Magie Noire - ft Abraxas & Maxwell

On va commencer par le plus simple … Je viens d’emménager avec Axel dans notre nouvelle maison. La belle revenue d’entre les morts a pas arrêté une seconde pour s’approprier les lieux et j’avoue me perdre moi-même dans cet espace qui ne me ressemble que trop peu. Pourtant, elle fait gaffe. J’ai mon meuble consoles, avec tous mes jeux derrière une belle vitrine et surtout des figurines qui en jettent grave. En plus, mon bureau, totalement isolé des grumeaux et de ma blondinette. Réussir à taffer à tout heure du jour ou de la nuit, c’est important. J’en profite pour y afficher mes gribouillis. J’aime toujours autant dessiner, mais c’est vraiment pas ouf ce que je produis, c’est juste pour me détendre et extraire mes crises de colère …ouais, j’suis une boule de colère à l’intérieur et j’ai besoin de cet exutoire. Autre chose, mon activité de plus en plus illégale, je préfère l’effectuer loin des yeux de ma chère et de nos deux marmots.

Bon, voilà pour l’immédiat … Ah non, j’oubliais. Elle m’a demandé en mariage et j’ai dit oui, va falloir que j’en parle à mon grand-père, il va y avoir sa place d’honneur après-tout, c’est une histoire de famille et je tiens à l’avoir auprès de moi autant que je veux Nath dans les parages.

Je soupire. Pour l’idée de ce soir, ça remonte à un peu plus loin. Ma blondinette mangeait encore les pissenlits par la racine à ce moment-là. Pour rétablir un peu d’ordre dans ma vie après son décès, j’ai d’abord commencé par y mettre un gros bordel. Puis, j’ai rencontré Ghilian. Avec elle, l’envie de monter un petit business bien lucratif et pour nous protéger, j’ai mis mes skills de sorciers en avant et d’informaticien, le tout recoupé, ça donne de grosses montagnes de frics. Hors de question de me faire prendre une seconde fois par les flics. Surtout que maintenant que j’en ai conscience. Alors, j’ai fait un petit tour dans une boutique de magie noire. Le but, c’était juste de trouver plus de livres pour me permettre de devenir meilleur. Je veux être un grand sorcier et utiliser mes compétences à leur potentiel maximal. Par chance je suis tombé sur plusieurs bouquin pas trop mal, dont un légèrement atypique. Il parlait de malédiction et comment les briser …

A l’époque, j’ignorais que mon grand-père allait me ramener ma belle, mais je l’avais déjà croisé et franchement, il m’a grave plu dès le début. Un démon… Mon arrière-grand-père est un démon qui maîtrise le temps. Je sais pas à quel point vous vous rendez compte la classe que c’est. Et je me suis pris d’affection pour son ami, pas loquace pour deux sous, certes, sous une forme de chien, ça aurait été compliqué pour lui de me tenir de longs discours. Mais étrangement, on passait des bons moments quand on se croisait, toujours en présence de mon aïeule. Et puis, mon petit bonhomme de chemin se faisant dans l’acquisition de nouvelles compétences, je me suis lancé dans le décryptage de mon livre sur les malédictions. Je me suis dit que peut-être, je trouverais une solution pour briser le sort qui retiens prisonnier Cerbère. Ambitieux. Très ambitieux. Ce projet n’étant pas sûr de le réussir, je l’ai tu. Des nuits entières à l’étudier, à essayer de maudire puis libérer des rongeurs, beaucoup d’échec par la même occasion, beaucoup de migraines et saignements de nez aussi. Après, je suis toujours initiateur de la malédiction et du sort qui le brise, j’ignore ce que cela fera de briser un sort investi par Satan lui-même … Je me sens tout petit quand j’y pense. Je respire calmement et triture mes piercings aux lèvres, songeur …

Pas un bruit dans l’appart, rien de bien sorcier – oh merde, on dirait une blague de Dante – mais justement, Axel est allée manger chez Nath avec les petits. Je suis seul et j’attends.

La sonnette retentit et me tire de mes rêveries. Je me lève tranquillement, faisait preuve d’une maîtrise sur la tempête émotionnelle qui déferle en moi. La porte s’ouvre sur le visage de mon ancêtre. Je ne réprime pas un sourire satisfait en le voyant.

« Entre, je t’en pris. »

Son Molosse le suit de près et je l’accueil d’une caresse à la tête.

« T’es prêt ? »

J’ai informé les deux comparses de mon intention et je requiers définitivement l’aide des pouvoirs de mon ancêtre. Même si je mène la danse, c’est clairement sa puissance à lui qu’il va me falloir canaliser si je veux avoir une chance de faire aboutir mon projet. Notre projet. Je sens bien que pour eux aussi, ça a fait un déclic que je parle de lui rendre sa forme humaine.

Pour l’occasion, j’ai fait de la place sur la terrasse de la maison. On va faire ça dehors, j’ai trop peur de ce que sa pourrait libérer à l’intérieur de la maison si je me foire. Et autant pouvoir se barrer en courant facilement en cas de pépin. Plusieurs symboles magiques sont dessinés sur le sol, les scarifications à mon poignet peuvent facilement témoigner de l’origine de l’encre que j’ai utilisé, mais pour bien faire, va falloir y mettre du mien et parfois le plus littéralement possible. Tant pis pour les dalles blanches de la terrasse, on verra plus tard pour enlever tout ce merdier. Sinon, les bougies, un classique avec l’encens aux fragrances pestilentielles. Une poche de sang aussi. Je suis allé faire un don de sang et j’ai demandé à Dante de se démerder pour me la retrouver. Il est cool, il a pas posé de question. Pour le coup, je lui revaudrai ça. Je suis sûr qu’il a fait ça pour Nath, on a tout intérêt à s’entendre maintenant qu’il fait partie de la famille. Et j’avoue, faut aussi que je me bouge le cul pour faire des efforts de ce côté.

Mon livre posé à même le sol, je m’assieds en tailleurs. Les deux autres me rejoignent. Je reprends ma respiration. Inspirer. Expirer. Il va me falloir maîtriser l’ensemble de mon corps. Le cœur, ma respiration, mes méninges et l’adrénaline …

Une ampoule d’un réverbère pète non loin de nous dans la rue… Bon, ok … on repassera pour le stress

La dernière année a été plus mouvementée pour moi que le siècle qui l'a précédé. Depuis ma sortie de l'enfer, et cette quête que j'ai confié à Cerbère de retrouver ceux de ma famille, on peut dire que je n'ai pas chômé. J'ai rencontré Maxwell, cet arrière petit fils avec lequel je me trouve tant de points communs, et Nathan, celui avec lequel je n'arrive pas à trouver le moindre sujet de conversation, quand il me laisse deux minutes pour essayer avant de s'éloigner. Elaine, cette petite sorcière si prometteuse que je me suis promis d'aider à développer ces dons qui sont siens, et ses cousins jumeaux, si petits et déjà si surprenants. Et n'oublions pas les risques que j'ai pu prendre pour ramener Axelonnie parmi les siens, faisant fi aussi bien des lois temporelles les plus élémentaires, ainsi que de cette règle stupide m'interdisant de croiser ma propre ligne temporelle ou celle de mes descendants. Bref, une année bien chargée, et je ne parle que de mes proches les plus intimes. N'évoquons pas les tentatives risibles de mon cher petit frère pour me renvoyer six pieds sous terre, ou cette étrange ange-démon à laquelle je tente de faire accepter cette noirceur qui vit en elle, et qui risque fort de la consumer si elle ne parvient pas à la dompter. Une constante dans tout cela? L'omniprésence de Cerbère à mes cotés. Autant dire que je lui en doit suffisamment pour lui rendre la pareille le moment venu.

Alors cette idée de Maxwell? Je dois avouer qu'après nombre de tentatives de ma part ayant lamentablement échouées, au fil des siècles, j'ai tendance à ne plus vraiment y croire, et refuser de donner plus de faux-espoirs à mon meilleur ami et cousin. Mais le jeune sorcier a l'air assez sur de son fait pour lui donner le bénéfice du doute. Et puis, je crois que Cerbère et moi n'avons rien de mieux de prévu ce soir. Alors, après quelques dizaines de minutes de marche dans les rues de Chicago, j'en arrive à sonner à la porte de l'appartement fraichement installé de mon arrière petit-fils, que je trouve étonnamment excité par la situation, lui qui réfrène d'ordinaire si bien toute trace d'émotion de ses attitudes et de ses expressions. Un optimisme limite communicatif, si je puis dire.
Je lui sers le bras en guise de salut, avant qu'il n'offre une caresse à Cerbère, me faisant penser qu'après tant de siècles passés dans la peau d'un chien, certaines habitudes risquent d'être difficiles à perdre si nous arrivons à le sortir de là. Enfin, si il peut laisser un peu moins de puces sur le tapis, je dois avouer que ça ne se refuse pas. Trêve de plaisanteries, cela dit.

"Je doute qu'aucun de nous deux ne le soit réellement, mais ça ne coute rien d'essayer. N'est-ce pas?"

Oui, disant cela, un doute m'a traversé. Parce que j'ai été témoin, en son temps, de la puissance de celui qui a piégé Cerbère sous cette forme. Et j'ai moi-même pris des risques à quelques reprises en essayant de briser cette malédiction qui est la sienne. Et si je ne refuse pas de mettre ma propre existence en péril pour un ami aussi important à mes yeux que mon camarade, autant je refuse de mettre la vie de Maxwell en danger par la même occasion.

"Soyons d'accord, si ça devient ingérable, on arrête. Tout de suite. Tu possèdes de grandes capacités, mais ne sous-estime pas la puissance qui a été employée dans ce sort. Rares sont les malédictions qui survivent à la mort de celui qui les a lancées. Et je ne compte pas que tu sois le prochain que j'ai à enterrer."

Je le suis cependant jusqu'à ses préparatifs, et je ne peux que dire qu'il n'a pas lésiné sur les moyens de mettre en place sa contre-malédiction. Si ça me rassure? Pas vraiment. Mais il semble s'être bien préparé et savoir où il compte aller avec ça, ce qui n'est pas un mauvais point.

"Réexplique-nous tout ça une dernière fois. Qu'on soit certains de ne rater aucune étape du processus."

Disant cela, je dépose ma veste sur une chaise proche, décidant de me mettre à l'aise pour ce qui va suivre. Cerbère a d'ailleurs la même idée que moi, semble-t-il, comme je le vois se secouer intégralement, faisant voler du poil autour de lui, avant d'inspecter méthodiquement chaque symbole tracé au sol.

"Pas de pentacle?"

Une remontrance ? Non, pas de sa part, mais une grande pointe d’inquiétude que je ne relève pas. Disons plutôt que je l’ignore volontairement, car si mon ancêtre est inquiet, je vais me laisser gagner par l’angoisse. C’est pas mon genre en temps normal, mais la cérémonie de ce soir n’a rien de normale. Je fais mon premier pas dans les méandres complexe de la magie noire pure et dure. Celle qui nécessite de sacrifier des chèvres en dansant nu sous la pleine lune. Je ne ferais pas ça.

Je jette un regard en direction d’Abraxas, puis le pose sur Cerbère qui s’installe à mes côtés.

« Non, pas de pentacle … »

J’espère que je me foire pas. J’essaye de déjouer la malédiction de Satan sur un être d’une grande puissance également. Cerbère ! On parle pas de Jo le rigolo, c’est quand même le molosse des enfers mythique. Je compte d’ailleurs grandement aussi sur la puissance de Cerbère pour contribuer à affaiblir la puissance de la malédiction. Quelque part, dans mon fouillis de runes, est inscrite une qui permet de potentialiser à son paroxysme l’essence même de l’être qui s’y installe. Le truc, c’est aussi qu’il faut pas qu’il en bouge, donc autant dire qu’en d’autre circonstance, cette rune ne sert à rien.

« En gros il va falloir que je déverse différents trucs, sur des symboles précis en récitant des textes en latin sans faire fourcher ma langue. Cerbère doit me faire face, là –je désigne un emplacement spécifique au milieu de l’enchevêtrement de symbole - et à la fin je dois verser mon sang. »

Je donne un coup de tête en direction de la poche de sang que Dante m’a ramené en espérant que ça fera le taf. La supercherie est maigre et c’est bien cela qui pourrait faire que ça tourne mal.

« Pour ta part, tu as une seule phrase à répéter tout le long du rituel. C’est un sort qui permet de transférer ta magie vers un autre sorcier. En gros, tu dois pas bouger, pas ciller, juste me regarder et réciter ça. »

Je lui tends le morceau de papier avec la phrase toujours en latin inscrite dessus.

« Le truc c’est que ce transfert est limité et je sais pas trop à quel point, je suppose que c’est quand même dépendant du sorcier qui le lance du coup, si on part du principe que tu as la puissance adéquate, tu pourras quand même le maintenir du mieux possible. »

Je glane un coup d’œil en sa direction. J’ai quand même omis de dire que c’est un démon et pas vraiment un sorcier. C’est vrai que ça aussi j’suis pas sûr que ça marche, je joue totalement sur le fait que ma magie vienne de lui et que le lien du sang pourrait même améliorer la passation de pouvoir. Encore un coup de poker qui pourrait nous couter cher … me couter cher tout du moins. Il a beau me dire que si ça part en cacahuète, je suis incapable de dire si ce ne serait pas plus néfaste de s’arrêter en cours. Des fois, certains sorts méritent d’être exécuté jusqu’au bout et au pire ne pas fonctionner, mais l’interrompre peut causer des dégâts incommensurables. Tout ça pour dire que je n’en ai aucune idée. Le livre est incroyablement dur à déchiffrer, j’ai fait le maximum pour éviter les pièges évident, annexé mille post-it et au final finit par le réécrire au propre sur PC pour m’assurer que ça soit lisible le jour J.

« Cerbère, je te laisse également prendre place si tu veux bien et puis … on peut commencer ? Vous avez besoin de savoir autre chose avant ou ça va aller ? »

Pour le coup, vaut mieux que tout le monde se sente méga prêt avant qu’on entame les réjouissances … on en a pour presque une heure non-stop d’incantation.

Il évite volontairement mes doutes et mes mises en garde, et pour être sincère, je crois que c'est loin de me tranquilliser sur ce que nous nous apprêtons à faire. Cerbère suivant les indications de Maxwell, je m'agenouille face à lui en prenant gare à ne pas causer de désordre dans ses préparatifs, attrapant les oreilles du chien dans mes mains pour planter mon regard dans le sien. Il est mon meilleur ami, depuis bien longtemps, et il y a certes peu de choses que je ne serai pas prêt à sacrifier pour lui, mais je reste sur ce que j'ai pu dire précédemment. Si les choses s'enveniment pour Maxwell, on arrête là. De façon non négociable. Je n'ai pas rendu leur mère à ses enfants pour les voir perdre leur père à son tour. Pas par ma faute en tout cas.

Les choses dites entre nous sans avoir besoin de mots pour cela, sans prendre le risque d'alerter mon arrière petit-fils sur mes intentions le cas échéant, je me redresse pour me saisir du papier sur lequel il a écrit les quelques mots qu'il me charge de prononcer. Du latin. Une langue sur laquelle je ne risque pas de fourcher. Ca aurait pu être du sumérien, j'aurai peut-être moins rigolé. Pas que je ne l'ai jamais parlé, mais il y a longtemps que je n'en ai pas croisé, surtout.

"Prend ce dont tu as besoin. On sait l'un comme l'autre que je risque moins que toi à ce jeu. Tu es puissant, mais tu ne m'arrive pas à la cheville."

Non, je ne crois pas vraiment à mes paroles, même s'il est sur que son sang de démon s'est dilué au fil des générations. Mais j'espère le secouer juste assez pour qu'il comprenne la logique de mes paroles. De nous deux, il est invariablement celui qui tombera le premier s'il nous considère à égalité, quel que soit le scénario que j'entrevois. Et si je le sais intelligent pour l'avoir noté lui aussi, il a juste assez de fierté pour m'inquiéter.

"Alors si c'est bon pour toi, c'est bon pour nous. Je te laisse officier."

Me concernant? J'ai déjà enregistré son sort dans mon esprit, et le papier n'est plus que superflu, même si je le garde de coté quand même. Rien ne dit qu'après la cinquantième répétition, je ne commence pas à m'emmêler les pinceaux. En général, les démons, on les invoque, ce ne sont pas les invocateurs.

Il a confiance en moi ou il n’a pas confiance en moi ? Je ne saurais le dire. Je me triture nerveusement les mains en l’entendant me préciser que je ne lui arrive pas à la cheville. Merde … même lui s’en rend bien compte que j’suis une petite frappe à côté de lui et pourtant j’aimerais tellement rendre honneur à cet homme que je suis fier d’appeler grand-père. J’inspire une grande bouffée d’air, ferme les yeux et fais jouer ma langue sur mes piercings à la lèvre pour m’aider à me concentrer. Une fois son consentement formulé, j’ouvre les paupières, un regard déterminé comme jamais à réussir pour lui montrer quel grand sorcier il a engendré. Pour commencer, je retire mon t-shirt dévoilant mon torse sur lequel sont dorénavant gravé au couteau différents glyphes qui vont m’être indispensables.  Je plonge ma main dans le bol le plus proche de moi et commence à réciter l’incantation. Une large poignée de cette épice à base de mandragore moulu est répandue sur une partie des symboles. Sans me laisser décontenancer par leur iridescence soudaine, je m’atèle à déverser une autre poudre dont j’ignore la composition réelle, acheté directement au magasin de magie noir. Une odeur insoutenable envahie l’espace, collant comme une seconde peau et une brûlure intense se fait ressentir sur mes côtes de gauche. Deux symboles commencent à briller. Je dois continuer, rien ne doit me perturber. Une grande inspiration et je reprends mes formules. Il en va ainsi pendant une bonne demi-heure alors qu’Abraxas ne perd à aucun moment le rythme me semble-t-il. Au moment où je me sens défaillir, mon énergie vidée, une vague de pouvoir me submerge. C’est la première recharge de sa part qui arrive enfin. Surpris par ce regain d’énergie, de l’électricité passe sur le bout de mes doigts et traduit sans doute que j’ai atteint le max de ce que je pouvais accepter de sa part. Le surplus s’évacuant de la sorte. Heureusement pour moi, c’est à ce moment que tout se complique. Je jette un œil furtif sur mes notes et effectivement, je suis arrivé au point où il me faut répandre mon sang. Je me lève sans interrompre ma litanie, dague à la main, je perce la poche et observe le liquide écarlate couler sur le sol. C’est à ce moment que Cerbère se met à hurler. Mon regard se rive sur lui et je l’observe se tordre. Une douleur fulgurante me submerge  à mon tour et mon crâne semble prêt à exploser. Je crie rejoignant la complainte du molosse. Une voix, une pensée, un je ne sais quoi d’insidieux qui m’incrimine de la supercherie.

 « Menteur ! »  

Suis-je le seul à les entendre ? Elles me semblent provenir de partout. Le vent se met à souffler comme jamais autour de nous, mettant tout le rituel sens dessus dessous. Je peine même à rester debout sous la force qu’il exerce.

« Non, je ne mens pas ! C’est mon sang ! »  

 « Tricheur ! »  

Cerbère hurle comme si la douleur allait le tuer. Un peur soudaine me submerge. Et s’il payait les conséquences de ma connerie.

« Ne lui faites pas de mal ! »  

 « Trop tard »  

« Non !! Je suis prêt à faire le sacrifice adéquat ! »  

Le vent retombe comme un soufflé et J’entends la respiration haletante du chien, toujours étendu sur les dalles blanches de la terrasse. Je retombe sur mes genoux, épuisé par ce qu’il vient de se passer. Toutefois, une nouvelle inquiétude me gagne. Autour de nous, c’est trop silencieux. Le temps semble s’être figé et je me sens observé …

Au début, ce n’est qu’un picotement … puis lentement, l’intensité devient absurde et je me remets à crier de toutes mes forces. Ma main, en proie à l’électricité que usuellement je maitrise, se voit consumé progressivement par la puissance de cette magie. Je ne maîtrise plus rien et tout me donne l’impression d’être enveloppé, injoignable. Je ne vois plus Cerbère et Abraxas. Quand finalement le bruit ambiant refait surface, je n’ai pas le loisir d’en prendre conscience. Je suis étendu sur le sol, recroquevillé autour de mon poignet sanglant … Tu parles d’un sacrifice ! Les voix m’ont volé ma main gauche, ce n’est plus qu’un amas de chaire calcinée et je le sens qui se décompose déjà alors que je sers mon bras contre mon torse, incapable de bouger sous l’effet de la douleur. Et Cerbère ? J’en sais rien … mais une voix inconnue me parvient alors que je sens qu’on essaye de me mobiliser.

Le sortilège prend trop de temps à mon gout. Lui pompe trop d'énergie à mon gout. Bientôt plus que je ne peux lui en fournir, et je ne doit qu'à mon expérience et ma concentration de ne pas mettre le genou à terre en cours de route. Si le gamin est assez têtu pour ne pas lâcher le morceau, ce n'est pas moi qui abandonnerait le premier, même si la complainte de Cerbère et bientôt la sienne me fait serrer les dents pour ne pas faire basculer une bougie d'un coup de pied et arrêter les frais. Je sais que Maxwell ne me le pardonnerait pas, et pire, serait capable de réessayer sans mon aide plus tard.
Je tente malgré tout d'attirer l'attention de l'ombre qui nous entoure vers ma personne, en laissant fuiter à la fois mon aura et mon obscurité refoulée dans sa direction, mais la tentative, en plus d'être vaine, ne doit pas lui convenir, comme je me sens soudain projeté en arrière avant de retomber lourdement au sol en une série de roulés boulés incontrôlables. Jusqu'à ce que le noir se fasse autour de moi, à peu près à l'instant où ma conscience lâche l'affaire.


Je reviens à moi après ce qui me semble être une éternité - et croyez qu'il n'est pas aisé de faire perdre la notion du temps à l'un de ses plus fidèles voyageurs -, cherchant un instant où je me trouve avant de réaliser que j'ai fini dans les arbres en dessous de la terrasse où nous étions au départ. Je me remet debout comme je le peux, terminant par davantage me trainer que marcher étant donné la pente, pour parvenir à remonter sur la terrasse, m'affalant de l'autre coté de la rambarde qui en fait le tour. Pour trouver Max au sol, mon vieil ami à ses cotés.
"Non."
Je me relève pour les rejoindre, trainant sérieusement une jambe qui a morflé dans ma chute, en profitant pour jeter ma veste sur le dos de Cer' et m'asseoir (me laisser tomber) à coté de Max. Conscient, ce qui est déjà pas mal, mais surement pas entier.
"Je t'avais dit de..." Je respire un instant, préférant ne pas finir ma phrase, sachant que le jeune homme n'a pas besoin d'un sermon "paternel", même si c'est exactement ce qu'il mériterait. "Montre-moi."

C’est nerveux. Quand j’ai mal, je ris. Oui, je sais, les autres crient ou pleurent et moi je ris … ça fait toujours un peu creepy sans compter que du coup, personne ne considère que j’ai réellement mal. Au moins, la perte d’un membre ne laisse pas beaucoup de place au doute, j’ai mal. Je ris. Le plus comique reste que mon grand-père m’engueule comme un gamin autant qu’il a l’air incroyablement inquiet. Plus ça va et plus il ressemble à mon père. Un sourire se dessine sur mon faciès et je sens des larmes brûlantes – les miennes – couler sur mon visage alors que la douleur me transperce.
Pour l’instant, ma main droite cramponne le moignon sanglant. Honnêtement, je fais pas ça pour arrêter l’hémorragie, mais cela me fait tellement mal, que faire persister la douleur permet d’endolorir mon membre tuméfié et m’empêche de tomber dans les pommes pour de bon. Bonus, ça arrête effectivement l’hémorragie et sans doute me garde en vie …

« Soit tu cautérises à grand feu, soit tu me sors de ton répertoire le nom d’un infirmier … je crois qu’on va en avoir besoin … »

J’fais le malin, mais les sueurs qui me traversent me trahissent aisément. Je dégage mon bras gauche autant que la douleur me le permet pour le laisser juger des dégâts. J’ai aucun espoir qu’on arrive à faire revivre ma main des cendres, l’odeur de la chair carbonisée n’aide pas. Ma poitrine se serre et bientôt, je sens la main rassurante d’Abraxas sur moi.

A ses côtés, un homme dépravé se gratte la tête en me regardant d’un air hébété, à moitié à poil et surtout sans aucun gène. Ça doit définitivement être Cerbère qui sort des limbes ! Faut dire que c’est plus facile de me concentrer sur cette absurdité et la réussite de mon sort que sur la contrepartie que cette réussite m’a coutée.

Je laisse le démon donner son verdict quant à la gravité de la situation et promis, je serais sage s’il préfère qu’on aille à l’hôpital, mais honnêtement, je préfèrerais de loin éviter cet endroit … mauvais souvenir du service des urgences après l’accident de mon père. Autant rester aussi loin que possible de cet endroit.

Le rire nerveux de Max me déstabilise un instant, avant que je ne comprenne que seule la douleur le fait réagir ainsi. Je porte la main à son poignet, finissant par retirer ma ceinture pour la glisser autour de son avant-bras, dans le but de faire un garrot et arrêter l'hémorragie.

"Désolé gamin, les démons sont pas connus pour posséder de grands talents de guérisseurs. A moins que t'en connaisse un toi-même. Allé, relève toi."

Je tâche moi-même de me remettre debout sans trop forcer sur ma jambe avant de tendre la main vers lui, attrapant son bras intact pour le remettre sur ses jambes, manquant de peu finir moi-même sur le cul dans l'effort. Une fois sur que Maxwell est capable de rester debout sans mon aide, je me retourne vers Cerbère, que je prend dans mes bras comme l'ami que je n'ai pas vu sur ses deux pieds depuis... une éternité. D'ailleurs, un autre doit penser que l'instant actuel dure une éternité, et je finis par relâcher l'homme face à moi, pour mieux croiser ses yeux noirs.

"Je vais sans doute t'en demander beaucoup mon ami, mais te sens-tu capable de nous emmener là où on pourra le soigner?"

Je sais pas par quelle force j’y parviens, mais me voilà sur mes deux jambes à tituber maladroitement jusqu’à la voiture. J’entends vaguement mon grand-père farfouiller et je m’évanouis sur le siège arrière comme un sac.

Fort heureusement, je rate le fait que je suis en train de pourrir les sièges de ma voiture avec mon sang, que mon ancêtre a dû avoir son permis dans un kinder surprise et qu’il y’a un mec à poil qui se pose sur le siège passager avant qu’Abraxas lui fasse remarquer que ça serait peut-être mieux qu’il reste à la maison en attendant qu’on trouve une solution un peu plus décente à son problème de nudité. Forcément, le démon vient de passer des siècles à pas devoir mettre le moindre bout de tissus pour dissimuler sa nudité … ça doit pas aider à lui faire capter l’importance d’un peu de pudeur et il capitule.

Ce n’est que plusieurs heures après que je me réveil dans une chambre d’hôpital et seul. Aucun doute que mon ancêtre a dû gérer mon admission et peut-être quelques bobards concernant les circonstances de la perte de mon membre. Je pose un regard sur mon moignon, ficelé, emmailloté. Un joli petit paquet blanc au bout de mon bras. Sur mon autre bras, une pompe à morphine administre à intervalle régulier une dose d’antalgique et l’effet et sans conteste plutôt efficace. Je suppose que j’ai dû passer au bloc et tout, mais la médecine n’est pas magie et je reste handicapé. Un soupir m’échappe et j’entends la porte s’ouvrir. Un infirmier pointe le bout de son nez, son sourire m’énerve, ses questions m’énervent et tout en lui en fait m’insupporte. Je décide de l’ignorer et de ne pas répondre à ses indiscrétions. Tout ce qui m’importe est de savoir si le sort à fonctionner, au moins, je n’aurais pas perdu mon bras pour rien !

Il y a un siècle, les voitures ne se conduisaient pas de la sorte. Et n'allaient pas aussi vite, que ce soit de part leur vitesse que leurs réactions. Je dois admettre que je ne serai certain que celle de Maxwell est entière que quand il me dira qu'elle est entière, parce qu'en toute sincérité, je n'en sais pas grand chose.  L'important à l'heure actuelle est de l'emmener se faire soigner là où on pourra le soigner, et vu que je ne connais pas franchement de soignant de notre monde, c'est vers les humains qu je me tournerai pour cette fois. Après avoir laissé Cerbère seul à la maison de Max, j'emmène donc ce dernier jusqu'à l’hôpital, où j'ai tout de même la chance de tomber sur un sorcier qui, à défaut de pouvoir être utile pour annuler les effets du sort lancé par mon arrière petit fils, peut au moins m'assurer qu'il n'y aura pas davantage de progression, en plus de mélanger sa magie aux méthodes plus traditionnelles de soin. Pour ma part, j'attends d'être certain qu'il est hors de danger avant d'accepter que l'on se préoccupe de ma jambe.  Rien de plus que la conséquence d'une chute mal réceptionnée. Je devrais m'en remettre. On me colle tout de même une attelle que j'enlèverai à la seconde où je sortirai d'ici, et après un coup de téléphone passé à Cerbère pour m'assurer que tout va bien, je profite de la sortie d'un infirmier de la chambre pour aller rendre visite à Maxwell.

"Heureux de te savoir en vie."

Je m'assied au pied du lit, trouvant le dispositif d'immobilisation de ma jambe plus contraignant que la blessure elle-même, pour l'observer et juger de son état.

"T'as été stupide. Mais je ne te dirai pas que tu as mérité ce qui t'arrives. Je suis à peu près sur que s'il le pouvait, Cerbère te donnerait sa propre main pour te remercier de ce que tu as fait pour lui. Mais ça reste stupide."

Je me relève pour me rapprocher de la tête de lit, glissant une main dans ses cheveux comme je pourrais le faire avec un enfant. Après tout, c'est ce qu'il est à mes yeux, même s'il est certainement trop fier pour me l'entendre dire.

"A présent repose-toi. A moins qu tu ne préfères que je joue avec les réglages de ta perfusion pour t'y forcer."

Enfin … l’importun déguerpi au profit de mon ancêtre et je retrouve un semblant de sourire.

« Increvable. »

Mais ça, c’est avant de me prendre une remontrance bien mérité quoiqu’intensément modérée. Je pense que mon père n’aurait certainement pas été aussi fin et diplomate. Je ne sais pas s’il aurait été aussi loin qu’il l’a été pour Nath avec moi, mais une connerie de ce genre … je me serais sans doute fait ramasser quand même. Enfin, facile de dire cela aujourd’hui, mais du temps de mon père, cela ne me serait même pas venu à l’idée d’explorer mes capacités magiques, pomper la puissance d’un démon et contrer une malédiction de satan lui-même. Toutefois, mon regard s’éclaire lorsqu’il évoque « la main » de Cerbères, je lève les yeux vers lui, refoulant mon envie de faire la moue comme un gamin de dix ans.

« Ça a marché ? Il est à nouveau humain ? »

Pour la suite, il a pas tort, de toute manière, je suis exténué et le sommeil me gagnera bien assez vite pour que je n’ai pas besoin de me faire prier pour rejoindre les bras de Morphée.

Je t'en ferai de l'increvable moi.
Il aurait bien pu y rester pour de bon et j'espère bien qu'il le sait autant que je le sais.
A sa question, je me contente d'acquiescer en silence, posant une main sur son épaule avec un sourire rassurant. Non, je ne lancerai pas de nouvelle conversation, il en profiterait pour rebondir dessus et ne pas dormir. J'attends donc qu'il referme les yeux pour aller m'installer sur un fauteuil, le veillant un moment avant de piquer du nez à mon tour. Son sort m'a drainé plus que je ne veux bien l'admettre face à lui, et j'imagine qu'il serait de très mauvaise idée de ma part de tenter d'utiliser le moindre de mes pouvoirs dans les jours à venir. Pas tant que mes batteries sont à plat. D'accord, dans les jours à venir, j'aurai d'autres chats à fouetter, entre Cerbère et lui.