Try something new, mate. It's called freedom. [Nath&Shawn]

J'ai bien essayé de piquer la voiture de Max, mais il n'a rien voulu savoir. Enfin, plutôt, ça a été "je t'emmène si tu veux". Nan. Pour confronter mon passé, je n'ai pas besoin que mon présent soit là. Non pas que je n'aime pas mon frère, mais parfois, j'ai besoin qu'il soit loin. Bref, j'aurai pu chercher plus loin, mais ma moto ça le fait aussi. Ouais je sais, faudrait que je me trouve une bagnole. C'est pas dur. J'ai pas le permis? Ça m'a jamais arrêté. Le truc c'est que la moto je la fous dans le hall de l'immeuble. Une bagnole, ça veut dire payer du stationnement, et surtout des prunes de stationnement. Pas que ça à foutre, j'ai d'autres factures à régler.
Bref, de chez moi à ma destination, y a une trotte. Ma destination? Ah ouais, j'l'ai pas dit. Résumé. J'ai un bon copain, ok, un super copain, qui a rien trouvé de mieux que de se faire héberger gratis à la prison du Comté. Et qui cherchait un chauffeur pour pas se bouffer le chemin à pied. Donc bah voilà où je vais. Et je fais même des efforts, j'suis en avance. Alors je gare la moto à coté et coupe le moteur, restant à califourchon sur l'engin en attendant que coco ne sorte de son nid. Cinq ans ça fait une paye mais ça va, je crois que j'vais encore réussir à le reconnaitre. Le seul truc, c'est que ma vie a été tellement chamboulée entre temps que s'il me demande un résumé, je ne vais même pas savoir par où commencer... Si on avait pensé, dans notre jeunesse, que je serai celui des deux à aller chercher l'autre à sa sortie de tôle...

Je met un coup de pied dans la béquille de la moto pour la faire descendre, reculant la moto dans le même temps pour la faire tenir dessus. Bon, ça c'est fait. Je descends de la moto pour accueillir mon copain de toujours ou presque, venant le serrer dans mes bras un instant.

"Putain, ça fait plaiz de t'voir dehors."

Je le libère après seulement quelques secondes. Ça serait con de s'éterniser devant la centrale quand même! Ses paroles me font tourner le regard vers ma monture, amusé.

"J'ai surtout fait plaisir aux éboueurs qui voyaient pas comment foutre ça dans le camion. Fin, elle démarre au quart de tour et tombe en panne que quand j'ai besoin d'elle, donc ça gère. Aller viens on s'casse. Sauf si tu veux dire bonsoir aux matons avant de partir."

Ouais, j'l'emmerde. Il y a échappé pendant cinq ans, faut bien que je me rattrape. Je remonte sur la moto avant de le regarder de nouveau, cherchant la bonne pique à envoyer.

"J'espère juste qu'on va réussir à avancer. J'veux pas dire, mais t'as pas maigri."

Oui, je sais que le retour de bâton va arriver. Sinon, c'est pas drôle. Alors vas-y, attaque sur les rides ou les cheveux gris, j'suis paré.

J'imagine. J'imagine qu'un type assez épris de liberté pour ne pas supporter l'idée de se trouver un appart pour passer l'hiver au chaud doit être plus que ravi de pouvoir profiter du grand air. Je croise négligemment les bras sur le guidon de l'engin pendant qu'il en fait le tour, admiratif, ce qui me tire un rire amusé.

"Ouais, c'est un super tas de ferraille. Y a pas à dire."

Tu m'étonnes qu'il ai juste envie de se tirer. Par contre, je reste sur ce que j'ai dit. Il a grossi.

"T'sais, je critique pas ton talent, mais on a pas toujours fait trois repas par jour, et rarement sans efforts. J'y connais rien en tôle, mais j'dirai que passer sa journée à attendre que le temps passe, ça doit pas être assez usant pour griller les calories. Donc je maintiens, va falloir penser au régime mec."

Je laisse un blanc volontaire avant de poursuivre.

"Et mes cheveux gris t'emmerdent. C'est ta faute aussi. Entre Elaine et toi, j'passe vraiment trop de temps à me faire du mauvais sang pour les autres tiens."

Allé, en selle cowboy. Je retire le casque accroché au guidon de la moto pour le lui passer. Et moi? J'ai toujours pas écouté Elaine, et j'en ai toujours pas récupéré un second. Osef, c'est pas comme si je le mettais quand je suis seul sur ma bécanne, de toute façon.

"Met ça. Et accroche toi. Fin, évite de trop serrer, j'me suis flingué une côte la semaine dernière, j'aimerai autant éviter de la réveiller."

Oui ben j'suis maladroit qu'est-ce tu veux. Et un escalier dans mon appart, mauvaise idée, c'est tout. Heureusement que c'est private zone pour ma fille, sinon je me serais déjà tué dedans. Enfin, faut bien y passer le balai une fois de temps en temps. Bref, je fais sauter la béquille de la moto avant de démarrer, direction le centre ville et chez moi.

J'aime l'emmerder. Et je suis content qu'il sache toujours m'emmerder en retour. Même si mes cheveux gris et moi, on le zut.

"T'inquiètes, j'te fais confiance pour t'refaire."

J'attends qu'il ai enfilé son casque pour démarrer la moto, me retournant sur mon siège pour lui parler, de sorte qu'il entende ma réponse.

"Nan, c'ma faute. J'suis con c'tout. Elaine ça va nickel, elle a du prendre au moins 30cm depuis la dernière fois que tu l'as vue. C'comme la mauvaise herbe les gosses, ça arrête pas de grandir."

Mais je l'aime ma mauvaise herbe, aucun risque de m'entendre dire le contraire un jour. La moto me permet de tracer dans les rues de la ville, retrouvant bientôt un paysage urbain qui m'est plus familier que les alentours de la centrale. Les rues se succèdent bien qu'il paraisse évident qu'on se dirige vers un quartier plus agréable à vivre que le quartier de notre adolescence, ou même celui où je vivais il y a encore quelques mois. J'arrête finalement l'engin devant mon immeuble, clairement trop bien pour moi, mais qui a l'avantage d'être dans un quartier où je ne crains pas de me faire égorger en rentrant à 3h du mat à la fin du service. Ok, ok, c'est pas comme si je savais pas me défendre, je dois d'ailleurs pas mal remercier mon passager à ce sujet. Moteur coupé, je le laisse descendre de la moto avant de faire de même, récupérant le casque que je glisse sur le guidon.

"Histoire compliquée. On monte et j'te fais l'topo."

Je pousse la moto jusqu'à la porte, glissant le badge sur l'interrupteur pour ouvrir avant de la glisser à l'intérieur. Si ça plait pas tant pis, le hall fait genre 100m² et sert à rien, j'peux bien y mettre ma bécane à l'abri! Pour le reste, c'est vers l'ascenseur que j'entraine Shawn, et ouep, ce coup ci il marche!
Arrivés au quatrième, je l'emmène à mon appart, fermant la porte derrière nous. Cela fait, je me débarrasse de ma veste sur le porte manteau avant de m'écraser sur la banquette qui me sert accessoirement de lit, vu que j'y dors mieux que dans le lit.

"Fais comme chez toi."

Je me redresse au pied de ma banquette, glissant une jambe de chaque coté de l'angle du meuble. Assis de la sorte, je tends la main vers une panière de fruits posée sur la table - oui, je connais les fruits, merci -, attirant une pomme jusqu'à moi, mais faisant tomber l'ensemble du reste du contenu du panier dans la foulée. Oui bah j'suis toujours aussi bon sorcier quoi.

Je croque dans la pomme et prend le temps d'avaler ma bouchée avant de lui répondre concernant l'art et la manière avec lequel j'ai fini ici.

"Le vieux a clamsé. T'inquiète, il m'a rien laissé, il aurait préféré foutre le feu dedans. Mais j'me suis découvert un demi-frère."

Je croque de nouveau dans ma pomme, lui laissant trente secondes pour digérer l'info avant de continuer, cette nouvelle bouchée avalée.

"Bref, le gamin a hérité de tout le bordel. Fin il est moins pourri que son paternel. J'cherchais un appart, il avait un appart en rab, on s'est arrangé. Pas que le quartier soit ma came mais j’apprends à faire avec."

Je hausse les épaules, attaquant de nouveau ma pomme que je finis deux bouchées plus tard. Bon, faudrait bien que je me lève, histoire de balancer le trognon à la poubelle...

"Pis, pour Elaine, c'est aussi bien. Mon ancien appart craignait, et c'est pas dans un 20m²  que tu peux loger une gamine. Là elle a tout l'étage rien que pour elle. Ça fait un truc de moins dans la balance de sa mère."

J'adore Shawn, vraiment. On a la même façon de virer certaines infos pour ne garder que l'essentiel. A savoir? On en a rien à foutre que mon paternel ai passé l'arme à gauche.

"Ouais. Le pire étant que le bâtard a même pas attendu que ma mère quitte ce monde pour ça. J'regrette presque qu'il ai claqué, j'aurai voulu m'le faire avant, crois moi."

Me le faire dans le sens lui coller mon poing dans la gueule, on s'entend bien. J'ai passé neuf ans à subir ses coups sans répondre, et plus encore à subir son influence sans oser seulement croiser son regard. Mais ça, ça aurait été la goutte d'eau qui aurait fait déborder le vase. J'aime trop ma mère, même après tant d'années d'absence, pour tolérer qu'on lui ai manqué de respect de la sorte.

"Ouais, trop d'place même. J'ai r'foutu tout le bordel qui remplissait l'ancien... et faut que j'me r'trouve du bordel, c'trop vide. Enfin, à ch'val donné tu r'garde pas les dents, donc j'ai pas dit non. Pis j'dois dire que j'aime bien la vue."

Je finis par me relever pour aller balancer mon trognon à la benne, en profitant pour ramasser les fruits tombés à terre, et reposer la cagette me servant de panière sur la table.

"Bah pour l'moment elle a juste eu l'droit à la visite guidée, j''lai chopée après les cours l'aut coup. Mais elle a pas l'air de détester ouais. Et sa mère, m'en parle pas, ou j'te fais causer des cinq dernières années. Deal?"

Si y avait un truc que j'adorai chez Claire, c'est que quand elle voulait obtenir quelque chose, elle pouvait se mettre en quatre pour l'avoir. Elle renonçait jamais. j'avais pas prévu qu'un jour elle s'en servirait pour me pourrir l'existence.

"Sinon. S'tu cherche où crécher, ma piaule est dispo. Moi j'dors là d'ssus, les lits, c'pas mon truc."

J'illustre la parole par le geste en me réinstallant sur ma banquette tout en lui indiquant la porte dans l'angle de la porte d'entrée.

"Nan, j'suis pas choqué... enfin pas surpris de sa part quoi. J'suis juste... merde quoi!"

J'ai pas envie d'en causer plus. Du frangin si il veut, parce que lui ça va, il y est pour rien dans les conneries de son foutu paternel, et il est ok, Max. Mais du-dit paternel et de ses conneries, ça, non.
En attendant, j'attrape un coussin que je lui balance dans la tronche quand il me parle de mon organisation. C'est bien rangé, merci... non?

"Hé! C'est rangé! Façon Nath ok, mais c'est rangé! Tu me demande ce que tu veux je le retrouve. Tu me demande de ranger pour de vrai je retrouve plus rien, le choix est rapide."

Mon air faussement outré disparait alors que Shawn accepte le deal concernant nos sujets tabous. C'est ça qu'est bien avec des types comme lui. On est raccords du premier coup. Pas besoin de se faire chier à négocier et re négocier. Clair, net, précis.

"D'un coté, c'était impossible qu'elle préfère l'ancien. J'sais pas comment j'ai jamais eu de cafards là-haut, sérieux. Ou chopé la mort. J'te jure que y a pas photo, elle est mieux là. Nan pis elle a son coin à elle là-haut. Pas obligée de squatter mon matelas pendant que j'me brise les reins sur le tapis... même si on a connu pire toi et moi."

Par contre là il me la coupe. Je pensais devoir batailler beaucoup plus pour lui faire accepter de crécher à la maison. Au final, je crois qu'il a du s'habituer au confort de la tôle. Ou c'est que j'y manquais. Allez savoir.

"Bah écoute, tu t'installe hein. Prend le temps qu'il te faut. J'te signalerai quand même qu'en cinq ans y a eu du changement dans le quartier alors fait gaffe à pas te faire démonter. On a plus vingt ans."