Le frigo voyageur - ft Marius

Tout s’est tellement bien passé que s’en est devenu un poil chiant. J’ai eu le temps de compté le nombre de lattes abîmées sur le pont, m’entraîner à escalader le nid de pie de notre vigie un peu trop de fois au point qu’on m’en a presque interdit l’accès. Une journée entière a été dédiée à une âme en peine et un long, très long monologue de sa part pour me raconter sa vie, pas du tout trépidante jusqu’à ce qu’elle se sente soulager de se rendre compte qu’en fait, elle avait soit disant pas fait d’erreur et qu’elle pouvait partir pour l’autre monde. Au final, j’ai mieux fait de me taire, parce que j’aurais eu tendance à lui dire que vue la vie pas palpitante, cet esprit pourrait bien trouver à s’amuser un peu avant de rejoindre l’autre côté. Comme j’ai eu peur de me la coltiner encore, je me suis tu. Ça relève presque du miracle venant de moi. Sinon, je considère que j’ai fait mon taf. Le trajet était simplement celui vers l’île et je ne suis que très peu nécessaire sur cette portion de navigation que tout l’équipage connaît comme sa poche. Et concernant mes relations avec l’équipe, ça va, ça vient. Certains me supportent un temps, d’autres peuvent pas me voir en peinture et rares sont ceux qui me cherchent pour passer un peu de bon temps. Malheureusement, des fois, c’est à mon détriment puisqu’ils pensent se moquer d’un simple d’esprit. Si un de ceux-là continue, je vais finir par passer le voile juste pour aller lui faire des misères et lui donner la frayeur de sa vie ! Le genre de canular qui ne laisse aucune preuve puisque je suis le seul nécro à la ronde.

Moralité, je sautille joyeusement en quittant le navire. J’ai pleins de projets ! Je veux revoir le lion, je dois avoir une conversation avec mon fantôme préféré et je me ferais bien aussi un tour à la librairie d’Amélie pour y dénicher un ou deux livres à bouquiner la prochaine fois que je me fais chier en mer.

Enfin, ça c’est avant de trouver une autre occupation qui me semble tellement mieux dans l’immédiat ! Je finis par courir en direction de la jolie brunette que j’aperçois sur les quais et lui saute dessus en lui collant un gros baiser sur la joue.

« P’t-être, mais le miasme c’est pire. »

Autant dire que ma répartie ne l’arrête pas et elle me sort tout un tas d’information qui me font ouvrir grands les yeux. Ouh la cocotte ! T’as effectivement tout l’air d’avoir un mort à la maison.

« Ouiiiiiiiiiii ! »

Je sais déjà ce que je veux en plus ! Un karaoké !! On a jamais pu finir l’autre et tout à ses frais ! Alcool et réservation de la salle, j’vais voir si j’peux inviter quelqu’un même … j’ai l’impression que je vais fêter mon anniversaire ! Enfin c’est comme ça que j’imagine les gamins qui organisent leur fête d’anniversaire, quoique leurs mamans les laissent peut-être pas picoler. Mais revenons à nos moutons ! On disait, karaoké et alcool ! Ah non, fantôme et frigo plutôt … bon dans tous les cas, j’m’amuserais bien avec elle, je le sens.

Je réfléchis sérieusement à sa question.

« Je crois que deux fois … Mais Peter veille plus ou moins à ce que j’arrive toujours à revenir à bord. J’crois même qu’il m’aime bien. »

Je garde sa main dans la sienne et continue de la suivre docilement en trottinant à ses côtés. J’ignore où elle vit, donc vaut mieux pas qu’elle me lâche si elle veut pas que j’aille courir accidentellement après un papillon. La dernière fois, j’ai quand même failli finir dans l’enclos des pingouins du zoo à cause de ça.

Le p’tit plus un peu sympa, c’est le tour en moto accroché à la brunette. Le vent, la ville, tout défile et le flou que cela crée me détend. Ça serait dangereux si j’achetais une moto ? Je suis sûr que c’est pas difficile à conduire en plus !

Finalement, on débarque enfin à son appart et le verdict est sans appel. Une ménagère spectrale d’une bonne soixante dizaine d’années est en train de faire son tricot dans un fauteuil installé au milieu du salon. Je hausse les épaules et adresse un sourire à la vivante.

« J’pense pas qu’elle soit intéressée à te mater sous la douche … »

Je m’avance vers la petite vieille.

« Salut mamie ! Il est pour qui ton tricot ? »

Oui, parce que je vais pas non plus commencer par lui dire qu’elle est morte, sinon elle pourrait me prendre pour un fou ou se mettre en colère au choix. C’est clairement une de ceux qui n’ont pas compris que c’était fini la vie pour eux et qu’ils ne leur restaient plus qu’à plier bagage et prendre le grand large.

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Non, mais j’suis pas tant que ça maladroit, plutôt du genre ouistiti certes, mais finalement je regrimpe plus ou moins toujours à bord sans l’aide de personne, y’a que deux fois où la fée est intervenue pour me sauver les miches. Sinon, j’suis plutôt habile et pour toutes sortes d’exercices, juste que la brunette a encore jamais gouté à toute l’étendue de mes facultés. J’devrais p’t-être proposer ça comme service pour décoincer mes collègues de bord ? Quoi que … Je pense pas que Liane me laisserait faire.

Honnêtement, tout ce que m’inspire les feux et les panneaux, ce sont des jolies couleurs et des dessins, après, j’suis pas sûr que qui que ce soit y porte réellement de l’attention, non ? Quoi ? Y’a des gens qui respectent tout ça ? Mais qui est assez fou pour s’imposer autant de règles à suivre … Les gens sont fous.

Un rire amusé m’échappe en voyant la tête de ma belle brunette. Elle s’attendait à quoi ? Un puissant guerrier ? Un nouveau coloc sympa à mettre à contribution ? Je trouve qu’elle s’en sort pas trop mal, je lui prête Jon, elle va vite déchanter ! C’est rare les fantômes « cool ». A tous les coups, mamie ici présente s’est endormie, pas réveillée du bon côté et a même pas remarqué la différence entre vie et trépas. Elle a dû être terriblement frustrée de voir une colocataire débarquer, bouger, jeter ses affaires et mettre le dawa dans ce qu’elle considère toujours son domicile. Pendant un temps, sans doute incapable d’effectuer la moindre action, elle a subi Ghilian et ses changements, puis, lentement, mais sûrement, elle a gagné en force et a commencé à pouvoir déplacer de menus objets … jusqu’à bouger le frigo … Certes, j’lui tire mon chapeau, elle a quand même du potentiel de ouf

Maminette semble bien contente que je l’ignore pas, elle m’explique en tout point pourquoi Ghi est une ingrate, une souillon et me dévoile tous les petits secrets que je ne pense pas que la belle soit jouasse que je connaisse. Je pouffe de rire, me retiens pour pas vexer Hortense. Notre petit échange va bon train jusqu’à ce que Ghi se pose en gros flan dans son canap’ et je la rejoins en me serrant contre elle et passant mon bras par-dessus ses épaules.

« Miasme cocotte ! Va falloir que je te redise ? Si t’aimes déjà pas les poulpes, j’peux t’assurer que t’as pas envie de chaussettes fantomatiques au bon gout de miasme. »

Ça glue, ça colle, c’est poisseux. J’ai aucune idée de si les gens normaux sont capables de voir ça et franchement, j’leur souhaite pas s’ils peuvent l’éviter. Généralement, c’est plutôt les esprits en colère qui vont en sécréter comme de vieille limace ou pires, des concombres de mer !

« Et si tu veux réchauffer ta piaule, malheureusement, c’est pas en hébergeant un fantôme qu’tu vas y arriver. »

La température descend radicalement et les pauvres s’en rendent même pas compte. A l’appart, j’ai pas eu besoin d’interdire à Jon de venir dans ma chambre parce que ça le dégoute trop de toute façon, mais tant mieux qu’il y aille pas.
Je glisse ma main sous le t-shirt de la belle.

« Sinon moi je te réchauffe comme tu veux ! J’suis sur qu’Hortense pourra me dire tout ce que t’aimes ! »

Qu’une petite vieille me mate … Bah ! Soyons fou !

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J’éclate de rire. Non, je mange pas le miasme et je suis à peu près sûr qu’elle a pas envie que je lui raconte l’anecdote sordide qui m’a conduit à connaître quel goût cette substance visqueuse a exactement. Horrible. Un spectre violent et pleins de rancœur, il en bavait par chaque parcelle de son corps. J’ai essayé de parler avec lui, ça a mené à un combat dans le voile où j’ai bien cru voir mes derniers instants arrivés jusqu’à ce que je parvienne par je ne sais quel procédé à le faire exploser… Explosion de miasme et j’ai pas fermé la bouche … On ne m’y reprendra plus jamais !

« Une autre fois ! »

J’ai d’autres idées en tête et la belle a aussi une contre-proposition. Dommage qu’Hortense puisse même pas se rincer l’œil, tu m’étonnes qu’elle soit aigrie aujourd’hui ! Si au moins elle avait de quoi alimenter des ragots ou juste … eurk, j’sais pas ce que ça peut bien faire un vieux spectre cela dit et j’ai pas envie de savoir … ou alors je demanderais à Jon ? D’ailleurs, s’il redevenait palpable, j’serais pas contre d’aller tâter le bellâtre, pas sûr qu’il soit d’accord, mais bon, depuis quand je lui demande son avis ?

Le problème, c’est que même mon flot de pensées envahissant ne survit pas à l’attaque de la brunette. Je me mets à hurler de rire et me tortiller comme un ver de terre. Elle veut ma mort ! Mais sous mon air de gringalet, j’ai de quoi lui opposer un minimum de résistance et je me défends avec acharnement, prenant un malin plaisir à lui retourner la pareil. Elle se trémousse, rit et je gagne !! C’est une victoire pour le nécro, ce qui ne m’empêche pas de manquer le canapé et de finir les jambes en l’air et la tête qui cogne le sol. Je lève le bras et adresse un « V » de victoire à la demoiselle et frotte ma tête de l’autre main.

« Tu devrais mettre de la moquette … ou un tapis. »

Que la vieille arracherait ou ferait disparaître sans doute.

« Faut que j’arrive à la ramener à son dernier jour pour qu’elle se souvienne qu’elle a trépassé et lui proposé de passer de l’autre côté. Je peux l’y accompagner jusqu’à un certain point, mais faut qu’elle soit d’accord. »

Toujours très délicat et surtout qu’elle va forcément pas se souvenir d’être morte puisque pour elle ça a sans doute était qu’un soir comme les autres où elle est allée au lit pour dormir et basta. Je soupire et me redresse, m’assied en tailleur, toujours le cul sur le sol froid de son appart.

« Ça peut mettre du temps, mais j’en ai avant de devoir repartir en mer. J’peux squatter chez toi ? »

J’ai un peu oublié mon sac sur le Hollandais, mais il me reste des affaires à prendre à l’appart et sinon j’en volerais dans une laverie. Fraîchement propre et potentiellement en meilleur état que mes fringues restantes. Ça fera pas de mal de renouveler le stock.

Je m’accoude sur son canapé et approche mon visage de celui de la brunette.

« T’as pas oublié que tu me dois une faveur si je t’en débarrasse ! »

Je lui adresse un immense sourire et sans plus attendre, je bondis sur mes pieds et m’assied en face de la petite vieille qui semble s’être lassée de nous écouter dès qu’on a commencé à se chamailler.

« Tu sais Mamie, Ghilian, elle fait pas exprès de t’ignorer, elle a quelques problèmes de vue et moi j’vais rester un peu ici, tu pourras papoter avec moi ! »

Sa vieille tête de pomme fripée dessine un sourire et elle valide l’idée d’avoir un p’tit gars qui prend le temps de discuter avec elle.

« Je connais quelques jeux de cartes si tu veux, on peut s’amuser ! »

Je m’y attendais, elle sort de son tablier un jeu classique de tarot et je me concentre l’espace d’un instant et dessine une porte pour franchir le voile. Au moins, même de l’autre côté, c’est calme et je ne vois que maminette et son jeu. Je m’installe confortablement et les partis s’enchaîne. Quand je finis par être épuisé de ne plus être dans mon plan d’existence, je m’excuse auprès de la vieille et retourne de l’autre côté. J’suis rincé, vidé et mon estomac hurle à la mort. Forcément, le temps a coulé et Ghilian devait se faire chier à m’attendre. Je m’affale sur le canapé et espère que la brunette se magne le train pour revenir et me nourrisse, sinon je vide son frigo !

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En lambeau ou en cendre … ça me laisse un milliard d’autres manières de détruire les locaux, mais j’me garde bien de lui faire remarquer. Et viable, c’est une notion hyper subjective. Moi, ma piaule, y’a personne qui estimerait que c’est viable, mais ça me va et j’suis heureux comme un coq en pâte. Le p’tit bonheur, des champignons, des bibelots et une pile de couverture et d’édredons pour me vautrer et dormir. En prime, j’ai le salon avec Jon qui me tient compagnie, il est adorable et il a toujours pleins de trucs à me raconter … quand je l’emmerde assez pour délier sa langue.

Je reprends mon sérieux le temps de vérifier qu’elle tiendra bien sa promesse. La brunette est une femme de parole et ça me fend le visage d’un sourire. Yeah ! j’aime ce genre d’attitude et de toute, j’serais bien capable d’être rancunier sinon … non, j’oublierais parce que j’ai deux neurones qui se connectent pas si souvent que ça et j’ai pas la place pour me souvenir de ce genre de conneries.

Et euh … c’est quoi une moufette ? J’y repenserais plus tard, sinon Hortense aura bien la réponse. Les vieux ça sait tout.

Toutefois, après des heures de discussion et de jeux, j’suis vanné. Mais vidé comme pas deux d’avoir lambiné autant de l’autre côté. J’ai fait pire, surtout quand ça se termine pas de la bonne manière, mais bon, j’sais qu’ici, j’ai une maigre chance de trouver de quoi rassasier mon estomac plus creux que le bas d’une vague. En l’attendant, j’abandonne l’idée d’être patient et va plonger mon minois dans son frigo en espérant y trouver deux ou trois pépites à me mettre sous la dent. C’est pas la quête la plus fructueuse de ma vie … Heureusement, Ghi repointe le bout de son nez pile au bon moment et vient à mon secours.

« J’ai faim ! Mais tellement faim ! Nourris moi !”

Je m’extirpe du réfrigérateur en oubliant que c’est pas ouf les portes ouvertes pour ces machins et vient quémander ma pitance auprès de ma geôlière.

« J’suis parti des heures avec Hortense et ça m’a pris toute mon énergie … la magie, ça donne faim. »

J’suis même pas compliqué, elle pourrait aussi bien commencer par un quignon de pain que j’men contenterais grave et j’boufferais aussi sans doute toute la baguette, mais bon.

« La bière ça me calera alors … »

J’suis pas impatient, j’ai juste faim. Elle ferme la porte, je la rouvre et extirpe deux bières une pour elle et une pour moi, j’suis sympa, j’pense pas qu’à mon cul. La menace de la poêle me convainc de vite décamper. Je décapsule les deux bouteilles avec mes dents et en laisse une sur la table avec un clin d’œil en direction de la brunette. Bientôt, me revoilà vautré dans le canapé comme un flan et bière à la main que je descends d’une traite. Nope, ça nourrit pas bien ce genre de liquide, mais ça me soule assez pour que je mette un tantinet de côté la famine qui me ronge.

Pour la forme, je reprends mes jérémiades.

« C’est bientôt prêt ? Tu fais quoi ? ça sent bon … J’ai faim Ghiiiiii ! »

C’est à peu près cela en boucle pendant la vingtaine de minutes qui me séparent de mon repas. Je me redresse en la voyant venir avec les plats fumants.

« J’sais pas, j’ai dû avaler un truc ce matin, mais j’déjeune pas trop. »

Donc plutôt hier soir, j’suis pas un gros mangeur. Sauf quand j’utilise trop mes pouvoirs … Si elle traîne avec des sorciers, elle a dû remarqué qu’ça doit être une constante. J’espère juste qu’elle a prévu un repas pour quatre parce qu’à peine mon assiette devant moi que je choppe une cuillère à soupe qui traîne sur la table pour enfourner un max. Je manque de m’étouffer en essayant de lui répondre et me ravise. Elle attendra que j’ai engloutis la première assiette avant de me mettre à lui expliquer. J’essuie d’un revers et fais tomber plusieurs grains de riz autour de mon bol que je récupère d’un doigt. Je plante mon regard dans la demoiselle qui a l’air d’être bien plus civilisée que moi à table … j’suis pas habitué à manger en tête à tête … ça fait longtemps que Jon a abandonné à me tenir compagnie lors de ce moment-là.

« J’peux en ravoir ? »

Je lui tends mon auge et la regarde me resservir, hésiter une seconde et me lancer un regard avant que je comprenne pourquoi j’ai toujours quasi rien dans mon assiette.

« Pluuus… S’il te plaît ? »

Jamais plus que le haut du bol et y’a de la marge, elle peut encore y aller donc. Par contre, j’conçois que la politesse a pas l’air d’être une option avec elle.

« Hortense. »

Je sais bien que c’est pas de la plus haute importance, mais pour la défunte, c’est juste un peu de respect pour elle et elle entend parfaitement notre conversation si elle s’y intéressait.

« Ça avance bien, mais elle a beaucoup de mal à remettre tous les évènements des derniers jours en ordre. Après je peux aussi compter sur les premiers souvenirs de sa vie post mortem. Y’a eu le passage d’un neveu ou un p’tit neveu, je ne sais pas, qui est venu mettre un peu d’ordre avant de remettre le truc en location. Elle a déjà capitulé pour ce qui concerne tes fournitures. Elle est ok pour te laisser la partie déco, mais elle a pas voulu lâcher pour le ménage … donc tu risques d’avoir ta vaisselle qui se déplace ou ton linge qui va tout seul à la panière … »

Je hoche la tête, ça devrait être plutôt viable, même si je galère un moment à l’amener vers la lumière. Le riz, la courgette, la viande … tout disparaît une fois encore du contenant devant moi. Et j’ai toujours un p’tit creux à combler. J’ai carrément plus le bec salé du coup je fais une petite moue boudeuse vers la belle.

« Tu crois que je peux finir la casserole ? »

Elle, elle a pas encore fini d’engloutir son premier service, mais on est pas tous équitable sur ça et même si j’comprends pas bien par où ça passe au regard de ma carrure de crevette, mais j’dois bien avoir un trou noir dans le bide pour tout assimiler.

« T’as pas un taf toi aussi d’ailleurs ? Parce que je crois que j’ai toujours pas capter ce que tu fais dans la vie. »

On a pas eu souvent l’occasion d’être en tête-à-tête et parler de choses et d’autres. Après avoir eu la vie d’Hortense, celle de Ghi me paraîtra extraordinaire, j’en suis convaincu.

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Je souris en devinant que la brunette sait tirer profit de chaque situation. J’en pipe mot, parce que je ferais pareil, sauf que Jon y kiff pas trop le ménage et il aime bien mieux me hurler dessus quand je fais n’importe quoi. Ce qui me fait bien vite oublier mon malheur, c’est de voir la casserole se rameuter juste sous mon nez. Je prends pas le temps de me servir plus que ça et j’mange direct dans la casserole. Qu’on se méprenne pas, la magie, j’vous jure que ça creuse un max et j’sais pas comment les autres le gère, mais moi ça me donne systématiquement une fringale qui peut aller jusqu’à gerber. Promis, j’me retiendrais devant la beauté avec qui j’dors cette nuit, parce que ça se fait pas … Paraît-il.

“Oui, bah j’pourrais t’en ramener des trucs qui plairaient à plus d’un si j’voulais, mais j’préfère les trucs pourris que personne veut me voler. »

J’sais pas si elle me prend pour un saint, mais elle doit croire que j’suis au moins con comme un pied, elle a pas tort, je joue bien mon rôle de débile pour qu’on me lâche assez la grappe. J’m’encombre pas d’un gros vocabulaire. J’suis juste assez connecté niveau neurone, pour comprendre qu’elle revend pas le tricot de mamie, mais les trucs qu’on est pas sensé trouver de partout. Un nouveau sourire se dessine sur mon faciès lorsqu’elle me demande ce que je faisais avant, j’suis prêt à casser mon image d’angelot si elle veut bien.

« Je fuyais. »

J’avale une nouvelle fournée de courgettes et évite à beaucoup de riz de fuguer de ma bouche par la même occasion. Le spectacle doit être des plus savoureux.

« J’ai fini par tuer la mauvaise personne et ça a pas plus à certains, alors je fuis depuis. »

Pas que je raconte ça souvent. A part Jon, j’ai pas eu vraiment de confident sur mes conneries passées. Celle-ci, c’était aussi une question de survie. Y’a pas moyen, j’estime bien trop ma vie pour l’avoir lâchée face à la sienne.

« Pour le reste, j’ai juste eu du pot. J’ai eu vent par un spectre du lac de l’existence du Hollandais, j’y suis allé au culot et ils m’ont mis à l’essai. Ça se passe bien pour l’instant. J’ai appris sur la tas pour ce qui est de la cartographie. Quand j’étais prostitué, j’ai eu un client avec qui ça collait bien et il m’a appris à lire, écrire et pleins d’autres trucs et c’est ça qui m’a botté. Je viens d’Ecosse, donc si je savais pas manier un bateau a minima, j’serais encore coincé là-bas. »

Même sans doute bien canné, parce que c’est pas en Ecosse que j’aurais trouvé où me planquer de mes poursuivants. Ils sont tenaces et y’a pas grand-chose pour l’instant qui les retient à part qu’ils savent sans doute plus où me chercher depuis que j’ai foutu les pieds aux USA. J’ai erré assez pour atteindre Chicago et la suite, je viens de la raconter.

« Toi non plus t’es pas conventionnelle. J’me fonds p’t être encore moins dans la masse que toi, mais on te repère à 10km quand même. Aussi parce que t’es canon. »

Je viens de la rue, j’ai grandi en volant, tuant, sans éducation, sans un adulte pour m’entretenir. J’ai connu ça une fois dans les bras d’un homme qui devait bien avoir 20 ans de plus que moi et qui s’est assez entiché pour me prendre sous son aile. Autant dire que je veux bien croire que j’suis pas des plus communs comme mec, mais je m’en porte bien.

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