque un animal. Sans doute une manifestation du renard qui sommeil en moi. J'en ai d'autant plus les moustaches qui frémissent ... la nuit bien installé me protégera sans doute de cette révélation fortement inattendu. Je n'avais que rarement poussé mon stress jusqu'à apparition de certains de mes traits de kitsune et voilà que l'être aquatique met en danger mon secret.

Heureusement, Silas me donne une échappatoire et me demande d'aller chercher son taser.

"Ok, j'y cours."

Soulagé, je me dirige sans broncher vers la voiture de mon père en espérant que cet interlude me laisse le temps de me calmer et de retrouver une apparence décente.

C'est à la lueur de la voiture, lorsque la lampe plafonnière s'allume en ouvrant la porte, que je remarque le duvet qui recouvre mon corps. Des poils roux au reflet d'or. Je sursaute et laisse échapper un cri de surprise. Je ne m'y attendais pas à celle là. Par tous les moyens, ma nature profonde tente de me protéger et ce contre mon gré. J'attrape mon pull et l'enfile afin de me réchauffer. Après un rapide coup d’œil pour vérifier qu'aucun autre aspect de renard ne soit visible, je me lance dans l'extraction du taser depuis le fouillis de la boîte à gant ... pourquoi est-ce qu'il garde autant de chose là-dedans ?

Il ne m'aura fallu qu'un court laps de temps afin d'effectuer cette allée retour, mais apparemment assez pour que la créature ait retrouvé du poil de la bête (sans jeu de mot) et tourne autour du vampire. Je ne sais pas s'il a remarqué les ondes sur l'eau qui se rapproche de lui par son flanc gauche. Trop inquiet, je me mets à crier.

"A gauche ! Elle est sur ta gauche."

Le seul effet étant que prise de panique, la créature lance l'attaque une fois encore et se jette sur mon paternel en quelques mouvements de nageoire. Je m'élance vers lui et tente d'allumer ce foutu taser. Bordel, il est où le bouton on sur ce truc ?

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Silas & Tomas

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En une autre occasion, j'aurai pris le temps de m'intéresser à ce grognement digne d'un chaton qui semble à première vue s'échapper de mon fils adoptif. Mais dans l'immédiat, j'ai une urgence légèrement plus urgente que me demander de quoi il s'agit. Deux urgences en fait. Me débarrasser de cette sirène, et mettre Tom à l'abri. L'envoyer chercher mon taser en espérant que le bordel dans le vide-poche de ma voiture me donne le temps de régler l'autre urgence? On aura essayé.

Quand à ce cri apparemment de surprise que je l'entends pousser depuis la voiture? J'avoue le mettre sur le compte de ce qu'il risque de trouver dans le vide-poche, étant donné que j'ignore moi-même à peu près la moitié de ce qu'il y a dedans, et que je partage mon véhicule avec ma sœur, bon gré mal gré. Si jamais, l'auto-bronzant c'est à moi, le fard à paupière c'est à elle. Juste pour mettre les choses au clair. Bref.

Une bonne partie de mon attention occupée par Tom, je m'obstine tout de même à ne pas lâcher la sirène du regard, ou du moins, à deviner sa position dans les clapotis de l'eau. Sauf que ces créatures ne sont pas des prédateurs marins par excellence sans raison, et je suis incapable de repérer sa trajectoire exacte, tout juste remarquer des mouvements tantôt à droite, tantôt à gauche.

Le cri de mon fils me fait tourner le regard vers lui, oubliant toute prudence, et je sens la créature m'attraper une nouvelle fois, d'assez haut pour qu'une nouvelle volée de coups de pieds n'y change pas grand chose. Une fois de plus à terre, glissant petit à petit vers les vagues, parvenant même à me faire submerger une fois ou deux par une onde plus téméraire que les autres. Et dans la bagarre, je découvre que ces créatures ont des crocs, comme elle m'en offre un aperçu entre deux cris stridents. A mon tour, je lui offre le spectacle des miens, juste avant de la repousser juste assez pour me trainer sur la berge de manière à ne pas être submergé à nouveau.

"Le bouton jaune en dessous. Reste au sec, et balance-le dans l'eau." Inquiet pour moi? Sans aucun doute. "Fais ce que je te dis."

Ça va faire mal? J'm'en remettrais. Elle aussi, surement, mais ça devrait la faire réfléchir pour la soirée.

Heureusement pour lui que j’ignore qu’il me traite de chaton dans sa tête sinon je lui feulerai dessus … Vive le quatrième mur !!
Il se moque de moi, y’a un vert et un rouge, par déduction j’enclenche le vert avant de le balancer dans l’eau. Si ça ne tuera pas mon père, il risque tout de même d’y laisser des plumes. J’imagine mal un vampire souffrir d’un taser, mais la brûlure peut lui causer quelques blessures.
Je me sors les pieds de l’eau une seconde avant et évite de ne rejoindre la sirène dont le cri déchirant laisse supposer qu’elle n’a pas apprécier sa cuisson. Silas ne montre pas le moindre signe de fatigue alors qu’il s’extirpe de l’eau froide après une telle lutte.
« Pfff, tu pourrais au moins faire semblant d’être épuisé ! »
Personnellement mon cœur bat encore la chamade et je boue de toute la profusion d’émotions qui m’assaillissent. Je m’effondre dans la voiture une fois à l’intérieur. Le siège encore chaud et sec contraste avec mon t-shirt humide et refroidi par l’eau.
« J’sais pas pourquoi, dans ma tête je m’étais dit qu’on devrait l’interrroger, j’avais pas pensé à … à tout quoi… »
J’enlève mon t-shirt et repère une couverture dans un piteuse état certes, mais qui m’aidera à tenir jusqu’à la maison. Je dois avoir l’air d’une crevette à côté de mon père qui ne montre pas le moindre signe face au froid. J’attends qu’il mette les clefs dans la serrure et lance le moteur pour moi-même allumer la chaleur, il n’y penserait pas … je me tourne vers lui et le regardant bien droit dans les yeux, je m’adresse à lui :
« Je sais Silas. »
Je pense qu’il peut compter sur les doigts le nombre de fois où je l’ai appelé par son prénom. D’habitude, c’est « papa » et ce depuis bien longtemps. Je le reconnais comme tel et peu importe sa nature, il le sera toujours. Ce que je veux, c’est qu’on crève l’abcès, qu’on se le dise et qu’il m’explique. Il y a des facettes obscures à son monde, et mon adoption en fait partie. Je ne lui demande que d’être honnête avec moi, je l’aime et l’aimerai toujours même si c’est quelqu’un comme lui qui a tué ma mère.

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Silas & Tomas

Soirée entre mecs

Ça va piquer, ça va piquer, ça pique! C'est peut-être pas du 110volts, mais c'est quand même fait pour calmer cui qui se prend un coup, alors, vampire ou pas vampire, ça pique. Ajoutez à ça le fait qu je sois aussi trempé que le sable sur lequel les vagues vont et viennent, et ça fait un super conducteur tout ça.

Je parviens quand même à m'éloigner, me relevant dans le sable plus sec, alors que le hurlement de la sirène emplit mes oreilles. Je suis trempé, couvert de sable, et j'ai dans l'idée qu'un bon nettoyage de l'intérieur cuir de la voiture sera pas de trop pour arranger tout ça. Quand à Tom, il est déjà allé se réfugier dans la voiture, où je le rejoint rapidement, l'aidant à s'emmitoufler dans une couverture avant de mettre le moteur en route en vue de rentrer à l'appart, nous offrir une bonne douche. Le sable, ça gratte.

"Honnêtement? J'suis claqué. Et j'te promet que j'avais pas pensé que ça prendrais cette tournure non plus."

Sauf qu'en voulant jeter un œil dans le rétroviseur pour faire une marche arrière, je capte un regard insistant de sa part, de ceux qui vous forcent à les croiser en retour. Et ses quelques mots me glaceraient le sang s'il n'était pas déjà aussi froid. J'oublie l'idée de démarrer, laissant cependant le moteur allumé comme j'ai pu capter son geste vers le réglage du chauffage.

"Tu veux en causer maintenant, ou devant une bonne tasse de café dans des vêtements secs?"

Si j'me défile? Pas cette fois, j'en ai bien peur. Je pense juste qu'être trempés comme des soupes et couverts de sable aide pas bien à être confortables.

En bon père qu’il est il s’occupe de moi. J’avoue, je l’attends autant que je le crains ce moment … Alors naturellement, je me pelotonne dans ma couverture et reste mutique tout le long du trajet. Mon silence traduit par « oui, je veux bien un chocolat chaud perso ». Lui et moi n’échangeons même pas un regard sur la route. Déjà parce que je pense avoir donné tout ce que j’avais de courage en prononçant ma dernière phrase et maintenant je me sens vide. Prêt à recevoir les explications pour me remplir, sans savoir de quoi sera fait le contenu. Le plus dur est de me persuader que rien ne changera, je serais toujours là et lui aussi, mais en fait, je n’en sais rien. Et si je me mettais en colère ? Et si c’était trop dur ? 10 ans qu’il me cache des choses. 10 ans de mensonges. 10 ans de vide. C’est quand même une belle date anniversaire. J’aurais passé la moitié de ma vie avec ma mère et l’autre à ses côtés, je suppose qu’il me les doit bien ses explications, aussi pénibles soient-elles.

Arrivé à la maison, je me déshabille tout en me dirigeant vers ma chambre et récupère un t-shirt sec et un futal propre. Une serviette me permet de rapidement sécher ma tignasse et me voilà devant ma porte. Je me fige. Mon cœur tressaute, incapable de maîtriser, je me sens tellement nauséeux. L’angoisse me scie et on a même pas encore commencer à parler. J’attends d’entendre le bruit des tasses posées sur la table pour me décider à franchir le pas, littéralement, figurativement …

Silas me jette un regard qui me laisse mal à l’aise. Je suppose que lui aussi se sent aussi confiant que moi sur le problème que je nous impose. Je m’assieds autour de la table et lâche un soupir. Tentative vaine pour évacuer le trop pleins émotionnels qui me submerge. Je sentirais presque mes moustaches me titiller, le renard à envie de sortir, s’affirmer et reprendre le contrôle sur l’humain chétif que je suis.

Je triture la hanse de mon chocolat … il me connaît bien quand même. Pleins de bonne volonté, je brise le silence qui nous enveloppe de toute part.

« J’ai besoin d’avoir ta version … la vérité, sans omission, sans déformation … »

Je lève mes yeux vers lui, pleins d’une assurance animale, celle du démon qui sommeille en moi et un éclair doré passe sur mes iris noires. Ce que je ne dis pas encore, c’est que moi aussi j’ai besoin de lui dire, de lui expliquer ce que je suis. Que je suis terrifié à l’idée d’être seul et de ne pas maîtriser ce qui m’arrive.

Toujours debout, l’inconfort se lisant presque sur son attitude tout entière, il finit par me rejoindre avec sa tasse de café fumant. Ma gorge se noue, mais je maintiens mes pupilles rivées sur lui.

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Silas & Tomas

Soirée entre mecs

Chaque kilomètre parcouru par la voiture me semble à la fois plus long et plus court que le précédent. Plus long, parce que ce silence gêné entre mon fils et moi me tue, surtout que je pense ne pas avoir besoin d'être télépathe pour deviner le fond de sa pensée. Plus court, parce que cette conversation qu'il souhaite avoir, j'en ai pas envie, et pire, je la repousse depuis dix ans. Plus encore, si on compte le fait que je la rejette tout autant avec Adé.
Comme si le destin s'acharnait sur moi, je trouve une place de parking vide au pied de l'immeuble où nous habitons, sans avoir à faire trois fois le tour du pâté de maisons pour garer l'Audi. Si lui se dirige vers sa chambre à notre arrivée, pour ma part, je privatise la salle de bain, me débarrassant rapidement du sable qui me colle à la peau avant d'enfiler des vêtements secs. Avant d'en ressortir, attrapant deux mugs dans le placard pour nous préparer de quoi nous remonter un peu le moral. J'pense qu'on va en avoir besoin. Et si d'aucuns pencheraient sur une bière, un whisky, ou une vodka, je pense qu'un chocolat chaud et un café nous ira amplement.

Pendant ce temps, mon ouïe cherche les moindres sons autour de moi, s'attardant sur les deux respirations que je connais le mieux. Celle, calme et silencieuse, de ma sœur profondément endormie - et ça me convient, vraiment pas envie d'affronter les deux d'un seul coup -, et celle bien plus effrénée de mon fils. L'idée qu'il puisse se penser être une proie me traverse l'esprit, au son de son cœur affolé, et y a pas à dire, ça brise le mien, de cœur, même si techniquement, il ne bat plus depuis 35ans.

Je pose les tasses sur la table du salon au moment où il sort de sa chambre, et je jette un regard vers lui avant de détourner les yeux, ne sachant pas quoi en faire exactement.qu'il sache ce que je suis est une chose. Qu'il découvre la vérité sur les circonstances de notre rencontre... ce gamin est le meilleur qui soit, et malgré que je ne cesse de culpabiliser à ce sujet, je suis heureux que nos routes se soient croisées... mais on en voudrait chèrement à quelqu'un pour moins, croyez moi...

La question est mise sur la table, finalement, après toutes ces années d'attente, d'espoir infondé que ça n'arriverait jamais, de crainte fondée que l'instant soit déjà en marche. Je croise une seconde son regard, cette fois-ci plein d'assurance, de certitude, avant de replonger le mien vers le noir tourbillonnant du café dans lequel j'agite ma cuillère un poil trop rapidement.

"Alors pose ta question sans détour."

Je me force à laisser tomber le touillage du café, jetant la cuillère dans l'évier pour m'empêcher d'y retourner, avant de le rejoindre, m'installant à table face à lui. Lâchant un soupir de celui qui ne sait pas par où commencer. Qui ne sait d'ailleurs pas avec certitude quelle vérité on attend de lui, au milieu des mensonges qu'il a entretenu depuis tant d'années.

"Je ne vous ferai jamais de mal. A Adé et toi. Pas plus que j'ai déjà pu en faire, en tout cas. La vérité vraie, c'est que vous êtes ma famille, et que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous protéger. Même si ça devait être moi la menace." Je relève les yeux vers lui, soutenant son regard sans fléchir, cette fois. "Je sais que tu en cauchemarde toujours. De cette nuit. Et je sais que tu t'es toujours demandé comment j'avais pu arriver aussi vite sur les lieux, pour te trouver, te rassurer comme j'ai pu le faire chaque nuit où tu en as eu besoin depuis." Si j'essaye de remonter mon capital sympathie? Pas vraiment. Plutôt de toucher le pot autour duquel je tourne. "C'était moi. Je chassais un type qui avait mérité son sort, et l'odeur du sang de ta mère s'est imposée. Est-ce qu'elle s'était coupée, j'en sais rien. J'ai pas su...C'est qu'après que j'ai senti ta présence. Et quand j't'ai vu... j'pouvais pas t'abandonner, me retourner comme si de rien n'était. Pas parce que j'te le devais. Parce que je le voulais. Je suis coupable, de ça et de bien d'autres choses, mais s'il te plait, retiens ceci. Je t'aime, et t'avoir ici avec moi, ça a été une évidence, dès le début. Il a jamais été question de dette, ou de devoir, ou de vouloir racheter ma conduite. Mon sang coule peut-être pas dans tes veines, mais t'es mon fils. Enfin, si tu veux encore bien de moi pour père."

Ne pas avoir besoin de respirer aide à ne pas laisser un blanc où il aurait pu répliquer. Parce que je sais qu'il va répliquer, c'est normal, c'est humain. Mais je voulais qu'il entende toute l'histoire, du début à la fin, sans lui laisser la possibilité de s'arrêter sur quelques uns de mes mots. Non, je ne suis pas excusable, et je ne lui demande pas de m'excuser. Je veux juste qu'il sache qu'il n'a jamais été une corvée pour moi, que c'est de mon plein gré que je l'appelle "mon fils" aujourd'hui, mais que pour autant,  je n'ai pas oublié. Pas fait de croix sur ce que j'ai fait ce soir là. Je lui ai peut-être ouvert ma porte et offert mon affection, mais je l'ai surtout arraché à sa mère. Et ça, c'est une culpabilité qui me ronge autant qu'elle m'a rendu plus sage. Ce qui s'est passé ce soir là, ça aurait tout aussi bien pu être Adé et sa capacité fascinante à se couper avec absolument tout ce qui passe à sa portée. Une réalité qui m'a fait prendre conscience du danger que je pouvais représenter pour elle. Pour eux.

En attendant, mon regard repart sur ma tasse de café... j'aurai vraiment du cibler un truc plus fort.