Doutes - ft Nath & Dante

Comme d’habitude, j’attends que mon homme soit au taf pour faire un brin de nettoyage à l’appart. Ça fait une semaine qu’il m’a annoncé qu’il est ok pour m’épouser et me rejoindre du côté obscur de la force. J’ai du mal à déloger un sourire de mon faciès depuis, mais faut dire que je ne sais pas tout …
J’imagine sans mal que le barman a cogité un milliard de fois à pourquoi me dire oui et que c’est aussi pour ça qu’il a mis du temps avant d’arriver à cette conclusion.

J’attrape mon plumeau et me mets à dézinguer la poussière comme il se doit, on verra plus tard pour le balais. C’est pas que je fais tout, au contraire. Cependant, réflexe de son travail, mon homme est plutôt du genre à s’occuper de la cuisine, lave-vaisselle, faire le reste à la main et les courses. Faut dire que je suis pas celui qui utilise vraiment le plus la cuisine maintenant que j’ai abandonné de faire des repas de ouf tous les soirs. Je craque toujours dès qu’une recette me plaît et encore plus si Elaine est dans les parages, je suis juste plus raisonnable qu’avant. De mon côté, je ne proteste pas à m’occuper de la salle de bain, du salon et de la chambre. Elaine insiste pour faire son propre ménage dans sa chambre … on a une ado en or quand même.

Je finis enfin de venir à bout de la poussière en auteur et me dirige vers mon nouvel instrument de torture contre la saleté. Premier truc, passage rapide sous le buffet. Généralement, c’est plutôt moi qui traîne avec mes dossiers dans le coin et je me vois surpris de déterrer une boulette … Pas mon genre, je ne froisse pas même ce que je jette, je déchire. La curiosité me pique et je déplie billet. Mes lèvres se pincent. Je ferme les yeux et hésite à immédiatement le remettre en boule pour le balancer sans prendre plus connaissance de son contenu. Mais non. J’ai vu un truc qui m’a titillé. Je soupire et me flagelle mentalement de ma faiblesse. Je rouvre les yeux et regarde plus en détail. C’est la liste. La liste des « contres ». Je déglutis en comprenant que Nath a vraiment beaucoup de raison de refuser de devenir ce que je suis et gentiment, mais surement, le doute s’installe en moi. Il s’insinue fourbe et je m’assieds à une des chaises du salon. Le cul à moitié bien mis, mais pas la motiv’ de me repositionner. Je suis atterré.

Il déconne pas, y’en a trois pages pleines que je lis et relis en boucle jusqu’à sentir ma rétine fondre. Je ne pleure pas, je comprends pas quand est-ce que ça marche ou pas cette fonctionnalité humaine, mais j’ai un poids dans la poitrine. Apparemment, j’ai la place pour avoir le cœur mort et un autre à côté. Le pire, ce sont les arguments concernant Elaine. C’est indéniable, je l’aime cette gamine et j’ai l’impression d’être le plus indigne des pères à vouloir tuer son père biologique. Mes bras m’en tombent et je me retrouve à entrer dans une catharsis longue. On va dire que le ménage m’en voudra pas, mais mon sourire a définitivement foutu le camp. Le pire dans tout ça, c’est que je sais comment Nath et moi on fonctionne. Je vais jamais osé lui en parler, j’ai déjà bien trop l’impression d’être entré dans sa tête par infraction. Le truc, c’est qu’on s’était mis d’accord pour dire que je pouvais le transformer, qu’il voulait pas trop savoir quand et que ça soit pas programmé, mais avec ça dans la tête, je vais jamais oser prendre les devants et le temps va passer, rien ne va se faire et un jour, il mourra. Je me sens incroyablement vide. Je sais que le temps s’est écoulé alors que je restais pantois et je me ressaisis mollement. Je plie les feuillets et les range entre mes piles de dossiers, me disant qu’il me faudra l’amener au bureau si je veux éviter que Nath apprenne que je suis tombé dessus.

Je jette un regard par la fenêtre, constatant que la nuit vient de tomber. Je soupire et me décide à sortir. J’ai pas la force de croiser mon homme ce soir, il lira sur ma tronche comme un livre ouvert et j’en ai pas la moindre envie. J’attrape ma veste et passe directement par la baie vitrée que je laisse ouverte derrière moi. Au moins, le brun comprendra tout de suite que je suis de sorti et il se posera pas trop de questions, ni je risque de le croiser dans la cage d’escalier s’il rentre tôt.

Je ne vais nulle part, je me contente d’errer à l’infini à travers la ville. Je n’ai même pas pris mon portable, je n’ai pas envie d’aller au bureau et je termine ma course sur les quais. Je m’assieds sur un banc et attends. J’attends jusqu’à ce que la venue imminente de l’astre du jour ne me force à retourner aux bercails … Non, même là, je n’y arrive toujours pas. Mais où aller ? Je n’ai plus d’appart à moi, alors je capitule et tente d’afficher une mine pas trop déconfite. On verra bien et sinon, je prétexterais une affaire délicate au taf …

Made by Neon Demon

Rentrer à l'appartement de nuit c'est pas exceptionnel après le boulot. Du coup, trouver l'appartement vide, c'est pas exceptionnel non plus, même si j'ai toujours cette pensée fugace qui aurait aimé qu'on se croise un instant avant qu'il ne mette les bouts. Le truc plus exceptionnel, c'est de trouver le coin "boulot" de Dante sans dessus dessous. Cela dit, j'ai l'explication assez rapidement quand je trouve le chat en train de se repaitre des restes d'une araignée qui devait être à peu près aussi grosse que la paume de ma main. J'espère que Max nous avait pas laissé la sienne en pension... non, j'crois pas.

Je ramasse les feuilles étalées sur une bonne partie du salon, me contentant d'en refaire une pile à peu près potable en sachant qu'il saura mieux que moi où se range quoi quand il repassera. Jusqu'à tomber sur un papier que je ne pensais pas voir ressortir, pour la simple et bonne raison que je ne me rappelais même pas que je ne l'avais pas fait cramer dans l'évier. Je soupire en comprenant mieux pourquoi je ne risque pas de croiser Dante à l'appartement ce soir. Je tente de l'appeler, mais la sonnerie de son téléphone résonnant depuis la chambre m'indique que c'est pas la peine de réessayer. Je lâche un nouveau soupir avant de décider qu'il faudra bien qu'il rentre avant le lever du jour et décider de faire le pied de grue à la table du salon jusqu'à son retour, et ce malgré la fatigue d'un jour de travail. Fatigue qui m'interdit de me poser dans le canapé, sinon j'vais surement pas tenir jusqu'à l'aube.

Et même malgré l'inconfort de la chaise sur laquelle je suis installé, j'arrive certainement à piquer du nez une heure vu que c'est le bruit des clefs dans la serrure de la porte qui me fait sursauter et relever le regard vers l'homme qui vient enfin de rentrer à la maison.

"J'te préviens j'ai pas dormi depuis..." Alors, soyons honnêtes, la nuit précédente a été plutôt mouvementée, donc on oublie de parler de sommeil, et celle d'avant, j'ai du ronfler deux heures, enfin, j'suis déjà pas bon en maths en temps normal alors avec deux nuits blanches on en parle pas, donc j'me contente de faire un geste de la main pour signifier que ça fait une paye. "Donc j'vais t'épargner les ronds de jambes. Et je sais parfaitement comment tu fonctionnes. Alors dit moi c'que t'as compris là-dedans."

Sur ce, je pousse le papier pas mal chiffonné dans sa direction, sachant qu'il sait déjà de quoi je parle. Quand à savoir comment j'l'ai retrouvé dans ses affaires?

"Le chat a cru bon de s'entrainer à gravir l'Everest sur ton bureau. C'est un poil le foutoir du coup. Mais change pas de sujet s'il te plait."

Made by Neon Demon

Heureusement que je n’ai pas besoin de reprendre mon souffle, car ma respiration se bloque totalement et je laisse Nath étaler ce qu’il a sur le cœur, regrettant d’avance que mon excuse bidon est déjà caduque. Je pince les lèvres et reste sur le pas de la porte, ma veste toujours sur les épaules et immobile telle une statue de cire. Il a veillé toute la nuit, inquiet, impossible de me joindre évidemment puisque mon portable est quelque part comme d’hab’ et que je n’ai toujours pas pris le pli d’être régulier sur l’utilisation de cet appareil. Je ne baisse même pas mon regard, devinant amplement le contenu du papier en question. Y’a pas quinze mille choses qui le ferait vriller comme ça.



Pour ma part, j’ai le cœur incroyablement lourd et la sensation ne fait que croître. De un, j’ai l’impression d’avoir été trop loin et d’avoir lu le contenu de sa tête sans y avoir été invité. De deux, ce chat est un traître et je me garde dans un coin de la tête qu’il sera privé de câlins pendant au moins … jusqu’à ce que je craque parce que j’aime les câlins. Sentant que c’est à mon tour, je prends le temps d’ôter ma veste, mes chaussures, déposer les clés dans le bol de l’entrée et venir m’assoir en face de lui. Cette fois-ci, mon regard va de lui à la feuille deux ou trois fois, l’aller-retour m’aidant à me remémorer autant le contenu de la liste que la question du brun à laquelle il attend une réponse de ma part.



« J’suis pas débile, je le sais que cette liste a existé … existe et c’est normal. Tout le monde fait ce genre d’exercice pour une décision importante. »



C’est ma façon de lui dire que je ne lui reproche rien dans tous les cas, mais ça, il doit s’en douter. L’éternel problème, c’est l’autoflagellation que je m’inflige.



« J’ai juste l’impression d’être un connard égoïste de te l’avoir demandé. »



Vous connaissez cette sensation désagréable, comme une douleur qui part de la mâchoire à chaque mot qu’on prononce, puis descend, serre la gorge, éclate le cœur sur son passage, noud les intestins ? Je passe mes mains sur mes lèvres, comme si j’avais pu les empêcher de s’ouvrir. Je soupire.



« C’est con quand même, on a beau pas réussir à se parler souvent, tu savais déjà ce que j’allais te dire autant que je sais ce que tu en penses … C’est peut-être pour ça aussi qu’on arrive pas à communiquer. »



Une autre fois, cela m’aurait paru adorable et m’aurait arraché un sourire, mais aujourd’hui, ce n’est pas l’ambiance. Cette évidence me crève le cœur. C’est encore moi l’imbécile qui gâche tout.



« Après tu veux jouer carte sur table, t’es fatigué et faut que t’ailles dormir, alors ok, je vais pas tourner autour du pot. Compte pas sur moi pour lancer l’initiative pour te transformer. Je n’y arriverais pas. »



Je mords ma lèvre, mais c’est déjà trop tard, les mots sortent plus vites que ce que je ne m’y attendais et maintenant que l’abcès est crevé, je vide mon cœur de tous ses doutes.



« J’ai l’impression que tout m’appartient, que je t’impose le mariage, je t’impose cette vie nocturne et que j’organise tout. Je te laisse quoi comme place à ce que toi tu imaginais pour ton futur ? Ah et me dis pas que c’est moi aussi ton futur, je le sais, mais là … »



Et je pointe du doigt l’une des lignes évoquant Elaine.



« Elle aussi c’est ton futur et j’suis là à comploter comme un con pour tuer son père ? J’ai pas envie aussi de la perdre, je l’aime. »



J’ai jamais eu la chance d’être père avant qu’Elaine me donne cette lueur d’espoir. Je n’arriverais pas à imaginer ma relation se détériorer à cause de mes envies de princesse. C’est vrai, je rêve d’avoir une « fin heureuse », me marier avec l’homme que j’aime et, dans notre cas, vivre pour la nuit des temps à ses côtés. Mais c’est mon rêve. Je ne peux pas faire comme si Nath n’en avait pas. Le déséquilibre est là. Toutes les demandes viennent de moi et lui doit faire ce genre de listes affreuses. Je n’ai pas souvenir d’avoir jamais dû en faire une seule fois pour un choix du brun.



Le pire c’est qu’à chaque fois que je croises son regard, j’ai l’impression d’y lire le fond de sa pensée, sa fatigue aussi et je me dis que c’est vraiment pas le moment pour aborder tout ça. Mais c’est fini de fuir, je l’ai fait une fois et j’ai risqué de le perdre, je ne réitérerai pas l’exploit.

Made by Neon Demon

Je le savais que fallait pas qu'il garde tout ça pour lui, mais j'avais pas pensé qu'il en avait autant sur le cœur non plus. Comme quoi j'ai bien fait de m'offrir une nuit blanche, sinon il serait probablement venu se coucher comme si de rien n'était et on aurait mis encore un peu plus de poussière sous le tapis. J'peux même pas l'accuser qu'on avait dit qu'on le ferait plus, j'suis le premier à en faire de même. Preuve en est cette liste, dont j'aurai du discuter avec lui plutôt que de me débrouiller seul dans mon coin. C'est ça le problème. Appelez moi pour aider n'importe qui, je suis là. Dites moi de vous appeler quand j'ai besoin d'aide, vous risquez d'attendre un moment. Même si j'ai besoin d'aide à peu près tout le temps et que j'en suis conscient.

"Et moi j'ai l'impression d'être un connard égoïste de pas avoir posé cette fichue liste à plat sur la table avec toi dès le départ. Non mieux. D'y réfléchir avec toi. En prime j'suis sur que j'ai tout faux sur un tas de trucs. Surtout quand on réfléchit qu'un truc qui est contre le matin se retrouve pour l'aprem... c'est vraiment n'importe quoi."

J'acquiesce en silence quand il m'avoue enfin que malgré que c'est lui qui pousse pour ça, il n'a pas plus envie que ça de me transformer. Ca, je m'en doutais un peu. Ca a été un truc traumatisant pour lui, et même si il veut arrêter de regarder le sablier se vider chaque jour que je me rapproche de ma date de péremption, j'le reconnais bien à ne pas vouloir me faire subir la même chose, intérieurement. Point numéro quelque chose de la liste d'ailleurs, Dante et ses remords. Dante qui s'en voudrait si je faisais du mal à autrui, voire à Elaine ou n'importe quel membre de notre famille. Dante qui se boufferait les doigts de me voir tourner en rond comme un lion en cage dans l'appart en attendant que le soleil daigne me laisser sortir, et j'en passe. J'suis sur qu'en y regardant, y a plus d'arguments qui le concernent lui que ceux qui me concernent moi. Parce que j'suis comme ça, j'pense aux autres avant de penser à moi-même... et encore, je suis très loin d'égaler Shawn en la matière. Non j'dis ça parce que j'ai du lui servir la même sauce le mois dernier, à Shawn, on va dire que j'réédite après.

"J'suis pas Max." Ouais, ça j'crois qu'il est au courant, bravo champion. J'veux dire que j'prévois rien. Si tu me demande où j'en serais dans cinq ans, ben j'te répondrais qu'on verra bien dans cinq ans où j'en serais. J'ai jamais prévu de me marier à 18ans, de dev'nir père à 18ans, de perdre l'intégralité de cette stabilité que j'avais réussi à gagner quatre ans plus tard, ou même de bosser dans ce foutu bar. J'm'y suis fait, et j'saurai pas faire autre chose aujourd'hui, mais si on m'y avait pas trainé par le colbac, j'y serai pas allé de moi-même. Tout ça pour dire que toi t'as l'impression de m'imposer ma vie, moi j'te réponds que j'ai besoin de ça, qu'on me donne des trucs à prévoir. Et j'te rassure, si j'étais totalement fermé à tes idées, tu le saurais. Me semble que t'as pris le plus beau vent de l'histoire complète des demandes en mariage quand t'as essayé. Si j'te dis oui aujourd'hui..."

Je marque une pause, autant pour me rappeler de respirer que pour me lever de ma chaise pour venir m'installer en travers de ses jambes, un bras autour de son cou.

"Si j'te dis oui aujourd'hui, c'est que j'en ai envie. D'accord, le concept en lui-même, j'suis toujours autant contre, mais c'comme de sauter en parachute. Personne en a envie, et pourtant avec la bonne compagnie, y en a qui le font. Idée que tu peux oublier dès à présent, ja-mais je saute de là-haut. Ja-mais tu me fous le cul dans un avion déjà!"

Jamais dire jamais il parait? Oui je sais, jamais ça peut être long à prévoir, surtout quand on parle d'éternité, et qu'on prévoit jamais rien deux jours à l'avance. Bref, je reste accroché à son cou alors que je parcours des yeux la fameuse liste dont j'ai surement du oublier plus d'un détail, quand il tique sur un point important. Elaine.

"Concernant Elaine, j'croyais que l'idée de me transformer était de m'éviter de finir entre quatre planches six pieds sous terre? Lui éviter d'avoir à enterrer son paternel, c'est ça ton argument?"

Je prend volontairement le contre-pied de son argument alors que je sais qu'il y en a tant d'autres la concernant. Du genre que moi, je compte pas avoir à enterrer un autre enfant. Celui-là, soyons honnêtes, il l'enlèvera pas des contres, même si on met le gosse de Silas dans la balance pour dire qu'au milieu des immortels, on pourrait imaginer que dans les décennies à venir, ma fille franchisse ce même pas. J'en sais rien, je compte pas décider pour elle et on sait même pas si ça va tenir un dix ou cent ans avec Tom alors la charrue, attendez d'avoir acheté les bourrins avant de la sortir de la grange.

"Je sais que tu l'aimes, et j'suis sur qu'elle t'aime en retour. Ca aura été la seule bonne idée de ma longue carrière d'abruti fini. Eviter de lui présenter de nouveaux péquins à tour de bras et attendre le bon. Au moins elle se demande pas si tu vas avoir décarré tous les quatre matins."

Bon par contre, j'sais pas où on ira lui et moi, mais si jamais ça foirait, j'espère bien qu'il couperait pas les ponts avec elle non plus. Ca serait pas juste pour elle, et c'est sans doute ça que je lui pardonnerais pas.

Made by Neon Demon

Parfait, on est deux connards égoïstes comme ça … qui se ressemblent s’assemblent, non ? Pas que je pense cela de lui le moins du monde, mais si on est deux à penser se définir de la sorte, c’est qu’il doit bien y avoir un filon à explorer. Ben oui, on aurait peut-être dû faire ça à deux, mais je ne m’attendais même plus à ce que le brun revienne vers moi à ces propos. J’étais plutôt partie pour un jour lui reposer la question et qu’un jour il finirait par céder. En attendant, c’est lui qui a tout posé, mais tout s’est fait dans l’ombre de l’autre et je me retrouve à me rendre compte de ce que je savais déjà … C’est stupide, j’aurais aussi pu m’en douter et revenir vers lui pour lui demander ce qui l’avait poussé à accepter tout cela. C’est même pas à défaut d’avoir envie parce que la bête au fond de moi en aurait toujours plus ou moins envie de le voir rejoindre les rangs des noctambules et l’amoureux transi ne saurait le contredire. C’est le rationnel, l’humain persistant qui me fait gagner la raison, le père aussi que j’ai envie d’être pour Elaine.

Heureusement qu’il est pas Max, je ne peux réprimer le sursaut d’un de mes sourcils avant qu’il n’enchaîne pour m’expliquer son idée derrière.

« J’y pense, mais j’ai toujours était plus ou moins comme ça, sans doute plus depuis que je suis mort. »

Etonnement, j’ai commencé effectivement à vraiment planifier chaque année de ma vie lorsque j’ai repris les rênes. Je n’ai pas envie de lui imposer quoi que ce soit, mais il me rassure à me dire que finalement j’apporte une part d’équilibre, l’inverse étant vrai également puisqu’il m’a aidé à être plus spontané. Lorsque mon homme se lève, je le suis du regard jusqu’à ce qu’il s’asseye sur mes genoux. Il est doux, il sent bon et ses mots m’apaisent. Je me faisais une telle peur de cette discussion qui finalement ne se déroule pas si mal. C’est terrible d’être aussi lâche que moi.

« Y’a pas de saut de nuit. »

Je cale mon nez dans son cou, hyper sérieux. J’ai regardé, mais aucune compagnie ne fait de saut en parachute de nuit. Moi j’avais envie d’en faire un … j’avoue.

« Et ben oui, justement, c’est pas naturel d’enterrer son enfant … et quand je veux dire que c’est ton futur, je parle plutôt de l’ordre naturel des choses et d’autres que tu ne devrais pas … revivre. »

Le petit Oliver a marqué Nath au fer rouge et pour toujours. Perdre Elaine, je ne préfère pas imaginer ce jour. Pour ma part, je ne sais pas comment cela m’affectera. J’ai déjà eu plus de trente ans pour me faire à l’idée que je verrais mourir tous ceux que j’aime, mais je m’étais aussi promis de ne plus aimer et ça, c’est raté. J’en ai deux qui se sont greffés à ma vie et que je ne délogerai pour rien au monde.

« C’est le plus beau cadeau que tu m’as fait, m’autoriser à entrer dans sa vie … J’ai toujours voulu être papa, avoir un enfant, et Elaine, c’est ni plus ni moins la place qu’elle a dans mon cœur. J’ai pas envie d’être celui qui lui enlève son père comme elle le connaît. Je sais moi, que tu changeras pas drastiquement en te transformant. Tu vas toujours être l’homme que j’aime, mais ça va quand même impacter ta relation avec elle. Tu vas forcément la voir vieillir et j’ai pas envie qu’un jour tu me le reproches. »

Je soupire. Embrasse sa nuque et l’enlace totalement. S’il voulait une retraite, je viens de la lui enlever. Je ne le lâcherai plus et s’il faut le porter jusqu’au lit, je le ferais.

« J’ai pas envie de reprendre ta liste, j’ai pas envie d’en reparler, j’ai peur qu’on annule alors que j’en ai quand même aussi terriblement envie, je supporterais pas de te perdre … »

Je suis épuisé, pas de la même manière que mon cher et tendre, mais une fatigue psychologique. Je me torture depuis tellement longtemps. Heureusement qu’il me ramène à la raison et stoppe la flagellation.

« Je sais que je dois te laisser le temps, mais ça m’angoisse. C’est de l’indéfini et je pense que j’ai besoin que ça soit toi qui gère pour cette partie de nos vies. Le mariage, je m’occupe de tout, je sais que c’est pas ton kiff, mais j’ai envie que tu passes une bonne journée et que le jour J, tu sois heureux de t’endormir à mes côtés. Pour l’autre … c’est toi qui va décider quand en parler à Elaine, quand tu te sentiras prêt et là, je veux bien être celui qui te transforme … et personne d’autre, je crois pas que je supporterai qu’un autre le fasse. »

Faut pas déconner, je laisse pas un autre vampire poser ses crocs sur mon homme. Même Silas. Je resserre mon étreinte, incapable de le laisser filer. J’ai passé la nuit dehors à l’éviter pour rien et maintenant je refuse de m’en éloigner. L’amour me rend fou, mais une folie qui me permet de conserver ma santé mentale.

« J’ai pas fouillé non plus, la liste était sous le meuble … j’ai pas fini le ménage … »

Je dis cela d’un ton empreint de culpabilité. Je me doute qu’il s’en contrefiche que j’ai fait ou non la poussière. Je sens le corps de Nath s’alourdir. Il doit même plus avoir le courage de répondre à ma connerie et le gros de notre discussion étant passé, j’imagine que son cerveau est en train de se déconnecter ou alors je le serre trop et sa empêche d’oxyder ses neurones.

Made by Neon Demon

"Que t'as été transformé."

Oui, je le reprends sur le "je suis mort" une fois encore. A force qu'il le répète, j'vais me sentir l'âme d'un nécrophile, et au milieu des détours que j'ai pu prendre dans ma vie, les déviances sexuelles ça n'a jamais été mon truc... bon, si on écoute feu mon père, mon histoire avec Dante toute entière est une déviance, mais celle-là, je plonge dedans sans l'ombre d'une hésitation.

Je lui offre le regard le plus choqué du monde quand il me répond le plus simplement du monde que y a pas de sauts en parachute de nuit. Parce qu'il s'est renseigné en plus? Sans moi, j'ai beau apprécier les apparts en hauteur, là où les seuls qui montent te faire chier sont ceux qui ont une bonne raison de te faire chier (donc pas les vendeurs de tapis slash gosses d'Halloween slash témoins de Jehova), je suis toujours malade rien qu'à l'idée de regarder en bas en étant monté sur une chaise. Y a pas à tergiverser, le vide et les hauteurs, c'est sans moi.

"Le ciel soit loué."

Je sens son nez dans mon cou, me chatouillant légèrement sur son passage, alors qu'il me parle du sujet qui blesse, Elaine et le fait que si je le rejoins dans son éternité, je serais certainement condamné à la mettre en terre un jour. Je prend le temps de réfléchir sérieusement à ce qu'il me dit, aux faits en eux-mêmes et à la réponse que je compte y donner avant de me lancer, sachant que c'est LE point où il a les plus fortes chances de réussir à me convaincre de ne pas le suivre. Oui parce que si moi j'adore me saborder, Shawn devrait avoir une conversation avec cui-là c'moi qui vous le dit...

"On est d'accord que c'est ce que je dit aujourd'hui, alors que l'échéance est loin devant nous. Mais je préfère songer à perdre ma fille après qu'elle ait eu une vie bien remplie plutôt que de n'avoir pas eu la chance de voir grandir mon fils. Ne pas savoir ce qu'il aurait aimé, ce qu'on aurait pu avoir en commun ou ce qu'il m'aurait détesté de lui avoir refilé... même le son de sa voix m'est parfaitement inconnu."

Je le sens me serrer plus fort contre lui et je prend une inspiration tout en glissant mes doigts dans ses cheveux, jouant un instant avec les mèches de sa nuque, essayant de compartimenter cette discussion pour faire l'impasse sur les sujets qui fâchent.

"J'parlerai à Elaine. C'est pas à toi d'avoir cette conversation avec elle. Pour le reste, me demande pas de te donner une date ou une heure précise. Ca s'fera quand ça s'fera. On l'saura. J't'ai jamais fait le coup de la migraine à ce que j'sache. C'est bien qu'on arrive à s'accorder toi et moi, non?" Je fronce les sourcils un instant, quand il me dit qu'il ne compte pas laisser un autre que lui-même se charger de la besogne. "Moi non plus. J'veux pas des crocs d'un autre que toi dans ma carcasse. J'ferai pas confiance à un autre que toi pour ça."

Je dépose un baiser sur le coin de ses lèvres avant de glisser mon nez dans son cou, acceptant enfin de me laisser aller à fermer les yeux maintenant que la situation a l'air réglée entre nous. Au pire, si reste des trucs en suspens, ça attendra demain... ou plus exactement tout à l'heure, mais là, je prends deux heures pour dormir, et dans les bras de mon mec, c'est encore mieux.
Bon ok, au bout de deux heures, je me contente de grommeler un "on s'en fout du ménage" comme si ça faisait pas deux minutes qu'il m'en avait parlé, avant de me lover davantage contre lui et replonger. J'vais peut-être pas voir la journée en fait.

Made by Neon Demon

Oui, oui … Transformé par mon cher Silas. Au final j’ai aussi de la chance que ce soit lui qui a fini par planter ses crocs dans ma chair. Plus j’y pense et plus ça me soulerait d’apprendre que ce soit un autre qui me dégoute. Genre le connard de vampire qui bute tout le monde sans un remord. Sur à 200% Que je serais du genre à porter la responsabilité des morts d’un type pareil. Avec Silas, je n’ai pas à me poser la question, je sais qu’il est réglo dans sa manière de tuer … puisqu’au final je me suis calqué plus ou moins sur sa méthode pour choisir aussi mes victimes.

J’ai un léger soubresaut de rire en l’entendant, rassuré et exagéré sur la possibilité de faire du saut en parachute de nuit … il abuse quand même. Ça aurait pu être fun, passons, je trouverais bien moyen quand même de le faire monter dans un avion une fois … surtout si je lui dit où je prévois la lune de miel !

Bien sûr, il ne rate pas de reprendre chacun de mes arguments minutieusement et ça me rassure. J’m’imaginais porter un poids qu’il assume déjà, le plus logique serait que je me fasse à l’idée simplement que tout n’est pas de ma faute et qu’il est un adulte responsable avec notre fille. Bon, c’est pas ça le problème, je le sais ça, c’est plutôt ma part réelle de culpabilité qui m’handicap.

« T’as pas intérêt à me faire le coup de la migraine … »

Ça ou pour n’importe quelle autre proposition d’activité, sinon je le mords … mauvais choix de mots peut-être … Pour ce soir, je suis pas d’humeur à demander autre chose que des câlins, mais des gros par contre. Je veux pas me décrocher telle une moule sur son rocher. Version un peu plus sexy si possible. Le sentant relâcher la pression et s’affaisser entre mes bras, j’esquisse un sourire. Ce soir, je me la joue prince charmant. Je le titille une dernière fois pour l’installer à califourchon sur moi avant de me lever en le portant entre mes bras.

« Au lit chaton … Tu l’as bien mérité … »

Même pas sûr qu’il l’entende vraiment, mais j’ai un grognement en réponse. Je prends cela pour un oui et rejoins la chambre parentale pour l’installer entre les couvertures, virer son fute (et ses chaussettes, jamais Ô grand jamais on ne me fera dormir à côté de mon mec s’il porte des chaussettes) et me glisser à ses côtés. Je n’ai aucun doute sur le fait que je ne dormirais pas, même fermer les yeux serait vain, mais j’ai bien enregistré son dernier message comme quoi on s’en fout du ménage … Pour ce soir, je capitule et demain aura vite fait d’arriver de toute façon.

Made by Neon Demon