Ce que je peux détester quand le boulot de Lesbus l'éloigne de la maison pour plusieurs jours comme c'est encore le cas maintenant. D'accord, ce que je déteste le plus, c'est le fait qu'il ne sache pas transgresser la règle du "ne pas aller respirer dehors" alors que monsieur a la possibilité de se déplacer sans passer par les portes. Enfin, j'devrais avoir l'habitude. Les procès c'est cool à la télé, quand vous regardez Law and Order sur NBC, mais en vrai, ça a l'air d'un chiant. Fin disons que c'pas la partie de nos conversations que je préfère. Même si j'adore l'expression qu'arbore mon homme quand il revient victorieux d'un procès. Moi qui pensait qu'il avait pris ce job comme une simple couverture, en fait, je crois qu'il s'est pris au jeu de la justice de ce pays. Surtout quand il peut manœuvrer entre ses filets pour obtenir la libération de son client alors même que ce dernier aurait du rester en tôle... c'pas l'avocat du diable, c'un diable d'avocat.

Maintenant que j'ai râlé, entrons dans le vif du sujet. Quand il est pas là, je prend des services supplémentaires, ça m'évite de tourner en rond dans l'appart, zapper sur 50chaines pour finir sur la Fox et scruter mon portable toutes les deux minutes pour savoir où il en est sur mon fil d'actualités archi pollué par les faits divers de Chicago. Bref, quand il bosse, je bosse. Et donc là, j'ai fini mon service depuis dix minutes, et j'ai accumulé tellement d'heures cette semaine que le patron m'a foutu dehors pour la journée d'aujourd'hui et celle de demain, donc je gare mon coupé dans le parking souterrain de l'immeuble avant de prendre l'ascenseur jusqu'à notre appart. C'est plus amusant de monter là-haut grâce à mes ailes, mais il fait jour,et il y a du monde dans la rue. Alors j'me contenterai de l'ascenseur.

La porte franchie, j'ai pas besoin de remarquer son cartable posé au sol ou la baie vitrée moins ouverte que je ne l'avait laissée en partant ce matin pour savoir qu'il est revenu. C'est un foutu sixième sens qui ne me trompe jamais. Ok, le bruit de l'eau qui coule dans la douche est un indice, aussi. Je retire ma veste et mon écharpe - le climat est plus tempéré à Illusk! - avant de m'installer sur le canapé, où j'aurai la meilleure vue possible sur la porte de la salle de bain. Faut bien que le positionnement des meubles ait un avantage, non?

Il met moins de temps que prévu à sortir de la douche, et je lâche la série que je regardais sur mon portable en l'attendant pour me relever du canapé, l'accueillant d'un baiser au coin des lèvres, la fabrique de mon costume trois pièces - uniforme réglementaire d'un maitre d'hotel qui se respecte, pas que j'aime en porter comme un certain démon qui sera pris de fièvre le jour où on le verra habillé autrement - s'imprégnant légèrement de l'humidité de sa peau.

"Je crois que je suis trop céleste à son gout pour qu'il veuille me retenir après le service. Et ça serait cruel de ma part d'user de mes charmes sur lui. Alors oui, je suis tout à toi ce soir."

Ajouter mon boss à mon tableau de chasse? Nan, c'pas dans mon programme. J'aime juste l'expression qui apparait quelques secondes sur le visage de mon fiancé à l'idée que je puisse être sérieux deux minutes. Je lui ai promis des efforts il y a un moment déjà. Je m'y tiens, que je sois convaincant ou non en le disant. Non pis, soyons sérieux deux minutes. Le démon du désir et un néphilim qui pourrait passer pour le fils dégénéré de Cupidon vu le don qu'il possède, c'est déjà assez bizarre qu'on se soient trouvés à collaborer au travail. Faut arrêter la fumette les gens.

"J't'emmène diner ce soir? J'ai envie de me vanter d'avoir piégé le meilleur parti du pays dans mes filets."

Je l'embrasse, ma main se glissant dans la sienne, avant de laisser trainer mes baisers dans son cou, jusqu'à me rappeler un détail de rien du tout. Si lui a pris une douche, moi, je dis pas non à en prendre une.

La simple sensation de ses doigts sur mon col me tire des frissons et je ne peux que laisser échapper un sourire limite arrogant quand il lance quelques piques sur mon patron. Faut dire ce qui est vrai, y a pire que mon boss, physiquement parlant, mais y a mieux aussi. La preuve est face à moi, même si l'angle de vue est pas terrible là. Une vue d'ensemble c'mieux, à ce qu'il parait, mais ça oblige à être terriblement loin l'un de l'autre. A peu près deux mètres oui, je sais.

"Aucune idée. J'préfère mater tes mains que les siennes. Mais il n'a jamais réessayé, si tu veux tout savoir. Sinon, persuasif?"

J'ai presque peur des idées qui traversent son esprit, parfois. Je crois que c'est le revers de la pièce quand on décide d'épouser un démon... quoiqu'il répondrait surement qu'il m'arrive d'être le moins angélique de nous deux, à l'occasion. Ma tentative de me révéler le plus sage des deux se verra cependant avortée. ses doigts glissant sur ma taille avant de remonter jusque dans mon cou et mes cheveux me faisant oublier les rares principes qu'il pourrait me rester. Son baiser m'achève, et sans sa question répondant à la mienne, j'aurai certainement oublié le sujet. Je finis donc par me reculer légèrement, restant assez près pour que nos lèvres se frôlent presque, juste assez reculé pour pouvoir murmurer plus que réellement parler.

"Pour commencer, prendre une douche." Je dépose rapidement mes lèvres sur les siennes. "Ensuite, j'ai entendu dire qu'un italien avait ouvert sur Oak Street. T'as besoin de vraie cuisine après trois jours au tribunal."

Et j'ai beau bosser dans le restaurant d'un hôtel relativement réputé de la ville... pour de la "bonne cuisine", faut pas trop compter sur moi. A force de passer du temps à proximité d'une brigade aussi organisée que talentueuse, j'ai la théorie, et je connais même certaines recettes par cœur... mais me demander de les mettre en pratique, là, on court au drame. Chacun ses talents. Le mien, c'est de charmer les critiques culinaires véreux espérant descendre la boutique avant même de tester.

Il a le chic pour jalouser d'un mec sur lequel je n'ai aucune vue. Mais c'est mignon, en vrai. Et légitime, étant donné que ces derniers jours, par exemple, mon patron m'a plus vu que lui. A l'instar de mes collègues, en passant. Quand on connait mon passif, on sait que je suis très mal placé pour lui faire la morale à ce sujet. Autrement que par la rigolade, bien sur. J'l'ai trompé, souvent, avec des hommes, des femmes, d'autres où c'était pas bien clair, et une part de moi en est pas fière parce que oui, ce type, c'est juste la meilleure chose qui me soit un jour arrivée.

"Tu sais que le seul contact physique que j'ai un jour eu avec lui a été une poignée de main? Et je parie qu'il s'en rappelle encore."

Il se rapproche davantage encore, possessif, ses doigts s'acharnant sur les boutons de ma chemise, qu'il finit bientôt par faire rejoindre le sol à l'instar de ma veste. Finissant par accepter que je la prenne, cette douche, mais y offrant une alternative plutôt intéressante.

"Au risque de friper à passer tant de temps sous l'eau? Tu joues à un jeu dangereux."

Je lui lance un regard narquois avant de m'écarter de lui en vue de me débarrasser de mes baskets, prenant gare à ne pas piétiner mes affaires au sol dans le mouvement. On pourrait croire que c'est pas le type de chaussure idéale avec un costume, mais essayez de tenir le service en salle en cirés et vous comprendrez mon point de vue. Même si je ne parcours pas la moitié de la distance parcourue par chaque serveur au cours du même service. Me penchant sur mes lacets, je déploie mes ailes aux plumes de corbeau dans mon dos, les maintenant aisément à demi-repliées au dessus de moi jusqu'à me redresser, ramassant mes plumes contre ma peau. D'une, les plumes aussi, ça s'entretient. De deux, si j'ai un point sensible, c'est bien la courbure de mes ailes, et ça, croyez bien que ce maudit démon n'a pas mis de temps à le trouver tout seul comme un grand.

Je reviens vers lui, défaisant distraitement la boucle de ma ceinture, faisant mine de réellement réfléchir à sa question avant de planter mon regard dans le sien.

"Surprends-moi."

"Fallait bien deux brûlures pour que ça lui rentre bien dans la tête."

Je ne peux pas dire que l’extrême bout de mes plumes soit une zone ultra sensible, ce qui explique d'ailleurs quelques froissements de plumes le long des parois étroites de la caverne dans laquelle s'est construite Illusk, quand j'y volais. La naissance des plumes, en revanche, c'est légèrement plus innervé. Ses doigts glissés à la dérobée sur la courbure de mon aile, je n'aurai pas pu passer à coté, même si je l'avais voulu. Ça, associé à la pensée que me donne son commentaire, me file un nouveau frisson qui met les plus fines de mes plumes en bazar, l'espace d'un instant, avant que le désordre ne se réorganise de lui-même, chaque plume sachant où est sa place.

"Je vois très bien où tu veux en venir."

Je suis à peine relevé qu'il s'offre l'un de ces jurons qu'il doit être le seul du pays à utiliser, avant de se plaquer contre moi, ses lèvres contre les miennes, sa peau contre la mienne, ses doigts parcourant mes plumes comme l'expert qu'il a finit par devenir au fil des années. Mon aile se rabat vers son épaule, se glissant dans son dos, alors que ses mains s'affairent à m'aider à me défaire de ma ceinture. Jusqu'à ce qu'il me repousse soudain, me poussant en direction de la salle de bain, espérant être le plus raisonnable de nous deux. Au moins pour aujourd'hui. Je peux témoigner devant n'importe quelle cours que ce n'est pas toujours le cas. Enfin, après l'avoir maudit intérieurement sur dix générations de me faire finalement préférer une douche froide à l'eau chaude promise, je repousse la porte de la salle de bain du pied pour lui barrer la vue. Simple bouderie d'ado puéril.

Je me prend le jet d'eau froide comme une claque, acceptant de subir ce traitement jusqu'à tourner le mitigeur de la douche pour que l'eau reprenne une température plus acceptable. Et j'ai beau ne pas être de ceux qui passent une heure sous l'eau, je prend tout de même le temps d'en profiter. Soit un très bon quart d'heure. Me rappelant d'un truc que je vais oublier d'ici à ce que j'en sorte - soit cinq minutes de plus, max -, je gueule par dessus le jet d'eau, comptant sur la qualité de l’ouïe de Lesbus.

"Au fait, ma mère nous veut à diner ce week-end. Et tu la connais, j'tiens à mes plumes."

Nan, j'adore ma mère, mais elle est un poil possessive avec son fils. J'aurai même envie de dire "ses" fils, étant donné qu'elle offre les mêmes sentiments à Lesbus. Sinon, parlant de plumes, après plus de trente ans à les avoir dans le dos, je me demande encore comment font les oiseaux pour les garder propres H24. Ok, ils ont un bec effilé et leur tête tourne à 180degrés, ça aide un peu.

Je finis par couper l'eau et attraper une serviette pour me sécher, l'enroulant autour de ma taille avant de sortir de la salle de bain pour me diriger vers la chambre, où je récupère rapidement quelques vêtements plus confortables à me mettre sur le dos. Et c'est en jean/tee-shirt que je finis par sortir de la pièce, passant une main dans mes cheveux pour les coiffer sommairement. Quand à mes ailes? Disparues, à nouveau. C'plus simple pour se vêtir.

Son éternelle jalousie dès qu'il s'agit de mon patron pourrait m'inspirer un certain nombre de réponses à son commentaire sur les raisons pour lesquelles Mr Savage a trouvé le moyen de se cramer la paluche contre ma peau non pas une, mais deux fois. Mais nan, là tout de suite, j'ai pas envie. Une petite baisse de forme passagère, dirons-nous. Je saurai me rattraper plus tard, qu'il ne s'inquiète pas là dessus.

Il peut feindre l'innocence autant qu'il le veut, je commence à le connaitre, mon démoniaque compagnon. Et puis, il y a certaines choses qui n'ont pas besoin d'un dictionnaire pour être décodées. Par exemple? Le fait que j'ai autant envie de lui qu'il a envie de moi... ok, à la douche Amaël, plus vite que ça! Une douche salvatrice soit dit en passant. Accessoirement, c'est loin de valoir un bain dans quelques sources chaudes de ma connaissance comme on peut en trouver à Illusk, mais ça détend les muscles quand même. Bref, j'attends d'être totalement habillé - ce qui ne prend guère de temps vu que la technique "se mettre les premiers trucs qui sont accessibles dans le placard" reste la meilleure qui soit - avant de sortir de la chambre pour poursuivre la conversation. On n'est jamais bien sages après plusieurs jours d'absence alors, ça sert à rien de jouer avec les nerfs de Lesbus, sinon, on est pas près de diner, croyez moi!

"J'crois que l'idée c'est plutôt que nous, on descende. J'y ai dit que j'verrai ça avec toi avant, j'savais pas si tu serai sorti de ton tribunal ou pas."

Pis ça le concerne un minimum. Dans un couple, ça se prend à deux, les décisions. A ce qu'il parait, du moins. Bon, ça aide pas les désaccords à se régler quand chacun vote pour son camp, cela dit.

"Elle trouve que tu bosses trop. Fallait pas la laisser te materner, j't'avais prévenu."

Je me glisse près de lui pour prendre mon blouson sur le porte manteau de l'entrée, récupérant mes clefs de voiture que je finis par lui glisser dans la main.

"J'l'appelle du coup, tu conduis."

Si je ne lui laisse pas le choix que de prendre ma voiture? J'ai envie de prendre la décapotable ce soir, même si fait pas bien chaud en cette saison. Et la technique est rodée, le téléphone est plaqué sur mon oreille avant qu'il ne puisse trouver quelque chose à redire. Je profite quand même des sonneries d'attente pour lui glisser un commentaire faisant suite à notre conversation.

"J'te rassures, je pense que ça va être ma fête plutôt que la tienne. Les habituels, j'fais pas assez gaffe avec mes ailes, j't'ai pas encore passé la corde au c... salut maman!"

Je signe en direction de Lesbus que la liste est encore longue, pendant que je lutte avec le réseau pour entendre ma mère à l'autre bout du fil. A Illusk, faut oublier le réseau téléphonique. Internet passe encore, pour peu qu'on ai un modem adapté, mais ça empêche pas les appels d'être hachurés.

"Oui, il est à coté de moi. J'y demande."

Je met ma main devant le combiné pour boucher le son entre nous et le téléphone, croisant le regard de Lesbus.

"De un, elle t'embrasses. De deux, samedi ou dimanche? De trois, j'adore quand tu met cette chemise."

Et je me retiens de dire que j'aime encore plus la lui enlever, en me rappelant in extremis que je suis au téléphone. Et j'peux vous dire que malgré les hachures de réseau et ma main devant l'écouteur, ma mère a l’ouïe fine quand elle le veut.

Ah! Bien ça, brillante idée! Je suis toujours pour des vacances, surtout quand on arrive à se caler une semaine rien que pour nous deux. Encore faut-il que nous arrivions à choper la même semaine. Et quand il me prévient trois jours à l'avance comme j'ai l'impression qu'il le fait là, croyez bien que c'loin d'être évident. D'autant plus qu'on approche des fêtes. Pour lui, c'est une période calme. Pour moi... beaucoup moins. Si les gens préfèrent passer Noël en famille, le réveillon du 31, ça c'est un truc qui remplit les salles de restaurant. Et en général, la semaine avant, c'est complet de toute.

"Tu m'en diras plus après, hein."

Ma voiture? Beh oui, si j'y donne les clefs. Je fais celui qui n'a pas entendu la question, le portable collé contre mon oreille en attendant que ma mère décroche. Sa remarque suivante? Pas entendu non plus. Ok, celle là, je fais mine de ne pas l'avoir entendue. Parce que je veux pas avoir cette conversation là avec lui. Pas ce soir. Pas après trois jours sans lui.

Je sors de l'appartement à sa suite, le laissant fermer la porte tout en tenant la conversation avec ma mère, m'adressant à lui quand ma mère l'inclut dans la conversation.

"Ok, va pour samedi." Je reprends ma conversation avec ma mère. "Il t'embrasse aussi. Samedi c'bon pour toi? Ouais, ok, on fait comme ça al.."

Mon regard capte le mouvement de Lesbus sur sa chemise, et j'en perd ma concentration un instant. Seule la répétition des mêmes sons au téléphone et le ton soudain moins serein de ma mère me fait comprendre qu'elle a du répéter dix fois la même chose sans que je capte.

"Pardon, tu disais? Oui, ok. Oublie le dessert, on s'en occupe."

Je jette un nouveau regard, presque méfiant, à mon compagnon, cherchant son accord non verbal à ce sujet. C'est plus simple de s'occuper du dessert que du plat principal, y a un truc qui s'appelle "boulangerie" à la surface. Nan parce que gérer la cuisine, faut m'oublier hein.

"Les'? Rien d'autre à lui demander pendant qu'on y est?"

Je lève les yeux au ciel face à sa petite blague qui l'a apparemment bien fait rire, tâchant d'écouter ce que ma mère me raconte à l'autre bout du fil. Un fil que j'ai perdu quelques instants, mais heureusement pour moi, elle s'en est rendu compte assez vite pour que je n'ai pas à répondre oui ou non au hasard à une question que je n'aurai pas entendu. J'crois qu'elle me connait trop bien. Et qu'elle connait trop bien la capacité de celui-là à me déconcentrer. Soit dit en passant, heureusement que nos boulots ne nous amènent pas à nous croiser sur le lieu de travail, ça serait du propre ça.

"Dis m'man? Tu sais tes biscuits de l'autre fois? Oui, ceux que Lesbus a dévoré avant de nous demander si on en voulait." Grand gamin, je tire la langue à mon compagnon, comme une vengeance personnelle après son petit numéro. "Ça t'embêterait d'en refaire? J'crois qu'il est accro."

Il me pousse presque dans l'ascenseur et je décale le portable hors de sa portée, comptant bien l'empêcher de me le subtiliser au passage pour plaider sa cause devant ma mère. C'est pas drôle quand l'infortunée victime de mes railleries peut se défendre.

"Ecoute, j'te laisse, j'suis dans l'ascenseur ça va plus passer. J't'embrasse. Oui, moi aussi. A samedi."

Je raccroche et ramasse mon téléphone dans la poche de ma veste, offrant une moue à Lesbus.

"T'sais, la bonne nouvelle, c'est qu'elle va t'en préparer tellement que tu vas pouvoir en rapporter à l'appart."

A peine ai-je raccroché le téléphone que je glisse une main à la taille de celui qui s'est presque mis sur la pointe des pieds pour m'embrasser le front - on fait la même taille quoi, mais mort de rire -, m'intéressant enfin, l'espace d'une seconde aux numéros des étages qu'il nous reste à descendre.

"Ouais j'crois. Tu la connais."

Ce qui veut dire? Que ma mère connait mes talents culinaires au point de me menacer de m'arracher les plumes une par une si je m'approche de sa cuisine, donc, repartir les mains vides, ça arrive jamais. On devrait prévoir un sac cabas en vrai. Ok, en vrai, ça nous évite parfois de finir au Mcdo ou au Burger King. Pas que j'sois un grand fan, en ayant grandi à Illusk, où les fast food sont pas légion. On peut pas dire que l'agriculture et l'élevage soient développés dans les souterrains, mais j'peux vous donner l'adresse d'un aubergiste dont vous me direz des nouvelles...

La porte s'ouvre et je m'éloigne d'un pas pour sortir de cette boite qu'on appelle un ascenseur. Jusqu'à ce que Lesbus n'attrape ma veste pour m'attirer de nouveau vers lui, m'empruntant un baiser trop rapide avant de se diriger vers le parking. Ouais, on y est pas encore arrivés, au resto. Même si ma voiture a un inconvénient qui devient un avantage pour le coup. Une fois dedans, on bouge plus, alors c'est même pas la peine d'imaginer quoi que ce soit.

"J'ai dit quoi déjà? Ah oui. Oak street. J'ai pas noté le numéro mais on aura qu'à finir à pied, ça nous offrira une promenade."

Je le regarde en coté, guettant sa réaction à ma proposition.

"Gentiment légèrement dévalisé? L'idée c'est que j'trouve l'intrus de ces mots, c'ça?"

Disant cela, je baisse la vitre de la voiture alors qu'il sort du parking souterrain, désireux de profiter de l'air de la ville. J'imagine que ça sent meilleur dans les westerns, entre deux ranchs et trois puits de pétrole (ok, oubliez l'image, bouse de vache x hydrocarbures...), mais c'est pas pire qu'à Illusk, entre la chaleur, l'absence de vent et les remontées de souffre du sous-sol... bref, le vent qui pénètre dans l'habitacle me ferait presque prendre mon envol, si j'avais un peu plus d'instinct et un peu moins de capacités cérébrales (Les'? Garde ton commentaire, stp). Je referme cependant la vitre à contre-cœur quand la voiture prend de la vitesse, sachant que mon compagnon est moins fana que moi des cheveux qui volent dans les yeux. Entre nous, un ciseau règle ce genre de chose. Ce qui me fait penser, en glissant la main dans ma propre chevelure, que faudrait bien que je fasse un tour chez le coiffeur incessamment sous peu.

"Spiaggia Restaurant. Prend moi pour une bille aussi." Je lui colle un coup de poing sans violence dans le bras en disant ça. Avant de me saisir de mon portable pour vérifier l'adresse exacte. "C'pas exactement sur Oak Street en fait. North Michigan Avenue plutôt. Fin c'à coté, pas loin du parc où tu m'as attrapé après mon premier vol au dessus de la ville."

Si j'm'en souviens bien? J'ai presque cru qu'il sortirai un filet à papillons pour m'avoir. Ok, j'ai surtout foiré en beauté mon atterrissage ce jour là. Essayez pour voir, de relâcher un oiseau qui n'a jamais eu assez de place pour voler... il se posera pas. Il s'écrasera de fatigue. Z'avez le tableau. Nan pis les courants d'air ascendants, descendants, qui vous envoient à droite quand vous avez prévu d'aller à gauche... pour quelqu'un qui n'avait jamais connu le vent... c'est une notion compliquée à comprendre.

Ah au fait, si j'en profite pour voir si il se rappelle aussi bien des faits que moi? On verra si il se goure de parc. Quoique doit y avoir que cui là sur Oak Street, si c'pas moi qui me goure. Ça aide.

Un diner de famille entre une sorcière, un néphilim et un démon... ouais, c'est parfois pas simple. Fin au moins, on a ni mon père ni le sien sur le dos. Là ça serait fandard. Pourquoi? Parce que j'ai un doute sur le fait que mon ange de père apprécierait mon existence ou mes connaissances... ou que son démon de père apprécierait qu'il ne traine avec une moitié d'ange...

"Même endroit, pas même resto. La joie des ventes. A tester donc. Pis j'ai envie de manger italien ce soir... et j'me rend compte que j't'ai pas posé la question... si?"

Il prend le boulevard en passant la sixième, la boite de vitesse craquant en passant me faisant me rappeler que je devrais vraiment la faire contrôler avant qu'il n'y ai un véritable souci avec. Techniquement, c'pas un accident de voiture qui nous tuerait, mais ça m'emmerderait un peu de tuer quelqu'un en face. J'imagine que c'est pas très catholique comme façon d'envoyer quelqu'un dans l'au-delà.

" Aucun risque. Tu aimes trop y glisser tes doigts pour les cramer. Prend la sortie là."

Évoquer le passé me laisse songeur. Dans une autre vie, on a joué à ce jeu du chat et de l'oiseau plus d'une fois. Et croyez bien que dans les limites imposées par la roche au dessus d'Illusk, l'oiseau n'est pas forcément avantagé. A Chicago, je pourrai le faire courir longtemps, si j'en décidais ainsi.