Depuis que je travaille dans cet hôtel aussi étrange qu'attirant, j'ai pris une habitude qui peut paraitre surprenante pour un homme évoluant à proximité des cuisines d'un chef reconnu parmi ses pairs. L'heure du service passée et chacun de nos hôtes ayant retrouvé le confort de sa chambre ou  tout autre activité extérieure qui ne me regarde pas le moins du monde, je m'installe sur le rebord du toit de l'immeuble, ailes repliés dans mon dos, pour savourer ... un sandwich. Oui, je fait partie de ces gens incapables de manger après avoir passé deux heures à sentir de la nourriture à plein nez, aussi excellente puisse-t-elle être. J'en profite pour m'aérer le cerveau et les plumes en faisant fi des immeubles aux larges baies vitrées qui surplombent l'hôtel. Je mise sur le fait qu'aucun humain sain d'esprit ne révèlerait penser avoir vu un ange, et qu'aucun humain plus sain d'esprit encore ne croirait qu'un autre ai pu voir un ange. Un pari dangereux? Je surveille quand même la Une du Chicago Tribune, croyez bien, mais pour le moment, il n'y a que les élections à venir qui les intéressent.

Le bruit de la porte du toit-terrasse qui se claque derrière moi me fait tiquer suffisamment pour que je déploie mes ailes, prêt à m'en servir pour sauter dans le vide au besoin. Je prend néanmoins le temps d'entendre la voix qui va avec cette présence, faisant confiance à mes oreilles à défaut de mes yeux, occupés à fixer l'horizon devant moi. Un horizon bétonné et un air des plus viciés où résonnent davantage les moteurs des avions en haut et celui des voitures en bas que le chant des oiseaux, mais celui qui sait se montrer observateur pourra se trouver surpris de la vie que l'on peut trouver entre ces colonnes d'acier, de verre et de béton mêlés. Ceux qui travaillent à mes cotés savent où me trouver, même s'ils sont bien rares à connaitre ma nature véritable. D'où mon hésitation à me retourner. Superman ne montre jamais son vrai visage sans ces lunettes censées être une couverture optimale contre toute reconnaissance faciale. J'ai pas envie de tester de savoir si ça marche vraiment.

Tu reconnais sans souci la voix qui s'élève derrière toi. Comment pourrait-il en être autrement?  Cela ne fait que quinze années, à quelques vaches près, que ta vie tourne autour de cet homme. Alors tu engouffres ta dernière bouchée de pain avant de tourner la tête vers lui, baissant juste assez ton aile pour le regarder par au-dessus. Avant de ramener tes jambes du bon coté du parapet, repliant tes ailes dans ton dos à présent qu'il n'est plus nécessaire de te dissimuler.

"Oui je sais. Mais t'es pas si mal, toi non plus."

Tu rejoins ton homme en quelques pas, glissant ta main dans la sienne et ton aile contre son épaule, une de tes plumes glissant involontairement sur sa nuque, malgré le col de sa veste. Observant quelques rayons de soleil jouer avec ses mèches blondes. Faut être honnête, il est au delà du "pas si mal", mais il n'obtiendra rien de plus de ta part aujourd'hui. Et si tu pense de temps en temps que tu abuses de ses sentiments pour toi entre deux vannes pas toujours très appréciables? Pas véritablement. Sans doute qu'il a oublié de t'apprendre les limites à ne pas dépasser. Et si tu penses qu'il n'y en a pas d'autres que celles que tu t'imposes toi-même? Tu n'es pas certain que tu le repèrerai si tu marchais tout à coup sur une corde élimée.

"T'as trouvé ma salle de pause, il semblerait. Tu veux profiter de la vue?"

Sans lâcher sa main, tu tentes deux pas en direction du bord du toit, forçant légèrement sur son bras pour qu'il te suive. Le fera-t-il? En étant vraiment honnête, tu admettrais que tu ne lui laisse pas tellement le choix, mais s'il y a une personne qui sache te contenir, depuis le temps, c'est bien lui.

"J'pourrai trouver mieux. Mais va falloir me convaincre de le faire."

Tu lui souris, remarquant qu'il se tient bien assez loin du rebord du toit pour ne pas risquer de croiser l'horizon du regard. Une façon de t'empêcher de profiter du premier courant d'air venu pour lui échapper? C'est en tout cas ce que tu penses. Qu'il puisse être sujet au vertige? Pas le moins du monde. Votre appartement est situé assez haut pour savoir que non. A moins qu'il n'ait simplement cédé à ta tentation de surplomber la ville sans prendre en compte sa propre aversion des hauteurs. Mais malgré tout l'amour, sincère, que tu lui portes, tu est un poil trop centré sur toi-même pour le comprendre.

"Je sais oui. Et ils me tentent, pas qu'un peu. Mais j'essaye de rester facile à trouver, au besoin."

Tu l'emmène plus proche du bord, sans toutefois parvenir à réellement t'approcher du vide. Acceptant la résistance de ton compagnon pour ce qu'elle est, relevant tout de même un sourcil quand il te parle de le renvoyer en Enfer. Il est sérieux? Il devrait pourtant bien savoir que tu l'aimes bien trop pour songer à prendre le risque de le perdre d'une façon aussi stupide.

"Bien sur que non. Je t'aime, tu le sais, non? Et aussi longtemps qu'on sera là, toi et moi, t'es pas prêt de te débarrasser de moi."

Tu l'embrasses au coin des lèvres, glissant ta main libre sur sa joue recouverte de son éternelle barbe mal taillée, avant que cette même main ne rejoigne ton autre autour de la sienne, pour l'entrainer à ta suite.

"Fais-moi confiance. J'ai envie de te faire essayer un truc."

Disant cela, tu rouvres tes ailes, les faisant battre dans ton dos pour lui faire gagner un pas de mieux dans ta direction. Non, tu n'insisteras pas davantage, tu espérais juste déclencher le mouvement qui lui manquait.

"Faut croire qu'on s'aime bien assez pour pas avoir besoin de petits noms pour se le dire. T'en penses quoi?"

Hormis que tu vas probablement le tuer avant la fin de l'heure, apparemment. Il n'a pas l'air bien confiant dans ton idée de t'approcher du bord du toit, et tu finis par en prendre réellement conscience. Avant qu'il ne s'agrippe à toi dans une dernière tentative de te faire changer d'idée, bien sur.

"J'te l'ai toujours dit. Que mes ailes valaient largement tes portails."

Bien que tu saches que telle n'est pas la vérité vraie. Sur les toits, oui, clairement. Mais il pourra sans mal te rappeler que dans les étroits tunnels qui entourent Illusk, tes ailes seraient davantage un problème qu'une solution. S'il pourrait un jour ne plus t'aimer? Il est vrai que tu ne lui simplifie pas toujours la tâche, et que tu ne pourrai certainement pas supporter longtemps de cohabiter avec un double de toi-même. Mais tu es tellement sur de vous deux que si tu sais une chose, c'est ne pas avoir envie d'user de ton don sur lui. Ok, s'il te fallait être d'une honnêteté complète et totale, peut-être que tu as déjà essayé de calmer une ou deux de vos prises de tête par ce biais... mais tu as pu constater que c'était peu efficace sur lui. Sans doute parce que tu l'aimes trop pour pouvoir tricher avec lui.

"Alors souhaitons que tu me coures encore longtemps après."

Tu répond à son étreinte quelques instants, le laissant même t'éloigner un peu du bord par la même occasion. Avant de te dégager pour te glisser dans son dos, tes mains se rejoignant sur son torse, ton front se posant contre son épaule.

"Dis-moi que t'as aucune envie de savoir ce que ça fait de voler, et j'te jures que j'en reparle plus jamais."

"J'ai pas trop à me plaindre pour le coup. Hormis un peu trop de pâtisseries... bref, tu connais ma mère. Quoique j'aurai pas dit non à un beau-père... mais quelle créature souterraine voudrait d'un néphilim pour beau-fils hein?"

Quoique j'en connais un qui en a épousé une, de néphilim, mais on fait tous des folies dans notre vie. Si cela me pose le moindre souci? Non. J'ai bien grandi en l'absence d'une figure paternelle, croyez-moi. Le seul truc, c'est que j'espère que ma mère saura profiter de ne plus m'avoir à la maison pour se trouver quelqu'un de plus intéressant que mon père, elle le mérite. Lesbus me reprend concernant la comparaison entre mes ailes et ses portails. C'pas faux. Mais on est deux gamins à ce jeu. Aucun de nous n'est foutu d'admettre la supériorité de l'autre sur ce sujet... enfin, à voix haute toujours. A voix basse, je sais qu'il a plus de pouvoirs que moi. Et c'pas que parce que j'y suis totalement, sous son pouvoir.

"C'est possible qu'une fois ou deux, ça ai été utile. Dans un cul de sac ou un autre. Oui."

Un demi-aveu? C'est tout ce qu'il aura de ma part pour aujourd'hui. Ses mains sur les miennes, il tente un pas en direction du rebord, sa déclaration suivante me faisant lever le regard vers sa nuque, tout ce que je peux voir de lui à l'instant présent.

"Arrête tout de suite. J'sais pas où j'en serais si tu faisais pas partie de ma vie. Certainement encore à craindre l'ombre de mes ailes, et certainement pas à voler au dessus de cette ville avec ses hauteurs si proches des cieux. C'est pas toi qui m'en devra une. C'moi qui t'en dois une, pour être toujours là, à mes cotés, avec mon caractère de cochon et tout le reste. Parce que j'suis pas totalement débile, j'me doute que la belle-famille doit pas être hyper ravie que le fils prodige se tape un demi-ange, non? De mon coté, ma mère est contente pour nous, et j'me fous de l'avis d'un père que j'connais ni d'Eve ni d'Adam. Alors laisse-moi t'offrir ce vol?"

Si je crains moi aussi que mes ailes ne soient pas capables de supporter son poids en plus du mien? Honnêtement, c'est pour ça que je préfère essayer en me jetant dans le vide qu'en décollant du sol. J'ai bien plus de chance de trouver un courant d'air ascendant, et je peux toujours planer pour atterrir le plus "normalement" possible dans le parc le plus proche. Quitte à lui offrir une bonne frayeur et une bonne crise de vertige, mais de là à causer notre mort à tous les deux? Nan, j'y crois pas. J'ai toutes mes plumes, et elles sont dans un état plus que convenable, alors question portance de l'air, je suis pas mal...

"J'suis le seul qui a l'impression d'être dans Fort Boyard? Quand faut qu'ils se jettent dans le vide pour trouver l'indice? Alors, tu sais quoi. Tu me dis quand c'est ok pour toi. J'plongerai pas avant, c'est promis. Et si tu veux pas... j'insiste pas."

Bon, le truc, c'est qu'il est plus grand que moi, ce con. On va décoller un poil à l'aveugle le temps que la gravité m'aide à passer la tête par dessus son épaule. D'un coté, l'immeuble le plus proche est à plus de 50m, faudrait être con pour se le bouffer.

"Au moins elle t'a pas encore viré de sa cuisine, c'est que t'es pas si nul. J'ai interdiction d'y mettre une plume moi!"

Quand au fait qu'il ne t'ai jamais présenté quiconque de sa famille? Il t'en faut un peu plus pour te vexer, surtout quand on voit la "normalité" de vos familles. Je crois qu'on est assez loin du schéma des téléfilms du dimanche après-midi avec The famille américaine lambda, un père, une mère, un frère et une sœur, une clôture blanche dans une banlieue pavillonnaire et un labrador sur la pelouse. Donc on oubliera la présentation obligatoire à la belle-mère, les respects au beau-père, et la demande de la permission du beau-père pour le mariage... nan,s'il te demandait de se marier à Vegas, tu finirais par dire oui. Seul truc, ta mère vous tuerait si vous oubliiez de l'inviter, tenez-en compte dans vos projets.

"Moi non plus, j'compte pas te lâcher."

Dans tous les sens du terme, s'il ne l'avait pas compris. Tu comptes bien finir ta vie avec ce mec, quelque soit le nombre d'années qu'il te reste à passer sur cette terre. Et dans l'immédiat, non, tu ne le lâchera pas. Totalement hors de question. Sentant ses doigts sur les tiens, tu les écartes juste assez, les tiens, pour qu'il puisse y glisser les siens.

"Alors je l'apprécie déjà, ton parrain. Et t'as pas rien. Tu m'a moi. Crois-moi, c'pas rien."

C'pas rien non plus de te supporter, à ce qu'il parait. C'est ta mère qui te rabâche ça à tour de bras. "Le jour où il ne te supportera plus, personne ne pourra le blâmer. Pour une fois que t'en as un de potable, par pitié, fais des efforts." qu'elle te dit. Parfois, tu te dis qu'entre vous deux, c'est lui qu'elle continuerait à inviter à diner chez elle dans un cas improbable pareil. D'un coté, c'pas plus mal. Qu'elle l'apprécie autant. Tu n'aimerais pas avoir à choisir entre eux. Il avance d'un pas de plus, et tu soulève machinalement tes ailes, prêt à t'en servir, sentant qu'il ne te préviendra pas forcément s'il vient à vaincre sa peur une demi-seconde pour sauter. Tes ailes ainsi tendues dans ton dos, juste assez ouvertes pour que les courants d'air s'infiltrent entre tes plumes, laissent s'échapper un léger chuintement auquel tu ne prêtes plus attention depuis longtemps, mais qui t'as intrigué lors de tes premiers vols à l'air libre. Illusk ne t'offrait pas de tels courants d'air.

Tu prends un simple mot de sa part pour une autorisation tacite à avancer davantage, et tu ne le laisse pas réfléchir plus à l'idée avant de le pousser dans le dos, juste assez pour quitter la sécurité du toit. La chute? Quelques mètres de haut à peine avant que tu n'étende tes ailes tel un parachute, te laissant porter par un courant d'air ascendant que tu trouves à ta portée. Quand à Lesbus? Ta prise sur lui est impeccable, tes bras bloqués sous les siens, et tu as effectivement profité de la pesanteur pour dégager ton regard de l'épaule de ton compagnon. Ce qui est légèrement pratique pour voir où tu vas, en passant.

"Verdict?"

Un truc auquel tu avais moins pensé, l'air qui te prend le nez et la bouche alors que tu essaye de lui parler. Parler en vol n'est pas vraiment dans tes habitudes. C'est que tu croise rarement des gens là-haut... Tu te penches sur la gauche pour passer à coté d'un immeuble, décidant de remonter de quelques étages pour passer au dessus des plus bas. Ça t'évitera trop de déviations de direction qui te paraissent plus compliquées avec le double de poids à charge.

Plaider ma cause auprès de ma mère, rapport à mes qualités de cuisinier? Alors, je sais à quel point mon avocat est le meilleur de la ville, mais l'accusation a des preuves à charge bien trop conséquentes contre moi. Du genre? J'sais pas, un incendie? Ok, j'avais dix ans à l'époque, mais c'est qu'une part de la nombreuse liste des griefs de la cuisine de ma mère contre moi. Sans parler de mes "talents culinaires". Faut être honnête, si j'essaye de mélanger du lait, des œufs et de la farine, ça va donner tout sauf une pate à gâteau. Faire cuire des pates? Si je suis la recette c'est pas assez cuit, si j'attends une minute de plus c'est trop... non mais je vous le dit, faut pas.

"J'm'en voudrais de compter un procès perdu dans ta carrière."

Quoique c'est avec un sourire rieur que je lui répond. J'ai d'autres priorités à l'heure actuelle, comme empêcher mon fiancé de faire une chute potentiellement mortelle parce que j'ai oublié de tenir ma prise. A sa remarque sur ce mariage qu'il attend depuis bien trop d'années que je prend le temps d'y réfléchir sans être capable de me fixer un objectif de temps pour le concrétiser, je me contente de glisser mon nez dans son cou, le serrant davantage contre moi alors que je laisse mes ailes nous faire dériver sur les courants aériens qui survolent la ville. Bien sur que j'en ai envie, au moins autant que lui, mais je crois qu'à force d'habitudes entre nous, c'est un peu comme si on l'était déjà, mariés. Le seul truc qui nous manque, c'est un bout de papier pour le dire... on a vraiment besoin d'un bout de papier? Ok, ma mère m'en collerait une si elle m'entendait penser.

Un dont j'aimerai entendre les pensées en ce moment, c'est Lesbus, bien sur. Parce que notre position actuelle - à savoir, moi dans son dos à lui -, ne m'aide pas vraiment à lire ses réactions sur son visage. Au bout de quelques minutes, je finis par nous poser sur un toit, voulant lui éviter une chute en piqué telle que j'en ai l'habitude quand je vais d'un toit au sol le plus proche. Je doute qu'il aurait aimé la plaisanterie. L'atterrissage est mouvementé, on est d'accord que j'ai pas l'habitude des passagers, et je finis par opter par l'option qui me parait la plus simple, à savoir, réduire ma vitesse pour le lâcher au ras du sol, avant de refaire un tour pour pouvoir me poser moi-même à ses cotés.

A peine posé sur le gravier du toit, je fais disparaitre mes ailes d'un coup d'épaules savamment étudié avant de revenir vers lui, glissant une main dans son dos et l'autre contre son torse, craignant un instant que sa crise de fou rire ne veuille dire que je lui ai frappé la tête en le laissant descendre. D'accord, en vrai je crois qu'il cherche ses mots, ou son souffle, ou un peu des deux peut-être.

"Dois-je en conclure que ça t'as plu?"

Il manque tellement de souffle que son baiser me prend de cours. Et tenter de parler avant de se couper lui-même la parole par un nouveau baiser n'a pas l'air d'arranger les choses. Moi, je ris gentiment de ces paroles. Comme si j'avais pas essayé de vaincre sa peur du vide pendant ces quinze années. Ok, à un moment j'ai abandonné l'idée, parce que je me suis rendu compte que c'était pas en appuyant sur sa peur que je le convaincrais de sauter le pas. D'ailleurs, je sais même pas comment j'ai réussi là, mais j'vais pas m'en plaindre.

"Pourquoi vouloir un parachute quand t'as un néphilim? Je t'assure que c'est pas donné à tout le monde, une chance pareille!"

A mon tour de l'embrasser, même si en vrai, j'ignore si il parlerait vraiment d'une chance ou d'un malheur, de me connaitre. Cela dit, je m'éloigne un peu de mon compagnon, attiré par un reflet noir dans le gravier du toit. Avant de me pencher rapidement pour ramasser une plume perdue en cours de route. Surement pas la seule, mais j'vais pas faire le tour de la ville pour tout ramasser. On dira que c'était des plumes de vautour.. y a des vautours à Chicago? Bref, je la fait tourner un instant entre mes doigts avant de la tendre à Lesbus.

"Une de plus dans la collection de Kelean."

Un autre que faut que je pense à visiter un peu plus de deux fois l'année, le petit cousin. J'l'aime bien ce gamin, et je trouve que c'est moche, ce qui est arrivé à sa mère, à son âge. Pas qu'à mon âge ça serait beaucoup mieux qu'il arrive quelque chose à la mienne. Mais c'est qu'un gosse, et entre nous, c'pas son père qui va lui apprendre à voler alors... comment j'ai appris moi? euh... c'est cette fois-là que j'suis tombé du haut de la grotte après un pari raté contre deux drows et un semi-orque? Tout ça pour dire que je compte bien m'y atteler quand il aura enfin quelques plumes sur les ailes. Parce qu'aux dernières nouvelles, c'était pas encore ça.

"T'es au courant que va falloir qu'on remette ça pour que j'te ramène au sol? A moins que tu veuilles expliquer à la sortie de cet immeuble-ci comment t'es arrivé là..."

En vrai, y a tellement de monde dans les immeubles que personne ne se poserait la moindre question sur son identité... mais j'refuse pas de retenter l'expérience, même si il est surement plus lourd que moi et que je vais surement avoir des courbatures aux muscles de mes ailes au réveil.

Au cas où? Je lui lance un regard qui veut tout dire que le niveau de confiance qu'il place en moi avant d'attraper l'avant-bras qu'il me tend pour l'aider à se relever, le retenant contre moi pour l'empêcher de se re casser la gueule dans les graviers.

"Un de ces quatre, Nathaniel pourra lui fabriquer de vraies ailes avec tout ce qu'il a, tu veux dire. Tu peux pas savoir combien j'ai hâte qu'il puisse enfin voler pour de vrai, ce gamin!"

J'ai jamais eu de petit frère ou de petite sœur, après tout, et des gosses, c'est pas dans mes projets d'avenir, alors ce gamin, j'aime bien m'en occuper un peu. Pis c'est pas son terrestre de père qui va lui apprendre à voler alors, faut bien que tonton Amaël s'en charge. Pour ma cousine que j'ai si peu pris le temps de connaitre.

Si j'ai oublié qu'il peut se téléporter directement au Pandemonium? Oh non, j'ai pas oublié, mais j'espérais que lui oui. J'dis pas non à lui offrir le vol retour, depuis le temps que j'essaye de le convaincre d'essayer. Je ris à le voir chercher une porte de secours, avant de l'embrasser, ne me rappelant qu'au dernier moment qu'il ne tient pas assez sur ses jambes pour résister à mon élan. Un peu plus et on s'étalait dans les graviers!

"J'avais espéré que toi, tu l'ai oublié!"

Sa question me fait m'écarter, d'abord légèrement, m'assurant qu'il tient debout sans mon aide, puis plus franchement, pour me pencher par dessus le bord du toit, jetant un œil aux rues tout en bas. Si je peux lui conseiller un truc? De pas faire la même si il veut pas que son vertige revienne vitesse grand V.

"Pas loin du centre des Congrès. Deux rues peut-être. J'me perd toujours autant sans GPS mais à vol d'oiseau, j'pourrai presque te déposer à l'appart en passant."

Qui l'emporte dans sa voix alors que Lesbus compare ce que Kelean fera à ce que j'ai moi-même su faire? L'exaspération ou l'inquiétude? Un peu des deux sans doute.

"J'me suis jamais fait attraper, cela dit."

Mon insouciance l'énerve? Sans doute. Disons que jusqu'à présent, je n'ai vu les conséquences de ce genre de comportement ni de la part des humains ni de celle du Ciel que ma mère m'a tant appris à craindre. Notez que j'y fais plus attention que ne le pense Lesbus, seulement, j'en fais pas montre. Ca sert à rien de vivre dans la peur constante.

"Parce que si t'oubliais ton don alors que tu es piégé sur ce toit, ça me donnerait l'occasion de t'emmener une fois de plus."

Je reportes mon attention sur lui, quittant la rue en contrebas du regard, quand il me demande effectivement si, à partir de cet immeuble ci, je serais en capacité de l'emmener jusque chez nous. J'écarte légèrement les ailes pour éprouver les courants d'air qui circulent entre mes plumes, levant le regard vers les hauteurs autour de nous.

"C'est plus facile en descente qu'en montée, mais ça devrait aller. Au pire des cas, tu nous téléporteras avant qu'on s'écrase." Je remarque qu'il a légèrement blanchi tout à coup. "Dans l'idéal on évitera de s'écraser, t'inquiètes pas." Je me glisse dans son dos, glissant mes bras autour de sa taille et calant mon visage derrière son épaule. "Tu me fait confiance pour pas te lâcher, et j'te fait confiance pour nous sauver la mise si j'me foire. On fonctionne comme ça toi et moi non?"

J'ouvre mes ailes pour capter un courant d'air ascendant, faisant battre mes ailes pour prendre l'altitude nécessaire à décoller et faire décoller mon fiancé avec moi, devant bien admettre que c'est plus compliqué en montant qu'en descendant, effectivement. Rien de nouveau sous la lune, je dois dire. Enfin, le rythme pris, et le courant d'air adéquat trouvé, ça se fait tout seul, même si je dois bien admettre que je ne parcourrais pas l'entièreté de la ville avec l'équivalent du double de mon poids à bout d'ailes, pas sans entrainement en tout cas. Ce qui veut dire? Que s'il me demande de le refaire, je le referai. En attendant, je finis par arriver à bon port, et réussir un meilleur atterrissage sur notre terrasse que sur le toit précédent.

Je dois admettre que je suis quelque peu rassuré une fois arrivé à bon port. J'ai beau savoir ce que je fais, ça m'emmerderai quand même pas mal de le précipiter vers le sol, surtout en ayant pas du tout prévu de le faire à la base. Je souris gentiment de l'entendre me dire qu'il n'avait pas pensé à l'idée du sauvetage par téléportation, une façon de me dire qu'il avait assez confiance en moi pour ne pas y songer, non? Je le prend comme ça en tout cas.

"Content que ça t'ai plu."

Je prend le temps de savourer une caresse rapide de ses doigts dans mes plumes avant de les faire disparaitre, sachant très bien où cela va m'emmener si je le laisse continuer.

"Te jeter dans le vide? Pour te rendre définitivement allergique à l'idée du vol? Mauvaise idée. Je savais que tu ne me résisterais pas éternellement. Et que j'arriverai à te faire regretter de pas avoir accepté plus tôt un jour."

Je l'embrasse, profitant qu'il soit encore un peu tanguant sur ses jambes pour aller ouvrir la porte fenêtre et l'entrainer à l'intérieur pour l'installer sur le canapé.

"Si j'te laisse ça va aller? J'ai peut-être pas tout à fait fini mon service, pour tout dire. J'suis de retour d'ici une heure, une heure trente max. Promis."

Je lui glisse bientôt un verre d'eau dans la main avant de lui voler un becquet et repartir par le balcon par la voie des airs que je connais si bien.