Sucking blood? That sucks! [Nath&Dante]

Je suis pas de ces étudiantes qui sortent avec le beau gosse vampire canon de la classe en se foutant qu'il a 150ans et en le harcelant pour devenir vampire à son tour, et s'il vous plait dans les plus brefs délais parce que dans deux mois elle aura un anniversaire "humain" de plus que lui à avoir fêté. Dante aurait pu être un simple humain, un loup-garou, une fée ou même, j'en sais rien, un triton, ça aurait été pareil à mes yeux. L'immortalité, la super force, tout ce qui va avec sa nature, franchement, ça m'est longtemps passé au dessus de la tête. J'm'en foutais, autant que je m'en foutais qu'il collectionne des poches de O négatif dans mon congélateur. La réciproque était fausse en revanche, et il a su me l'expliquer de bonne heure, même si j'ai été sourd à plus d'une remarque sur le sujet. Bon, faut dire que ses demandes se contredisaient aussi. D'un coté, il était loin d'être contre l'idée que j'arrive enfin à faire quelque chose de mes pouvoirs, et de l'autre, ma mortalité lui pesait chaque jour. Aucun intérêt d'apprendre à user de mes pouvoirs si la fin de l'histoire me conduisait à les perdre dans les années à suivre. Mais passons.

Du coup, j'ai appris comment faire peur à un vampire. Une bonne vieille grippe qui m'a cloué au lit comme jamais auparavant. C'est là qu'on tique vraiment sur le fait de plus avoir vingt ans, même si j'ai encore quelques années avant d'offrir une crise de la cinquantaine bien sentie à ma fille. Bref, je crois qu'il a profité que je délirais à moitié pour mettre son projet à exécution, mais je lui en voudrais plus tard. Pour le moment j'me contente de lui en vouloir d'avoir omis d'évoquer la putain de douleur que ça peut provoquer, et je parle pas de ses crocs qui s'enfoncent dans ma gorge, mais plutôt du venin qui a trouvé son chemin dans la plus petite de mes veines, me donnant l'impression que je brulais de l'intérieur. Mais la raison pour laquelle je lui en veux davantage encore là, c'est de m'avoir laissé seul à tourner en rond dans notre appartement, en ayant rapidement compris par moi-même à éviter de passer devant les fenêtres pour éviter la brûlure du soleil. Ca n'a peut-être duré que trois heures avant que le soleil ne disparaisse, mais ça m'a paru une éternité. Et j'ai faim putain, tellement faim... Je tente d'abord de résister, essayant de me convaincre qu'il va revenir pour m'aider, mais la lutte ne doit pas durer cinq minutes avant que je ne cède, finissant par briser une fenêtre pour sortir, laissant la bête se mettre en chasse. La hauteur entre la fenêtre et le vide fait tiquer mon vertige, comme si une part de mon humanité tentait vainement de se rappeler à moi, mais ce n'est qu'un battement de cil, une ultime seconde qui laisse une dernière chance à quiconque de m'empêcher de sortir... sait-on jamais...

Pale, si pale … s’il continue, Nath va clairement pouvoir rivaliser avec moi et j’ai théoriquement l’avantage d’être mort. Ma pâleur va avec ma condition de cadavre et je ne peux mentir, il m’inquiète. Je déglutis difficilement alors que je viens de sortir de sa chambre. Imperceptible pour un simple humain, mais pas pour moi. J’entends les battements irréguliers de son cœur. Des années de déboires, de drogues et d’alcool ont eu un impact sur sa santé. Le simple fait est que jusque-là, il avait évité de mettre à rude épreuve son palpitant par je ne sais quel miracle. Aujourd’hui n’est plus le cas et je sais qu’il risque à tout moment de lâcher. Je lève les yeux, contemplant un plafond qui ne m’aide pas à avoir une quelconque révélation sur ce que je devrais faire et je sens une larme perler sur ma joue. Le barman a renvoyé sa fille chez sa mère prétextant qu’il ne voulait pas lui refiler ses microbes … ce n’est qu’une grippe et il a raison. Elaine s’en remettrait.

Je tiens toujours le bol plein de la soupe que Nath n’a pas réussi à avaler et ferme les yeux adossé contre la porte de notre chambre. L’entièreté de mes pouvoirs sont concentrés sur la respiration de mon cher et tendre … une raté … deux ratés … je lâche le bol contre le sol qui se fracasse et me rue à l’intérieur de la chambre ne sachant que trop bien ce qu’il convient de faire, ce que mon cœur mort me hurle depuis deux-trois jours.

Assis sur le bord du lit, je dépose un baiser sur son front brûlant et murmure à son oreille.

« Pardonne-moi mon amour … »

Je me penche vers sa nuque où palpite faiblement sa carotide et plante mes crocs dedans sans la moindre hésitation.

Si tu savais comme je t’aime, je ne peux te perdre et je suis tellement désolé que cela se passe dans ces conditions. J’aurais aimé que ce soit toi qui me dise que tu voulais me rejoindre et non dans un élan de panique …

Me vient une autre réalité. Celle qui est que c’est la dernière fois que je peux gouter à son sang d’humain et je me surprends à savourer de le vider, profiter de chaque parcelle de bonheur que cela me confère. Enregistrer précisément la sensation de ce liquide, son goût. C’est celui de Nath, mon humain, mon amour, ma vie … celle que je lui arrache et revoilà des larmes qui m’échappent. Puis vient le tour de mon sacrifice. Je perce la chaire de ma lèvre à l’aide de mes crocs et l’embrasse. Faiblement, puis avec de plus en plus d’entrain, le sorcier aspire le sang qui perle et s’il n’était pas aussi malade, c’est sans doute l’expérience la plus érotique qu’il m’aurait été donné de vivre …  c’est d’ailleurs pour cette raison que je m’éclipse juste après.

Je suis en furie et la culpabilité m’imprègne, me ronge. Je tresse habilement ma perle et claque la porte derrière moi. J’ai quelques heures avant que le soleil ne se couche et que mon homme ne tienne plus face à la servitude que nous avons envers le sang. Je serais là. Je reviendrais.

A vitesse surhumaine, je traverse Chicago et mes pas me guident jusqu’à la maison de Claire. Dans le jardin, Elaine et Claire discutent autour de la table de jardin et semblent partager un pur moment de bonheur… Je viens de lui prendre son père, je viens de changer sa vie, mais elle l’ignore encore. Je suis désolé Elaine. Pourras-tu jamais me le pardonner toi aussi ? Toi que j’aime comme ma fille … Elle et son père m’ont accueilli à bras ouverts dans leur famille et voilà que j’ai profité de leur bienveillance pour les tromper, les séparer. J’ignore combien de temps je passe à l’observer, toutefois, une autre réalité me rappelle à l’ordre. Le déclin de l’astre du jour. Je cours comme jamais ne souhaitant en aucun cas rater la première sortie de mon chéri sous sa nouvelle forme.

Cinq minutes. J’ai cinq putains de minutes de retard. Je veux l’étiquette « boulet » en plus de celle de « tueur ». Les éclats de verre qui me tombent sur le visage alors que j’escalade la façade – plus rapide que les escaliers – m’indiquent que je ne suis pas arrivé trop tard. Je bondis à l’intérieur de notre appart au moment où Nath saute vers l’extérieur. Il est encore faible, tant mieux. Ma force nous entraine lui et moi en dedans et je m’écrase sur lui.

« Fais pas ça seul chaton ... »

Je me relève et lui tends une main pour l’aider … priant qu’il s’en saisisse, ne sachant pas le moins du monde dans quel état il se trouve. Un air contrit marque les traits de mon faciès, je crois que je n’ai jamais eu aussi peur depuis que je suis vampire qu’en cette seconde. S’il me repousse … s’il me rejette …

Au moment où je m'apprête à sortir par la fenêtre brisée, je me retrouve poussé à l'intérieur par une force supérieure à la mienne, que je met un instant à reconnaitre comme étant Dante. Ecrasé par son poids, sa force, lui, je le repousse d'une frappe sur le torse tout en lui grognant dessus sans vergogne.

"Ecarte-toi!"

La main qu'il me tend pour m'aider à me relever? J'y jette un regard de mépris avant de me débrouiller seul, m'écartant de lui avec un nouveau grondement, le mettant au défi de s'approcher.

"J'étais seul. T'étais pas là. Ca fait trois foutues heures que je tourne en rond là-dedans."

Je gronde une fois encore, vidant la table d'un geste en passant à coté. J'ai mal, j'ai peur (faut bien l'admettre), j'ai la dalle, et apparemment, tout ça réuni, ça me rend con. Tout ce que j'ai à dire pour ma défense, c'est qu'il avait qu'à être foutument là... ou au moins laisser ne serait-ce qu'une poche de sang au congel, bordel!

L'énervement laissant la place à la détresse, je finis par me laisser glisser le long du mur le plus proche, l'autorisant finalement à s'approcher pour me laisser aller dans ses bras. M'accrochant à lui, même.

"Fais que ça s'arrête, s'il te plait."

OK … entre son ton sec et sa réflexion acerbe, ponctué par son regard incendiaire et méprisant, je déglutis sans faire le fier. J’ai presqu’autant envie de l’embrasser que de lui retourner une claque pour le coup. Je soupire et ferme les yeux une fraction de seconde alors que ma main rejetée rejoint l’intérieur de ma poche. Au moins, il est vivant et je le retrouve avec sa niaque plutôt qu’à moitié crevé dans le lit … j’ai tellement eu peur que je pourrais quand même tout lui pardonner en cet instant. Mes doigts se crispent et j’entends les os de mes phalanges craquées. J’suis juste une boule émotionnelle. J’ai peur, je suis triste, je suis en colère.

Il s’avachit comme un vieux tissu et je m’agenouille en face de lui, me sentant m’adoucir immédiatement. Le brun m’attire contre lui et je me rattrape de justesse alors qu’il ne semble pas encore mesurer sa nouvelle force. Je dépose un baiser sur son front devenu froid, pas autant que moi encore, la chaleur de son sang n’est pas encore retombée malgré toute l’hémoglobine que je lui ai retirée. Cela m’arrache un nouveau sentiment de culpabilité.

« Je suis là chaton. On va aller manger mon cœur … »

De toute manière, il n’y aura que cela pour que ça s’arrête comme il dit si bien. Je l’embrasse une fois encore, cette fois sur ses lèvres et me redresse en lui tendant pour la seconde fois ma main. Cette fois-ci, il s’en saisit et je le serre dans mes bras alors qu’il se retrouve debout.

« Je suis désolé de t’avoir fait attendre … je pensais vraiment que tu ne te réveillerais pas avant la tombée du jour. Tu étais si fatigué … »

Et les battements de ce cœur si faible … Je me crispe une fraction de temps à la remémoration de cela. J’ai cru le perdre. J’ai cru mourir pour la troisième fois. Je l’écarte de moi et prends son visage entre mes doigts. Il me faut un temps pour contempler ce visage, sa nouvelle pâleur, ce nouveau regard. Mes doigts glissent le long de sa joue et finissent leur course dans sa tignasse en pagaille. Tellement beau, tellement parfait … et maintenant il est mort et doit souffrir à cause de moi, mais je me dois d’être là pour lui, de le soutenir, de ne pas l’abandonner come on m’a abandonné et le guider au début pour qu’il puisse trouver ses propres repères. Un soupir m’échappe une fois encore. Ai-je vraiment la force d’être le mentor de qui que ce soit ? C’est la deuxième fois que je transforme quelqu’un en vampire et on ne peut pas dire que la première fois a été une réussite … J’ai l’impression d’avoir créé un monstre. Et pourtant, il est temps de me rappeler ce que je suis, ce que j’ai fait de lui. Nous sommes des créatures de la nuit, nous nourrissant de sang pour survivre.

« On va chasser. »

Silas serait fier de moi … j’ai de toute manière bien progresser sur ce point-là ces derniers temps et appris de mes pérégrinations. Un cadavre d’une pourriture vaut mieux que de voler du sang aux innocents qui en ont besoin dans les hôpitaux … je sais, je sais. Je me trouve des excuses en plus.

J’entrelace mes doigts longs et fins entre les siens et me dirige vers la fenêtre brisée. Après-tout, il voulait passer par-là, nous pouvons bien emprunter cette voie que je ne connais que trop bien. Docilement, il me suit et nous descendons la façade de l’immeuble. Puis, je l’entraîne à ma suite dans les ruelles de Chicago sans me préoccuper des regards interrogateurs de certains passants lorsqu’ils voient les vêtements encore tâchés de sang que porte le barman. Je m’arrête dans une des allées des plus sombres et fait face à mon homme. Nous sommes presque arrivés à l’adresse de notre victime. Autour de nous, des odeurs nauséabondes nous assaillent, mais entre mille, celle de l’hémoglobine est plus forte. Celle d’un homme sans âme, sans possibilité de rédemption. Je passe ma langue sur mes lèvres alors que je réfléchis à comment procéder.

« Comment tu te sens ? Je peux l’assommer si cela te semble plus simple … »

Mon pauvre chéri. La première nuit d’un vampire n’est jamais simple. Rien que son regard en dit long, il n’a pas l’air d’avoir envie de réfléchir de toute manière, l’envie de manger va devenir trop forte.

Il m'aide à me relever et je le laisse me serrer contre lui, glissant mon visage dans le creux de son cou pour humer son odeur, à la fois si habituelle et si différente, chargée de tant de nuances que je n'avais jamais capté jusque là. Je l'écoute à peine alors que sa voix semble pourtant résonner si fort dans la pièce vide de toute autre présence que nous, mon attention entièrement bloquée sur sa présence, son odeur, la chaleur inhabituelle de son corps contre le mien, et l'envie que j'ai de planter moi aussi mes crocs dans sa chair. Pas par faim, juste parce qu'il est mien, tout comme je suis sien.

Le déclic se fait finalement quand il s'écarte de moi, prenant une décision que je ne semble plus tant capable de prendre à présent qu'il est revenu près de moi. Aller chasser? De quoi réveiller d'autres instincts, qui m'effrayent autant que j'ai envie - ou besoin - de les laisser aller. Je le laisse glisser ses doigts entre les miens, les serrant ensuite si fort que je pourrais sans doute les lui briser, le suivant alors qu'il entreprend de sortir de l'appartement par l'issue que je m'étais ménagé. Je réfléchirai demain à la brillante idée d'avoir brisé une des vitres qui pourraient empêcher le soleil de pénétrer dans notre antre en journée. Réfléchir, j'en suis actuellement pas plus capable que ça. Au moins jusqu'à ce que Dante nous arrête dans une ruelle où mon odorat est assailli de toutes parts, même si l'odeur qui domine les autres est clairement celle du sang. Et si je ne l'avais pas clairement identifiée, la douleur que je ressens dans mes canines se suffit à elle-même. J'peux être honnête une seconde avant de ne plus être capable de me montrer civilisé? Je comprends mieux les appréhensions de Dante concernant notre capacité à nous blesser à tout bout de champ, à Elaine et moi. Ok, ma capacité à me blesser à tout bout de champ.

"J'essaye de me dire qu'un type va bientôt me servir de diner... mais j'ai beau essayer très fort, j'arrive pas à imaginer un bon steak saignant comme dans les dessins animés... mais putain que j'ai faim..."

Je ferme les yeux un instant, essayant de relâcher mon attention sur l'odeur si forte pour me concentrer sur celle de Dante, mais soyons sérieux mon ange, t'y arrive pas à la cheville. Et à me débarrasser de ma vue, c'est un autre de ses sens qui s'éveille. Mon ouïe. Et imaginer la circulation sanguine allant avec l'odeur... arrête de me narguer, dis moi où il est. Parce que présentement, la seule chose qui me retient, c'est ta main dans la mienne...

Je souris malgré-moi.

« Je t’avoue qu’il a rien d’un beau steak, juste d’un type qui a mille raison de plus pouvoir fouler notre belle terre. C’est Un connard, une ordure comme tu regretteras pas de tuer. Ou différemment en tout cas … Je sais pas. On est tous différents, tu verras comment tes émotions te guident. »

Je le sens, il vibre. Si je ne retenais pas le brun, l’autre serait déjà de l’histoire ancienne. Alors je le lâche … je peux l’accompagner et de toute façon, plus il arrivera à en faire seul, mieux ça pourrait se passer, non ? Le barman a jamais aimé avoir la sensation d’être un assisté et quitte à se mettre dans la panade, il est très revendicateur de son autonomie.

Après que nos phalanges se soient démêlées, je le vois tout de même hésiter et son regard qui passe du mien à la porte d’entrée qui nous fait face. Rien ne sert d’alarmer les voisins toutefois, et je me dévoue à défoncer le plus silencieusement possible la poignée de porte. Des bruits de pas de l’autre côté m’indique que notre hôte est au courant de notre tentative d’effraction. Ayant déjà été invité, je serais le seul à pouvoir pénétrer les lieux et il va me falloir extraire l’individu de son habitacle pour permettre à mon cher et tendre de procéder à l’atelier dégustation. Je fonce à la rencontre de l’homme qui n’a pas le temps de réagir et lui assène un coup à la tempe, juste de quoi l’assommer. Enfin, je le tire vers l’extérieur sous le regard de Nath et ce, jusqu’à l’arrière de la maison qui baigne dans l’obscurité la plus totale … pour le commun des mortels. Ma langue passe rapidement sur les lèvres à la vue de notre victime et du sang qui suinte de la plaie à son front.

Soyons honnête, il est pas non plus si dégueu que ça si on oublie son odeur de vin bon marché … Mais le diable est séducteur et ce malandrin a tué sa femme et mis sa fille en fauteuil roulant. Il a nourri les goules avec le cadavre de sa défunte femme et sa fille est bien trop terrifié de connaître le même sort pour oser parler. Mais personne ne me résiste et la jeune fille a délié sa langue lors d’un entretien entre elle et moi … Rien pour prouver sa culpabilité, il allait de toute manière finir en casse-croute, pour moi ou Nath, quelle importance.

« Juste, le tue pas avant de boire … seulement après. »

Ça change le goût, je déconne pas ! Et on n’est pas des charognards. Je pose mes mains sur les épaules de Nath dont je ne peux voir le visage, mais quelque part, je sens que ça le bouscule et qu’il va y arriver. Il est fort et je suis là si besoin ! Je ne peux m’empêcher à toutes les sensations qui m’ont moi-même traversées lors de mon premier meurtre. L’adrénaline, une joie malsaine de se repaître et de se sentir complet, chaque battement du cœur de l’autre qui faiblit à la moindre déglutition d’hémoglobine …

Dante détruit littéralement la poignée de la porte avant de pénétrer dans l'immeuble, et, tentant de le suivre, je me heurte à un mur invisible, une magie que je ressens presque physiquement alors que ma main se pose dessus et que je tente de laisser passer la frustration pour récupérer un minimum de contrôle sur la situation. Une situation qui m'échappe l'espace d'une seconde pendant laquelle Dante me parait davantage être un concurrent qui va me chiper ma proie que l'homme avec lequel je compte passer l'éternité à venir. Un grondement monte du fond de ma gorge devant le temps qu'il met à revenir avec sa - ma - notre proie entre les mains, et je lui montrerais presque les dents quand il finit par se montrer à nouveau.

Son conseil? Je l'entends sans l'écouter vraiment, obnubilé par d'autres priorités, mon attention tout entière dédiée à une chasse qui risque de se terminer avant de commencer étant donné que la proie est juste là, sous mon nez. Je sens les mains de Dante sur mes épaules, mais je m'en occupe à peine, concentré que je suis sur le sang qui circule dans les veines au même rythme effréné que la respiration endiablé teinté d'effroi, l'odeur de la peur qui supplante celle, nauséabonde, que l'homme sentait au départ... et avant que je ne le réalise, le gout de son sang sur ma langue, le liquide chaud se déversant bientôt dans ma gorge à mesure que je le vide jusqu'à l'inconscience, le poids de son corps se faisant bientôt assez pesant pour m'entrainer vers le sol à sa suite.

Ok … son regard sur sa victime me rend totalement jaloux. C’est limite le même regard que lorsqu’il m’a pas vu plusieurs jours d’affilé et qu’il me saute dessus. Je fronce les sourcils, mais je capitule à ne rien dire. C’est son premier repas et je préfère ne pas le contrarier avant que mon homme ne soit rassasié. Je le rattrape de justesse alors qu’il se laisse glisser vers le sol une fois sa proie plus que vide et ses crocs se détache de sa chair. Un éclair jaillirait presque de ses yeux.

« Mollo chaton, t’en auras d’autre, mais laisse déjà la satiété venir avant de t’attaquer au suivant. T’as pas envie de vomir du sang. »

Quand on est stupide comme moi et qu’on se laisse s’affamer pendant trop longtemps, forcément, on commet des impaires. Plusieurs fois. Du coup, je me suis déjà vu courir les rues à la recherche de plus d’hémoglobine que mon cœur n’a pu le supporter et vomir mes tripes sous cet excédent soudain après un jeûne trop long. Je devine qu’il s’adoucit à mes paroles « pleines de sagesse » et le brun vient se coller contre moi. Je le serre dans mes bras, sans pouvoir lire dans ses pensées. Je suis responsable de sa situation et j’ignore s’il va me détester ou si ça va aller …

« Co … comment tu te sens ? »

Autant aller à l’essentiel, sinon on va en avoir pour deux cent ans avant qu’on communique sur nos émotions. Et malheureusement, les conflits pourraient très bien durer deux cents ans littéralement maintenant que nous sommes tous les deux des cadavres ambulants ! Magnifique, ça aussi je n’y avais pas pensée.

J'ai pas besoin de lui gronder dessus pour qu'il comprenne mon désaccord quand il me rattrape dans la chute de ma victime. Quelque part, il doit trouver ironique d'être la personne raisonnable en matière de vampire, pour une fois. D'ordinaire, il pose plus de questions qu'il ne donne de réponse, mais j'espère que Silas a été un bon prof, parce qu'il risque d'en avoir besoin avec moi.
Je finis par accepter son étreinte, et mieux, la lui rendre en retour, me serrant bientôt contre lui, glissant mon nez dans son cou où, même si je ne sens pas le moindre afflux de sang, je dois retenir l'envie de mordre à pleines dents. Je réussis à me contenter de respirer son odeur,  qu'il va me falloir redécouvrir comme elle me semble à la fois plus complexe et plus enivrante que par le passé … qui date pas de la semaine dernière encore. Bravo Dante, tu vas avoir réussi à me coller un coup de vieux supplémentaire.

J'entends sa question, mais je prend le temps de la réflexion avant d'y répondre. Peut-être parce que je ne sais pas comment y répondre. Qu'est-ce qui prend le dessus sur quoi, qu'est-ce qui est important et sur quoi je peux faire l'impasse.

"J'ai l'impression de brûler de l'intérieur. Et une envie folle de planter les dents dans un truc. Et en même temps, j'me sens horrible de le vouloir, et j'te promet de ne plus jamais te faire la morale sur l'art et la manière d'accepter le foutu vampire que tu peux être. Si tu veux te nourrir de salade, fais toi plaiz, j'te suis..."

Je relève le regard pour le détourner aussitôt, mes yeux n'appréciant vraiment pas l'agression d'un lampadaire pourtant bien terne un peu plus loin dans la rue. J'rajouterai pas des tabous à des tabous, mais je passe sous silence le fait que j'ai jamais senti ma magie à la fois si faible et si affolée, comme une vague dernière tentative de lutter contre le changement qui s'opère en moi. Je pose ma tempe contre la sienne, ne pouvant nier un certain désespoir en avance.

"Combien que j'suis aussi piteux vampire que sorcier?"

Je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire alors que paradoxalement je comprends également toute l’étendue de son incompréhension. On se sent démuni et pleins de pouvoirs … c’est pas logique cette vie. Forcément, avec ses propositions de me nourrir de salades, j’éclate de rire et le serre un peu plus fort contre moi avant de relâcher mon étreinte bien que lui ne semble pas décider à quitter mes bras. Je prends le frais de son front contre le mien et savoure son odeur.

« Tu pourras jamais être pire que moi mon cœur … Et j’ai jamais considéré que tu étais un mauvais sorcier … tu sais, t’es vampire comme quelqu’un qui est sirène, asiatique ou que sais-je. C’est pas une question d’être bon ou pas, t’es juste ce que tu es. »

Oui, je sais, c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Depuis le temps que lui me le dit et il aura fallu attendre qu’il se pose mes propres interrogations pour lui retourner ses sages conseils. Je le sais par les épaules pour lui faire face.

« Par contre si tu as envie de mordre, je dis pas non pour être cobaye ! »

Faut pas déconner non plus, je vais prendre les avantages là où ils sont et si on pimente notre vie de couple je vais pas cracher dessus. Même si son regard a quelques difficultés à tenir la lumière vive du lampadaire au-dessus de nous, je prends délicatement son menton pour croiser ses yeux noisettes.

« Ça va aller. Je suis un égoïste qui te préfère à moitié vivant plutôt que complétement mort, mais avec toi à mes côtés, on y arrivera. »

Bien sûr qu’on est pas rendu, cependant, chaque seconde compte et je suis un grand optimiste lorsqu’il s’agit de mon homme. Il me tire vers le haut depuis tellement d’années. Je pense que je serais mort si son cœur avait juste stoppé ce jour-là.

Nous laissons là le corps sans vie, première victime de mon cher et tendre et je glisse mes doigts entre les siens pour l’entrainer plus loin. La soirée va être encore longue et nous aurons tout le temps de faire un tour en salle de saignée si besoin est maintenant que sa faim est partiellement étanchée.

« T’as une envie avant de retourner casser la croûte ? »

J’avoue, je prends même pas la peine de faire disparaître le cadavre ni quoi que ce soit. Il est encore marié à sa femme qui pourra hériter de la maison sans craindre plus jamais qu’il ne la tabasse. Prenons ce qui est à prendre avec la disparition de ce genre d’homme de la surface de la terre. Plus vite son corps sera trouvé, plus vite l’affaire se tassera. Là, ça passer limite pour un vol qui a mal tourné et basta.

Je croise son regard quand il se met à éclater de rire franchement après mon histoire de salade involontaire, et je dois dire qu'au milieu de la tension qui règne en moi, en lui, et entre nous depuis mon réveil, ça fait un bien fou de l'entendre rire. Même si ses paroles, il devrait les écouter avant de les prononcer.

"Et j'ai jamais considéré que t'étais un mauvais vampire. Toi tu l'as fait. Alors laisse moi être un foutu mauvais sorcier encore une seconde, d'accord?"

Son front posé contre le mien, je garde les yeux fermés, autant pour profiter du calme qu'il m'apporte que à cause de la lumière du lampadaire, faut être honnête. Jusqu'à ce que ce soit à mon tour de rire face à son commentaire limite graveleux, sa main se glissant sous mon menton alors qu'il tente de tenir mon regard dans le sien. Ca brule, et encore, j'ai les yeux foncés. J'imagine pas ce qu'il a du endurer avec ses yeux clairs.

"Dante Val'Tayik, tout ce temps et j'avais pas imaginé que tu puisses être maso sur les bords."

Je force sur sa prise pour l'embrasser, glissant mes doigts dans ses cheveux en passant. Fronçant les sourcils à concentrer mon cerveau à réfléchir à sa question avant d'opter pour la solution de facilité et poser ma tempe contre la sienne, glissant bientôt mon nez dans le creux de son cou.

"Tu veux dire, avant que j'doive choisir entre la chambre et la salle de bain pour éviter le soleil toute la journée? T'avais raison sur ce point... des stores sur la baie vitrée, c'était un minimum..."

J'ai été tant habitué à ce que, de nous deux, il soit le type diurne du couple, que la question de ce qu'un type comme Silas peut bien faire d'une journée complète prisonnier de son appartement ne m'est à peu près jamais venue à l'esprit. Bon, pour Silas, la réponse est simple. Il relit ses dossiers, encore et encore et encore et encore. Moi j'avoue que j'pense finir par tourner en rond assez rapidement.

"Tu sais quoi? Dans une danse, le meneur c'est celui qui sait danser. Alors j'te laisse mener."

Niah niah niah ! je répondrais même pas de toute façon il a raison et ça m’agace, enfin, gentiment. Je me contente de lui sourire. Et heureusement encore une fois que j’suis pas irrigué en sang, sinon mon visage serait cramoisi. Je tombe les deux pieds dans le plat et lui réponds d’une voix penaude :

« Non, mais juste un peu … »

Il m’embrasse et je m’arrête avant de m’enfoncer un peu plus pour rebondir sur les problèmes autrement plus graves auxquels se confronte le barman. Heureusement, même dans les pires circonstances, Nath conserve son côté plaisantin et souligne l’ironie de sa nouvelle condition. Sans compter que faut bien que j’ai raison moi aussi de temps en temps et oui, l’installation des stores me permet d’éviter d’avoir à porter le charme quand je suis chez moi en pleine journée. Il va y avoir tellement de choses à repenser … son taf, sa fille, notre vie de couple … pas forcément dans cet ordre cela dit, mais nous aurons bien assez de temps pour en discuter une autre fois et pour certains trucs, à part le conseiller, je ne peux pas faire de choix à sa place, disons qu’il n’y a que pour notre vie de couple où j’suis convaincu d’être légitime.

Un sourire légèrement triste s’épanouit sur mon visage lorsqu’il me propose de mener la danse.

« Alors je te propose qu’on aille se poser. On peut aller au parc, tu vas sans doute avoir des habilités qui vont ressortir progressivement et là-bas c’est assez calme pour que tu testes ce que tu veux où juste qu’on puisse parler. Ensuite, on pourra faire un tour dans une salle de saignée, c’est pas hyper glamour comme sortie de couple, mais je préfère que tu saches rapidement où les trouver si jamais tu as besoin … reste jamais sur ta faim, c’est ce qu’il y a de pire. »

Dixit l’abruti qui l’a fait un milliard de fois par négligence, pour protester et biens d’autres raisons plus stupides les unes que les autres. Je préfère qu’il évite mes propres erreurs tout en étant persuadé qu’il en fera bien assez tout seul comme n’importe quelle personne.

« Il y en a une où je vais souvent, j’pense que je pourrais t’avoir un prix aussi. J’ai aidé quelques fois la gérante avec de menu souci dans son établissement et elle est toujours aux petits oignons pour moi »

Car malgré que ce soit la méthode qui me semble la plus éthique, elle a un coût et j’aime mieux de loin savoir Nath à un endroit que je connais de sûr même si cela signifie sans doute qu’il me verra plus souvent « manger » … Maintenant qu’il est un vampire, je ne suis pas sûr que cela devienne plus facile pour moi de boire devant lui …

Nous avançons dans la nuit noire jusqu’à atteindre les portes du parc, closes à cette heure-ci. J’escalade la grille et invite le brun à me rejoindre de l’autre côté.

« Allez beau gosse ! Montre-moi tes muscles ! »

Je ris tout seul de ma stupidité et en même temps, c’est quand même grave sexy de le voir franchir à ma suite le portail sans la moindre difficulté. On va quand même pas me reprocher d’être attiré par l’homme que j’aime non !

Je lui jette un regard en coin quand il avoue à demi-mots qu'il se pourrait qu'il soit légèrement maso sur les bords, le laissant cependant étouffer le sujet avant qu'il ne réussisse à devenir rouge comme une pivoine, ce qui serait un sacré exploit chez lui. Je le laisse donc établir le programme de la soirée, même si j'opte bien plus pour le parc que la salle de saignée. Déjà parce que le nom ne donne pas envie, ensuite parce qu'il me semble que les types qui y entrent espèrent en sortir, et vu la douleur que j'ai encore dans les crocs et la concentration que je dois déployer pour éviter à mon flair de partir à la recherche de la moindre odeur de sang, j'ai des doutes sur l'idée.

Je glisse ma main dans la sienne en guise d'accord, retenant un geste de recul devant la sensation bizarre de sa peau tiède contre la mienne. Finissant par serrer mes doigts entre les siens et le suivre alors qu'il nous entraine vers le parc. Tâchant de rester concentré sur sa présence à coté de moi alors que je suis assailli de tant d'odeurs et de bruits que j'ai juste envie de quitter la ville au pas de course. A moins que je ne trouve quelque chose à manger en cours de route. Bref, arrivés devant la grille fermée du parc, Dante me fait montre de son agilité en l'escaladant comme si de rien n'était, et je jette un coup d'œil à la structure qui se dresse désormais entre nous avant de le suivre, manquant tout de même m'étaler à l'atterrissage en ayant pas vraiment prévu la facilité avec laquelle je passerais par dessus.

"C'est toi le beau gosse. L'idiot de beau gosse qui avait 50000 occasions de trouver mieux ailleurs rien que dans cette ville." Je l'attrape par le col de sa veste avant qu'il ne puisse répliquer, mettant peut-être un peu trop de force dans le geste. "Enfin, maintenant que t'as décidé de m'imposer à ce monde pour l'éternité, t'es coincé avec moi pour un sacré moment, j'sais pas bien si tu réalises."

Je soupire, finissant par poser ma main contre son torse en prenant gare à ne pas y aller trop fort cette fois-ci. Ca, ça va être dur, si faut vraiment réfléchir à chaque geste pour pas faire de casse. Il le sait pourtant que réfléchir, c'est pas plus ma came que ça.

"J'suis pas chaud pour la salle de saignée. J'ai trop envie de planter mes crocs dans un truc bien saignant pour pouvoir te jurer que qui que ce soit va ressortir vivant de là-dedans. J'peux pas. Et je...

Et je panique, ça y est, l'insécurité au level 100. Comme si être à l'ouest avec ma magie pendant presque 40 ans m'avait pas suffit, maintenant j'vais l'être avec ma capacité à approcher qui que ce soit sans vouloir le bouffer.

Mieux ? Non, je ne crois pas. Je me dis souvent que rien que le fait qu’il me supporte fait de lui un être exceptionnel. Bien sûr, il a un milliard d’autres qualités et il est bien le seul à ne pas les voir. Ça l’arrange, j’en suis sûr. En attendant, je ne compte ni trouver mieux, ni le laisser aller chercher ailleurs non plus.

« Toi non plus t’as pas intérêt à aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Je sais où t’habites ! Fais gaffe. »

Cela dit, je ne plaisante qu’à demi-mot. Maintenant qu’il est aussi immortel que moi, je compte bien le garder à mes côtés et ne pas lui faire regretter la décision que j’ai prise plus tôt dans la journée.

Je ne vais pas mentir, tout ce qui touche aux nouvelles sensations et aux nouvelles capacités, je ne pense pas qu’un seul nouveau vampire ne galère pas à moins d’en abuser volontairement et de devenir un vrai connard. Forcément, Nath ne faisant pas partie de cette catégorie, il essaye tant bien que mal de se refreiner.

« Ok, pas ce soir, on va le faire au feeling de toute façon et l’alternative c’est toujours que tu prennes sur moi, par contre va falloir aussi que j’mange sinon c’est moi qui tiendrait pas. »

Et si je pouvais éviter de lui montrer le mauvais exemple dès la première soirée ça serait pas mal, déjà qu’il l’a bien assez vu auparavant.

« Faut pas t’inquiéter, c’est ta première nuit, c’est normal que ça soit aussi fort et après ça s’atténue, tu te régules tout seul. Faut juste être moins con que moi et t’écouter un peu quand ton ventre te hurle qu’il faut que tu y mettes quelque chose. »

Je le prends dans mes bras et dépose un baiser sur sa tempe. Je lui fais confiance à 200%, il va y arriver. Pourquoi ? Parce que mon homme aime sa fille et qu’il compte très certainement passer encore des bons moments avec elle. Il ne supporterait pas l’idée de devoir l’abandonner une seconde fois, même sous prétexte de la protéger. Après tout, c’était déjà son excuse la première fois et ça n’a pas tenu. Ensuite, je ne crois pas l’ombre d’une seconde qu’il soit capable de lui faire le moindre mal, autant que moi-même je me suis toujours contenu devant elle ou son père. C’est mon côté licorne, je crois dur et fort en le pouvoir de l’amour ! Cependant …

« C’est pas comme ça que j’envisageai la chose … j’espère que tu ne m’en veux pas … »

Je sais bien qu’il n’a pas besoin de mon discours sur ma propre culpabilité, mais ça me taraude bien trop pour ne pas lui en faire part.

Je l'écoute, du moins j'essaye de l'écouter, mais les mots commencent à entrer par une oreille et ressortir par l'autre sans que je n'en saisisse le sens alors que mon ouïe se trouve attirée ailleurs par mon odorat. Un son dont je n'identifie pas l'origine, mais mon instinct me hurle que c'est plus intéressant que les paroles de Dante. Des paroles sur lesquelles je reviens juste au moment où il me demande si je ne lui en veut pas. De quoi? J'ai la correction de ne pas demander, me contentant d'acquiescer tout en me dégageant juste assez de sa prise pour être libre de mes mouvements.

Mon attention se détourne finalement totalement de lui, tous mes sens pointés vers un même endroit, jusqu'aux crocs douloureux que je sens poindre derrière mes lèvres alors que je finis par me diriger vers la source de mon intérêt. Sa main qui vient enserrer mon poignet? Je m'en dégage comme de celle d'un enfant, lui offrant un grondement en guise d'avertissement alors que je m'enfonce dans le parc où nous ne sommes apparemment pas seuls, pour finir par tomber sur une scène trop classique la nuit dans ces quartiers. Une bagarre où il a fallu qu'un couteau soit tiré et du sang versé, bien sur.

"Eh mec, on t'as pas sonné."
"J'suis pas sur qu'il t'écoutes en fait. T'as vu sa gueule? Il est complètement camé le mec. Eh dis, tu tournes à quoi?"

Le premier a quand même l'air de se dire que j'ai vraiment une sale gueule parce qu'il finit par se tirer en abandonnant son "copain" (à qui il a quand même planté un couteau dans la cuisse) à son triste sort. Et oui, avec un couteau planté dans la cuisse on court un peu moins vite. Je le rattrape en moins de temps qu'il ne m'en faut pour y penser avant d'écarter sa tête sur le coté pour planter mes crocs dans sa gorge, me laissant énivrer par la chaleur et le gout de son sang s'écoulant dans ma gorge. Jusqu'à ce que SA voix ne résonne derrière moi, parvenant à reprendre le dessus sur le reste. Je lui jette d'abord un regard noir qu'il ne risque pas de voir avant de laisser échapper un frisson alors que je sens SA main venir se poser sur mon épaule. Une prise qui me force à reculer d'un pas, libérant ma proie au passage. Et si je me retourne vers Dante pour lui gronder dessus, c'est son poing que je vois avant de le voir lui. Et il semblerait que j'ai encore quelques progrès à faire question réflexes. Si l'écran noir ne dure qu'une fraction de seconde, il est suffisant pour que je me retrouve à terre, surplombé par Dante, apparemment pas jouasse de ma partie de chasse improvisée.

Restant prudemment à terre, sentant que je pourrais en prendre un second si j'essaye de me relever, je passe mes doigts sur mes lèvres, ou mon sang se mélange à celui de l'homme dont je viens de me nourrir. Je soutiens son regard un moment, au moins jusqu'à ce que l'homme à présent derrière lui ne se relève pour se sauver comme il le peut. Oui je l'avoue, mon regard dévie fortement vers lui, avant que je ne me force à le relever vers Dante, cherchant à présent son aide.

"Si faut empêcher toute cette ville de verser la moindre goutte de sang, ça va être galère cette histoire..."

J’suis complétement vexé de voir que je me suis fait totalement ignoré. Une moue se peint sur mon faciès que Nath ne calcule même pas. Aaaah ! J’ai bien compris ce qui a attiré son attention, j’suis comme lui après tout et l’odeur de fer qui parfume l’air est le plus doux des fumés pour les êtres que nous sommes. Je soupir et pars à sa suite, enfonçant mes mains dans mes poches après que son poignet me glisse entre les doigts et il me grogne dessus. Je lève les yeux au ciel et le suis docilement, observant où cela nous mène. Ah ! Scénario cousu de fil blanc, te voilà donc ! L’altercation entre les deux hommes devant nous s’est soldée par une plaie sanglante, alléchante et mon beau brun cède à ses pulsions. Si je le laisse le croquer ? Oui, mais pas le tuer. Je sais bien que ça lui serait délétère de vivre une telle expérience dès la première nuit … j’en connais un rayon sur les carnages, j’ai été un monstre trop longtemps, à pleurer toutes les larmes de mon corps dès que la raison revenait à elle. Si la première victime était une ordure de la pire espèce, je ne pense pas que le p’tit jeune qui nous fait face mérite de vivre ses derniers instants. Je m’attèle donc à intervenir avant qu’il ne soit trop tard.

« Bon allez chaton, t’as assez fait peur au Monsieur. »

Je pose ma main sur son épaule et il se retourne … La suite, c’est à cause de son regard noir qu’il me lance encore, que je l’enchaîne. Mon poing vient s’écraser contre sa mâchoire. Zut, je visais la tempe.  Un nouveau soupire franchit mes lèvres et je me dis que ce n’est pas la plus romantique de nos soirées.

L’effet est toutefois au rendez-vous puisque cela me laisse le temps de l’écraser au sol et le maintenir. A califourchon sur lui, j’adresse un regard sévère à la victime qui vient de se redresser elle aussi.

« Dégage. »

Il ira bien, je sens encore les battements de son cœur clairement et de toute manière, il faut qu’il aille faire soigner sa jambe. Il trouvera bien des urgences où on ne lui posera pas plus de questions que cela

En attendant, mon homme semble avoir regagner un semblant d’esprit et je lui adresse un sourire, mon regard s’adoucit. Je me penche sur lui et l’embrasse avant de lui foutre la paix.

« On te mettra une laisse. »

J’suis à moitié sincère, ça pourrait être une option si vraiment il devient trop fougueux. Finalement, je le libère de mon emprise et lui tend une main pour l’aider à se relever qu’il saisit sans broncher.

« Désolé pour ta bouche, ça te fait pas trop mal ? »

J’me doute que non, j’ai pas été si fort, enfin, pas que je pense en tout cas, mais faut dire qu’entre le fait qu’il est jeune vampire et moi plus affirmé, j’arrive pas à savoir où il en est dans l’acquisition de ses facultés et sa capacité à encaisser des coups de ce genre.

« J’vais pas te mentir, ça se calme pas tout de suite et j’ai p’t-être bien la pire expérience. J’ai passé des nuits à essayer de me sevrer et d’autres à faire les pires carnages. J’veux juste t’éviter ça autant que possible. Tu comprends pourquoi je te parlais de la salle de saignée aussi ? Y’a que le sang à la source qui calme vraiment la faim. Je pensais que le premier avait un peu tempéré le truc, j’ai été trop optimiste. »

Je passe mon bras par-dessus son épaule et l’attire à moi, essayant de l’entraîner à l’opposée de la direction prise par le gars de tout à l’heure. Le problème, c’est que dans ce genre d’endroit, les scènes de ce type sont monnaie courante et Nath à raison. Je ne pourrais pas être avec lui 24h/24, il croisera d’autres gens qui saignent et … hum … sa fille est une fille … oui je sais c’est con, mais n’empêche qu’à la période des règles, ça sent quand même grave !

Dante a la brillante idée d'attendre que l'autre se tire pour me laisser me relever, non sans m'embrasser avant de s'écarter. Une façon comme une autre d'excuser le coup donné, sans doute? On verra plus tard si j'le pardonne ou pas. D'accord, j'vais juste le laisser mariner un peu, pour la forme. Il se relève et me tend une main pour que j'en fasse de même, avant de glisser de nouveau la main à mes lèvres quand il en parle.

"Ca va. Si j'en crois mon expérience avec toi, j'devrais pas en garder de traces."

Si je suis un poil sec? Il m'a frappé, bordel! Et si j'l'avais bien mérité? J'l'ai jamais empêché de se nourrir lui d'abord... D'accord, c'est peut-être pas tant moi qui en ait contre lui que cette partie de moi qui a toujours envie de planter ses crocs dans tout ce qui traine. J'aurai peut-être du écouter davantage Ryan quand il évoquait la capacité des vampires à ne rien contrôler quand ils le veulent. Pourquoi Ryan? Beh disons que dans l'art et la manière de vivre avec des vampires à l'année il a son paquet d'années derrière lui, alors oui, quand je savais pas dans quoi je foutais les pieds avec Dante, c'est vers lui que je me suis tourné. Même si faut avouer que deux sorciers parlant vampires dans un bar de loups-garous, c'est quand même pas la situation la plus "normale" du monde.

"Ok, t'as p't'être raison. Pour les salles de saignée j'veux dire... même si personnellement, j'ai plus envie de me faire copain avec le congelo et le micro-ondes..."

Je me laisse attirer contre lui par son bras passé autour de mes épaules, finissant par glisser le mien autour de sa taille, tâchant de ne pas me laisser aller à la frustration de ne pas avoir terminé mon diner.

"T'as toujours été trop optimiste avec moi, j't'apprends rien. Et on fait quoi si j'y arrive jamais? Autant la magie j'pouvais m'en passer, mais j't'ai déjà vu quand t'étais en manque de sang, j'suis pas convaincu qu'on tienne longtemps comme ça."

Ok, le coup de poing au visage, je note, il aime pas. Je compte pas réitérer l’exploit, mais si vous avez déjà eu un nouveau-né vampire devant vous, vous sauriez que y’a pas grand-chose pour le calmer. Le brun peut être méfiant, je comprends, mais j’espère quand même avoir adouci son cœur avec mon baiser. Je suis pas une brute épaisse, c’est bien connu quand même. Et il a pas tort, dans deux heures max, il ne devrait plus avoir de trace.  Je hausse les épaules. Moi aussi j’ai essayé de me contenter des poches de sang et ça a pas fonctionné très bien. Je le garde contre moi et nous avançons côte à côte alors qu’il évoque ma période pas terrible et certaines de mes ratées monumentales. Tout du moins, celles dont il a connaissance.

« Justement … depuis l’enquête qui a merdé grave, j’ai diminué le nombre de poche drastiquement au profit des salles de saignée. Ça fait plus de 35 ans que je galère à trouver un équilibre, à lutter et j’ai pas envie que tu me prennes comme exemple. Ma vie a été pourrie Nath … »

Je marque un silence et tente de faire redescendre mon angoisse à parler de cette période.

« Je t’ai pas fait un compte rendu de mes années avant de rencontrer Silas. C’était horrible, j’ai enchaîné des massacres dont les forces de l’ordre cherche encore la bête sauvage ou le tueur en série responsable. Et les poches de sang existaient, mais ça courrait pas les rues et je peux te dire que j’avais pas le luxe de pouvoir en avoir. Donc dès que je voulais pas mordre, c’était le sevrage complet jusqu’à ce que je devienne un véritable démon. »

Je m’arrête et il faut un temps au brun pour se stopper aussi. Il se retourne. Mes pieds sont devenus mon centre d’intérêt. Envahi par la honte, le regret, la culpabilité … je n’ose pas croiser ses yeux.

« J’veux pas que tu vives ça. Je t’aime et j’me sens responsable de toi, j’ai pas envie que tu te retrouves là où j’ai été. »

Je fais un pas vers lui et attrape ses mains.

« C’est sûr que ça va pas être facile, mais ça se calme. J’ai vécu avec Elaine, avec toi et je vous ai jamais fait le moindre mal, physiquement parlant je veux dire. »

J’ai fui, j’me suis caché et j’ai merdé sur d’autres points, mais j’ai trouvé une ligne de conduite qui me semble être un bon compromis aujourd’hui. Les criminels en puissance finissent sous mes crocs sans aucune merci, les salles de saignée, je me suis concentré sur quasi toujours le même homme que je fréquente dans une de ces enseignes et avec qui j’ai établi une relation un peu plus saine que juste s’il avait été un repas. Au moins, j’ai pas l’impression de me servir juste de lui et malgré le contexte, on passe un bon moment.

En toute honnêteté, je ne me vois pas m’étaler plus sur le sujet, il pourra demander à Silas s’il veut, lui sait maintenant quel carnage est de mon fait depuis qu’il m’a montré son fameux dossier.

« T’en veux une bonne d’ailleurs … C’est Silas qui m’a transformé. On s’en est rendu compte alors qu’on déconnait sur le sujet. D’ailleurs, tu crois que Luther va râler s’il te voit arriver comme ça ? »

Je finis par redresser mon regard bleuté vers lui. On avait pas considéré ça maintenant que j’y pense, ça pourrait ne pas coller avec ce vieux loup.

J'ai peut-être été cash sur sa période foireuse, mais au moins le sujet est mis sur la table. Dante finit par s'arrêter et il me faut un pas de plus pour m'en rendre compte, me retournant vers lui pour le trouver à regarder ses chaussures. C'est lui qui a honte là, sérieusement? Lequel de nous deux est l'enfant sage aujourd'hui?

"Toi au moins t'as le mérite de culpabiliser de ce que t'as fait. Un peu trop d'ailleurs. J'suis pas sur que la moitié des vampires de cette ville puisse en dire autant. J'suis même pas sur de pouvoir en dire autant moi-même."

Parce que ce type que j'ai attaqué pour la seule raison que son sang m'a attiré, ça me fait ni chaud ni froid de l'avoir attaqué, et j'suis pas convaincu que ça serait différent si Dante ne m'avait pas arrêté avant que je ne le tue. Pour être transparent, ce soir, j'vois deux choses. Dante et l'envie de planter mes crocs dans un truc. Pour le reste...

"Elaine... quand j'vous voyais agir au naturel, Silas et toi, ça avait l'air si simple de vivre normalement. Même si j't'ai vu dans tes pires moments, ça avait plus l'air d'un passage à vide entre deux eaux calmes. Et là j'ai plutôt tendance à me dire que la tempête c'est tout le temps et l'eau calme... j'en sais rien. Comment tu crois que j'pourrai regarder ma fille dans les yeux alors que j'entendrais rien d'autre que son sang circuler dans ses veines? Et j'parle même pas qu'elle se coupe par accident."

Je relève le regard vers lui quand il m'annonce ni une ni deux que c'est Silas qui l'a transformé. Il est sérieux lui? Apparemment oui. Eh ben soit le monde est vraiment petit, soit l'anglais la lui a vraiment faite à l'envers. Il a pourtant pas l'air d'y en vouloir... affaire à suivre. Quand à Luther?

"Ah ben t'as le droit de m'aider à préparer un CV tout neuf si un jour j'arrive à croiser quelqu'un sans le bouffer. Fin on a pas de loyer à payer et c'pas le frigo qui va nous couter cher maintenant alors on va dire qu'on a le temps d'y penser."

Pour être plus clair? Semblerait qu'un vampire bossant dans un bar de loups-garous ça risquerait de faire tâche. Mais on en reparlera. vu que la discussion est pas pondue donc si ça se trouve Luther va l'accueillir à bras ouverts... ouais nan, peu de risques xD

"Silas alors? Il t'as balancé ça comme ça ou il a eu la correction de tourner autour du pot?"

Je triture ma chevelure et passe une main à la recherche de ma perle qui n’y est pourtant plus depuis quelques jours.

« Tu sais bien que c’en est maladif ma culpabilité … J’écrase même pas les mouches de peur de men vouloir la seconde d’après. »

Parce que son argument, ça pourrait se tenir si j’en étais pas réduit à des extrêmes qui font que j’ai merdé plus d’une fois envers lui à cause de tout ça. J’me suis enfui à l’autre bout du monde dernièrement et comme je le lui disais, j’ai tenté maintes fois de me sevrer et cela s’est résolu par des carnages monumentaux et qui m’ont laissé plus marqué, plus faible.

« Ben oui, mais la tempête comme tu dis, moi c’est celui que j’appelle l’autre, le démon, et malheureusement c’est pas que ça passe, c’est juste que t’apprends à vivre avec. Ça devient ton pain quotidien et tant que tu gardes une part d’humanité, ce dont je ne doute pas, tu vas avoir envie de le faire taire. Tu vas regarder Elaine sans que ça soit juste un sac d’hémoglobine sur pattes et tu vas passer des bons moments avec elle. Le monde va devenir beau et différent, mais beau quand même. Tu crois quoi quand je suis dans tes bras ? Que je te sens ? Je t’aime pas comme j’ai aimé quand j’étais humain et je le sais, mais ça m’a pas empêché de t’aimer. J’ai eu un milliard de fois envie de te dévorer et vraiment très littéralement, pour autant, à ton contact, c’est devenu autre chose et oui … des fois, je sais pourquoi je t’ai pas laissé dormir. »

Bon ben, je suis pas le seul à avoir pas pensé à la suite question travail … Autant le proprio râle plus trop de m’y voir et j’constate même que de plus en plus de vampires sont dans ses bonnes grâces, mais carrément avoir un employé de l’espèce sera peut-être pas bien vécu par le clan et je sais très bien que cette notion est très importante chez eux. De toute façon, la transformation de Nath est tellement fraîche qu’il a pas tort sur un point évident. Il va pas aller au milieu de la foule sans avoir régler son problème d’appétit. Les clients vont pas aimer que le barman se serve à leur jugulaire.

« Pffff. »

Je lève les yeux au ciel pour me remémorer exactement le déroulé de cette révélation.

« Il a fait un dossier qui reprend toutes les attaques et je lui ai montré quels articles me concernaient. Mes victimes et ma mort. Il s’avère que ma mort faisait partie de ses victimes à lui. C’est comme ça de toute façon, on refera pas le monde et il avait d’autres problèmes à gérer. »

Je dépose un baiser sur le front de Nath.

« C’est bon, j’vais pas perdre mon meilleur ami sous prétexte qu’il a merdé y’a belle lurette. Lui aussi il venait tout juste de débarquer chez les noctambules. »

Surtout que l’affaire autour de Gwen semble bien assez le ronger et j’ai plus envie de le soutenir dans cette épreuve, être là pour lui et pas entacher notre amitié pour « si peu ».

« T’as le temps d’en parler avec Luther … Déjà, prends tous tes congés en attendant de savoir te calmer et on verra par la suite. Par contre Elaine … t’avais eu le temps ou pas d’en discuter avec elle ? »

Ma fille aussi, et j’ai tué son père. J’ai tout intérêt à avoir moi aussi une discussion avec elle et si Nath veut qu’on en parle direct tous les trois ensemble maintenant que la chose est faite, je dirais pas non. Toutefois, s’il préfère l’aborder seul, je reviendrais dans un second temps vers la jeune fille pour … Ben juste parce qu’en fait je l’aime et que j’ai besoin aussi qu’on en parle ensemble tout simplement.

"Je sais. Et ça fait très bien les affaires du chat. Il aurait pas d'excuse pour vider les étagères sans elles."

Je l'écoute sans l'interrompre, essayant au maximum de me concentrer sur les mots et leur sens alors que seule sa voix m'intéresse. Une part de moi se dit sans doute que ce qu'il me dit me sera sans nul doute utile pour plus tard.

"J'crois que tu m'aimes trop pour ta santé mentale. Et j'crois que j't'aime davantage encore. Mais j'ignore si j'aurai eu ton courage, si les rôles avaient été inversés. C'est trop... tentant?"

Parler de Silas évite cependant de trop approfondir le sujet de ma propre connerie et ça me va assez bien. Et puis, si j'peux me concentrer sur autre chose que tous ces bruits infernaux dans mes oreilles, ces odeurs dans mon nez, mon esprit tourné uniquement sur la recherche de la moindre goutte de sang... je prends.

"Ok, du coup faut plutôt le classer dans les tueurs en série fétichistes qui gardent une trace de chacun de leurs crimes, ou dans le détective encore plus névrosé qu'on le pensait si en prime il trouve à enquêter sur ses propres crimes? Fin, excuse moi de te le dire comme ça, mais j'trouve que tu le prends avec philosophie."

Quelque part ça bouche un trou dans son histoire, ça répond à THE question qui le taraude depuis quarante balais, du coup je comprends assez bien que d'avoir cette réponse l'aide à passer par dessus la rancœur qu'il pourrait avoir pour Silas. Ajouté au fait que j'suis pas sur que Dante sache ce qu'est la rancœur, et que comme il l'ajoute lui-même, Silas est son meilleur ami. J'le connais bien assez pour savoir que ça, ça compte assez pour lui pour faire l'impasse sur le reste.

"J'doute que Luther change d'avis à mon sujet. Et même si il décidait de faire l'impasse, il a la meute derrière, et c'était déjà bien limite pour eux que j'sois avec toi, alors que j't'ai rejoint parmi les "noctambules" comme tu dis... j'aurai déjà du bol s'ils me laissent entrer pour boire un verre."

Concernant Elaine, bien sur que j'en ai parlé avec elle. Je me demande même comment il peut se poser la question. Mais sans doute qu'il a tiré la bonne carte de l'évoquer, ma fille. Parce que s'il y a bien une personne pour qui j'ai envie d'aller vers le haut, c'est bien pour elle. Même si dans l'immédiat, je vois pas bien comment. Enfin, j'ai eu à lutter contre assez d'addictions dans ma vie pour pouvoir lutter contre une de plus non? J'en sais rien, mais si je dois essayer, c'est clairement pour elle.

"Cela dit, si ça foire, je lui fait confiance pour venir te remonter les bretelles. Juste pour que tu sois au courant." Je fronce les sourcils, agressé par les bruits de coups de klaxon beaucoup trop proches, du moins de mon point de vue actuel. "On peut rentrer? C'est l'Enfer d'être là."

Oh là mon brave ! Ma santé mentale, je ne préfère pas y penser, ni parier dessus pour m’y fier. Je me contente donc de sourire, heureux que ce soit pour lui que je devienne fou. Quant à la tentation, c’est encore une fois par amour pour lui que je ne l’ai pas croqué lui ou sa fille. Au démarrage … bien sûr, je ne peux pas dire que c’était un coup de foudre, mais juste une curiosité et j’ai une culpabilité maladive qui a permis de tenir la bête plus ou moins respectablement à distance des rares êtres que je me permettais de fréquenter. Soit dit en passant, je ne me suis d’ailleurs autorisé personne avant lui dans ma vie personnelle, a part Silas qui n’avait plus ou moins rien à craindre de moi ou encore mes collègues de travail et restreint par la perle. Je hausse les épaules concernant ma capacité à philosopher sur ma condition actuelle et mon mentor responsable de ma transformation.

« Encore une fois, c’est fait … et c’est pas que mon meilleur ami, probablement aussi le seul vrai ami. »

Axel a disparu du tableau, Maxwell doit pas trop me porter dans son cœur, Elaine est ma fille … Il y a Nath qui est la combinaison aussi parfaite entre l’amitié et l’amour, enfin, tout cela pour dire que les doigts d’une seule main me suffisent pour établir la liste des gens avec qui je peux me confier et parler de tout et de rien autant que des sujets les plus graves. Mon homme m’a toujours donné l’impression d’avoir des amis tout le tour du ventre, mais je sais pertinemment que lui aussi sait à qui dire quoi voire même, je le soupçonnerai volontiers de pas vider son sac assez souvent.

« Luther les laisserai pas te tuer, après t’avais pas en projet de monter ton propre truc un de ces quatre ? ça pourrait être une opportunité et je peux t’aider. »

L’avantage d’être un vampire, c’est que le sommeil n’est pas indispensable. Cela pourrait même me permettre de doser mon temps entre l’agence et son bar ou plus sommairement entre Silas et Nath. J’ai un compagnon d’une patience à toute épreuve compte tenu du temps qu’il accepte que je passe loin de lui pour mon taf. Je préfère ne rien rajouter et me contente de sourire concernant Elaine. Je compte pas merder, trop de choses en jeux pour perdre ce coup-ci. Je passe mes bras autour de ses épaules.

« On peut rentrer. »

Je ris intérieurement à l’idée qu’il se dit vivre un Enfer, mais se laisse docilement guider par un homme nommer Dante. Je l’entraîne vers l’une des sorties du parc que je connais mener à des rues désertiques la plupart du temps lorsque la nuit s’installe. Je marche rapidement, le brun à ma suite. Par chance, nous évitons toutes rencontres inopportunes supplémentaires et arrivons même à retourner à l’appart sans le moindre encombre. Je m’effondre sur le canapé et le regarde réfléchir comme si ces idées allaient finir par jaillir de la surface de sa peau pour s’y graver. Il est sans doute temps de prendre du recul et parler d’autres choses, éviter de jeter de l’huile sur le feu.

Je glisse un bras autour de ses épaules, rejoignant son point de vue sur Silas. Il a pas tort, c'est fait c'est fait, ça serait con de casser leur quasi fraternité pour ça. Cela dit, c'est peut-être pas une philosophie utilisable partout ça.

"T'sais, vaut mieux peu d'amis sincères que trop sur lesquels tu peux pas compter. Fin, si on t'en trouvais un deuxième ça serait pas du luxe, juste histoire de pouvoir te plaindre du premier de temps à autres."

Ou permettre à Silas d'entendre parler d'autre chose que leur taf et notre couple? Non, ça ça veut dire que c'est à Silas que faudrait trouver un deuxième copain, et c'est beaucoup trop de boulot pour s'y mettre. Ils ont beau avoir le même âge ou presque tous les deux, y en a un qui a bouffé la soixantaine plus vite que l'autre...

"T'sais, j'suis pas sur qu'ils demanderaient tous l'avis de Luther avant. Mieux vaut demander pardon que permission. Pour le reste, quand j'gagnerai à la loterie."

C'pas parce que j'ai actuellement plus de loyer à payer que j'suis proche de pouvoir me permettre de monter une affaire un peu plus épaisse que la leur qui, sans dénigrer, se cale dans deux pièces, avec deux bureaux et deux armoires de classement. Disons qu'avant, j'avais pas les moyens de manger à ma faim ou mettre de l'essence dans la moto. L'argent du loyer non payé part ailleurs. Ok, j'crois que les questions d'alimentation sont réglées, mais la question de la paye aussi donc retour à la case départ. Et je refuse catégoriquement que ce soit lui qui foute les billes là dedans, il a bien mieux à faire de son compte en banque que me faire la charité.

"Ou j'demande à Shawn si connait pas un sous-sol où monter un bar clandestin." Et mon sérieux tient une demi seconde. "Ok, la loterie c'bien aussi."

Le retour me parait beaucoup plus rapide que l'aller, sans doute parce que j'ai pas les mêmes trucs dans la tête. Enfin arrivés, je met une seconde à me rappeler l'origine de la vitre brisée et des éclats de verre au sol avant de regarder Dante s'écraser sur le canapé. Est-ce que l'agitation intérieure s'estompe avec les années ou est-ce qu'il a appris à passer outre? Moi, je ne tiens pas en place plus de deux minutes avant de finir par me lever et aller ramasser les dégâts. Ok, d'où la maniaquerie de mon homme en fait, c'est sa manière de se défouler? Va falloir que j'trouve autre chose perso, le ménage, pas ma came. J'aime mon bordel et ça a déjà été d'un compliqué de faire de la place pour les autres là-dedans, c'moi qui vous le dit...