Shake it off | pv Marius

Me promener dans un parc, visionner un film au cinéma, allonger les quilles au bowling, sauter en parachute, jouer à Fast and Furious sur les routes de Chicago... Franchement, ce ne sont pas les activités qui manquent dans cette ville. J'aurais tout aussi bien pu rester vautrer dans le canapé aux côtés des petits et de Maxwell. Nous sommes dimanche matin, après tout. Les gens normaux s'empiffrent de viennoiseries à une heure aussi matinale. Sur toutes ces possibilités, j'ai choisi la moins... comment dire... réjouissante? La moins orthodoxe? Je commence à me demander si ça tourne bien rond à l'intérieur de mon crâne. Et comment expliquer à mon troll que je préfère passer un peu de mon temps ici, au cimetière, plutôt qu'avec lui? Comment justifier ce besoin presque viscérale de me rendre sur ma tombe? C'est simple... je n'ai pas fait. Je ne lui ai pas dit où j'allais, je ne lui ai pas dit ce que je faisais tout mes dimanches matins depuis mon retour d'entre les morts. Il a ses secrets, j'ai les miens. Des fois qu'il s'amuse à jouer le hacker avec sa propre femme, j'ai laissé mon téléphone à l'appartement. Si c'est idiot? Oui, parfaitement. Je l'imagine même lever les yeux au ciel, si il était présentement en train de lire mes pensées. Une chance pour moi, il n'est pas télépathe et de toute façon, il n'est pas là.

Je reste là, plantée comme un piquet devant ma stèle et la même question tourne en boucle dans mon esprit. "Il y'a quoi dedans?". J'ai eu les explications d'Abraxas. J'ai entendu et compris ce qu'il m'a dit... sauf que ça ne me suffit pas. J'ai besoin de voir par moi-même l'intérieur de cette tombe. Je pensais avoir terminé le processus de mon propre deuil. J'en suis loin. N'oublions pas que le deuil est dans la finalité un cycle sans fin. Comme les ressacs des vagues. Des jours avec... et des jours sans. Avoir marché dans une crotte de chien à l'entrée du cimetière signifie sûrement que ce sera une journée sans pour moi. Ou avec... avec une crotte. Une journée de merde, quoi.

Je dois savoir ce qu'il y'a à l'intérieur de cette tombe. Je dois le voir de mes propres yeux. Cette certitude s'installe en moi, c'est viscérale. La question étant de savoir comment et avec qui? Ce n'est pas une épreuve que je veux vivre seule. Je ne m'en sens pas la force. C'est hors de question que je demande à Maxwell. Je ne suis même pas certaine qu'il comprendrait ma démarche. Puis surtout, je ne veux pas rouvrir de vieilles blessures inutiles. Dante? Nah. Il irait moucharder à Nathan et ça finirait aux oreilles de Maxwell. Raegan? Non. La pauvre choupette, je refuse de lui faire vivre ça. Dans la finalité, un seul nom me vient en tête pour une telle escape : Ghilian. Ouais... étrange, n'est-ce pas?

Deux choses, en simultanée, m'extirpent de mes pensées. C'est néanmoins le petit "poke" sur mon poignet d'amour qui m'arrache un sursaut et m'oblige à me tourner vers le malotrus. Je n'ai pas rêvé, juste avant il a léché ma manche? Je l'ai vu du coin de l'oeil mais j'ai freezé, comme prise dans la tourmente de l'incertitude et de l'incrédulité.

- Pourquoi t’es pas dans ta tombe toi ?

Quoi?! J'écarquille grand mes yeux face à cette question sortie de nul part. Je suis autant abasourdie que vexée comme un pou! Pourquoi je devrais être dans ma tombe, d'abord? Genre je n'ai pas le droit d'être ici? Et merde, c'est qui, lui? Jeune petit avortons, là! Mes joues s'empourprent. A l'aide de mon index je le harponne en enfonçant mon doigt à l'intérieur de sa narine. Ma prise bien ancrée, je le tire vers moi et l'oblige à courber l'échine. Quoi? Vous trouvez ça dégueux? Je change des couches pleines de merde toute la journée, je ramasse du vomi et parfois ça transperce le sopalin, et je nettoie les narines pleine de morve de mes gamins. Alors franchement... ça c'est du glamour en comparaison.

- Alors déjà, mon grand, quand on est poli, on dit bonjour. Et ensuite, t'es qui, toi, pour me dire où je devrais reposer en paix?

Il se pourrait que le sujet de ma mort soit encore... sensible. Mais juste un peu. Promis.

Sérieusement? Ce morveux espère se débarrasser de mon doigt ainsi? En se mouchant comme un vulgaire môme mal élevé? Je le rappelle, j'ai deux gremlins à la maison. La morve, le vomi et autres déjections humaines ne m'intimident plus du tout. Je garde ma prise malgré le liquide gluant qui dégouline. Beurk. Je dois quand même avoir un problème de mon côté aussi, pour agir comme ça. Je me pencherais là-dessus plus tard. La grande tige attrape mon poignet et je concède enfin à le lâcher.

- T’es pas ouf, j’dis pas bonjour au sauvage !

Parce que c'est moi, la sauvage? Loin de moins l'envie de me montrer puérile mais... c'est lui qui a commencé. Nous sommes bien d'accord, non?

- J’suis celui qui te dit que t’es pas là où tu devrais être. T’as jamais vu un Nécro ou quoi ?
- Pourquoi? Je devrais?

Non mais c'est quoi ce préjugé à la con? Parce que je suis morte je suis censée avoir déjà vu un nécromancien? Les sourcils froncés, j'extirpe de ma veste un mouchoir afin d'essuyer mon doigt. Nah sérieusement, c'est une règle établie? Quand on meurt, on doit prendre rendez-vous avec un nécromancien? C'est perturbant. Et encore une fois, c'est qui, lui, pour me dire où je suis censée être? Ma place est au mieux, auprès de mon homme et de mes enfants. Au pire, dans le coffre de Ghilian.

- Axelonnie Davenport …

Je trésaille. C'est bien ce qui est inscrit sur la pierre tombale. C'est bien ainsi que je me nomme.

- Enfin, tu fais bien ce que tu veux, moi j’m’en tape si tu veux pas aller au paradis c’est ton problème.

Il me jette un regard noir. Je l'imite. Encore heureux que c'est mon problème. Et je ne suis pas morte, d'abord! Pas vraiment! Comme dirait le célèbre statut facebook "c'est compliqué"! Et là, dans l'immédiat, je suis parfaitement à ma place!

- Quoique vu la mauvaise carne que t’es, c’est sûr t’es attendu en enfer.

Han! J'ouvre grand la bouche, consternée. Mais quel connard, celui-là! J'ai mes défauts mais faut pas abuser!

- Je te permet pas, espèce de... de... trucs!

J'en perd mes mots! Je suis la première a essayé de plaisanter sur ma mort... sauf que j'ai remarqué une chose. Je tolère les plaisanteries à ce sujet que quand ça vient de moi. Le reste du temps, ça m'énerve et ça me vexe. J'en ai marre qu'on me rappelle constamment que je ne suis pas à ma place. J'en ai ras le pompon que tout me rappelle que j'ai perdu un an et demi à bouffer les pissenlits par la racine. C'est bon, là! On a compris. Je suis morte! On peut passer à autre chose? Et le premier qui me balance à la gueule que c'est ironique venant de celle qui se pointe tout les dimanches devant sa tombe, je... bah ouais, il aura raison.

- Je suppose que toi t’es au courant de pourquoi c’est bizarre ?
- Peut-être bien...

Je le laisse tripoter ma tombe bien que je n'aime pas vraiment. C'est que ça reste intime, une pierre tombale. Surtout lorsque c'est la nôtre. Les lèvres pincées, je le regarde se lever et s'éloigner. Alors... c'est tout? Il me balance des bombes dans la gueule, me rappelle à quel point j'ai été absente dans la vie de ma famille et il se tire? Quel connard.

- Attends.

Il a des manières exécrables. Il est bizarre et surtout, je ne le connais pas. Cette rencontre reste néanmoins perturbante et j'ai besoin de réponses. Je suis prête à assouvir sa curiosité si il assouvit la mienne également.

- Pourquoi tu n'arrêtes pas de dire que je ne devrais pas être ici?

C'est un nécromancien, okay. J'en conclus qu'il a une affinité avec les morts. Le truc c'est que... techniquement cette version de moi-même n'est pas morte. Pas vraiment... donc quoi? Je suis quoi, moi, au juste? Un écho? Un fantôme? Une réplique? Si on y réfléchit bien... je suis une copie. La copie de la véritable Axel. Bordel ce que c'est déprimant.

- Tu vois bien que je suis en chair et en os. Bien vivante.

Ma question est-elle idiote au point de se cogner la tête? Je ne pense pas. Parce que... Hello... nous ne sommes pas tous issu de l'académie des supers sorciers! Mes seules références en matières de surnaturelles se résument avec Harry Potter, Buffy contre les vampires, Charmed, Teen Wolf, Lost Girl et bien évidemment, la bible suprême, Supernatural. Autant vous dire qu'il existe une sacrée marge entre ces oeuvres de fiction et notre réalité. Donc non... je ne vois pas en quoi ma question est idiote.

- T’expliques comment alors qu’il y a une tombe qui porte ton nom si tu es vivante ? Tu sais pas lire ?
- Ah...

Tout bien considéré... c'est à mon tour de me cogner le front. Effectivement... si je réfléchissais avant de m'emporter, peut-être qu'on arrêterait de me prendre pour une conne. Ah! Mais non! Non... je ne suis pas idiote! Je fronce mes sourcils. Ma question est légitime. Comment il pouvait savoir que c'était moi, Axelonnie Davenport! Il m'embrouille. Je m'embrouille. Merde! Je commence à avoir des nœuds au cerveau.

- J’t’aime pas. T’es une crapette d’avoir mis tes doigts dans mon nez ! Tiens ! ça te va bien, j’t’appellerai Crapette.
- Je ne t'aime pas non plus, figure-toi. Et t'as pas le droit de m'appeler Crapette.

Je ne sais pas d'où l'idée lui est venue et je ne relèverais pas la coïncidence. En fait si, je ne peux que la relever! C'est fou! En 25 ans, il n'y a que deux personnes au monde qui m'ont nommé ainsi. Mon troll, et cet espèce de sale morveux! J'aimerais autant que seul mon troll me surnomme Crapette. C'est réservé! Copywrité! Tout ce que vous voulez, là. C'est pris. Point.

Il me tend la main et je lève les yeux au ciel. Pas très raccord, m'annoncer qu'il ne m'aime pas mais se présenter malgré tout à moi. En même temps, si moi-même je prenais des décisions logiques, ça se saurait. Je serre sa paluche, parce que je suis peut-être une vieille carne mais je suis polie, moi.

-  Moi, c’est Marius et ça sent à pleins nez que t’as eu une aventure magique. Je vois pas d’autres solutions pour expliquer que ta signature soit à deux endroits à la fois.

Hum... rustre mais doué dans son genre, j'ai bien l'impression. Je me mordille la lèvre et emboîte le pas à Marius qui reprend sa marche. Il est fatiguant, franchement pas sympa avec moi et très vexant... Cela dit, je suis certaine qu'il a des choses intéressantes à m'apprendre. Puis... un nécromancien, franchement! On va pas se mentir... c'est tellement cool! En mettant mon ego de côté deux secondes, je réalise que j'ai des tonnes de questions à lui poser, sur ses pouvoirs. Sur sa nature de nécromancien, comment ça fonctionne? Depuis quand il sait qu'il est capable de parler aux morts? C'est intellectuellement stimulant. Je me mord un peu plus fort la lèvre pour ne pas le bombarder tout de suite de questions.

- C’est fade les cimetières américains, un peu comme leurs villes. Trop rangés, trop parfaits, y’a pas assez de charme. Tu devrais demander à ce qu’on déplace ta tombe ailleurs la prochaine fois. T’as de la chance, tu vas pouvoir expliquer aux gens qui t’ont enterré tout ce qu’ils ont fait qui te va pas.

J'éclate de rire. C'est nerveux.

- Heu... Comment te dire... Je réalise à peine que je suis morte. Je veux dire... je me suis réveillée et... là... j'apprends que j'étais morte pendant un an et demi. Alors merci, mais non merci, je n'ai pas vraiment envie de réfléchir à l'endroit où je serais enterrée la prochaine fois.

Oh l'angoisse. Je gonfle mes joues d'air avant d'expirer lentement. De toute façon... une fois morte, je pense que l'endroit où on repose en paix n'a pas vraiment d'importance. Quoi que... je tique et je lorgne le morveux de haut en bas. C'est quand même un nécromancien qui me conseil de bien choisir l'emplacement de ma tombe. Tout bien considéré... je prendrais le temps d'étudier la question ce soir.

- En tant que nécromancien, tu peux faire quoi exactement? Tu relèves les cadavres ou tu te contentes d'emmerder les pauvres âmes errantes dans les cimetières?

Tout à ma question, je farfouille dans la poche de ma veste. Un sourire triomphant apparaît lorsque j'en sors trois snickers. Bon... Je soupirs en lâchant un regard au morveux. C'est pas très poli de ne pas partager. Je range une barre chocolatée dans ma veste, j'en garde une pour moi et je tend la dernière au nécromancien. Pas de chance, pile à ce moment-là, je commence à sentir quelques gouttes de pluie tomber. Enfin... pas de chance, ça va, s'pas ça qui va faire fondre le chocolat, encore heureux.

Est-ce que tout les nécromanciens sont aussi étranges que lui? J'espère bien que oui. C'est marrant de le voir interagir avec le vide. Enfin pour moi, ce n'est rien d'autres que le vide, le néant. J'imagine, peut-être à tord, qu'il s'adresse à des âmes errantes. En même temps, quoi de plus logique dans un cimetière? La petite vieille, elle, était bien vivante en revanche. Je me pince les lèvres pour ne pas éclater de rire.

- Tu devrais, tu sais pas ça pourrait être ce soir.

Hey! Je me renfrogne, la moue boudeuse. Ce qui m'énerve, dans sa remarque... c'est qu'elle est parfaitement censée. Le truc, c'est que je veux mourir vieille, en compagnie de mon homme. Je veux m'éteindre après avoir été grand-mère une multitude de fois. Je me demande si Abraxas réitérerait l'expérience, si je trépassais sous les rues d'une voiture en rentrant, par exemple. Probablement pas. Je secoue la tête comme pour chasser ces idées de ma tête, préférant questionner le morveux sur ses capacités.

- Hey !

Je sursaute, surprise. Mes grands yeux claires le fixent. J'ai dit quoi?

- Ah, c’est toi la pauvre âme errante ?
- Bah ouais... t'en vois d'autres, toi?

Le pire dans tout ça? C'est que je lui répond comme si c'était lui, le dindon de la farce. Sauf qu'on est bien d'accord... c'est moi la conne. Bien évidemment qu'il en voit d'autres, des âmes errantes. Ouais, je me fatigue toute seule, je vous rassure. Comment Maxwell peut me supporter? Je me le demande bien! Il a de la patience, ce troll.

- Nan, moi j’suis le Nécro de base, celui qu’on voit pas parce qu’on est trop sympa et qu’on met juste les gens mal à l’aise. J’donne leur ticket pour l’au-delà aux morts, j’les aide à passer ou je papote avec eux simplement.

Hum. J'acquiesce. J'imagine qu'effectivement, il doit mettre plus d'une personne mal à l'aise. Causer tout seul, lancer des clins d'oeil dans le vide, lécher les vivants... autant de pratiques qui ne se font pas vraiment au sein de notre société. Pourtant, passer ces détails, je trouve au contraire que c'est très facile de lui parler. Je croque dans mon snicker, le mâchouille et déglutis.

- Et toi t’es quoi du coup ? T’as bien une tite histoire à me raconter ?

Un petit rire nerveux agite ma carcasse. Je le regarde, franchement pas certaine de vouloir m'épancher là-dessus. Non, en vrai... c'est surtout que je ne sais pas si je peux lui en parler. On ne m'a laissé aucune notice à ce sujet. Il se passe quoi si ça s'ébruite dans les sphères magiques, qu'un démon est venu me récupérer? Et si une balance cosmique décidait de me remettre dans ma boîte? Pourtant, avec son grand sourire sur la face et ses yeux malicieux, j'ai bien envie de la lui raconter, ma petite histoire. Je pense aussi que j'en ai besoin. Besoin d'en parler à une personne extérieure, d'en parler à une personne qui serait susceptible de me comprendre. Un minimum, au moins.

- Okay, que je soupire.

Je croque une nouvelle fois dans ma barre chocolatée. Une petite dose de courage, je vous le dis, ça ne peut pas faire de mal. Je mâche, je mâche et j'engloutis.

- Je suis humaine. C'est juste que... Je suis morte il y'a un an et demi, peu de temps après avoir donné naissance à mes jumeaux. Un démon a été dans le passé, pour me récupérer juste avant que je ne trépasse. Il a fait en sorte de me soigner et... me voilà. Donc il existe bien une version de moi qui est morte. Et moi je suis...

Je me contente de hausser les épaules. Parce que je ne sais pas ce que ça fait de moi. Peut-être que lui, il sera en mesure de m'en apprendre plus. Si il me balance que je suis l'écho de moi-même, je le frappe, ou je me goinfre de snicker. Ou peut-être les deux. Dans l'anticipation, je continue de grignoter, jusqu'à ce que j'aperçoive le Palmer Monument. J'attrape la manche du morveux pour attirer son attention à ce niveau-là.

- Viens, suis-moi.

Parce qu'en vrai je lui laisse pas trop le choix, je le tiens toujours par la manche et avance jusqu'au monument. Contrairement à la plupart des mausolées, celui-ci est plein air. Aucunes portes, aucuns murs. Il s'agit d'avantages d'un temple pour contenir les tombes de Bertha et Potter Palmer, avec ces seize colonnes pour soutenir le toit. J'aime bien cet endroit du cimetière. Ce n'est qu'une fois arrivée que je le relâche et en partie parce que j'ai loupé la dernière marche et que j'ai failli me péter la binette. Tout va bien! Je redresse la tête, fièrement, et je fais un mouvement de tête digne d'une mannequin pour cheveux.

- Tout à l'heure tu disais que les cimetières américains étaient fades. Je ne vais pas dire que tu as tord car on a tous le droit d'avoir son avis. Toutefois... il y'a quand même des trucs sympa. Il suffit juste de savoir regarder.

Et c'est vrai, en mon sens. Je n'ai qu'à avancer jusqu'au bout du mausolée pour avoir une magnifique vue sur un cours d'eau, avec ses végétations et d'autres architectures à portée de vue depuis notre emplacement. J'imagine que c'est un habitué des cimetières et que ce n'est rien en comparaison de ce qu'il a déjà pu voir. D'ailleurs...

- Tu viens d'où?

- Ah bah, ouais même pas mal.
- Nah mais oui... c'est bon...

Rah! C'est bon... j'ai juste posé ma question avant de réfléchir. Pas de quoi se foutre de ma gueule non plus. Ce n'est pas tout les jours qu'on croise un nécromancien, quand même! Mon cerveau a besoin de s'y acclimater. Je le regarde en biais avant de rire aussi. Okay, c'est bon. C'est de bonne guerre. Je crois. Je passe l'éponge sur lui qui se fout de ma gueule et je poursuis. Il m'a posé une question, je réponds.

Sauf que ma petite histoire ne l'intéresse pas des masses j'ai l'impression. Alors quoi? Mourir et revenir d'une autre temporalité ce n'est pas assez sensationnel pour un nécromancien? Je suis vexée mais surtout curieuse. Est-ce que ça sous-entend qu'il se passe des trucs encore plus fifous dans l'au-delà? Rien que d'y penser, ça me fout le vertige. D'ailleurs, à quoi ça ressemble, l'au-delà? Et lui, il sait? Je me note ces questions pour plus tard mais attendant, je le traîne jusqu'au mausolée. On ne va pas se mentir, je suis toute fière de lui montrer cet endroit. Bah je déchante vite, je vous le dis.

- Ouuaaaah ! C’est fou, même en essayant ils font des trucs encore plus moche.
- N'importe quoi! T'as juste pas de goût.

Le tact, Marius! Le tact, putain! Pourquoi je tombe toujours sur des handicapés de la communication? Je soupir et lève les yeux au ciel. Je dois les attirer. Puis comme ça suffit pas, trop occupée à pester, je manque une marche. Bon tout va bien, je suis toujours debout sur mes deux guibolles. Je pense jusqu'aujourd'hui, je dois dire adieu à mon ego et à ma dignité. Promis, la semaine prochaine, je reste dans le fond de mon lit et je demande à Maxwell de me faire des crêpes. Il aime les crêpes. Il m'aime moi. Je suis certaine de trouver les arguments nécessaire pour qu'il m'apporte le petit déjeuner au lit.

- Mmmmh !

Je me tourne vers lui. Les pouces levés il semble apprécier... ma barre de chocolat! Quoi?!

- Mais...

Dans le doute je fouille l'intérieur de mes poches. Il m'en manque une! Il m'en a chaparder une, le saligaud! J'ouvre grand la bouche, consternée.

- Oh l'espèce de... de...  heu...

J'ai pas les mots. Et je n'ai aucune insulte en tête. Juste... le saligaud! Nah mais c'est du foutage de gueule. Tantôt je lui en ai tendu une et il a même pas réagit! Et là il m'en vole une! Ma barre de chocolat! Bordel la bouffe c'est sacré! Je plisse les yeux, pinces mes lèvres et darde sur lui mon regard le plus vénéneux. Okay. Pas crédible pour deux sous je donne juste l'impression d'avoir croqué dans un citron. Je laisse tomber. Je préfère me focaliser sur sa manière bien à lui de manger mon snicker. Ma sucrerie n'avait aucune chance de survie face à sa gloutonnerie. J'ai l'impression de voir mes gremlins, quand ils décident de tout recracher et que je suis obligée de leur remettre la bouffe dans le bec. Dégueux? Ouais. C'est encore pire quand c'est un adulte qui bave de partout. Je grimace. Et après c'est moi qu'on surnomme la crapette? Je lève les yeux au ciel, et décide de le questionner sur ses origines.

- Ben de là-bas comme toi.

Quoi? Mon sourcil se perche bien haut tant je suis larguée. De quoi il me parle? Du paradis? De l'enfer? De ma tombe? Il réfléchit. Je crois qu'il comprend pas pourquoi je suis autant perplexe. Okay. Je crois qu'au final nous sommes deux véritables handicapés de la communication. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre.

- C’est pas de ma faute si ta question veut rien dire. Je viens de pleins d’endroits. J’vais pas te refaire un tableau de ma vie, j’pense que tu ferais des cauchemars pour le reste de tes jours.
- Non mais je t'ai pas demandé ta biographie non plus, alors calme-toi, l'morveux.

Rah! Le tact, Marius! Le tact! Je gonfle mes joues, je bloque l'air, et j'expire lentement. Va vraiment falloir lui apprendre les bonnes manières. Ma question voulait dire quelque chose, d'abord! Je croise les bras sous ma poitrine. Je n'y suis pour rien si lui, il ne l'a pas compris parce que c'est un con pas fini! Il me sourit. Je grimace. Il m'énerve.

- Puis j’préfère penser à où je vais !
- Ah... parce qu'il t'arrive de penser?

Petite pique dit sur le ton de l'humour et sans la moindre animosité. Bien au contraire, je laisse même un sourire effleurer la commissure de mes lèvres. Il m'énerve mais il n'est pas méchant et j'avoue, sa compagnie est distrayante. J'extirpe la dernière barre chocolaté qu'il me reste. Un regard en biais vers le morveux et je marche en crabe pour mettre de la distance entre lui et moi. Qu'il me vole mon précieux dans une poche okay... qu'il me le chaparde alors que je l'ai entre les mains, no way!

- En vrai, je t'envie. Je ressasse beaucoup trop le passé en ce moment. Et ça me réussi pas des masses.

Je dois me tourner vers l'avenir et heureusement, j'ai Maxwell pour ça. Grâce à lui, j'y parviens chaque jour un peu plus. Je coupe mon snickers en deux pour en donner la moitié au nécromancien. Je crois qu'il est du genre gourmand, comme moi. Et comme je ne suis pas une vieille carne comme il me l'a si bien dit à notre rencontre, je partage.

- Prend le temps de la manger, cette fois.

Bah voilà, je lui parle comme si c'était un gosse. Va falloir que j'arrête. C'est un sale morveux mais un adulte quand même. Je crois. Je prend le temps de le regarder... en vrai je ne suis pas certaine de deviner son âge. Il paraît jeune, physiquement. Ses grands yeux clairs sont malicieux, espiègles et plein de vie. Et pourtant... j'ai l'impression d'être face à une vieille âme. Comme si il avait vu trop de choses. Après il l'a dit lui-même, si il me dressait le tableau de sa vie, je n'en dormirais pas. Je percute que maintenant qu'il a probablement raison.

- Tu comptes repasser dans le coin? Je veux dire... tu viens souvent dans ce cimetière? Enfin tu penses qu'on aura l'occasion de se recroiser?

Juste pour savoir si je fais le plein de sucrerie à ma prochaine visite, quoi.

- Morveux ? C’est pas faux … tes mains vont bien ? Ouais, celle avec laquelle tu viens d’extraire ton Snickers de son emballage ?
- Bah... ouais. Elles vont bien mes mains.

Morveux. Mains. Emballage. Ouais je vois où il veut en venir, là... sauf que je ne suis pas si idiote que ça. Je le sais bien, qu'un de mes doigts s'est engoncé dans sa narine et qu'il en a profité pour se moucher. Et j'ai bien conscience que c'est cette même main qui déballe la barre chocolaté que je m'apprête à dévorer. Et bah même pas ça me dégoûte... okay. J'avoue. Il a réussi et je me sens moins pressée de dévorer mon Snickers. A défaut de me jeter sur la sucrerie, je me le charrie.

- … Oui, je pense tout le temps, si tu savais, ça s’arrête pas dans ma tête, j’ai l’impression d’y vivre plusieurs vies.

J'avoue que je bogue une micro-seconde. Je ne sais pas comment interpréter l'information. Moi aussi je pense tout le temps, à dire vrai notre cerveau pense constamment. Ce qui m'interpelle c'est cette histoire de plusieurs vies. Est-ce une simple façon de parler ou est-ce que ça cache un soucis psychiatrique, du genre un trouble de l'identité multiple ou de la schizophrénie? Je garde l'information dans un coin de ma tête, on ne sait jamais. En attendant, je décide de passer outre et poursuis ma petite conversation avec lui.

- Bah t’as pas parlé d’un démon du temps qui serait venu te récupérer ?

Oh! Agréablement surprise, je bondis et tourne un visage radieux vers lui. Finalement, il m'écoutait.

- Si si, c'est bien ce que j'expliquais.
- A part lui, on a pas cette chance de se promener d’avant en arrière. Regarde pas ta tombe comme si elle détenait des secrets. Soit c’est un cadavre qui te ressemble et t’as pas envie de le voir, soit c’est vide et tu vas me sortir un truc sur la continuité de ton existence si une de toi a disparu ?
- Bah en fait...
- Non, mais laisse ça à Socrate, Descartes et tous les clampins qu’ont que ça à faire de leur vie et toi tu t’amuses. Ton chéri doit se demander pourquoi tu lui fais pas un câlin en ce moment-même …

Je gonfle mes joues d'air. Je ne comptais pas nécessairement théoriser sur la continuité de mon existence. Plutôt sur... ouais, peut-être bien que si. Au final, il n'a pas de réponse à m'apporter, même si je dois reconnaître qu'il n'a pas tord. Peut-être que j'intellectualise trop. Je profite pas assez. J'expire bruyamment alors que je donne ma moitié de chocolat, complètement dépitée.

- Radine.
- Baltringue.

Du coin de l’œil, je regarde le morveux dévorer la sucrerie. Est-ce qu'il mange à sa faim ou c'est juste un glouton? Je pourrais le questionner à ce sujet mais je crois que ça ne se demande pas. Alors je préfère me renseigner sur les probabilités qu'on aura à se recroiser dans un futur proche.

- J’ai un pied à terre, mais j’vais commencer sur un navire pirate donc je suppose que je vais être beaucoup en mer ? J’en sais rien en fait, ils m’expliqueront tout quand j’aurais vraiment commencé. J’suis cartographe, c’est moi qui calcul les dangers présents dans les fonds marins et qui assiste à la navigation, enfin, un petit peu au moins … on verra bien ce qu’ils veulent de moi.

Ah ouais. Okay. Pas mal, je ne m'y attendais pas à celle-là. Encore une fois je tique un peu. Notamment sur le fait qu'il va bosser sur un bateau pirate. Un bateau pirate... sérieusement? Difficile de savoir si c'est à prendre au sens propre ou non. Dans les deux cas, je suis bien curieuse d'en savoir d'avantages mais même lui, n'a pas vraiment d'éléments en plus à me fournir. Je l'ai bien compris, il est du genre à se laisser porter par le vent.

- Par contre faut rien dire, j’suis recherché pour meurtre et j’aimerais mieux pas qu’on me retrouve si tu vois ce que je veux dire.
- Qu-qu-qu-quoi? que je bafouille, au bord de la syncope.

J'en lâche mon morceau de chocolat. QUOI?! Je bat des cils de manière frénétique. Je crois que toute couleur vient de quitter l'ensemble de mon visage. QUOI?!!! Alors on va résumer. Je suis toute seule, dans un cimetière, j'ai laissé mon téléphone chez-moi et je suis en compagnie d'un homme, un nécromancien de surcroît, qui a déjà de base un comportement douteux et qui maintenant... m'annonce qu'il a commis un meurtre. Okay. Tout va bien. Tout va très bien dans le meilleur des mondes. Je déglutis.

Je lâche un petit rire nerveux, accompagné d'un sourire digne d'une nana à qui on vient d'enfoncer un balai bien profond dans le cul mais à qui on demande malgré tout de garder bonne figure. Au pire c'est un serial killer qui est très certainement en train de jouer avec sa proie. Au mieux, et je l'espère, il a des circonstances atténuantes. Après tout, j'ai enterré le cadavre de Sidney. Pour ma décharge elle n'était pas vraiment morte... puisque c'était un vampire au moment des faits! Le seul soucis que je dois régler avec ma conscience, c'est qu'à ce moment là de ma vie, je n'en avais pas la moindre idée. J'ai donc tué Sidney. Point.

Enfin on va jouer la carte de la prudence. L'air de rien, j'enfonce ma main à l'intérieur de ma poche. Pas celle qui gardait les barres de chocolat. L'autre, avec la bombe aux poivres. Mes doigts se referment dessus et si jamais il tente de me sauter dessus, je le gaz et je cours. Heureusement que j'ai repris mes séances de footing depuis mon retour d'entre les morts.

- Hum et sinon... Tu... hum... c'était dans le cadre de la légitime défense, un truc comme ça? Ou... juste, t'en avais envie et... tu l'as buté parce que ça t'éclate?

Axel, bravo. Si c'est un tueur en série, je peux officiellement te dire que tu ne sortiras pas vivante de cet échange. Je tente de garder le sourire, j'essaie de paraître détendue. Ouais non, rien y fait. Être en présence d'un meurtrier, ça calme direct. Je recule l'air de rien, tranquillement, sûrement. Incognito.

Mes doigts cramponnés sur ma bombe aux poivres, je m'attends à devoir l'utiliser dans les secondes à venir mais pas du tout. Le nécromancien ne me saute pas à la gorge. Il s'installe sur l'herbe.

- Si je te dis que j’aide les âmes à passer, tu crois vraiment que c’est pour le fun que je tue des gens ? Et risquer de voir leurs fantômes me pourchasser ? Pfff … pas logique du tout …

Deux secondes auparavant, j'étais paniquée à l'idée d'être en face d'un meurtrier. Là... je le suis toujours autant mais je me sens malgré tout très conne. Ou très maladroite. J'en sais rien. En même temps, merde, on balance pas des bombes comme ça dans la gueule d'une personne qu'on rencontre à peine. Encore moins à une mère de famille qui doit penser à sa survie, pour celle de son mari et de ses enfants. Ce qu'il trouve logique ne l'est pas forcément pour moi. Il est nécromancien, il peut très bien forcer les âmes à passer pour éviter d'être pourchasser. J'en sais fichtrement rien, moi!

En tout cas, si je veux me barrer, c'est maintenant ou jamais. Il m'ignore, agit comme si j'étais déjà loin, très très loin... et c'est sûrement la chose la plus censée à faire pour moi. Alors lentement, mais sûrement, je marche à reculons pour avoir un œil sur lui. Il tresse des brins d'herbes. Sérieux... est-ce qu'un meurtrier sadique ferait ça? Je pose la question mais j'en sais fichtrement rien. Raegan, elle, elle pourrait me le dire. Cette fois, je me détourne pour partir et le nécromancien commence à fredonner.

Je devrais déjà être loin. Je devrais courir dans les bras de mon mari et chouiner ma vie parce que j'ai peut-être rencontrer un tueur en série. Au lieu de ça, je me fige. Tout en me mordillant la lèvre, je réfléchis. J'ai pris peur. C'est normal. Une personne lambda et censée aurait fuit. Sauf que je ne suis pas si normale que ça. Et je vis dans un monde baigné de surnaturel.

J'ai bon dire ce que je veux, mon passé avec Sidney continue par moment à me conditionner. Elle m'a appris à être méfiante de tout et de tout le monde. J'étais terrifiée, constamment. J'avais perdu foi en l'humanité. Puis j'ai rencontré des personnes comme Dante, Maxwell et Nathan. Ces trois grands gaillards m'ont sauvé sur bien des plans, chacun à leur manière. Parce qu'ils ont été une main tendue, une épaule sur laquelle pleurer, un pilier sur lequel me reposer. Où en serais-je, si le soir de ma rencontre avec Dante, il m'avait tourné le dos? Moi aussi, après tout, je fuyais parce que je venais de tuer quelqu'un.

Puis... vient la vraie question. Celle que j'aurais dû me poser depuis le départ. Qu'est-ce que mon instinct me dit? Je soupirs, fatiguée de ma petite personne et je retourne sur mes pas. Mon instinct, se traître, me dit que les choses sont plus compliquées qu'il n'y paraît. Mon instinct me dit qu'il y'a un truc à gratter. Mon coeur, lui, me dit que j'ai peut-être été conne avec lui. Petite note à moi-même, ne pas raconter cet épisode de ma vie à Maxwell. Il risquerait de me tuer pour mon "insouciance" ou "inconscience" ou j'en sais rien. Bref.

Je me montre discrète, j'attends qu'il termine de chanter, parce qu'en vraie, il a une voix agréable et la chanson est belle. Lorsqu'enfin il se redresse, je m'avance un peu plus.

- C’est pas tout, mais j’ai faim moi !
- Figure-toi que moi aussi.

Je tente un petit sourire vers lui. Je crois que je l'ai vraiment vexée tout à l'heure et rien que pour ça, je me sens trop mal. C'était pas mon but mais je rappel que... merde, quoi! C'était normal pour moi de paniquer. Bon bref.

- Je connais un coin où se poser pour manger, pas très loin d'ici. Ils ont des spécialités à tomber à la renverse. Est-ce que ça te tente qu'on y aille ensemble?

On va pas se mentir, le sourire du gaillard est contagieux. Je suis étrangement ravie qu'il ne me tienne pas rigueur de mon jugement trop hâtif. Et bon sang... j'espère que je prend la bonne décision. Mon instinct me dit que oui. Le visage radieux de Marius également. On va se contenter de ça pour le moment.

- Tu connais l’expression qui dit que le chemin le plus rapide vers le cœur d’un homme passe par son estomac ! Si tu étais pas déjà fiancée, je te demanderais en mariage direct !

J'éclate de rire. Okay... au moins ça a le mérite d'être franc et direct. Je peux me plaindre autant que je veux de son manque de tact, ou de celui de Maxwell, mais ce que j'adore avec ce genre de personne, c'est qu'ils ne dissimulent jamais ce qu'ils pensent. Alors oui, parfois c'est vexant mais le reste du temps, ce n'est que du bonheur.

- Si ça peut te rassurer, des femmes prêtent à combler les estomacs sur pattes dans ton genre, il y'en a à la pelle. Il te suffit de zoner ailleurs que dans les cimetières pour les trouver.

Le nécromancien m'attrape par le bras, et ma foi, je le laisse faire. Il a compris que j'étais fiancée et n'est intéressé que par la perspective d'aller manger. Toute ambiguïté étant dissipée, je ne vois aucun soucis à le laisser me harponner de la sorte. Au contraire, c'est même bien plus pratique pour le guider. Sur notre route, on croise la petite grand-mère qu'il avait malencontreusement traumatisée. Vieille mais pas entièrement sénile, la petite dame prend ses jambes à son cou en apercevant le morveux. Ce dernier s'en amuse et moi aussi, je l'avoue. Je me pince les lèvres pour ne pas glousser avec lui.

- C'est bien, grâce à toi elle entretien son cardio.

Oui bon... ça va, j'ai bien le droit de m'en amuser. La petite vieille le fuit comme si il était la grande faucheuse. Faut se calmer, il en est seulement le messager.

- Par contre tu payes, j’suis totalement à sec.
- On fait comme ça, alors.

Une chance pour lui et nos estomacs, j'ai pensé à prendre du liquide sur moi. Beaucoup de liquide. Sans carte de crédit, je n'ai d'autres choix que d'avoir des espèces sur moi. Une somme importante de préférence si jamais je dois gérer un imprévu ou un achat compulsif. J'ai hâte qu'on fasse sauter mon certificat de décès, que je puisse reprendre un vrai travail. Les combines de Raegan sont bien sympa mais plus jamais je ne veux organiser de baby-shower pour une famille de chasseurs. Jamais plus!

Une fois en dehors du cimetière, je nous fait prendre à gauche. Débute alors une petite ascension qui nous prendra une dizaine de minutes, tout au plus. Pas besoin d'avoir un grand sens de l'orientation, il suffit de continuer tout droit. Quand je lui disais que le restaurant n'était guère loin, je ne plaisantais vraiment pas.

- Après on se trouve un perceur, ça te dit ?
- Quoi?

Prise par surprise, je rigole et je tourne mon petit minois vers lui, mes grands yeux bleus écarquillés. Pourquoi on irait voir un perceur? Question idiote, réponse logique. J'imagine qu'il veut se percer un truc. Tant qu'il me demande pas de lui tenir la main pendant qu'on lui perce le phallus, moi je dis, pourquoi pas, après tout? Peut-être même que je pourrais me faire percer aussi, tiens!

- Tu sais, quoi? Ouais! Genre... carrément!

Je me demande quelle tête ferait Maxwell, si il me voyait revenir avec un piercing. Maintenant j'hésite. Un sur la langue? Ouais non, je ne veux pas zozoter plusieurs jours et me taper de la compote. Sur la lèvre? L'arcade? Non plus. Je veux un endroit discret mais sympa. Original mais pas vulgaire. Un piercing qu'il sera amené à découvrir par lui-même lors d'un câlin et que personne d'autres pourra voir. Le nombril? Sauf que c'est tout, sauf original. Ou alors... je me fais tatouer! Pourquoi pas "mon troll" mais en klingon? Je grimace. Non. Je dois trouver autre chose. Bon au moins, je pourrais discuter de tout ça avec Marius autour d'un bon repas.

Le reste du trajet se fait en silence ou alors, je ne l'écoute tout simplement pas. Piercing ou tatouage? Quoi que je décide, ça reste malgré tout un acte définitif. Le tatouage, d'avantages que le piercing. Pourtant, là, j'en ai envie. Non, je crois que j'en ai besoin. Besoin de marquer sur ma peau quelque chose de significatif. Je suis morte. Je suis revenue. Et je continue d'avancer. Je crois que mon choix est fait. Il va se faire percer et moi, je me ferais tatouer.

- On est arrivé, que je lui signale à quelques mètres du restaurant.

J'espère pour lui qu'il ne s'attendait pas à un quatre étoiles. Nous en sommes très loin. De l'extérieur, l'établissement ne paie vraiment pas de mine. C'est un petit boui-boui, tout ce qu'il y'a de plus classique et la décoration à l'intérieur... Horrible. La décoration est surchargée, un savant mélange d'ambiance vintage et rococo. De quoi donner la gerbe à tout les passionnés de décoration tel que moi. Cependant... la nourriture y est d'excellente qualité à un prix défiant toute concurrence. Je rigole toute seule en rentrant pour un détail à la con. Jamais, mais jamais, Maxwell accepterait de mettre les pieds dans un endroit pareil sans lui fournir un argumentaire valable de plus de cinq pages.

Une serveuse déboule, pomponnée comme jamais. Elle ne s'intéresse pas une seconde à moi mais à Marius. Un grand sourire sur les lèvres, elle le drague carrément. C'est quoi le délire? Elle espère avoir plus de pourboire? Ma cocotte, c'est moi qui paie l'addition. Je suis obligée de me racler la gorge pour obtenir son attention et enfin être installée à une table avec le nécromancien. Lorsqu'elle part, je lance un grand sourire à Marius.

- Et elle, tu veux l'épouser direct? Parce qu'elle a pas l'air indifférent à ton charme.

La serveuse est carrément à fond sur le morveux. Moi ça me fait hallucinée. Pas qu'il manque de charme, non. Ce qui me rend complètement dingue c'est que je suis là, quoi! Je pourrais tout aussi bien être la petite sœur que sa fiancée mais non, ça ne dérange pas l'employée d'aguicher le nécromancien sous mon nez. En même temps, le sorcier ne se gêne pas pour en jouer. Forcément que la nana elle ignore totalement mon existence. Je déteste être ignorée. Vraiment. La dernière fois que j'ai été au restaurant avec Raegan, je me suis retrouvée dans le même cas de figure. Ce qui, dans la finalité, était pire. Je m'étais sentie comme une vieille tranche de jambon à l'abandon sous un été caniculaire. Je roule des yeux et j'abrège le jeu de séduction entre ces deux-là. J'ai faim. Je croyais que lui aussi. Alors... à table, quoi!

Ce n'est qu'une fois installée que je retrouve mon sourire et lui fait remarquer que la petite dame, là, elle n'est pas indifférente à lui.

- Non merci, pas de chaînes pour moi et c’est normal, je suis irrésistible.

J'éclate de rire. L'aplomb avec lequel il me sort ça, non mais j'hallucine. Après j'avoue, son petit regard, son sourire... ouais, je peux comprendre que les gens s'y laissent prendre. J'imagine que je ne dois pas être mieux, puisqu'en même pas une heure de temps, je l'invite à manger au resto et que j'ai prévu de l'accompagner pour se faire percer.

- Alors figure-toi que moi aussi, je sais me montrer irrésistible. Va pas croire que t'as le monopole du je-me-la-joue-sexy-sur-commande.

Il retire sa veste et je constate deux choses. La première c'est son t-shirt immaculé de toute tâches. Bien, ça contraste avec l'état de sa veste! La seconde... ce sont ses tatouages. J'aime bien et je me garde de lui en demander la signification pour plus tard. Là, je lui lance un regard de braise accompagné du sourire le plus racoleur que j'ai en stock. Est-ce que je me sens ridicule? Mais tellement. Je tiens à peine trois secondes avant d'éclater de rire, morte de honte. Je n'ai plus l'habitude, de ces jeux de séduction débile. Et de toute façon, il n'y a qu'un seul homme que je veux séduire, c'est bien Maxwell. Le truc c'est qu'avec lui, je fais plus de ravage dans une combinaison de stormtrooper qu'en lingerie sexy.

Et donc, sur ces actions débilitantes, nous consultons le menu. Le morveux est rapide à choisir alors que moi, j'hésite sur tellement de choses. Entre les plats que je connais et que j'ai envie de goûter une nouvelle fois, et ceux que je ne demande qu'à découvrir... c'est tellement compliqué de se décider. Finalement, je vais opter pour de la nouveauté. Ma rencontre avec Marius s'y prête bien. Pour la peine, je sélectionne un plat épicé. Soyons foufou!

Je profite que la serveuse lorgne sur Marius pour l'interpeller gentiment. C'est comme si elle n'avait attendu que ça et déboule à vive allure. Tout juste arrivée à notre table qu'elle minaude auprès du nécromancien qui répond favorablement. Franchement moi, ça me fascine. Comment il fait? Moi aussi j'aimerais bien mettre en pâmoison les nanas aussi facilement, juste pour l'ego. Savoir que même fiancée et mère de famille, je plais encore. A la commande du morveux et à la mienne, je rajoute deux portions de frites, des sticks de mozzarella et des nuggets. Faut pas déconner, monsieur il prend que des légumes mais il est pas bien épais. Faut le renflouer un peu, le jeune homme. Puis je conclus avec deux bières pressions. Oui. Il est tôt et alors?

Encore une fois, j'attends que la serveuse décampe pour reprendre ma conversation avec Marius.

- Sérieusement, je veux trop que tu me donnes ton secret pour plaire autant à la gente féminine. C'est quoi, ton truc? Les yeux clairs? Parce que moi aussi j'ai les yeux clairs et en plus, j'ai le body perfect!

Enfin ça... C'est seulement vrai quand je suis habillée. Déshabillée, je ressemble à pas grand chose, en partie à cause des cicatrices causées par Sidney. Par chance, ça n'a jamais rebuté Maxwell et c'est tant mieux. Avec le temps, j'ai fini par m'y faire. Ces marques me font toujours complexées, toutefois, elles font parties de mon histoire et hors de question de les supprimer de ma vie. Tout du moins, il n'en est plus question. D'ailleurs, à l'intérieur il fait chaud et même si ça m'enchante pas des masses, je retire enfin ma veste. Je n'avais pas prévu de m'attarder dans un restaurant alors je ne porte qu'un débardeur qui laisse apparaître des marques en tout genre, dont une vieille traces de morsures.

- Bon et sinon, dis-moi. Pourquoi tu veux qu'on aille voir un perceur?

Je m'empresse de compléter ma question avant qu'il me sorte un truc du genre "bah elle est naze ta question. C'est logique. Bla bla bla".

- Je veux dire, tu veux quoi comme piercing? Parce que je te vois bien avec un piercing à l'arcade.

Pour joindre le geste à la parole, je me penche pour tapoter son sourcil gauche.

- Juste là.

- Mon secret ?
- Yep.

Un énorme sourire barre mon visage pendant qu'il cherche une réponse à me fournir. Il a forcément un secret, c'est obligé. Peut-être que c'est sa nature de nécromancien? La grande faucheuse, on peut en dire ce qu'on veut, est fascinante et mystérieuse. Alors ouais, il se pourrait très bien que ce soit son côté messager de la mort qui lui confère cet aura.

- Ben, non mais ton corps est sans doute très bien, mais c’est ce qu’il renvoie qui est important, tu fais un appel avec chacune de tes cellules envers les gens pour leur dire « je suis ouvert à toute proposition » et je t’assure que ça marche. D’ailleurs, j’attire aussi bien les mecs que les nanas … je crois que je préfère les hommes d’ailleurs, c’est plus … normal.

Concentrée sur ce qu'il me raconte, j'acquiesce à ses propos. Ce qu'il me raconte a du sens et il n'a pas forcément tord. Le soucis c'est que je ne suis pas ouverte à toute les propositions, justement. Je suis fiancée et follement amoureuse. Moi ce que je veux, c'est savoir que je peux encore plaire de temps en temps. Je suppose que ça ne fonctionne pas comme ça, du coup. Hum. Bon. De toute façon, le plus important c'est que je plaise à mon homme. Le reste, ce n'est que superflu.

- Hey... attend. Tu dis que nous les femmes, on est bizarre?

Ouais je viens seulement de réagir. J'affiche un air faussement consterné avant de rigoler. On est d'accord, venant d'un mec qui converse avec les morts et lèche les vivants, c'est assez ironique? Toutefois, je ne vais pas nécessairement le contredire. Même si ça m'emmerde de l'admettre, nous les femmes ont peut vraiment être compliquées. Je pense que Maxwell pourrait le confirmer. Je ne lui ai pas mené la vie facile tout les jours. Entre mon retour compliqué et mes hormones toutes détraquées plusieurs jours dans le mois... Mon pauvre troll.

Toujours est-il que je me recentre sur ces histoires de piercing. Je suis curieuse et j'ai aussi envie de savoir dans quoi je m'embarque. Au moins un minimum. J'en profite pour émettre mon avis. L'arcade c'est classe et ça lui irait très bien. Par contre je comprend pas pourquoi il me tire la langue. Je penche ma tête sur le côté, perplexe.

- ..A !
- B?

Je crois que le nécromancien a compris que j'étais larguée, parce qu'il précise le fond de sa pensée.

- J’veux un piercing à la langue aussi et ouais …

Ah! Oui. D'accord! Maintenant ça fait sens. Je comprends mieux. Le morveux me fait un clin d’œil et je le lui rend.

- Bien vu, j’veux aussi l’arcade au sourcil gauche.
- Tu feras des ravages, avec ça.

La serveuse déboule et putain! J'hallucine en voyant les portions qu'on a donné à Marius. Mais sérieux? C'est quoi cette injustice? Mes claires prunelles font la navette entre mon assiette et la sienne. J'ouvre la bouche, franchement consternée. C'est honteux! Tant mieux pour Marius mais honteux quand même! Malgré-moi, je rigole. C'est pas un ticket qu'il a avec la serveuse, c'est une bobine entière! Le nécromancien se lève de table. Genre quoi? Il va demander plus de rab ou draguer la serveuse?

- Attend, je te montre un truc, tu vas comprendre.
- Cool!

Franchement, dans ma tête, je ne vois que deux options. La première, il va draguer la serveuse. La seconde, il va me montrer un truc en rapport avec ses pouvoirs de nécromancien. Je penche pour la seconde option lorsqu'il s'approche de moi, la mine sérieuse. Mon souffle se coupe un instant. D'abord, parce qu'il est super proche de moi. Ensuite bah... comme je l'ai dit, il arbore une mine tellement sérieuse que je me dis que la démonstration de son pouvoir pourrait ne pas être totalement plaisant.

Sa main se glisse à l'arrière de ma nuque et je sens mes joues rougir immédiatement. Là, il est vraiment très proche et je commence à me demander si je ne me suis pas trompée sur ses intentions. Pas le temps de pousser ma réflexion plus loin, ses lèvres se posent sur les miennes. Le pire dans tout ça c'est que je n'ai même pas le réflexe de me reculer. C'est lui qui amorce la fin de cette étreinte aussi bref qu'agréable. Bah ouais quoi. C'était pas une explosion de paillettes et de papillons dans mon ventre comme quand c'est Maxwell qui m'embrasse, mais c'était pas désagréable.

- Ça sera encore mieux avec un piercing à la langue…
- Ouais, je confirme.

Je murmure ça en prenant conscience que mon visage a adopté la couleur d'un homard. Et lui qui se marre, bah ouais. C'est marrant d'embrasser une femme presque mariée. Je ne peux même pas lui jeter la pierre, j'ai laissé les choses déraper. Maxwell va pas apprécier du tout. Parce que ouais... je vais lui raconter ma journée. Je vais taire le fait que le nécromancien est recherché pour meurtre car ça, c'est son secret à lui et que je compte bien le garder. Le reste... ouais. Ouais je vais le dire à mon troll parce que je ne veux rien lui cacher. Je me sers un verre d'eau et manque de m'étouffer de rire en voyant le regard noir que me lance la serveuse. Merde. J'en recrache une bonne partie de ma boisson dans mon assiette, m'étouffant et riant à moitié en même temps.

- Merde.

Encore hilare, j'attrape une serviette pour éponger mes dégâts. Sérieux, limite il y'a écrit "I wanna kill you now. Bitch" dans ses yeux. Hey ma cocotte, j'y suis pour rien, moi. Je me penche vers Marius pour lui murmurer un truc et être certaine que personne d'autre entende.

- Pss. Sérieux, Marius, je crois que la serveuse l'a vraiment mauvaise. Tu voudras pas envoyer un fantôme espion pour être sûr qu'elle mette pas de mort aux rats dans nos desserts, tout à l'heure?

Je glousse et je me redresse. Même si je dis ça sur le ton de la blague, j'avoue que je serais quand même rassurée si Marius envoyé un sentinelle espionner la demoiselle. Elle a vraiment la gueule d'une psychopathe, maintenant qu'elle a arrêté de minauder. Je crois que je vais faire l'impasse sur une petite touche sucrée à la fin du repas. Enfin... avant de parler du dessert, je commence par m'attaquer à mon plat.

- Au fait Marius, ne repose plus jamais tes lèvres sur les miennes. Genre... jamais. Mon fiancé va me tuer. Et il maîtrise l'électricité. Je risque de finir foudroyer.

Un plan à trois avec Maxwell? Je pourrais presque en rigoler tant ça me paraît farfelue. Je vois mal mon troll se lancer dans ce genre de fantaisie, surtout avec la configuration suivante : moi et un autre homme. Peut-être qu'un jour il dira oui, avec une partenaire féminine mais là, c'est moi qui risquerait de voir rouge. Oh non... Je me transforme en vieille mégère. Je veux dire, à une époque ça ne m'aurait pas dérangé. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'en faire plusieurs. Certains plus mémorable que d'autres. Je tiens en tout cas à rebondir sur un détail qui lui, m'arrache un sourire.

- Je peux juste te confirmer qu'une décharge bien placée c'est... kiffant.

Rien que d'y penser, un frémissement s'empare de moi. C'est qu'il regorge de talent caché, mon homme. D'ailleurs, en parlant de talent caché, le nécromancien se lève pour retrouver la serveuse. Okay. Je m'empare d'un stick de mozzarella que je mâchouille, mon regard entièrement rivé sur eux. Je suis bien curieuse de savoir ce qu'il a en tête et de comment ça va finir pour lui. Personnellement, je m'attendais à ce qu'il reçoive une gifle et pas du tout! C'est même tout l'inverse. Dire que je suis fascinée est un euphémisme. Comment il fait, sérieux? Ce mec c'est vraiment un grand baratineur, en fait. Quand le morveux embrasse la serveuse, je penche ma tête sur le côté, admirative. Ah oui... Doué le gamin. Je grignote un second stick, à moitié hilare, lorsqu'il revient vers moi. Sérieux, c'est n'importe quoi tout ça.

- Moi je te dis, même toi tu vas avoir un super dessert. Elle s’en veut pas pouvoir répondre favorable à ta demande pour un rancard … joue le jeu et t’auras double dose de chocolat dans ta mousse !
- Quoi? Elle est même pas mon genre.

Cette fois j'éclate de rire. Il est sérieux? J'imagine que oui. Je secoue la tête de gauche à droite, ce môme me fatigue. Mais il m'amuse beaucoup, on ne va pas se mentir. Concernant la serveuse, j'insiste elle est pas mon genre. Son côté psychopathe avec son regard de tueuse... merci mais non merci. J'ai l'impression de revoir une version beaucoup moins crédible et beaucoup moins sexy de Sidney.

Je picore les frites, pique quelques nuggets et m'attaque enfin à mon plat principal quand Marius réengage la conversation.

- Nan, mais entre les démons et les sorciers, pour juste un humaine, t’as de sacré fréquentation dis donc ! Et en plus t’invite le premier Nécro que tu croises au cimetière, t’as pas froid aux yeux …

De la nourriture plein la bouche, j'attends d'avoir fini de mastiquer et d'avaler avant de lui répondre. Ce qui me laisse un laps de temps relativement court pour de un, l'observer mettre de côté son lardon, et de deux, réfléchir à ce qu'il vient de me dire. En langage courant, ne pas avoir froid aux yeux... c'est synonyme de courage, nah? Parce que je suis tout, sauf courageuse.

- Je pense que tu te trompes sur mon compte.

J'attrape une serviette pour essuyer mes doigts, en partie parce que je ressens le besoin de m'occuper les mains. C'est en zieutant la table que je remarque les petites lingettes individuelles, au citron en plus. J'en prend une pour me laver les paluches. Est-ce que je prend le temps de détailler le fond de ma pensée? Dois-je lui avouer que tantôt, j'étais sur le point de lui gazer les yeux pour fuir? Non. On va éviter! Est-ce que je lui raconte que mon ancienne petite amie était une horrible psychopathe et que je n'ai pas eu d'autres choix que de m'entourer de créatures surnaturelles pour avoir une chance de survivre? Et encore. Ce n'était pas volontaire de ma part. J'ai rencontré Dante sans savoir ce qu'il était. Pareil pour Maxwell. C'est juste qu'en effet, après ça m'a été utile.

- Mes fréquentations ne sont pas si fofolles que ça. Et c'est vrai... je t'ai invité alors qu'on ne se connaît pas mais je suis curieuse et t'as pas l'air dangereux. Bizarre, oui, mais dangereux, je ne crois pas.

Finalement je me décide à tendre les bras vers le nécromancien pour lui mettre sous le nez les différentes cicatrices qui dénature ma peau. Et encore, il n'a pas eu le loisir de voir le reste de mon corps.

- Mon ancienne petite amie était une vampire psychopathe mais ça je l'ai su bien plus tard. J'ai toujours su, dans le fond, qu'il y'avait un truc bizarre mais elle paraissait normale, humaine et saine d'esprit. Pourtant... elle a bien failli me tuer un nombre incalculable de fois.

Je range mes bras le long de mon corps parce que mine de rien, c'est gênant pour moi de les exposer comme ça.

- Toi... j'en sais rien. Mon instinct me dit que t'es pas dangereux malgré ton "petit secret". Mais je suppose qu'on a tous des squelettes dans nos placards, à plus forte raison quand on est baigné dans le monde du surnaturel. T'es du genre survivant, toi. Je me trompe?

Avant qu'il n'ai vraiment le temps de répondre, la serveuse arrive pour savoir si on désire quelque chose. Ah... la fameuse serveuse. Je me souviens du rôle que le nécromancien m'a attribué et je lui lance un sourire des plus dévastateur. Enfin j'essaie mais ce n'est plus vraiment mon dada. Je papillonne des cils quand je lui demande si elle peut ramener mon dessert et son air gêné m'apprend qu'elle gobe vraiment l'histoire de Marius. Tant mieux. Quand elle s'éloigne, je m'empêche de rigoler.

- Ensuite on va se faire percer la peau? Ou après le dessert tu préfères rester avec la serveuse?

- Bizarre ?
- Yep.

Ce n'est pas un reproche, ni même une insulte, juste un constat. Il diffère de la norme, ne pense pas de la même manière que la plupart des êtres humains. Et pour cause, le gamin côtoie la mort de très près et cause avec des cadavres. Je pense qu'avec un tel patrimoine, notre cerveau a de quoi fonctionner différemment. Si je n'avais pas vécu l'enfer avec Sidney, je ne serais peut-être pas aussi prompt à engager la conversation avec un nécromancien. En fait, si je n'avais pas rencontré Sidney, je serais toujours à New-York, coincée dans un mariage sans amour et une vie sans la moindre trace de magie. C'est grave, si au fond de moi, je remercie mon ancienne petite amie psychopathe? Car sans elle, je n'aurais ni Maxwell, ni mes enfants. Comme quoi...

D'ailleurs en parlant de l'autre folle, je montre à Marius les traces qu'elle a laissé sur mon corps. Il n'a pas l'air répugné par les stigmates d'une vie constituée de violences et de terreur. J'en viens à me demander si lui-même, il ne possède pas des cicatrices issues d'une vie trop dure et cruelle.

- Ha ! Donc tu vois que les meufs sont bizarres ! Bon ok, le côté vampire doit pas aider, je sais pas si j’en ai croisé vraiment. Je touche beaucoup de chose, de gens, mais j’ai jamais prêté attention à ce qu’ils sont.

Je range mes bras le long de mon corps et lève les yeux au ciel. Forcément, lui, il n'y a que ça qu'il retient. Je lâche un soupir et malgré mon air dépité du moment, un sourire finit par s'esquisser sur le bord de mes lèvres. Qu'il ne prête pas attention à la nature des gens ne me surprend pas des masses. Toujours est-il que je ne rentre pas sur le débat des femmes, c'est pour moi une perte de temps. J'enchaîne sur autre chose et en vient à la conclusion suivante : ce gars est sûrement un survivant.

- Oui, je suppose que j’essaye juste de survivre. Je suis pas né avec une habilité qui m’a aidé à m’intégrer socialement, j’ai un peu du jouer le jeu et j’ai pas commencé ma vie sur les marches d’un palais. Comment t’as fait pour survivre à elle ? Elle a abandonné ?

Comment j'ai fait... c'est une excellente question. Et si je pourrais lui raconter la version longue, a commencé par ma fuite de New-York, je vais plutôt aller au plus simple.

- Je suis morte. Tout simplement.

Difficile de harceler un cadavre. Même si je la soupçonne d'être assez tordu pour avoir cherché un moyen de me ramener, juste pour le plaisir de me tuer de ses propres mains. Cette simple pensée m'arrache un frisson. Au même titre que je redoute par moment son grand retour fracassant.

Par chance, l'arrivée de la serveuse me distrait et ma tentative de drague s'annonce comme un échec cuisant. Un échec que Marius me confirme.

- Minable, je pense que finalement elle va peut-être mettre de la mort au rats, mais ça sera par compassion pour abréger tes souffrances !
- Mais non, arrête! C'est pas si pire!

Je pars dans un fou-rire assez violent pour qu'il se transforme en un rire de cochon. Oh bah bravo pour le glamour! Je plaque mes deux mains contre ma bouche alors que je tente de me calmer.

-  Sinon, j’me serais bien fais une pause serveuse, mais non, j’avais zappé je veux aller direct pour mon piercing. Pendant que je suis chaud !!

Impossible de répondre avec des mots, alors je me contente de hocher la tête. La serveuse revient avec les desserts et je me tente à un clin d'oeil. Oh bah ouais, tant qu'à faire autant jouer le jeu. Son sourire crispé contraste avec celui bien plus enjôleur qu'elle donne à Marius. Bon je m'en fiche dans la finalité on se retrouve avec des putains de dessert et rien que pour ça, franchement ça valait le coup. Je regrette presque de ne pas avoir mon téléphone pour prendre une photo et l'envoyer à Maxwell.

Le gamin se goinfre à une allure folle alors je me dépêche aussi de manger. Je m'occupe de payer l'addition et je ne suis pas mécontente de me retrouver dehors. Un peu d'air frais, c'est toujours agréable. Tout en marchant, j'observe le morveux. Le voir s'agiter comme ça dans tout les sens, sérieusement, ça me fatigue. J'espère que mes gamins ne seront pas aussi turbulent sinon je démissionne de mon rôle de mère.

- Espèce de chimpanzé.

Non mais c'est vrai, regardez-le, là... Je suis certaine qu'il est du genre à grimper par les fenêtres au lieu de prendre les portes comme tout le monde. Bon! Et pour cette histoire de piercing... Où est-ce qu'on pourrait bien se rendre? Je n'ai pas de GPS sur moi, comme j'ai laissé mon téléphone. Toutefois, j'ai une vague idée de où on peut se rendre. De toute façon ce n'est pas comme si on était bien loin du centre ville. Une vingtaine de minutes à marcher et l'affaire sera pliée.

Du coup.. je cogite. Beaucoup. Je me fais quoi? Et plus on approche du centre ville et plus je sens cette petite boule d'appréhension grandir. Oh je peux quand même pas me défiler, hein? Je suis pas une mauviette. J'aime pas avoir mal... mais je veux me faire un piercing, maintenant. Ce n'est pas qu'une lubie. J'ai besoin d'un avant ma mort... et d'un après. L'ancienne Axelonnie et la nouvelle, celle qui a eu le courage de se trouer la peau. Je déglutis quand on monte la rue qui nous mène à la bonne boutique.

- Tu sais, si tu veux changer d'avis... il est encore temps. Je ne t'en voudrais pas si tu te dégonfles.

Je lui dis ça une fois qu'on est devant la boutique. Et bien évidemment je dis ça avec toute l'innocence du monde. Hors de question d'avouer que là, je fais ma mauviette. Je veux me la jouer grandeur d'âme, genre je comprend si il décide de rebrousser chemin. Tu parles, la belle affaire, il rentre dans la boutique. Je soupirs. J'ai compris. Une fois à l'intérieur avec lui, je donne la couleur direct.

- Je te laisse commencer.

Juste pour voir à quel point c'est douloureux...