Ghost of you | feat Inaya Davenport

Les faits sont indéniables. La vérité implacable. Dans cette réalité, ce présent, je suis morte... et depuis si longtemps. Un an et demi. C'est le temps qu'il s'est écoulé pour eux, sans moi. Un an et demi pour me pleurer, un an et demi pour m'oublier. Je ne remet pas en doute ce qui a été dit. Je ne remet pas en doute les preuves qui s'alignent et me démontrent avec véracité le temps écoulé. Je n'arrive simplement pas à la digérer Ma réalité, c'est d'avoir intégré l'hôpital il y' a seulement quelques jours pour donner naissance à mes jumeaux. Ma réalité... est différente de la leur.

Je me suis laissée la nuit pour y réfléchir, pour l'accepter. Sans succès, c'est pareil au ressac des vagues, un cycle sans fin. Je crois que j'ai à mon tour besoin de faire le deuil, mon deuil. Le deuil sur ces un an et demi de loupé, ces un an et demi où la vie à repris son cours sans moi, ces un an et demi où je n'ai pas vu mes enfants grandir, ces un an et demi où je n'ai pas été présente pour Maxwell, Nathan, Inaya, Elaine ou bien encore Dante.

Peut-être est-ce trop tôt? Peut-être que je brûle des étapes mais qui a un mode d'emploi pour ce genre de situation? Inaya, potentiellement, puisqu'elle est déjà morte. Dante, aussi. Finalement... oui, y'a peut-être un manuel sauf que je décide de suivre mon instinct. Je quitte l'appartement de Maxwell aux premières lueurs du soleil. Même avec lui, je ne sais pas comment me comporter. Dois-je agir comme si de rien n'était? Où dois-je lui laisser un temps d'adaptation? Et si oui, comment? En lui laissant de l'espace? Ou au contraire, en me montrant tellement omniprésente qu'il regrettera mon absence? Okay. On va oublier cette dernière option.

Pour me rendre au cimetière, j'emprunte les transports en commun sans même prendre de ticket. De toute façon, même si je me faisais contrôler, que pourrait-il bien se passer? On ne donne pas d'amendes aux personnes décédées. Même à ce niveau-là, c'est la merde! Comment on annule un certificat de décès? Comment on justifie son retour d'entre les morts?

Je pousse un nombre incalculable de soupir au cours du trajet. Et une fois devant les grilles du cimetière, une boule d'angoisse se forme dans mon estomac. Une part de moi espère ne rien trouver. Une part de moi prie pour ne pas voir mon prénom gravé sur une stèle. Pourtant, à mesure que j'avance dans les allées silencieuses, je sais que mes attentes ne seront pas satisfaites.

De ma poche de gilet, j'extrais un petit plan gribouillé sur le dos d'une vieille facture de téléphone. Je le zieute plus par réflexe que par nécessité. On oublie difficilement les indications qui mènent droit vers notre dépouille. J'avance encore sur une dizaine de rangées et je tourne à droite.

J'inspire. J'expire. Je m'arrête.

Il est encore temps de rebrousser chemin.

Je ferme les yeux, serre les poings. Je dois avancer. Affronter leur vérité. Ma réalité.

Je passe devant une première stèle, puis une seconde, une troisième... et ainsi de suite jusqu'à la septième. Mon souffle se coupe. Mon cœur loupe un battement. Mon nom y est bien gravé. "Axelonnie Davenport". Le doute n'est plus permis. Aussitôt, le sol se dérobe sous mes pieds et mes jambes tremblantes cessent de me porter. Je tombe à genoux devant ma sépulture. Alors tout est vrai?

Okay. Ma tombe est bien là. Okay. Mon nom y est gravé. Okay... à part ça, tout va très bien. C'est faux. Tout ne va pas bien. Ce n'est pas okay. Tout ceci... Ce n'est donc pas une mauvaise blague. Ce n'est donc pas le fruit de mon imagination. Ma mort est réelle. Mes doigts effleurent la stèle. C'est froid. Comme la mort. Obnubilée par le temps qui a défilé sans moi, c'est à peine si je remarque cette présence à côté de moi. J'entends une voix mais il me faut une poignée de secondes avant de revenir à la réalité. Tout en réalisant qu'on s'est adressé à moi, je reconnais la voix de ma cousine. Mes muscles se crispent. Ce n'est pas ainsi que j'imaginais mes retrouvailles avec elle. D'un autre côté, je suis bien trop contente de la voir.


Je commence déjà par me relever, sans forcément montrer mon visage. Si on était dans un mauvais film d'horreur, je me retrouverais avec la gueule décharnée. Une gueule de zombie qui se tournerait lentement en direction de ma pauvre cousine pour arracher quelques frissons aux téléspectateurs. Spoiler alert, je vis dans le monde réel et lorsque je me tourne vers Inaya, mon visage est bien humain. La même bouille qu'elle avait vu, un an et demi auparavant, avant mon accouchement, avant ma mort.

- Et bien... si tu as un mode d'emploi pour gérer un retour d'entre les morts... je suis preneuse.

L'humour est la seule arme que je possède en l'immédiat pour ne pas sombrer. Je lui souris, pour la rassurer. Je ne suis pas un monstre, je ne suis pas hostile et son adorable petite bouille me donne pas envie de lui bouffer le cerveau.

- Sinon, je ne suis vraiment pas contre un câlin.

Tout à mes paroles, je tend mes bras vers elle, et j'agite le bout de mes doigts. Allez cousine, ne me fous pas un vent.

- Et promis, je n'ai aucune envie de t'arracher un bout de chair ou de sucer ton sang jusqu'à la moelle.

Car malgré tout... je reste une humaine des plus banales. Sans pouvoirs. Sans rien. Juste moi et mon humour tout pété de femme proche de la crise de nerfs.

La réaction d'Inaya est... tout à fait normal. Je sais qu'un an et demi se sont écoulés. Je sais que ma disparition a causé du trouble et du chagrin. Je le sais... mais j'ai encore du mal à l'intégrer. La dernière fois que j'ai vu Inaya, c'était il y'a quoi, trois semaines, tout au plus. Pour moi, en tout cas. Je fais donc une croix sur mon câlin, même si j'en avais bien besoin. Ma crise de nerf, va bien falloir que je me la range quelque part, le temps de calmer ma cousine. Je tente de la rassurer, en lui promettant que je n'ai ni l'intention de la bouffer, ni l'intention de la vider de son sang. Et dans l'immédiat, à part ma parole, je n'ai rien de plus à lui offrir.

Elle me dévisage et j'imagine que c'est sa façon de jauger le niveau de danger que je représente. Donc... ça va être comme ça à chaque fois que je tenterais de renouer avec les gens de mon passé? Par moment, je me demande si je ne ferais pas mieux de prendre mes valises et de partir. Après tout... ça serait peut-être plus simple pour tout le monde. Même Maxwell commençait à construire en semblant de quelque chose, avec son entreprise et sa collègue. Si je venais à repartir, il pourrait simplement reprendre là où il s'était arrêté. Sauf que pour ça, je devrais laisser mes enfants derrière moi et ça... ça c'est bien trop me demander.

Finalement, Inaya me juge ni si monstrueuse, ni si dangereuse puisqu'elle me fonce dessus. J'en profite pour la serrer contre moi car j'y tiens, à ce câlin entre cousines. Elle m'a tellement manqué. Depuis mon retour, j'avais envie de l'appeler, sans savoir quoi lui dire, sans savoir comment lui dire. Alors je remettais au lendemain. Au moins, maintenant, c'est fait. Elle se recule et j'en profite pour lui offrir un sourire. Forcément, elle aimerait comprendre comment cela est possible.

- Je vais te faire la version courte.

De toute façon je ne suis pas certaine qu'il y'ai de version longue. La version longue, c'est moi avec toutes les interrogations que ça me laisse. Et cela relève plus de l'essaie philosophique à la con, que de faits concrets. Je laisse quelques secondes à Inaya, comme pour être certaine qu'elle a bien imprimé que j'étais bien là, vivante.

- En gros, un démon est venu me chercher dans le passé, juste avant que je ne meurs. Il m'a... soigné, dans un endroit hors du temps. Comme mon cas était plutôt grave, ça a prit un an et demi pour totalement me rétablir. Et... une fois prête, il m'a balancé dans le présent. Donc ici...

Je suppose que ça fait beaucoup d'informations à assimiler alors je m'arrête là. Inutile de préciser que le démon est un membre de la famille Abraxas. C'est le genre d'informations qui les concerne eux, je n'ai pas envie d'en parler à leur place. Puis surtout... quelle importance? Un démon, ça reste un démon. Aussi gentil que ça puisse être, de m'avoir ramené, ça m'inquiète toujours autant. J'ai l'impression d'avoir conclu un pacte avec le diable mais à mon insu.

Un petit frisson me parcourt et je croise mes bras sous ma poitrine.

- J'ai pas conscience d'être morte. Juste... j'ai accouché, je me suis endormie... et je me suis réveillée.

Je tente un sourire mais les larmes me montent aux yeux. Depuis, j'ai l'impression d'avoir atterri dans un putain de monde parallèle! Un monde où je n'ai aucune place... et c'est le cas. Ma place, elle est là, six pieds sous terre.

- Mais assez parlé de moi!

Ou comment détourner la conversation pour ne pas éclater en sanglot comme une pauvre idiote. Enfin pas seulement, j'ai vraiment envie de savoir ce qui a pu se passer dans la vie de ma cousine au cours de ces un an et demi. Mon ton un peu plus enjoué, étrangement, aide à refouler les larmes qui menacent de jaillir. Au moins pour le moment. J'en profite pour me couler au côté d'Inaya et de poser une main dans son dos. L'air de rien, je lui intime d'avancer. J'aimerais autant qu'on s'éloigner de ma tombe.

- Il s'est passé quoi dans ta vie depuis mon absence forcée?