Dis patron, on peut discuter une minute? [Amael&Matt]

Je sais que Les a du tout préparer dans les moindres détails depuis quinze ans que je le fait poireauter, mais y a quand même un point sur lequel c'est à moi de bosser. Qui est justement d'éviter de bosser. Non parce que on a réussi a se débrouiller de ne pas avoir à prévoir un mariage en dix minutes entre un procès et un service en salle, sans être franchement partis sur un truc grandiose qui invite la moitié de la ville et bouffe la moitié du budget annuel de la cité d'Illusk. Bon déjà parce qu'à Illusk c'est un poil le merdier en ce moment, donc le budget annuel il risque d'être utile ailleurs. Mais j'm'égare. Les et moi on a eu la chance de pas avoir une méga grande famille à inviter, alors se faire un truc entre nous avec son parrain, ma mère et ma cousine c'était très bien aussi. Et Kelean et Nate, bien sur. Pas parce que Esther n'est plus de ce monde que cette branche de ma famille est coupée. Parlant du moineau, j'sais pas quand il va pouvoir retourner dans son nid, mais en attendant, il squatte le notre. Notez que c'est pas pour me déranger, si tous les gosses pouvaient lui ressembler... oui je sais, ma mère en dit autant. Mais passons. On a dit, causer au patron. Parce que dans cet imbroglio dans lequel personne n'a rien compris, je compte prendre quelques jours de congés pour boucler la dernière partie des projets qui vont avec le mariage, la lune de miel. Pas évident si faut rentrer pour un procès ou un service à table entre deux.  Et je profite de la fin du service du midi pour le rejoindre au bar, m'assurant qu'il soit bien seul pour le déranger. Glissant un verre dans sa direction avant de perdre mon regard vers le miroir derrière le comptoir, sans vraiment y remarquer mon reflet au milieu des bouteilles.

"Il est plus commun de vous trouver sur le balcon, en général. Plus facile de regarder dans le vide que de s'y jeter, pas vrai?"

Sans être commun des derniers ragots qui se promènent dans le personnel, j'ai aussi bien remarqué que les autres que la dernière conquête du patron arrive à le faire sortir de son hôtel, et c'est loin d'être à critiquer. Pas qu'on aime pas avoir la patron sur le dos. Plutôt qu'un patron névrosé fait de bien à personne.

"Je peux dire que c'est plus facile de s'y jeter au sens littéral qu'au sens figuratif, en tout cas. C'est pour ça que j'viens vous voir d'ailleurs."

Je porte mon verre de whisky à mes lèvres pour laisser au patron le temps de sortir de ses pensées, jusqu'à ce qu'il me réponde avec un air inquiet qui ne se laisse pas dissimuler. Oui, je sais "faut qu'on parle", en général, c'est une phrase qui promet une mauvaise conversation et une conclusion en verre brisé. Je repose mon verre pour lever une main entre nous, dans le but de remettre les choses à plat.

"Rien de grave. Je vous assure."

A la question de savoir si je souhaite ou non que nous rejoignions un bureau, je garde un instant d'hésitation avant d'acquiescer. C'est l'occasion d'être à l'abri des oreilles indiscrètes, au moins. Même si je ne suis pas certain que ce soit pour tranquilliser le patron. Alors je ne tourne pas autour du pot pendant dix siècles une fois la porte refermée derrière nous.

"J'aimerais poser quelques jours de congés dans les prochaines semaines. Mon neveu est à la maison pour quelques temps et ça demande un peu d'organisation d'emploi du temps entre Lesbus et moi. Sans compter qu'on vient de se marier lui et moi, alors on aimerait profiter un peu." Je lève un instant les yeux au plafond en comprenant un truc. "Avec le gosse dans les jambes, il semblerait."

C'pas comme si Kelean était chiant à vivre. Mais c'est vrai que sa présence rebat un peu les cartes de notre quotidien à l'appartement. Du genre? Qu'on a pas encore tenté d'éprouver l'épaisseur des murs associée à l'ouïe de notre neveu, et ça, ça fait partie des trucs vraiment frustrants. Je sais, d'aucuns se rappelleraient que j'bosse dans un hôtel, merci, je sais.

Ce mec, je l’adore et ce serait dommage de le perdre, alors oui, je m'inquiète. Je termine rapidement mon petit déjeuné avant de me lever pour prendre la direction d’un bureau qui s'avère être le bureau du chef de cuisine qui est le plus proche. Je n'ai besoin de virer personne du bureau, puisqu'il n'y a personne, nous aurons la paix. J'emprunte la chaise du chef en l'invitant à prendre place lui aussi. Qu'il entre rapidement dans le vif du sujet. C'est vrai qu'ils se sont enfin mariés c'est deux là. Je suis soulagé tant qu'à la demande toute simple avec le nombre d'heures qu'il a accumulé, il peut sans doute se permettre quelque jours.

-Vous avez sans doute assez cumulé pour vous permettre un moment…

Je perçois son désarroi de partager une lune de miel. Attendez ais-je bien compris qu'il ira avec un gosse, c'est nouveau ça? Je dois me remettre à l'actualité, depuis quand ils ont un gosse c'est deux la.

-Avec un gosse? Vous avez adopté?

Autant me mettre à la page pendant que j'essaie d'accéder à la feuille de temps des employés reliée à la restauration. Leurs système a besoin d'être mis à jour vraiment

On sentirai presque le soulagement dans les épaules du patron quand il comprends que je n'ai aucune bombe particulière à lui envoyer aujourd'hui, et je m'assieds en face de lui au bureau quand il m'en fait signe, remarquant assez aisément qu'il se bat littéralement avec l'ordinateur pour parvenir à entrer dans le système. Si je pourrai l'aider? Pas franchement. En temps normal déjà, on ne peut pas dire que les ordinateurs soient vraiment ma tasse de thé, mais en prime pour aller fouiner dans le système informatique du travail, encore moins. Si je devrais pourtant m'en servir de temps en temps pour gérer les emplois du temps de mes serveurs? On a un calendrier dans la salle de pause, ça fonctionne très bien comme ça.

"Suffisamment pour ne pas revenir avant l'an prochain, très certainement. Mais je sais aussi que mon rôle dans l'organisation de la salle n'est pas négligeable. Je ne voudrais pas planter tout le monde sans préavis, ou sans quelqu'un pour me remplacer d'ici à mon retour."

Sa réaction concernant le fait que nous sommes actuellement "chargés de famille" me laisse incompréhensif un instant, étant donné qu'il me semblait avoir parlé de Kelean juste avant. Peut-être pas. Ou le patron n'était pas à l'écoute à ce moment, j'en sais rien. Toujours est-il que la perspective que nous adoptions un jour me tire un franc sourire amusé. J'imagine la tête de Les' si l'idée lui était donnée. Il saurait très certainement faire remarquer que de gosse, il en a déjà un H24 à l'appartement. Enfin, quand on le sort de son rôle d'avocat, il n'est pas bien compliqué à dérider non plus le démon qui se prend pour un homme mature. Bref.

"Nan nan nan, rien de tel. Mon neveu passe quelques temps chez nous, le temps que ce soit plus calme chez lui, dirons-nous."

Plus calme du genre "qu'on ait rebouché le trou dans la voute d'Illusk" par exemple? Cela dit avec la magie, ça pourrait être plus rapide qu'on le croit. Y a bien une prêtresse ou deux qui connaitrait un gnome des profondeur capable d'invoquer un élémental de terre pour nous faire ça non? Oui bon d'accord, faudrait déjà que la prêtresse tue pas le gnome pour s'amuser, et que le gnome accepte de se trouver à moins de 50m de la prêtresse pour discuter... d'accord, le néphilim laisse les créatures souterraines s'occuper des histoires de créatures souterraines, ça marche.

Bon, au moins, nous rentrons dans le vif du sujet. Même si sa première question me fait garder le silence un instant, le temps de faire l'inventaire de mes troupes. Parce que oui, à choisir, je préfère faire monter en grade une personne méritante le temps de mon absence plutôt que faire appel à un intérimaire avec 10ans de métier derrière lui mais parfaitement inconnu. Disons que le coté "surnaturel" de la majorité de nos clients pèse pas mal dans la balance en passant, même si coté restauration, on a pas trop à se plaindre de mœurs particulières. On voit pas les vampires et les loups-garous prennent leur steak saignant, rien d'extraordinaire sous le soleil.
Finissant par remarquer que mon silence s'éternise, je me décide sur un nom qui, pour être honnête, m'est venu en tête assez rapidement. J'ai juste préféré faire le tour des options.

"Milo. Summers. Il est jeune et sans doute un peu désinvolte, mais il me semble mieux adapté à donner des ordres qu'à en recevoir. Autant dire qu'il ne suivra pas mes consignes si je ne suis pas là et qu'il juge qu'il peut faire mieux, mais je devrais retrouver le restaurant debout en rentrant."

Et puis je fais confiance aux plus anciens pour le recadrer au besoin. Autant dire qu'il m'a fallu des années pour réussir à en avoir la mire (et encore, si faut recadrer le "jeunot" que je suis, ils n'hésitent jamais), alors je sais que je peux mettre n'importe qui à ma place, si faut le descendre, ils le descendront. C'est aussi ce qui me fait penser à Milo. Ils sauront le driver dans la bonne direction, mais il saura tenir tête si c'est justifié. Ca peut être intéressant.

"Quant à savoir quand, il faut encore qu'on règle quelques détails, Les' et moi, mais le plus tôt sera le mieux. Pour le reste, j'imagine que vous connaissez les avocats, ils n'aiment pas déléguer leurs affaires, alors si j'arrive à le sortir du bureau 15jours sans qu'il s'y téléporte pendant qu'il pense que je dors, ça sera déjà magnifique."

Non, ce n'est pas une critique, mais la stricte vérité. Tout comme il y a des chances que j'appelle une fois ou deux pour savoir si il n'y a pas eu le feu en salle en mon absence. C'est comme ça, on est mordus de nos boulots.

"C'est ça. Ce n'était clairement pas prévu, mais je ne sais pas dire non à la famille. Ni à ce gamin en vérité. Alors on en profitera pour lui faire voir du pays. Ca le changera de sa caverne."

D'ailleurs va peut-être falloir qu'on freine sur le fait de "voir du pays", à force, il va pas vouloir redescendre en bas... et je sais de quoi je parle, j'suis pas prêt de retourner m'installer en bas pour de bon pour ma part.

J'acquiesce à la réponse du patron. Comme dit, c'est lui le patron, c'est plus que normal qu'il ait le dernier mot sur le choix de mon remplaçant, même si je pourrai dire que la partie restauration de l'établissement n'est pas celle où on le croise le plus. Déjà, il voit de qui je veux parler, c'est déjà pas mal.

"Je lui en toucherai un mot au prochain service. On se prévoit quand?"

J'ai un sourire en coin face à sa suggestion. Je pense que je prêche à un converti, même si lui se trouve de l'autre coté de la pièce par rapport à moi. Cela dit, son homme lui fait du bien, au patron, sans vouloir juger, il se prend des congés et a moins de cernes sous les yeux, pour ce que j'en vois. Si je suis mal placé pour juger Alistair ou Matthew concernant leurs horaires à rallonge? C'est pas faux, mais en même temps, je ne suis pas manager d'un fast-food, alors les services à rallonge, c'est pas franchement quelque chose auquel je peux couper. Cela dit, si Milo fait l'affaire, je verrai peut-être à lui laisser plus de responsabilités et rentrer plus tôt le soir. On verra en temps voulu.

"J'ai ma petite idée sur la question."

Un démon qui me parle de fuir la noirceur après s'être habitué à la lumière, c'est à double sens. Je ne relève cependant pas, gardant à l'esprit que c'est mon patron que j'ai en face de moi, genre le type qui peut me virer en un claquement de doigt s'il le souhaite. Non pis j'ai un peu appris le respect de la hiérarchie dans mon enfance. La montée en grade, ça se fait à coups de dague dans le dos, pas autrement. Et c'est pas prévu dans l'immédiat.

Je l'admet, je ne passe pas assez de temps dans la section de la restauration. J'ai quand même le loisir d'embaucher tout ce beau monde avec les gérants des différents départements. Je me suis entretenu avec chacun d'eux à différent moment. Ma porte leur est toujours ouverte, j'ai toujours un moment à leurs consacrer lorsque je les croise et désire s'entretenir avec moi. Comme cela, je connais à peu près tout le monde, il en n'a pas un que j'ignore qui ses.

-Avant ou après le rush, j’ai une préférence pour avant ou pendant, tient.A l’improviste, pourquoi pas.J’aimerais bien le voir à l'œuvre, vous me direz lorsqu’il sera de service.

De toute façon, j'aurais affaire avec le chef, ce bureau a besoin d'un coup de ménage. Il n'y a presque pas de surface de travail. Je prendrais en même temps l'occasion de lui envoyer un technicien pour qu'il mette a jours le système de cet ordinateur lorsqu'il aura plus de place pour manoeuvrer.

-Ne dites à personne que je passerais dans la salle à manger…

Voilà ce sera à l’improviste, de quoi les faire stresser un peu plus par ma présence dans la salle a manger. Je souris lorsqu’il me confirme avoir une idée sur la question.

-Dormir sur le fauteuil, c'est se la jouer vieux jeu…

C’est peut être se la jouer vieux jeu, mais lorsqu’il est confortable et qu’on s'endort en peu de temps dessus ça a des avantages pour laisser l’autre profité du matelas en entier sans obstacle à côté.. Tandis que moi, b’ah… Faudrait déjà qu’on habite ensemble pour se prendre la tête, chose qui ne risque pas d'arriver. Je refuse de le mettre en «cage». Nous sommes bien heureux en agissant ainsi, bien que certains semblent désapprouver notre façon de faire et je m’en fiche bien. C’est notre vie, pas la leur à ce que je sache.

-Il y a autre chose?

Pendant le service... j'espère que ce dernier ne sera pas trop tendu si il faut se passer du maitre d'hôtel et de son meilleur serveur. Enfin, qui suis-je pour contester les idées du boss. Je vais même tenter de lui filer un coup de main, enfin, si j'me gourre pas.

"Permettez."

Je passe à coté de lui et lui emprunte la souris en tâchant de me rappeler où aller dans les fichiers pour trouver un emploi du temps sans doute moins à jour que celui qu'on a dans la salle de pause, mais à peu près pas mauvais quand même. Disons que c'est l'officiel, celui où personne n'a échangé une journée avec un collègue à cause de la sortie piscine des gosses. Mais sauf malchance de ma part, ça devrait faire l'affaire.

"Ok donc demain... soir. Il m'a demandé son service du midi, maintenant que j'y pense."

Et je n'ai pas souvenir d'avoir prévu de remplaçant d'ailleurs. Bon bah au besoin, je serai un peu plus au service et un peu moins à l'organisation du service. On s'adapte. Même si il parait que le maitre d'hôtel est un piètre serveur.

"Et ça reste entre nous, bien entendu."

Je souris quand il me parle de faire dormir l'autre sur le fauteuil. Moi je penserai plutôt à aller dormir à la belle étoile sur le toit. Mais bon, rien ne me dirait que mon téléporteur d'époux ne trouverait pas le moyen de m'y rejoindre... et je ne saurais pas le repousser après l'effort. Oui, je suis faible en matière de ressentiment, apparemment.

"Pour ma part j'ai fait le tour. Nous reparlerons des dates éventuelles quand on sera certains que Milo vous convient, si vous le voulez bien."

C'est pas dans mes habitudes de m'occuper de ce qui ne me regarde pas, mais je crois que pour une fois, je vais me permettre de lui donner mon avis sur quelque chose qui ne concerne pas le travail. Pourquoi? Parce que j'ai pas besoin d'être télépathe pour voir qu'il retourne sans cesse vers les pensées que j'ai du interrompre en l'interpellant au bar.

"Si je peux me permettre. Si un néphilim et un démon ont pu s'accorder, vous devriez pouvoir trouver un peu de temps dans votre agenda surchargé pour le courant d'air que semble être votre compagnon. Les contraires s'attirent, à ce qu'on dit."

Je le laisse réfléchir là-dessus, posant rapidement une main sur son épaule en profitant que sa veste lui évite de cramer à mon contact, avant de faire le tour du bureau pour rejoindre la porte, prêt à sortir.