Attends moi ce soir - ft Nath & Dante

Ce soir est nuit de chasse. L’agence a un dossier sur le feu depuis des mois et enfin, ce soir nous arrivons à la conclusion théâtrale. Le tueur que je recherche a eu maintes fois l’occasion d’exposer ses talents autant dans l’art de disparaître que celui de marquer les esprits. La police aussi est sur le coup, mais de nombreuses fois il m’a fallu user de méthodes non conventionnelles pour parvenir à le percer, mettre à jour son identité et arriver enfin à cette nuit. Nath me sent stressé depuis des semaines et j’ai vaguement décrit les différentes scènes jusqu’à celle de la cabane sur l’île mystérieuse et la découverte du corps de la jeune femme, du passage entre les deux lieux. Je n’ai pas parfaitement triangulé la position du passage du côté de Chicago, mais approximativement, cela m’a suffi. Mon homme n’a pas besoin de faire les mêmes cauchemars qui me hantent, ces visions d’effrois ont été à chaque fois plus dures, plus violentes. Difficile aujourd’hui de contrôler la colère qui m’habite et par conséquent à conserver le calme qui normalement me caractérise. Je n’ai pas le droit à l’erreur pourtant.

« Je rentre cette nuit. Si tu ne me vois pas, va retrouver Silas. »

J’ai soutenu à mon collègue que j’étais capable de me débrouiller seul et pourtant, je pense que je redoute plus de dévoiler une facette de ma personnalité que je déteste. Silas n’a pas besoin de me voir ainsi. Nath n’a pas à savoir l’immonde créature que je peux être. J’ai honte et je sais que ce soir, je ne la contiendrais pas autant que je l’aimerais. Je soupire. Il passe sa main dans mes cheveux et je lis toute l’inquiétude du monde dans son regard. Il ne me dit rien pour ne pas appesantir l’ambiance et portant, je devine tous les mots que mon homme voudrait me dire.

Je pose ma perle dans le bol sur le buffet et lance un dernier sourire au brun avant de franchir le seuil de la porte. C’est pour cela qu’il faut que je rentre également. Au levé de l’astre du jour, mes pouvoirs faibliront, l’autre pourrait prendre le dessus et je ne peux pas assurer de survivre si le combat se prolonge jusque-là. Une longue inspiration futile et j’essaye de garder mon calme. Mes pas me portent à la vitesse du vent et je traverse la ville plus vite que prévu. Le soleil n’est pas couché depuis longtemps laissant une atmosphère tamisée où les ombres prennent de longueurs titanesques. Lentement, mais surement, l’oppression que sait générer ma cible se fait ressentir. Je ferme les yeux et prends le temps d’apprivoiser l’environnement qui m’entoure. Pour l’instant, aucune raison de croire qu’il m’a détecté. Je me fonds dans la noirceur de la nuit et avance à pas calfeutrés. La forêt autour de moi devient de plus en plus dense et étouffante. Un hurlement transperce la nuit. Humain ou animal … animal définitivement. Je m’arrête toutefois plusieurs minutes pour laisser le temps à la nature de reprendre sa rumeur. Au loin, l’odeur de brûlé. Celle de la chair humaine. Je serre les dents et mes ongles pénètrent la paume de ma main lorsque je ferme mes poings. La colère. Cette colère grandissante. Je me paralyse une fois encore en espérant que mon calme revient. Rien n’y fait et c’est de pire en pire. Moralité, je finis par presser le pas. Finalement, il vaut mieux que je l’atteigne avant de devenir sauvage, aussi sauvage que lui, aussi meurtrier qu’il l’est. Si cela est possible encore, j’ai l’impression de sentir bouillir mon sang, chaque fibre de mon corps se tend et bien que cela signifie paradoxalement que ma force est décuplée par la rage, je n’ignore pas que ma discrétion et ma précision en prenne grandement un coup. Ma vélocité reprend de plus belle et j’atteins son encombre la porte de la cabane que je fracasse sans vergogne. Le souffle de mon entrée n’est pourtant pas là pour effrayer le criminel en puissance qui hante ses lieux. J’ai été grillé et j’entends un rire vicieux venant des dédales de couloirs à l’étage. En retour, je grogne comme une bête.

« T’es mort ! »

La vision qui s’offre à moi est sans équivoque. Il savait que je venais. Il m’attendait. La femme morte devant moi dans une position infernale et écrit avec son sang une citation de Dante Alighieri « Dans l'enfer, les places les plus brûlantes sont réservées à ceux qui, en période de crise morale, maintiennent leur neutralité. ».

Le plus terrible est de l’entendre hurler sa citation en temps même que je la découvre. J’ai envie de tout dévaster, de hurler. Sa cruauté n’a pas de limite. Je vois rouge et ma fureur m’entraîne à sa suite. Je grimpe les escaliers quatre à quatre et ce n’est qu’en sentant la lame s’enfoncer profondément dans mon thorax que je finis par comprendre mon erreur. Il a piégé l’endroit. Un mur se forme derrière moi et m’empêche de redescendre, je n’ai plus d’autre choix que d’avancer. Le retrait du poignard m’arrache un cri et un rire me répond, n’accentuant que plus fortement mon état d’esprit. Je jette au loin le couteau qui se fiche dans le mur et j’avance plus déterminé que jamais à l’exterminer. Il s’en va ainsi pendant trois heures durant qui me semblent un éternité où j’endure à tomber dans chacun de ses artifices sans me résoudre à faire retomber ma colère. D’autres citations plus glauques recouvrent les murs, des morceaux de corps humains illustrant parfois les propos. Toutefois, ma persévérance finie par payer et le voilà qui me fait face. Le démon inférieur qui se tient devant moi a évolué parmi les hommes depuis longtemps et se réjouit uniquement de les voir souffrir. Il a dû arborer bien des identités depuis deux cents ans, mais aujourd’hui, son règne de terreur prend fin. Aujourd’hui, il meurt.

Le plus inconvenant est qu’il n’attendait que cela, que je me jette aveuglément sur lui et une flamme me lèche le visage, me brûlant, sans m’empêcher de finir ma rue. Je le plaque contre le mur et vise son visage de mes poings. Le feu qui me ronge le faciès s’étend jusque sur mon torse et lorsque ses mains se plaquent sur moi, je hurle d’une douleur que je sais ne partira pas de sitôt. Je recule et m’effondre. Pourtant, il a méprisé ma force, je n’abandonnerai pas. Il ne me reste que 2 heures avant le lever du soleil. Je bondis une fois encore et mes attaques se veulent de plus en plus perfides, je redouble, triple mon agressivité et utilise mes bottes secrètes. Je lui jette au visage une flasque d’eau bénite, rien de bien sorcier, mais l’effet est immédiat et c’est à son tour de souffrir. Un sourire démentiel se peint sur mon faciès et je multiplie les coups et les projectiles.

30 minutes avant le lever du soleil … je franchis le seuil de la porte. Allumant un briquet, j’enflamme la demeure du démon. Mon corps se maintient par une force que je sais ne pourrais contenir bien longtemps. Je sais aussi qu’il me faudra plus de temps pour rejoindre la maison que je n’en ai. Un soupire franchit mes lèvres et je m’aventure au moins jusqu’à un endroit où j’avais dissimulé mes biens avant de partir au combat. Mon cœur bat la chamade, enfin, façon de parler. Je prends mon paquet de cigarettes et m’en allume une au coin de la bouche avec toutes les difficultés du monde pour la maintenir entre mes lèvres. Après quelques bouffées, je prends également mon téléphone et envoie un sms à Nath.

« J’arrive. »

Je sais pas comment, mais j’arrive mon cœur… Je m’effondre contre le tronc de l’arbre et ferme les yeux. J’ai l’impression d’être disloqué, une poupée de chiffon démantibulée. Le soleil pointe son nez et je sens quelqu’un jeter une cape sur mon corps … un bienfaiteur ?

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Je ferme les yeux et tente vaguement de sentir les odeurs qui m’entourent. La première est celle de ma chair cramée ce qui explique largement que mon sens de l’odorat soit amoindri. Je suppose que mon nez a dû griller lui aussi et mes terminaisons nerveuses en majorité également. La seconde odeur finit de m’apaiser. Silas. Je souffle de soulagement et le laisse m’agripper comme il peut pour m’aider à marcher. Le soleil n’est pas encore véritablement levé, mais cela ne saurait tarder et je n’ignore pas que ni lui ni moi ne pourrons survivre. Il me lâche dans une fourgonnette à l’orée du bois et me rapatrie vers la ville. Bien que brinquebalé, je tombe dans une léthargie salvatrice et laisse mon corps heurter librement les parois métalliques ? J’ai de toute manière bien trop mal pour me tenir et ce n’est pas cela qui empirera mes souffrances. Il est encore tôt, mais l’astre du jour est de plus en plus matinal lui aussi. Surpris, c’est une troisième odeur qui m’accueille lorsque la porte de notre transport s’ouvre. Mon homme. Batard de Silas, tu m’amènes dans cet état à Nath ! Je ris nerveusement sans arriver le moins du monde à formuler une quelconque parole. Je les entends échanger, et m’emmener jusqu’à l’appart. Déposé sur le canapé, je m’enfonce une fois encore dans les limbes, incapable de m’en sortir.

J’ignore combien de temps s’est écoulé. Des heures ? Des jours ? Des semaines ? J’ai l’impression d’être une pierre, d’avoir enchaîné des phases de délires et d’autres de noir le plus complet. Je sais que les lames du démon étaient empoisonnées. Je sais que son feu surnaturel aura mis du temps à laisser ma peau cicatriser, mais je pense aussi que d’avoir autant permis à la bête jaillir du fond de mon être a causé aussi bien des dommages. Je me redresse difficilement sur mon séant. Le store fermé occulte totalement la fenêtre et il m’est impossible deviner s’il fait jour ou nuit au dehors. Je masse mon crâne encore endoloris pour découvrir qu’une partie de mes cheveux a déjà recommencé à pousser. Ma crinière va se faire désirer je le sens … je soupire et me découvre du drap de notre lit. Je ne veux pas allumer la lumière et rencontrer mon reflet. Je ne me considère pas comme superficiel, mais j’aime mon apparence et j’accorde beaucoup d’importance à ce que je renvoie à mon cher et tendre. Il s’en fiche royal, on est d’accord, ce n’est qu’une autre excentricité de ma part. Je passe donc mes mains sur mon visage, mon cou, mon torse. La chair est encore boursouflée à certains endroits et je l’imagine parfaitement d’une teinte rosée. Je cède à la tentation de voir si mon homme est présent et ouvre délicatement la porte de notre chambre. Cette fois-ci, les volets sont ouverts et je suis soulagé de constater qu’il fait la nuit la plus totale. Sans doute aussi pour cela que je me suis réveillé. Je me sens en meilleure forme. J’exécute un tour rapide des lieux pour me rendre compte à l’évidence. Nath n’est pas à la maison. Je déambule donc à la recherche d’une poche de sang pour assouvir ma faim grandissante. Il semblerait que mon collègue soit allé chercher de quoi ravitailler nos stocks en mon absence comateuse. Je lui envoie un merci silencieux. J’ai tellement faim qu’il ne me faut pas moins de trois poches pour me sentir un minimum rassasié. Aucun doute qu’un tour en salle de saignée sera nécessaire. Je m’essuie un coin de la bouche pour éviter de laisser perler la dernière goutte d’hémoglobine et continu de marcher dans le noir. Je sens bien que mon œil gauche ne voit que partiellement. Les flammes n’ont rien épargné. Je gagne le canapé et me blottit en position fœtale, tirant à moi la couverture pour me couvrir. Le chat me feule dessus. Zut, je n’avais pas vu qu’il dormait dessus le pauvre. Il se carapate rapidement et je retrouve l’engourdissement. Tout devient brumeux et je plonge dans un sommeil sans rêve encore une fois. Ce n’est que quelques heures plus tard que le cliquetis de la serrure me sort de mon état comateux brièvement. Malgré mon bonheur de savoir mon chaton de retour, je n’arrive pas à puiser assez de force pour me tirer des limbes plus longtemps. Je ressens toutefois sa douce présence lorsqu’il s’assied à mes côtés et m’enlace. C’est la dernière chose dont je me souviens avant encore plusieurs temps.

J’ai dû re-sombrer profondément puisque me voilà à devoir repartir de la chambre. Cette fois-ci, je me sens de meilleure constitution et je bondis presque du lit. Lorsque mes doigts effleurent mon faciès, un sourire se dessine. Certes, ce n’est pas encore ça niveau cheveux ni cicatrice, mais le progrès est évident. J’ouvre la porte et la nuit m’accueille une fois encore. Toujours rien d’étonnant. Toutefois, le petit matin ne semble pas loin et je m’en vais chercher ma perle. Introuvable. Je fronce les sourcils. Tant pis. Je me contente de fermer les stores avant de me diriger vers le congèle. Seulement deux poches, ça s’améliore. Je soupir de soulagement, me rendant compte que je ne sombrerais plus cette fois-ci. Je n’ai plus qu’à attendre mon cher et tendre.

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J’ai opté pour un raccourcissement général de toute ma surface capillaire puisqu’apparemment, mes cheveux opposent une grande réticence à repousser correctement sur ma chair encore en cours de cicatrisation. C’est long. Y’a que moi que ça fait râler, Nath se fiche assez grandement de la longueur de mes tifs. Ce qui en revanche ne passe pas, c’est mon comportement irresponsable de ce fameux soir. Je lui dois beaucoup d’avoir contacté Silas, pas sûr que je n’aurais pas fini en barbecue sous mon arbre. Il le sait et il m’a amplement fait comprendre que je ferais mieux de m’abstenir d’une telle connerie la prochaine fois … Mais bon, je suis un éternel débile et je sais très bien enchaîner les bourdes ! Pour l’instant, je n’ai pas encore fait un véritable retour à l’agence. Un saut rapide, histoire de récupérer des dossiers et une brève discussion avec mon collègue pour convenir que je m’occuperais plus de la paperasse pour le moment. Des affaires à classer ou d’autres à reprendre qui traînent par manque de temps, des factures à envoyer également ou encore des courriers reçus à lire. Je ne manque pas d’occupation. La table de la cuisine est devenue mon second bureau au grand bonheur de mon homme qui me découvre partiellement bordélique quand je le veux. Lui continu ses aller-retours entre la maison et le travail. Pour l’instant Elaine n’est passé que quelque fois prendre de mes nouvelles, mais je me doute qu’elle doit bien être occupée par ses études.

Epuisé, je cède à l’envie qui me titille depuis un moment et lâche mon dossier, le laisser en plan sur la table. C’est pas parce qu’on est mort qu’on doit sentir tout comme. Mon état cadavérique ne m’a jamais empêché d’apprécier un bon bain et je m’en vais profiter d’être seul à la maison pour me détendre. Je passe devant le canapé et grimace en voyant mon violon laissé à l’abandon également. J’ai joué quelques notes et oublié de le remettre dans son étui … cela ne me ressemble pas, mais je suis extrêmement tête en l’air ces derniers temps. Fatigué, je le sais. Mon corps puise énormément de ressource pour se régénérer et j’ingurgite des quantités astronomiques de sang pour éviter de devenir fou. Du coup, j’oscille entre cette asthénie constante, un appétit fluctuant souvent vers des sommets et une incapacité à me concentrer assez longtemps.

Me découvrant totalement, je regarde mon reflet inexistant dans le miroir. J’ai tellement craint de me voir défiguré que j’avais complétement zappé que cela fait belle lurette que plus rien ne me reflète. Je pose ma main sur la surface lisse et froide. Toujours moins que ma peau. Mes côtes brisées se sont reconsolidées, mes entrailles perforées ont cicatrisé, il ne reste presque plus que mon épiderme, mais les flammes démoniaques sont résistantes et la douleur qu’elles génèrent est encore ancrée, m’empêche de me reposer sous peine de me réveiller en hurlant. Du coup, je dors très peu. Théoriquement, je n’ai besoin de rien, mais la guérison serait plus rapide si j’y parvenais. Je me glisse dans l’eau brûlante du bain. Un humain normal ne pourrait pas se permettre ce luxe avec une brûlure au troisième degré. Je le peux. La douleur explose au début, puis mon corps s’engourdit lentement et je peux enfin me détendre à proprement parler. La vapeur envahit la pièce et j’attrape mon téléphone pour lancer de la musique sur l’enceinte bluetooth. Dans la même veine que ma peau, mon œil retrouve progressivement ses capacités. J’ai cru comprendre que mon iris avait viré au blanc au début, puis elle a fini par reprendre sa couleur bleue sans pour autant atteindre la même acuité visuelle dont bénéficie le droit.

Seul le temps nous le dira, mais je devine que ce combat marquera indéfiniment ma chair. Je croise les doigts pour que ma vue revienne complétement. Silas s’est arrangé aussi pour faire parvenir quelques onguents qui améliore les choses et je prends un malin plaisir à réclamer à mon homme qu’il vienne me tartiner. Pas qu’il rechigne à la tâche, mais plutôt que cela fait ressurgir la bêtise dont j’ai fait preuve et il me relance toujours un petit mot sur à quel point j’ai été stupide avant de céder à plus de tendresse. Le temps s’écoule lentement et c’est en entendant le cliquetis familier de la serrure que je me décide à sortir de ma torpeur. Je me sèche rapidement et enfile un peignoir de bain pour retrouver mon homme. Il me montre la perle, récupérer auprès de Silas. Le vampire l’avait emprunté pour retourner en toute sécurité chez lui après m’avoir déposé. Il l’a utilisé un temps et la voilà de retour, sans doute est-il simplement passé au bar de Luther pour l’échange. Je grimace. Ok, je vais pouvoir recommencer à ouvrir les stores la journée et le chat m’en sera reconnaissant, mais rien que de la voir et déjà je sens une pesanteur qui m’incommode. Je le regarde la déposer dans le bol du buffet avant de me rejoindre pour un baiser plus agréable. Si seulement je pouvais prendre soin de lui autant qu’il prend soin de moi, à chaque instant, j’espère pouvoir lui rendre la pareil et je le serre dans mes bras.

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