J'ai bien capté quand Lesbus m'a évoqué l'idée de me présenter un oncle, ou un parrain, ou, ok, j'ai perdu le fil, mais j'avoue que je n'y ai pas prêté d'avantage attention que ça. Parce que je ne voulais pas me montrer insistant dans le cas où il aurait changé d'idée. Je sais ce qu'il est, je l'ai toujours su, et ça ne m'a jamais dérangé, mais c'est plus fort que lui, j'ai l'impression qu'il en a honte, et surtout face à moi. Bordel, je suis le fichu bâtard d'un emplumé de première qui a laissé tomber ma mère à la première occaz, et j'ai passé des années, pour ne pas dire que c'est encore effectif aujourd'hui, à craindre le moindre battement d'ailes parce que je sais parfaitement ce que les dits emplumés pensent des machins dans mon genre... j'me demande bien de quoi on peut avoir honte en ayant les origines totalement inverses. Même si je respecte sa volonté de couper les ponts avec sa famille et de pas vouloir en causer. D'où ma surprise quand il m'en a causé, et le fait que j'ai pas insisté davantage. Quand il voudra.

En attendant, je suis en train de me battre avec un service ni fait ni à faire. Savage est pas désagréable comme patron, quand on se rappelle d'oublier la poignée de main (vous inquiétez pas, il a compris plus rapidement que moi), mais nous imposer deux nouvelles recrues un vendredi soir, c'était vraiment une idée de patron hein. Résultat des courses, j'ai pas eu le choix que de participer pleinement au service, et je suis pas sur que je sois bien plus efficace que les dites recrues en la matière. J'dois être de la fibre des "patrons" moi aussi, trouvant plus simple d'organiser les choses comme elles doivent être plutôt que d'en être moteur. Bref, on ne s'improvise pas serveur en salle en dix minutes, et je crois que c'est quelque chose dont je vais entendre parler à l'avenir, supérieur hiérarchique ou pas. D'accord, y a plus chien que moi comme "supérieur hiérarchique", après tout, j'ai tout juste la moitié de l'âge de mon chef cuistot alors... j'peux difficilement lui en conter!

Du coup, les premiers messages qu'il m'envoie, je les ai lu à retardement, pour ne pas dire que je les ai survolés, lui offrant un de ces messages pré-enregistrés en réponse. On a fait mieux, mais désolé mon cœur, c'est la merde, on se rappelle.
Je profite que ça se calme un peu une fois la majorité des clients servis et mon intervention plus vraiment nécessaire pour m'éclipser dans un couloir et enfin prendre le temps de lire les... 25? messages qu'il m'a laissé, au moment précis où un de plus arrive, pour me donner rendez-vous à la terrasse. Je jette un dernier regard en salle pour m'assurer que ça gère, tout en me demandant avec une légère pointe d'inquiétude le pourquoi du comment qu'il a tenu à faire ça là. On aurait été plus tranquilles à l'appart. A moins qu'il ne fasse pas assez confiance à son affilié pour l'emmener chez nous. Pas impossible.

Je fais un détour par la salle d'eau pour me rafraichir le visage et redonner un semblant de coiffure à mes cheveux avant de me montrer sage et prendre l'ascenseur pour gagner la terrasse. J'ignore ce qu'il a bien pu raconter, alors, arriver en battant des ailes, ça pourrait la foutre mal. J'en profite pour retirer ma veste et ma cravate que j'abandonne sur le dossier de la première chaise que je croise à la sortie de l'ascenseur, avant de me diriger vers lui, jetant un œil sans y paraitre à l'homme à ses cotés.

"Hey, salut toi."

Je me contente de l'embrasser sobrement au coin des lèvres avant de jeter un regard plus franc vers son visiteur, tendant une main vers lui pour le saluer.

"Amaël. Et vous êtes le fameux oncle, si je ne m'abuse."

Et c'est sans réfléchir que je lui sers la main, ne captant pas du coin de l'œil la veine tentative de Lesbus pour m'en empêcher, jusqu'à ce que cette sorte d'électricité que je ressens sur ma peau lorsqu'elle entre en contact avec un démon - exception faite de mon cher et tendre - me fasse reculer d'un pas, réalisant de suite ma connerie en même temps que la douleur semble bien réelle sur son visage. Oui, je suis un con. Et si ma main à moi est parfaitement indemne, je doute de pouvoir dire de même de la sienne. Matthew a gardé la trace de cette brulure combien de temps, déjà? Plusieurs jours, au bas mot.

"Pardon, j'ai pas... attendez..." Et je manque refaire un pas vers lui comme toute personne inquiète le ferait avant de me rappeler que non, c'pas une bonne idée, et laisser Lesbus gérer pour moi. "Désolé, j'ai pas pensé que..."

Que tu cramais la peau des démons que tu touchais? Qu'un membre de la famille de ton démon de fiancé serait lui-même un démon? T'as pensé seulement, Amaël?! Pour une entrée en matière réussie, on repassera...

Parrain, oncle... d'accord, j'ai hésité sur lequel était le bon et comme d'habitude, j'ai plongé vers le mauvais. Non mais c'est pas une habitude personnelle ça, c'est tout le monde. Comme dans ces jeux TV à questionnaires à réponses multiples. Si vous regardez bien, les candidats se bourdent moins quand y a plusieurs réponses que quand y en a que deux. C'est systématique, quand y a que deux réponses, 95% du temps, les gens prennent pas la bonne.

Ok, j'ai merdé, mais je n'ai pas la sensibilité nécessaire à reconnaitre un démon quand j'en vois un. Je tourne le regard vers mon fiancé quand sa voix devient plus dure, froide, peu habitué que j'y suis à l'entendre me parler sur ce ton. De quoi me faire mettre quelques secondes à capter que ses mots me sont destinés, d'ailleurs. Je finis par l'écouter, sur le tard, me glissant près de lui et plus loin de son parrain, finissant par glisser mes mains sur la sienne pour récupérer le verre qui a toutes les chances de lui péter dans la main s'il continue à le malmener ainsi.

"Lache-le, j'rattrape."

Je croise son regard, tentant de glisser un peu d'excuses dans le mien, jusqu'à parvenir à me saisir du verre à sa place. Avant de glisser une main à son cou, appuyant mon front contre le sien un instant.

"J'vais nous chercher à boire. Whisky ça te va?"

Je m'écarte légèrement pour jeter un regard vers le dénommé Rampa quand il évoque l'illustre inconnu qu'est pour moi le père de Lesbus (et pour lui également, de ce que j'en sais), avant de faire appel à l'un de mes collègues pour la suite. Non vraiment, je gère. Je fais un signe au dit serveur pour lui signifier que je gère, avant d'aller me servir directement dans le bar de la terrasse. J'remettrai une bouteille dedans plus tard. En attendant, je récupère deux verres pour accompagner la bouteille avant de revenir vers les deux démons, glissant un verre dans la main de Lesbus avant de les resservir copieusement, et faire de même pour moi.

"Désolé. C'est tellement naturel de toucher celui-là sans risque que j'oublie que les autres démons n'apprécient pas vraiment mon contact."

D'accord, j'oublie parfois même le coté "démon" de mon compagnon. Entre nous, si fallait que j'me trouve un ange, je chercherai un moment donc... ouais, j'me suis jamais beaucoup préoccupé de la nature exacte de mes conquêtes. Ce qui veut dire? Qu'il pourrait être à moitié licorne que je l'aimerai tout autant. C'pas l'important. Le physique non plus d'ailleurs, mais je dois dire que le fait que mon mec soit à tomber est quand même un sacré bonus pour moi... Ok, focus Amaël, on va pas y arriver si tu reluques plus ton mec que tu n'écoutes l'homme qu'il compte te présenter.

"Rampa donc?"

Comme un ennemi? Pourquoi? Parce qu'il est né en Enfer? Si fallait décréter les gens ennemis par leur lieu de naissance.. d'accord, les humains sont passés maitres dans cet art, mais je ne suis humain ni de père, ni de mère, alors y a pas de souci, à mon avis.

"Techniquement, j'ai entendu dire que les néphilims étaient moins bien vus par les célestes que les démons, alors je dirai que l'ennemi de mon ennemi est mon ami."

Pis bon, j'ai pas non plus été élevé chez les néphilims, pour tout dire j'en ai connu qu'une seule dans ma vie, et encore, je passe bien plus de temps avec mon petit cousin aujourd'hui que j'en ai passé avec ma cousine quand elle était encore de ce monde. Sinon, mes camarades de jeu étaient plus facilement des rangs des Drows, Kobolds, Vampires et autres Rats-garous, alors non, j'ai pas appris à me préoccuper de la race de mes compagnons ou de mes amants d'ailleurs.

"Je vois ça. Vous aviez l'air d'avoir aussi peu prévu que moi l'incident qui vient de se produire. Rassure-moi Les', tu lui a bien dit que j'étais pas un vampire?"

Je bois une gorgée de Whisky, remarquant que le patron se réserve pas des bouteilles de merde à cet étage. Mon idée de remplacer la bouteille par une de celles du bar tombe un peu à l'eau dans le coup. Je pose mon verre sur le comptoir pour jeter un œil plus attentionné à l'étiquette de la bouteille, avant de me rendre compte que j'ai légèrement perdu le fil de la conversation en passant.

"Les chambres? J't'avoue que ma partie, c'plus le restaurant, mais j'confirme que les chambres de cet hôtel ont un intérêt certain. Pour résumer, elles s'adaptent aux souhaits de l'occupant. Mais j'suis pas le mieux placé pour en parler. Le propriétaire connait mieux son affaire que le simple maitre d'hôtel que je suis."

"T'as peut-être... ok d'accord, nickel."

J'aime quand Lesbus se la joue insouciant, étant donné qu'en temps normal, c'est plutôt moi l'insouciant de nous deux. Mais pour le coup, je le bafferai bien, mon démon préféré. Même si en soi, je suis d'accord avec lui sur le fond. On s'en fout d'être ange, démon, vampire ou simple humain. Non, en fait, c'est juste que j'aurai évité de cramer la main de son parrain, et lui se serait méfié assez pour ne pas se faire cramer la main. Mais je n'en tiendrais pas rigueur à Les'. Si on se prenait la tête pour si peu, on aurait pas tenu quinze ans ensemble, croyez-moi. Les gaffes, on sait faire que ça.

"J'entends les menaces voilées, vous savez. Mais les problèmes, je nous les ai déjà apportés, alors tant qu'il supporte de m'avoir sur le dos, j'vois pas ce qui peut nous arriver qu'on pourrait pas franchir ensemble."

Je repose la bouteille qui m'a tant fasciné avant de revenir vers Les', passant un bras autour de sa taille pour finir par glisser ma main dans la poche arrière de son jean. Y a pas à dire, j'adore la façon dont il trouve toujours des façons détournées de m'avouer ses sentiments pour moi. Entre nous, c'est lui le démon, et c'est moi qui suis infoutu d'être aussi honnête avec lui. Bien sur que je l'aime, mais j'ai pas sa faculté à le dire haut et clair, surtout en présence d'un presque inconnu, même s'il est de sa famille. Ca serait pas sincère. Enfin si, j'suis sincère avec lui, mais ça donnerait l'impression d'être forcé.

"Pour les réservations, faut voir avec Savage oui. C'est sa partie. Après, pour déguster la spécialité du chef, ça, c'est ma partie. Enfin, pour la réservation, parce que question cuisine..."

Oui, j'ai bien capté l'air mi-amusé mi-choqué de Les' quand j'ai potentiellement laissé entendre que je pouvais me débrouiller en cuisine. Non, là, je serais pas crédible. Je le sais bien et il le sait tout autant.

"Et vu ce qu'on vient de voir, je peux te confirmer que t'es détraqué comme démon. C'pas normal que j'te fasses pas plus d'effet que ça." Je croise son regard l'espace d'un instant, devant lutter avec moi-même pour finir par m'en détacher. "Pour une fois que c'était pas moi qui te tombait dessus..."

J'ai pas toujours été l'as du vol plané que je suis aujourd'hui, faut dire. Mes premiers vols à la surface, avec la gestion des courants d'air qui n'existent pas ou presque à Illusk, ont été du genre laborieux. En bas, c'est plus simple, hormis les courants d'air chauds issus du sol volcanique... y a que dalle. Pas de droite, gauche, air froid descendant ou autre truc bon à vous balancer dans les gratte-ciels.

"Le service est pas fini, si c'est ta question. Mais j'ai fait ma part. J'suis pas payé pour faire la vaisselle."

Peut-être que si en fait. J'en sais rien. Je sais juste que y a des petites mains sous mes ordres pour mettre les assiettes dans le lave vaisselle de la cuisine, alors j'ai bien assez aidé pour la soirée. Surtout que participer activement au service en salle, ça, ça rentre pas dans mes prérogatives en revanche.

Je croise le regard de son parrain alors qu'il enchaine sur une remarque salace de son cru. Si il pense me choquer, il se trompe royalement. J'ai beau être à moitié ange, je suis loin d'être prude, je pense que Les' peut en témoigner.

"Oh pour ça, il sait exactement comment faire pour attirer mon attention, croyez-moi."

Notamment? Rien que de penser à la sensation de sa main caressant la courbe de mes ailes, je dois me coller une gifle mentale pour sortir de mes pensées et revenir dans la conversation, qui a dérivé vers ceux qui pourraient trouver à redire de notre couple (et pas besoin d'être devin pour savoir qu'ils sont nombreux), avant que mon cher et tendre ne remettre cette histoire de date sur le tapis.

"Techniquement, si on écoute la Bible, les néphilims sont une engeance pire encore que les démons alors, j'nous trouve plutôt raccords, non? Pour le reste, tu sais bien que c'est quand tu veux."

Même si je préfère de loin qu'on se fasse un truc peinard en petit comité plutôt que de devoir inviter la moitié de la ville qui connait le quart de la ville qui nous connait de près ou de loin. C'est que monsieur a déjà géré des affaires assez médiatiques pour que son nom soit déjà apparu dans le journal local, alors, ça en fait du monde qui connait du monde qui nous connait de loin.

Si ça va plus vite que je l'avais prévu, tout à coup. Faut dire qu'après quinze ans à reculer l'échéance juste par manque de préoccupation à y apporter, voilà qu'on se fixe une date et un prêcheur - prieur? marieur? - en moins de cinq minutes. Ouais, Les' a pas tord, je vais me prendre une chaise, mais pas parce que je l'énerve à rester debout.

"Doucement les gens, c'est un guet-apens ou quoi?", que je dis en riant à demi, "d'abord, un mois pourquoi pas, de toute on a moyen d'appeler les quatre ou cinq péquins à inviter. Ensuite, z'êtes capitaine de navire ou prêtre en plus de démon?"

Non parce que, j'crois que y a que ces gens là qui peuvent officier un mariage non? Ah si, y a le maire aussi... oui non, sans façon, je préfère de loin qu'on nous dise dans dix ans que y a un problème que de laisser Azazel s'approcher de notre mariage. C'est un coup à divorcer dans l'année ça, mais genre, la poisse intersidérale! Bref, je vérifie qu'on est bel et bien seuls sur la terrasse et que le vis à vis avec les immeubles alentours est à notre avantage avant d'étendre mes ailes, les faisant battre une fois ou deux dans mon dos pour dérouiller les muscles avant de les replier dans mon dos.

"Bon, puisqu'on est d'accord que tout le monde ici sait qu'on est pas humains... J'peux te poser une condition Les'? J'veux pas avoir à penser aux trois humains inconscients de notre monde présents dans la pièce pour rédiger mes vœux. Y a moyen que le peu d'invités présents soient au courant de notre nature?"