Le rideau de paille tiré, j’entends le tumulte au dehors. Il va encore falloir que je bouge et un soupir m’échappe. Les gens sont d’un superstitieux dans cette région et je n’arrive pas à m’établir où que ce soit.

Cela fait deux mois. Je me redresse sur ma couche et observe les fins rayons de lumières persistants en cette fin de journée. La nuit arrive à grand pas et mon sac à dos est déjà prêt à côté de moi. Je prends tout de même le temps de sortir mon carnet de la poche de devant et inscrit un petit bâton signifiant que je passe un nouveau jour loin de mon homme, loin de ma famille, loin de Chicago. J’ai abandonné l’homme de ma vie, mon collègue, mon bonheur là-bas pour me retrouver seul à l’autre bout du monde dans un petit village d’Asie. J’ai perdu trace de ma localisation exacte après la dixième fuite inopinée. Les fourches et les torches brandis sont toujours d’actualité dans cette région du monde, je suis juste à peu près sûr de ne pas avoir franchi la frontière Indienne même si je me rapproche lentement, mais surement du Népal. Certes, j’aimerais mieux rejoindre gentiment le Bengladesh, finir éventuellement vers le Laos ou le Cambodge, mais si mes pas me portent vers la Chine, qui suis-je pour aller à leur encontre.

Finalement, les esclandres se tarissent et je suppose qu’elles n’étaient pas dirigées contre moi. Il faut dire que j’ai aussi lâché ma perle dans ma fuite et que l’astre du jour et moi, on n’est plus vraiment copain depuis. Du coup, un étranger à l’accent serbo-croate, qui ne vit que la nuit et d’une pâleur extrême … ça fait mouche assez vite et je suis impressionné par leur réactivité à crier au démon. Il suffit qu’un accident arrive, une animal ou un humain saigné à blanc et son cadavre retrouvé trop rapidement pour qu’on me pointe illico … à raison certes, mais tout de même. La présomption d’innocence ne fait pas l’unanimité. Mon carnet toujours ouvert sur mes genoux, j’observe un morceau de photo qui dépasse. Tirant le coin, j’en extirpe un souvenir … Douloureux. La photo de Nath et moi prise par Elaine. C’est du vol, je l’ai subtilisé en espérant que Nath ne m’en veuille pas. De toutes manières, aucun doute qu’il m’en veut pour pleins d’autres choses. Déjà, l’avoir abandonné. Un nouveau soupir m’échappe et je pose ma tête entre mes mains en me remémorant les circonstances de mon départ.

Tout a commencé il y a un peu plus de deux mois, Silas et moi étions en pleine enquête sur un trafic d’humaines. De premières abord, rien de bien surnaturel si elles n’étaient destinées à une vente aux enchères proposée exclusivement à une communauté de vampire. Des femmes belles, de toutes origines, vendues pour finir en casse-croûte ou nouvelle compagne dans l’immortalité contre leur gré. Tout se déroulait pour le mieux, nous avions eu la confirmation de l’emplacement exact de la transaction, et par conséquent, du hangar où les filles étaient détenues. C’est au moment de les récupérer que ça a foiré. Silas faisait distraction et moi je m’occupais de sortir les filles … jusqu’à ce qu’une d’entre elle se blesse. J’avais fait l’erreur de pas avoir manger depuis deux jours et les efforts, l’adrénaline avaient consommé mes dernières ressources. J’ai compris qu’une fois son cadavre dans mes bras que j’avais cédé. Je l’avais tué. Les autres se sont enfuies terrorisées, la plupart ont réussi à s’échapper, d’autres ont fini canardé par les hommes de mains qui défendaient l’entrepôt. Chose étant que le monstre en moi devient de plus en plus fort et il m’a prouvé que je ne pouvais rien contre lui. Forcément, je me suis pris à imaginer que cela aurait pu être Nath ou Elaine à la place de la jeune femme et j’ai décidé qu’il était temps pour moi de partir, fuir. Pour les protéger. Le soir même, Nath travaillait au bar, Elaine chez sa mère. Je me suis contenté de griffonner une note pour m’excuser et c’est tout, ma perle posée sur le papier en témoignage de ma détermination. Je me vois encore écrire ces derniers mots à mon homme.

Je t’aime, pardonne moi.

J’ai ensuite arraché la puce de mon cellulaire et acheté une carte prépayée au cas où, c’est plus pour ne pas perdre les précieuses photos présentes dans la mémoire de ce dernier que pour réellement l’utiliser. Un dernier geste futile qui me rattache à mon ancienne vie.

Las, je recroqueville mes genoux contre mon torse et regarde la porte de la cabane où je loge depuis trois soirs. Je continue mes enquêtes à travers le monde et l’une d’elle m’a mené jusqu’à la tanière de l’homme qui vivait ici, un violeur, tueur qui ne payera jamais ses crimes auprès d’un tribunal, mais a rencontré la justice version crocs dans la carotide. Il me faudra toutefois bientôt chercher à nouveau de quoi me sustenter, en attendant, le peu d’effort que j’effectue depuis m’a permis de préserver mon énergie et je ne ressens nullement le besoin de chercher ce soir. Je repose la photo en sécurité entre les pages de mon calepin et le range dans la pochette qui lui est destiné. Je suis obligé d’aller vite dans mes enquêtes, la sensation de les bâcler, mais je suis toujours pressé par le temps, il me faut trouver rapidement une nouvelle source d’hémoglobine. J’avoue avoir eu des ratés et m’être contenté de boire sans tuer au gorge de quelques inconnus pour ne pas faire un carnage comme lors de ma dernière enquête avec Silas.

C’est en pleine réflexion sur ma prochaine destination que mes sens viennent me titiller. Je tourne ma tête vivement en direction de la porte d’entrée. Le crissement des pas sur le sentier de terre battu s’arrête et je sais que la personne se trouve exactement de l’autre côté de la porte … Je connais ces pas et je connais cette odeur. Un vent de panique me saisit, mais trop tard. La porte s’ouvre et je fais face à mon interlocuteur, incapable de prononcer la moindre parole ou m’enfuir, je le laisse avancer vers moi.

Soyons honnêtes, j'l'ai pas vu venir. Sans doute que j'étais trop sur que tout était parfait entre nous, malgré la liste interminable de tabous qu'on a pu placer sur notre chemin. Parce que remiser les sujets sensibles dans un coin et plus y penser, il est où le problème? Rentrer chez moi à 3h du mat après un service surbooké sans avoir à craindre une discussion qui craint ou une autre, ça m'allait hein. Le problème c'est que apparemment, on a atteint le bord du vase des "non-dits" bien plus vite que j'le pensais. Et les signes avant-coureurs, j'les ai clairement ratés.

J'ai même pas capté au début. Entre nos horaires qui concordent pas toujours, ses enquêtes qui le mènent parfois à donner aucun signe de vie pendant plusieurs jours, et le fait qu'on ai chacun une vie de notre coté en dehors de nous. Même son message, j'l'ai pas compris pour ce qu'il était. Si ce n'est sans doute qu'inconsciemment, j'ai jamais autant du vérifier mon portable, moi, le type qui sait en temps normal jamais ce qu'il en a foutu. C'est Shawn qui a mis les pieds dans le plat en premier, d'ailleurs. "Je sais que Matt lui a parlé, mais apparemment ça me regardait pas plus que ça." Au moins j'peux pas les accuser de causer de notre couple dans notre dos, même si pour le coup, j'aurai bien aimé qu'il en ai un peu plus à me raconter. Si fallait remonter à la source, et ben allons-y, et gaiement. Si j'avais jamais foutu les pieds au Pandemonium, j'ai peut-être été un connard fini quand il s'est agi d'en faire sortir le proprio. Non, avec Claire je suis un abruti. Le connard on le voit sortir quand j'm'inquiète pour ma famille. Et si ma demande pressante de renseignements sur ce qu'il sait de l'absence de Dante ne lui a pas suffit, je crois que la baie vitrée lézardée de bas en haut par un excès de zèle de ma magie a fini de le convaincre que j'allais pas lâcher le morceau aussi facilement. Je m'excuserai plus tard. Si j'y pense.

Comment il s'est débrouillé pour savoir où aller et comment nous y emmener, ça, j'en ai strictement rien à faire. Des trucs de démon surement, mais dans le cas présent, je m'en fous à peu près totalement qu'il ai pas utilisé de la poussière de fée pour nous conduire à bon port. Ce que je compte faire une fois face à Dante? J'en sais fichtrement rien... Ce que je sais, c'est que, pour une fois, va falloir qu'on l'ai, la discussion qui dérange.

"T'es sur que c'est là? Ok... Tu me laisse deux minutes d'avance?"

Je prend une inspiration, évitant de me monter des scénarios dans la caboche avant l'heure, avant de me diriger vers la porte qu'il m'a indiqué, hésitant un instant devant avant de l'ouvrir précautionneusement, laissant le temps à Dante de s'écarter du soleil qui va forcément passer à travers l'ouverture. Sa perle? Deux précautions valent mieux qu'une. Et malgré la pénombre qui s'installe une fois la porte refermée, je le repère rapidement, cet homme parfait qui arrive pourtant à me faire tourner chèvre. Arrivé devant lui, je peine à croiser ce regard qui évite le mien, et avant d'y avoir réfléchi, je lui colle une gifle bien sentie avant de le serrer contre moi.

"Me r'fait jamais plus c'coup-là. Sous aucun prétexte. Même pas un qui t'semblera intelligent."

Mon menton posé sur son épaule, je me cramponne peut-être plus à lui que de raison, et faut bien le dire, si la lumière était allumée, j'aurai surement les yeux rouges, mais ça reste entre nous.

"Je t'aime, espèce de triple andouille. Et qu'tu sois vampire, loup-garou, zombie ou quoi, j'm'en contr'carre putain! Comment faut qu'j'te l'explique pour qu'tu te l'fourres dans l'crâne?! C'est toi que j'veux, avec ton nom à la con, ton histoire limite sordide, ta personnalité, ta foutue manie de faire passer les autres avant toi sans leur demander leur avis. Quoique, si c'est pour t'barrer à un million de kilomètres à chaque fois, tu peux la j'ter celle-là."

Je m'arrête juste une seconde pour respirer et m'éviter de dire une connerie que je regretterai, mais pas assez pour le laisser en placer une entre deux.

"J'sais pas c'qui c'est passé. J'sais qu'le trois fois rien qu'Silas a bien voulu m'dire et l'rien du tout qu'Matt a réussi à cracher sous la torture. C'que j'sais c'est qu'j'sais très bien qu't'es pas la fée Clochette, j'l'ai toujours su, et tu m'la jamais caché. J'suis d'Chicago j'te rappelle, un vampire, j'sais à quoi qu'ça r'ssemble vu d'très près. J'connais les risques. Ma fille connait les risques. Et elle trouve rien de mieux qu'd'en rameuter un s'cond dans la famille en prime." Oui parce que, entre nous, si l'gosse de Silas se croit discret, faudra qu'il revoie sa copie. "Alors explique moi pourquoi toi, t'y vois un problème, bordel."

J'compte continuer? Non, là pour le moment j'ai autant envie qu'il me rembarre qu'il trouve rien à me répondre. J'en sais rien. J'peux aussi dire que j'suis en rage contre lui, et en même temps, soulagé comme pas permis de le trouver entier.

J’vous avoue que je ris. Je pleure. Je ris et je pleure. Je l’aime qu’est-ce qu’il fout là ! Comment il m’a trouvé ? Et la gifle bien mérité, j’ai juste envie de lui dire merci. Franchement, à part sangloter comme un môme qui vient de s’écorcher les genoux en tombant, je suis incapable de réagir et la chaleur de son corps contre le mien glacial me fait un bien fou. J’ai l’impression d’être devenue une véritable loque et mes bras ballotent mollement le long de mon corps alors qu’il me serre contre lui toujours plus.

Je l’écoute me déverser toutes les émotions qui le submerge et j’encaisse. En même temps, que pourrais-je faire d’autre ? Il a le droit à ce moment, ces remontrances qui ne me font pas le moindre mal tellement j’y vois tout l’amour qu’il me porte. Pour une chose, il a raison, je suis un sombre abruti. Le sentant finalement à bout de son monologue, je considère qu’il me donne l’autorisation de lui répondre. Mes bras regagnent un semblant de force et je commence par le serrer en retour contre moi avant de l’écarter à peine, juste de quoi déposer un sur sa tempe. Je déglutis nerveusement et baisse le regard, n’osant toujours pas affronté le sien.

« J’suis désolé. »

Ma main remonte le long de son dos et je viens caresser sa nuque et passer mes doigts fins entre ces cheveux.

« Je sais que peu importe ce que je vais te dire, tu vas avoir encore plus envie de me gifler, mais laisse-moi juste tout t’expliquer s’il te plaît. »

Après m’être assuré d’un regard que le brun me laisse parler, j’entame mon propre monologue.

« Ça fait un moment que j’y pense, que ça me travail. J’ai un ami qui a essayé de m’aider, mais ça c’est soldé par un échec et avec Silas, on a eu un couac monumental à cause de moi … c’était pas la première fois, mais celui-ci a coûté la vie à beaucoup de personne. »

Je secoue la tête en essayant de chasser les images horribles de la nuit du carnage. Je préfère même pas reparler de suite de cet évènement, je n’aurais pas la fore de continuer sinon.

« Je refuse qu’un jour cela se retourne contre toi ou Elaine. Vous pouvez pas me faire confiance là ou moi-même je ne peux le faire. La créature ne peut pas vivre sous le même toit que vous et je préfère de suite être clair, Silas est vampire depuis aussi longtemps que moi, mais il a clairement plus de maîtrise sur elle… »

Je sais peut-être pas toute l’histoire de Silas, mais c’est l’impression qu’il me donne au quotidien et c’est ce que j’ai pu aussi constater tout au long de nos investigations. Lui n’a jamais eu de débordement comme j’ai pu avoir.

« Et … il y a aussi une raison égoïste … je peux pas te survivre Nath … J’y arriverai pas. Te voir vieillir, tombé malade, mourir … »

Si mon corps de vampire me le permet encore, l’humain en moi rejailli à ce moment précis et des larmes se forment au coin de mes yeux me brouillant la vue. Merde, je l’aime et je suis incapable de recommencer. Voir mourir Luka a été une épreuve incroyablement douloureuse … quitter Nath fut bien pire … mais nécessaire. Je veux que mon homme vive sa vie d’humain, chose que je ne suis plus.

« J’suis pas assez fort … t’es tout pour moi. »

C’est complétement paradoxal et j’arrive même pas à savoir ce que ça donne pour lui et si je ne vais pas m’en prendre une seconde, toujours sans doute autant méritée. Pris d’une envie soudaine de repousser le moment où je risque de me faire gifler, je colle mon front contre le sien et espère qu’il aura plus envie d’un baiser. Cela ne m’aide toujours pas à comprendre comment il a fait pour me retrouver et arriver jusque-là, mais je ne pense pas que cela soit prioritaire … Je ne sais même pas comment la suite va se passer … jamais je n’avais imaginé qu’il puisse me rejoindre à l’autre bout du monde.

Je l'écoute me donner son explication, qui selon lui est parfaitement logique et tient la route. Chacun son point de vue. Le mien, c'est que ce putain de connard a vraiment réussi à me faire croire que j'pouvais encore accorder l'entièreté de ma confiance à quelqu'un que je ne verrai clairement pas comme une histoire sans lendemain, et qu'il pense pouvoir se tirer comme ça, sans une explication, et en pensant bien sur agir pour le mieux. Quand à son explication "égoïste"? A dire vrai, c'est bien la seule qui tienne la route, même si une part de moi se dit que ça, il aurait du y réfléchir avant. Ce qui fait qu'alors qu'il tente un rapprochement de plus, moi, je me dégage de sa prise, m'éloignant de quelques pas pour fixer le mur, le trouvant soudain très intéressant.

"En ce qui concerne ma sécurité, t'as pas à décider pour moi. J'ai passé les quinze putains de dernières années à n'attendre rien d'autre de la vie que le jour où elle s'arrêterait enfin. Si j'en suis là où j'en suis aujourd'hui, à vivre pour de vrai, sans me contenter de "paraitre" pour qu'on me foute la paix, c'est bien grâce à toi. T'es... laisse tomber, j'parle dans le vide de toute manière."

Et pis il m'énerve à se comparer à tout le monde sans arrêt. Il sait voir que ses défauts, et minimiser chacune de ses qualités en les disant moins bonnes que celles de Pierre, Paul ou Jack. J'comprends mieux toutes les fois où j'ai sincèrement cru que Shawn allait se fracasser la tête dans le mur à essayer de me faire entendre ce qu'il pensait de moi et de mes conneries, j'vous jures... alors j'me retourne vers lui, de nouveau, mais je décide de reculer encore d'un pas, m'appuyant contre le mur dans mon dos, croisant les bras devant moi.

"J'suis sur que tu m'détestes d'avoir réussi à te retrouver là, non? Dis moi que y a pas une part de toi qui trouves que y a pas plus tête de mule que moi et qui se dit que t'aurai du te barrer sur une autre planète pour que mon besoin vital d'oxygène m'empêche de te rejoindre. Moi j'le suis, furax. Et j'suis sur que tu peux sentir mon sang battre à fond dans chacune de mes veines. Cela dit, j'te trouves pas vraiment l'envie de me saigner à blanc, là, tout de suite. Tous ces abrutis de vieux vampires peuvent te raconter ce qu'ils veulent, ils restent entre eux et leurs seuls contacts avec les vivants concerne la chasse. Tu peux me dire de quel "contrôle" ils peuvent te parler?"

Manque de bol pour lui, le soulagement de le revoir laisse la place à une bonne dose d'énervement à chaque instant qui passe, et je vous dit pas le contrôle que moi, je dois garder sur mes émotions largement à fleur de peau pour ne pas prendre le risque de briser un carreau et l'exposer inutilement à la brulure du soleil.

"Concernant Silas, il en a rien à foutre de tuer. D'accord, il arrive à supporter une goutte de sang sans ciller, mais à coté de ça, le reste du monde, il s'en carre. T'es meilleur que lui, de ce coté là. En toute objectivité. Toi tu t'inquiètes pour les autres, et quand ça t'arrives de déraper, on parlera pas des conneries que ça te fait faire. Du genre te barrer dans un pays où il fait 50 degrés, connaissent pas l'ombre, et fait jour à peu près 20h sur 24. Tu cherches à en finir ou t'es juste carrément con?!"

Si j'y suis allé un peu fort? Sans doute. Mais s'il faut le malmener pour qu'il comprenne à quel point il m'a fait mal, il a pas fini de douiller à son tour. Je lève les yeux au ciel, cherchant je sais pas quelle inspiration divine - venant de la part d'un péquin qui n'y croit absolument pas - quand il finit par me donner la raison sans doute la plus vraisemblable à tout ce bordel. Avec cet air de chien battu auquel je ne résisterai pas bien longtemps, parti comme ça l'est.

"T'as pas tiré le bon numéro dans ce cas là. J'ai avalé et j'me suis injecté suffisamment de conneries pour ne pas savoir comment j"peux être encore en vie et relativement en bonne santé aujourd'hui. Alors si c'est pour t'lever chaque matin et te d'mander si j'tiendrais jusqu'au soir, ouais, t'as p't'être raison, casse-toi. C'pas une vie d'guetter la mort. Tu veux qu'te dise? Trouve toi donc un immortel, et inquiète toi qu'il s'offre un bain de soleil, ou qu'il s'approche trop près d'une palissade un peu trop pointue, ou qu'il se fasse arracher la tête. Tu comprendras p't'être que t'es pas l'seul de nous deux à s'inquiéter pour l'autre. Mais c'pas pour ça qu'j'me casse moi. J'fais même la connerie d'essayer d'te ram'ner."

Je repousse le mur d'un coup d'épaule pour me redresser, lui accordant pas un regard avant de me diriger vers la porte à nouveau. "J'suis vraiment trop con putain!" Et sortir de la pièce en me reprenant une telle dose de soleil dans la tronche que c'est le coup de soleil assuré. Pour revenir vers Matthew, qui doit commencer à trouver le temps long dans la fournaise... ça ressent la température un démon?

"J'vais le... dis-moi un truc qui a des chances de me calmer steuplait, parce que là, j'sens que j'vais faire imploser le quartier."

Je laisse Matt m'entrainer à l'écart, ses mains autour de mes poignets, bien que j'ai autant envie de m'éloigner de Dante que de retourner là-dedans. Et qu'en prime, je doute que s'éloigner de dix mètres change grand chose au bordel que ça va donner si je me calme pas genre rapidement. C'là qu'il me sort un truc bizarre. Laisser ma magie péter un bon coup? Il se rend pas compte de ce qu'il me dit là. La dernière fois, j'ai foutu en l'air la moitié de mon appart, sans parler de la fois où j'ai foutu Dante par terre... et j'étais loin de ressentir ce que je ressens ici et maintenant. Enfin, faut être honnête, malgré mes efforts, ma magie ne m'a jamais vraiment appartenu et a toujours plus ou moins fait ce qui lui chantait, alors il faut pas bien longtemps pour que ça pète un bon coup, et si je ressens bientôt les effets du sort de Matt l'empêchant de s'échapper trop loin autour de nous, je me rend aussi rapidement compte qu'effectivement, il avait pas prévu la force de frappe du bordel. C'est ma croix à porter je crois. Y a des cons de sorciers qui aimeraient bien avoir plus de puissance qu'ils n'en contrôlent déjà... et y a ceux qui contrôlent rien mais qui l'ont, cette puissance... cui qui me trouve un truc pour m'en débarrasser, je l'embrasse hein.

Le contre-coup me fait m'asseoir un moment, vidé comme après une bonne dose d'adrénaline qui se serait subitement fait la malle. Pour relever le regard vers lui quand il revient vers moi, me demandant si ça va mieux. On va dire ça. Lui par contre, ça a pas l'air autant qu'il veut bien me le faire croire. Mais je m'excuserai plus tard auprès de Shawn d'avoir failli casser son mec. J'ai assez de me prendre la tête avec le mien pour le moment.

"Ouais, précise le à Shawn quand il en entendra parler, que tu vaut pas le coup qu'on s'inquiète quand tu te retrouves confronté à ma magie. J'suis sur qu'il va être de ton avis."

Ironique? A peine. Cassant sans doute. Loin de ma capacité d'humour habituelle en tout cas. J'ai pas envie de rire. Bref, je finis par me relever, me débrouillant sans la main qu'il me tend pour le faire. Pas nécessaire de l'abimer davantage. Quand à sa proposition...

"Merci mais nan merci. La magie, c'est justement l'un des nœuds du problème, entre lui et moi. Si on pouvait éviter d'en rajouter une couche, ça m'arrangerai pas mal. J'suis sur que tu le comprends. Tu compte lui dire quand que y a pas que son frangin qui a du sang de démon dans les veines?"

Si j'change volontairement de sujet? Ca m'empêchera pas de tenter le second round... juste, c'est ma façon à moi de lui claquer le bec un instant. J'ai pas dit que j'étais bien luné. Bon, sur ce, j'crois qu'on m'attend à l'intérieur. Non, je reste sur ce que j'ai dit, c'est un connard, mais il se trouve que je l'aime ce connard, alors si j'peux le ramener à la maison, j'le massacrerai un autre jour.

Je crois vraiment que j’aurais préféré la claque … Je suis définitivement un gros con et j’m’en mords la lèvre de lui avoir fait aussi mal. Mais bordel, dans quel monde on vit pour se dire qu’en voulant protéger l’homme qu’on aime on est obligé de lui infliger une peine autrement bien pire. Je brise son cœur, je le tue ? Il a pas fini de me faire tourner dans tous les sens et je crois qu’il ne sait que trop bien ce qui se joue en moi … d’autant plus perturbant que j’ai personnellement beaucoup de mal à me cerner moi-même. Il a raison sur tout, je sens son cœur, chaque battement contre sa cage thoracique. Je sens ses veines, dilatées par la chaleur et la colère. Et sans l’ombre d’un doute, la bête en moi ne cille même pas. Rien ne m’alarme. Rien ne me tente à goûter la sève vermeille qui le compose. Je déglutis. Sers les poings. Et encaisse. J’arrive pas à croire à quel point ses attaques de tout à l’heure étaient chargées d’amour et les compliments qu’il m’adresse maintenant sont empreints de reproches. Je suis meilleur que Silas ? Mais à quel prix ? Cela dit, lui n’a jamais osé déclarer sa flamme à l’humaine qu’il aime – oui oui, j’suis pas dupe – et moi j’ai été assez con pour l’aimer, le lui dire et le quitter.

Donc … Juste carrément con sans doute …

Franchement, j’ose même pas répondre et lever mon regard. Clairement, j’ai merdé et il aurait bien mieux valu qu’il me retrouve pas si je ne voulais pas affronter tout le mal que j’ai laissé derrière moi … Une traînée de poudre qui a pris feu à l’instant où j’ai ouvert ma gueule. Perdu dans mes idées de chevalier en armure blanche, j’étais persuadé d’avoir agis pour le mieux et j’ai encore du mal à me déloger cette idée. Je fais quoi si je le tue ?

Tout s’effondre quand je l’entends me dire de me casser … partir c’est une chose. Se faire envoyer chier par l’homme qu’on aime en est une autre. Je retiens avec peine un nouveau sanglot sans plus avoir le réconfort de son corps contre le mien. Je suis paralysé et ne réagis que trop tardivement en le voyant quitter les lieux. Autant dire qu’à la première sensation de brûlure sur la main, je me ravise et retourne me planquer à l’intérieur. Angoissé par son départ, incapable de le suivre alors que je n’ai qu’une envie c’est de me faire pardonner, l’astre du jour me retient et m’empêche de le rejoindre. Nath veut donc pas voir que c’est pas normal ! Le putain de soleil m’empêche de le rejoindre, c’est quand même grave comme handicap. Mes mains tremblent de rage, dirigée entièrement contre moi et j’assène un violent coup de poing dans la table basse … le seul meuble de cette fichue demeure et le voilà réduit en débris. S’ensuit un cri. Le mien. J’ai envie de m’arracher le visage, mutiler ce corps qui ne me permet pas de faire ce que je veux, cette chaire morte et froide. Je me déteste tellement en cette seconde, pour étouffer un second cri et ne pas alarmer plus que de raison la population alentour, je me mets à mordre ma main jusqu’à sentir ma peau céder sous mes canines, le sang coagulé se verser et l’odeur de fer se répandre dans mes narines. Recroqueviller en position fœtale, je n’ai de toutes manières pas d’autre choix que d’attendre la nuit pour espérer avoir une chance de retrouver Nath. Mon regard se pose sur les éclats de bois causés par la destruction de la table et je me remets à penser aux dires de mon prince … non, jamais le suicide ne sera une option, pas tant qu’il est en vie.

« Je t’aime … reviens … »

Ce murmure qui lui est destiné n’a aucune chance de parvenir à ses oreilles, mais cela me convainc plus que tout que je ne peux pas lâcher l’affaire, que j’ai trop de tord dans l’histoire et qu’il va me falloir affronter un autre genre de démon, pas le vampire, mais celui qui incarne ma stupidité.

Le temps me paraît d’une longueur incommensurable et rien ne me permet encore de retourner dehors. L’astre du jour me nargue et je ne peux que prier le retour de l’être aimé.

Merci Seigneur.

Le barman refait son apparition dans l’entrée de la porte te je ne peux pas nier que mes dons surhumains n’y sont pas pour quelque chose dans la rapidité avec laquelle je le rejoins.

« Ne m’abandonne pas. »

La détresse dans ma voix … et toute l’ironie de la situation en ferait rire plus d’un. Je suis partie, je l’ai lâché et c’est moi qui le supplie de ne pas repartir et m’abandonner à mon triste sort. Chose à laquelle je me suis destiné tout seul à l’origine. Sentant encore la tension de son corps à mon égard, je m’empresse de relâcher mon étreinte, prêt à lui faire face. Franchement, des tôles il pourrait m’en mettre une flopée avant qu’on puisse dire qu’on est à égalité.

Je suis terrifié par l’être que je suis et le carnage que j’ai laissé derrière moi, mais je suis encore plus terrorisé à l’idée que Nath arrête de m’aimer. C’est une évidence et une faiblesse que je peux rajouter au tableau de mes nombreuses tares.

Je remarque rapidement que Matt esquive le sujet qui fâche avec Shawn lui aussi, mais je me crois assez mal placé en donneur de leçon pour fermer mon clapet. Pis entre nous, avant de m'occuper du couple des autres, j'aimerai bien m'occuper du mien. Je retourne donc à l'intérieur de la pièce dans laquelle Dante se retrouve piégé par le soleil qui brille à l'extérieur, pour le voir m'arriver dessus trop vite pour réagir de quelque manière que ce soit. Pour réfléchir à réagir seulement. Pour qu'il me supplie, littéralement, de pas l'abandonner. Elle est bonne celle-là!

"C'est toi qu'est parti."

Une simple constatation, prononcée avec une lassitude certaine dans ma voix. Déjà parce que je suis pas tout à fait au top de ma forme au vu de la dépense de magie que je viens de m'offrir, et ensuite, parce que j'en ai marre d'avance de savoir qu'on va encore tourner en rond pour finir par en arriver au même point duquel on est partis. Il finit par me relâcher, et j'en profite pour aller m'asseoir contre le mur, à même le sol, trouvant les cicatrices sur mes mains fort intéressantes, l'espace d'un instant.

"Et qu'est-ce qui me dit que tu vas pas refaire la même, de te barrer comme ça, sans prévenir? J'peux pas, Dante. J'peux pas me demander si tu seras encore à la maison ou totalement porté disparu à chaque fois que j'sors, que j'vais bosser, que tu pars sur une enquête avec Silas... Et j'raconte quoi à Elaine? Que t'as joué les filles de l'air? Que t'avais une raison parfaitement valable de nous la faire à l'envers comme tu l'as fait, et comme tu le referras peut-être? J'y ai jamais présenté personne avant toi, justement pour lui épargner l'instabilité de mes relations. Elle t'aime bien tu sais. Alors si tu dois te tirer, comptes pas sur moi pour le lui dire à ta place."

Oui je sais, c'est pas bien de mêler ma fille à nos histoires. Et j'm'en veux déjà de le faire. Mais si faut le faire culpabiliser d'être parti comme un voleur, là tout de suite, je m'en fous totalement.

Je le regarde s’éloigner de moi et retomber mollement contre le mur. Il me semble à plat et j’ai envie de tout faire pour le contenter … mais je ne peux pas. Pas maintenant. C’est l’heure de cracher le morceau, être honnête.

« C’est injuste de ramener Elaine comme ça sur le tas … Je l’aime aussi. T’arrives à comprendre que je me suis retrouvé avec le cadavre de gamines qu’on vendait comme des prostituées ou autres et sans raison. Elle s’est juste blessée sous mon nez et j’l’ai vidé… »

Je tourne comme un lion en cage. J’ai l’impression d’être toujours celui en tords, mais je ne comprends pas ce qu’il ne comprend pas. C’est incompréhensible.

« Alors oui, j’ai pris la tangente, mais dès que j’essaye de te parler d’un truc, tu fuis. Tu me laisses limite en plan avec mes démons et je dois me démerder. C’est où la logique de dire que t’es là pour moi si tu veux pas considérer le réel danger que je suis. Tu peux pas juste dire que t’es au courant et que ça te va. Alors vas y ! Raconte à Elaine que j’ai tué des filles de son âge parce que j’ai pas résisté à l’odeur du sang, explique lui que le fait que son beau-père soit un vampire, ça implique que je tue des êtres vivants … Tu veux qu’on continue à parler d’Elaine ou on peut se concentrer sur nous ? Parce que ça, c’est la partie visible de l’iceberg le fait que je sois un meurtrier, je le savais déjà. »

Je me calme et une envie de vomir me submerge. J’suis mal, tellement mal de m’énerver comme cela contre lui. Je veux pas faire ça, mais je m’enfonce. Toujours plus. Ma voix devient plus profonde et mon regard se perd sur lui. Je ne peux pas le quitter des yeux. Il est tellement beau, tellement parfait.

« J’ai un autre problème … j’arrive toujours pas à virer l’image de Luka qui meurt. J’ai enterré son corps et après je suis mort. Je suis devenu immortel … ça veut dire que je vais aussi te voir tomber malade, mourir … J’ai aimé Luka, j’ai souffert plus de trente ans sa mort et j’arriverai même pas à te faire te rendre compte de ce que tu représentes pour moi. Je deviens fou dès que c’est toi, je le sais, même l’éternité me suffirait pas à me remettre de ta perte. »

Je m’agenouille devant lui, faible, si faible.

« Je t’ai dit que je suis égoïste. J’ai grillé ma seule chance de réussir à fuir et j’y arriverai plus jamais, tu peux me croire. Mais je vais aussi en souffrir. Je sais que je dois pas vivre que de ça, je peux pas avoir peur tous les jours de ma vie que tu meurs. Je crois qu’il y a trop de choses qui se joue, j’arrive pas à y voir clair, mais si tu me le permets … j’aimerais qu’on y arrive ensemble. J’ai pas rien appris de ces deux mois … »

Je ne sais même pas où je vais avec tout ce que j’ai sur le cœur. Y’a beaucoup de choses qui me parasitent et m’empêchent de concevoir que je suis fait pour rester avec cet être si exceptionnel. Un chieur qui sait parfaitement éviter les sujets importants, qui passe sa vie à flirter avec tout ce qui bouge et me fait tourner en bourrique à refuser de me donner sa main. Je l’aime. Je l’aime, c’est indéniable.

« On fait quoi de tout ça ? »

J’ai pas de réponses. Je sais ce que Nath acceptera de tout ce que je viens de lui dire et s’il a pas juste envie de me foutre dehors en pleins soleil pour me transformer en tas de cendres et plus avoir à se poser la question.

Il me rembarre proprement quand il s'agit d'Elaine, et en vérité, il a parfaitement raison de le faire. Sans doute que je lui en voudrais bien davantage de continuer sur ma lancée. Ce que je sais, c'est que j'aime pas ce qu'on fait là, à se prendre le chou comme on sait si peu le faire. Qu'est-ce qu'on dit déjà? Pour le meilleur et pour le pire? J'appuie mon crâne contre le mur derrière moi, fermant les yeux un instant, le laissant vider un autre de ses sacs face auquel j'ai pas grand chose à répondre. Parce que non, j'ai jamais fait de cauchemar dans lequel je le retrouvais en train de saigner Elaine à blanc, mais si il continue comme ça, il va peut-être réussir à m'en faire faire.
Je le ressens s'agenouiller devant moi plus que je ne l'entends vraiment, et je rouvre les yeux pour croiser son regard, avant de glisser ma main vers la sienne pour essayer de l'attirer près de moi. On dira que j'sais pas c'que je veux, mais c'que je sais, c'est que j'aime pas l'idée qu'on puisse se faire la gueule.

"T'es un homme bien. Probablement trop bien pour moi d'ailleurs. Et t'as surement raison sur plus d'un point. Mais qu'est-ce que tu veux que j'te dise? Que j'engueule parce que ta nature a pris le dessus? J'vais pas te féliciter, bien sur, mais t'envoyer chier pour ça, j'peux pas."

Concernant Luka, j'ai pas mon mot à dire sur le sujet. J'dirai pas que j'aime pas entendre Dante en parler, hormis parce que j'ai l'impression qu'une chape de béton lui tombe sur les épaules à chaque fois qu'il prononce son nom, parce que j'ai pas l'habitude de jalouser les défunts, même si j'ai parfois l'impression de le partager avec lui.

"Tu sais, j'ai à peine 40 ans, pas 80. Sans jouer trop au con, j'dois avoir une dizaine d'années ou deux à tirer encore. Tu m'as redonné une raison de vivre, j'compte pas essayer d'me foutre en l'air entre temps. Alors oui, j'y pense, à ma fichue mortalité, mais j't'avoue que j'aimerai autant qu'on profite de ce qu'on a avant de se poser ce genre de questions."

Je soupire, occupant partiellement mon esprit en jouant avec ses doigts, comme si ça pouvait suffire à me faire penser à autre chose qu'à cette prise de bec.

"J'dis pas que j'veux mettre ça de coté et plus y repenser. J'dis que ça sert à rien de se gueuler dessus. J'veux pas qu'on se prenne la tête comme ça, c'pas nous ça... Tu r'viens ou faut que j'apprenne l'indien?"

Pas que je sois télépathe, mais si je savais que Nath pensait « pour le meilleur ou pour le pire », je tiens à dire qu’il faudrait déjà qu’il m’épouse. Enfin, comme je disais, je ne suis pas télépathe alors je n’ai même pas cette pensée !

Revenons à nos moutons et cela consiste à la sensation de sa main dans la mienne. Ce petit geste anodin qui fait vriller mon cœur décomposé. Un autre battement post mortem pour le rapprochement qui s’opère physiquement, quelques centimètres de plus, il m’attire vers lui et je n’oppose aucune résistance. Je suis fait pour être avec lui … maintenant qu’il m’a retrouvé.

« Ouais, ouais … j’peux dire la même ! T’es trop bien pour moi et on sera toujours deux cons à croire qu’on se mérite pas l’un l’autre … Ta peur de ta magie, j’ai peur de mon démon et pourtant on a tout pour se protéger l’un de l’autre et s’entraider. »

Je lève les yeux au ciel. Ma fuite paraît être l’opposée de ce que je dis, mais j’ai jamais dit que j’étais logique de toute façon et je sais bien que c’est le dilemme insolvable qui me tourmente. Dans tous les cas, le ton est retombé et c’est avec une voix calme et douce que je m’adresse un lui.

« Nathan … dix ans … vingt ans … c’est trop court. Je suis plus gourmand que ça. C’est pas le problème de te foutre en l’air, c’est le problème déjà que tu vas vieillir et oui, j’peux pas m’empêcher de constater que j’ai toujours une dégaine de gamin de 27 piges et même si t’es magnifique et que c’est pas le physique qui compte, ben ça impact notre quotidien. Dans dix ans t’as l’âge d’être mon père et j’aurais l’âge d’Elaine. »

Je libère mes doigts de son jeu et pose ma main sur sa joue alors qu’il m’arrache un sourire à sa proposition d’apprendre l’Indien.

« Le jour où je t’ai demandé en mariage j’ai fait une connerie. C’est pas ça que je veux. Pas jusqu’à ce que la mort nous sépare. J’ai juste pas envie que la mort nous sépare. »

Je me relève et lui tends une main pour l’aider à me rejoindre. Une fois debout, je l’attire contre moi et dépose un baiser sur ses lèvres chaudes. Je suis bien en train de dire ce qu’il pense que je suis en train de dire. Je veux qu’il me rejoigne. S’il y a bien une seule manière pour moi d’accepter sa mort, ce serait pour qu’il me rejoigne du côté de la team cadavre déambulant. J’en rêve, c’est plus fort que moi. L’avoir à mes côtés sans craindre de lui faire du mal puisqu’il sera aussi puissant que moi, nous pourrions apprendre ensemble à vivre, je pourrais abandonner de porter cette foutue perle qui me paralyse tellement et ne pas m’incommoder d’essayer de ne pas le réveiller parce que je n’arrive pas à dormir.

« Je suis accroc, j’ai été obligé de partir aussi loin que possible pour ne pas être tenté de te retrouver à la moindre occasion et t’as réussi par je sais quel moyen à me rejoindre. Je crois que c’est un fait probant, on peut pas se défaire l’un de l’autre. Mais je reste sur ma position concernant mon inquiétude envers ma nature. J’le sais que tu me le reproches pas, j’ai compris que ça t’importait peu, mais j’ai peur d’être responsable de ta mort. J’ai peur de faire du mal à Elaine. J’ai peur de te voir mourir comme j’ai vu mourir Luka. »

Son visage réagit légèrement à l’évocation de mon ex et je me permets de surenchérir.

« Si j’avais pu le transformer en vampire à l’époque, je l’aurais peut-être pas fait. Chose étant, je n’avais pas cette option. Pour toi, je l’ai et je le ferais. Ça me revient souvent à l’esprit et c’est assez limpide. J’en ai envie. Je passerai pas une seule seconde de mon éternité en sachant que tu ne foules plus cette terre. »

Je le prends contre moi et mes lèvres frôlent son oreille. Je dépose un baiser furtif sur sa tempe avant de reprendre :

« Et apprend pas l’Hindou, je reviens, je t’aime. On attendra juste que la nuit tombe si tu veux bien pour pas que je finisse en tas de cendres. »

M’écartant juste assez pour apercevoir son minois, je le contemple ne sachant finalement pas si on est tant ok que ça. On a encore beaucoup à parler et je ne supporte plus de pas savoir. Dix ans pour lui, c’est long. Pour moi, le temps à tendance à filer de plus en plus vite. Je n’en peux plus d’attendre, de me taire sur mon envie de le saigner pour le transformer. Je voudrais qu’on en parle, qu’on se trouve un terrain d’entente même si ça veut dire me tuer dans les dix prochaines minutes. Le tiraillement qui s’empare de mon existence devient cruellement pesant.

Voyant qu'il ne me repousse pas, je l'attire davantage contre moi, glissant mon bras autour de son cou pour appuyer ma tête contre la sienne. Ouais, on est deux sombres crétins, y a pas à dire.

"Tu crois que j'y ai jamais réfléchi? J'ai plus vingt ans et mon corps me le rappelle tous les jours. Mais en même temps, j'te vois te battre avec ton "démon", comme tu dis, et j'te laisse volontiers imaginer une seconde à quel point moi j'pourrai en chier bien davantage à ta place. Ca serait rendre service à personne en ville, pas même à toi. A part te coller des migraines sans nom et t'en vouloir encore un peu plus d'avoir lâché un monstre en ville."

J'vais être honnête, l'idée m'a une fois ou deux traversé la tête avant même de le rencontrer. Une façon comme une autre de me débarrasser de ces pouvoirs qui me pourrissent l'existence. Et en même temps je me dit que le destin est tellement cruel parfois, qu'il serait fort probable qu'il y ai des conséquences fâcheuses à l'association "sorcier" et "vampire". Ok, avant de le rencontrer, j'pensais que pour les vampires, c'était tranquille d'être ce qu'ils sont. Si on omet de se rappeler de se planquer avant le lever du jour.

"Supporte-moi dix ans, on en reparlera. Tu sais pas dans quel merdier tu te plonges tout seul comme un grand, avec moi."

Je le laisse m'aider à me relever, se rapprocher de moi une nouvelle fois et m'embrasser, même si je suis trop occupé à faire le tri entre ses paroles et mes pensées pour y répondre réellement.

"Y a pas que ça. Tu l'as dit. T'as vu Luka mourir. T'as peur de me voir mourir. J'ai perdu mon fils, Dante, et j't'assure que j'en suis pas remis. J'ai pas envie de survivre à ma fille. Même si je sais que y a pas besoin d'être immortel pour ça. Je t'aime, inconditionnellement, mais j'veux pas te dire oui tout de suite et t'en vouloir pour ça dans dix, vingt ou trente ans. C'est pas une décision à prendre à la légère. C'pas comme si y avait l'option d'un retour en arrière... même si dans les faits, passer l'éternité à tes cotés, c'est plus que tentant."

Je m'écarte brusquement dans un sursaut alors que je me rappelle enfin d'un détail qui m'avait totalement échappé jusqu'à ce qu'il me parle de la façon par laquelle j'ai réussi à le retrouver. Oui, il a fallu deux minutes pour que mon cerveau se remettre à capter.

"Parlant de rentrer... j'ai peut-être bien laissé Matt au pas de la porte... et j'l'ai plutôt amoché. Tu crois que Shawn m'en voudra si j'y casse?"

Tiens, parlant de problème d'immortalité... c'est quoi sa solution à lui, à l'asperge?

Je secoue la tête faisant voleter mes cheveux moins éblouissant qu’usuellement. Quelques mois en mode sac à dos et j’ai dû sacrément perdre en charisme.

“Je sais, je sais mon amour, j’suis pas logique. J’veux t’infliger ce que je supporte pas pour moi et j’me persuade que tu t’en tireras mieux qu’moi alors qu’en fait je peux pas le savoir. Mais non. Trois fois non. Tu me colleras pas des migraines. La perle m’en colle en revanche. C’est de plus en plus dur de la supporter. Je sais pas si je l’ai endommagé ou si le vampire devient plus puissant et que cela est de plus en plus douloureux à confronter, mais j’sais pas comment on continuerai notre vie si j’y renonce … t’as un avis sur la question ? »

J’aurais pu aussi commencer par là. J’ai jamais trop abordé le poids de ce charme, l’impossible dilemme qui pourrait se résoudre simplement en connaissant l’avis de l’homme que j’aime. Parce que oui, je le supporterai plus que dix ans, il oublie que gentiment le temps s’allonge et qu’en fait ça commence à faire un p’tit moment qu’on se fréquente tous les deux … Je n’ai pas la moindre difficulté à m’imaginer l’éternité avec lui et je pense que sans être un vampire ou démon, aucun humain ne peut se figurer ce que cela représente.

« OK, mais pas dix ans … 5 ans Nath … on peut partir sur 5 ans max ? »

Elaine sera sans doute plus à la maison, elle aura pris un appart avec son copain si cela se trouve et Nath et moi seront à un autre stade de notre vie de couple. Dix ans, c’est trop long. Encore un paradoxe. Le temps file pour moi, dix ans lui paraissent long, et il sera peut-être trop tard. J’aimerais autant qu’il accepte de couper la poire en deux.

Son sursaut et la phrase qui s’ensuit répond à la question partiellement sur comment il m’a retrouvé. Je grimace.

« Matt ? Il est là ? Il m’en veut pas trop ? »

J’ai quand même bien flingué son hôtel, j’ai sans doute endommagé sa salle et franchement ça transpirais que lui avait du bien douiller en retour. Je crois que l’hôtel et lui sont plus liés que ce l’on peut imaginer et j’imagine assez que l’un doit souffrir lorsque l’autre est mis à rude épreuve. Je baisse les yeux.

« Si y’a une chose, c’est plutôt moi que Shawn pourra dézinguer … Je crois que je peux dire en toute honnêteté que j’ai était un Saint Connard alors qu’il a essayé de m’aider … J’ai pété son hôtel, je l’ai insulté et je suis parti comme un voleur … On a pas vraiment la même vision des choses et il me voit que comme un fuyard … »

Ok, je veux p’t être même pas être confronter à lui tout de suite. J’suis partagé entre la honte et une colère sourde qui pourtant n’est pas de sa faute. Mais tout ce que j’ai vécu dans cette salle … ce n’est qu’un enfer innommable qui me donne un frisson immédiat. Reste à savoir si cela se voit sur ma peau glaciale qu’une soudaine chair de poule se forme. Je n’ose toujours pas redresser mon visage et je me contente de proposer à Nath de ressortir. Je n’ai plus peur de le perdre, pas pour le moment en tout cas.

« Va le rejoindre. Je vous retrouve dès que le soleil sera couché … »

Je me retiens de lui dire qu'il est plus idiot que moi sur ce coup-là, même si je le frapperai bien d'avoir "oublié" de me dire que quelque chose clochait avec sa perle. J'avais bien vu qu'il la portait moins souvent qu'à l'accoutumée, mais je pensais que c'était du à ses sorties nocturnes avec Silas.

"Mon avis? C'est que j'avais une vie bien plus nocturne que la tienne avant d'te rencontrer. Et j'me contente de quelques heures de sommeil par jour, si j'ai pas un banquet à digérer en même temps. Ce qui veut dire que si tu veux me voir ailleurs que dans mon pieu en nocturne, faudra ralentir sur la cuisine. Deal?"

Quand j'parlais de dix ans, c'était du genre rhétorique, mais je ne sais pas résister à ses yeux de chat potté et je finis donc par acquiescer à sa demande d'un signe de tête.

" Dix ou cinq ans, ça s'ra toujours ma relation la plus longue."

A l'évocation de Matt, il me fait le topo de ce qui s'est passé entre eux avant qu'il ne prenne la poudre d'escampette. Si je lis entre les lignes, je dois comprendre que notre beau-frère a effectivement tenté de l'empêcher de déconner... je crois que c'est le double d'excuses que je lui dois...

"Si c'est que ça. Je crois qu'avec moi, il refusera pas les talents de guérisseur de Ryan. J'me suis légèrement défoulé sur lui, si tu vois c'que j'veux dire... deux fois. Il a fait mine de rien, mais j'l'ai vu grimacer, maintenant que j'y repense."

Le laisser pour rejoindre Matt dehors? Pour qu'il en profite pour disparaitre à nouveau? Oui non, va falloir un peu de temps avant qu'il ne retrouve ma confiance de ce point de vue là.

"Ou j'y passe un coup de fil pour qu'il se ramène. Il refusera pas de se mettre à l'ombre, à mon avis..."

Un sourire sincère vient illuminer mon visage.

« Si j’avais su … Ok, j’la garde, mais je lâche l’affaire de la tresser tous les matins. Ça veut quand même dire que toute la journée je vais être cloitré à la maison donc tu vas devoir m’y supporter … de toute façon c’est dans le même genre … faut que j’arrête aussi les repas alors que je supporte même pas l’odeur de la bouffe, j’suis quand même un crétin quand je m’y mets. »

Pas besoin de me le dire, à son regard, je sais qu’il est d’accord avec moi et je l’embrasse. Je suis quand même foutu de me trouver le mec parfait et de tout lâcher parce que j’ai peur de tout. J’me persuade que c’est pour protéger les autres, mais au final, c’est parce que je suis un trouillard. Je n’affronte pas ma véritable nature, je continue de faire semblant d’être humain, je fréquente les salles de saignée et collectionne les poches de don de sang plutôt que de chasser … Après une grande inspiration, me vient en résolution qu’il va y en avoir du boulot, mais que j’ai Nath, Silas, Matt et tant d’autres qui sont d’accord de m’aider (Shawn pas sûr qu’après le coup de l’abattoir il soit ok pour se relancer dans quoi que ce soit m’incluant, mais bon).

Si cela sera sa plus longue relation, pour moi, au jour d’aujourd’hui, c’est toujours Luka puisque nous avons été ensemble une petite dizaine d’années … Je suppose que c’est aussi pour cela que de me dire dix ans me marque autant … encore une fois, Nath ignore ce détail et si j’étais moins secret aussi, ça aiderait peut-être … je me décide donc à partager cet élément me disant qu’il mérite de savoir.

« On n’a pas atteint les dix ans avec Luka, il est mort quelques mois avant. »

Je hausse les épaules d’un air de lui dire « Prends cette info, fais-en ce que tu en veux, mais comprends pourquoi j’suis chiant ». Le sujet dévie sur Matt et j’ai bien l’impression qu’on va lui devoir plus qu’un dîner pour se faire pardonner, sans que je ne puisse sourire à l’idée que Nath ait pu abîmer un démon juste avec sa magie. Il est puissant. Ça m’excite plus qu’autre chose, mais j’lui dirais pas, il me traiterait de fou.

« Ok, ok. Va pour le coup de fil. Enfin, on est pas chez moi si jamais. Je suppose que tu t’en doutais, mais j’ai continué d’enquêter entre autre pour choisir mes – je déglutis – mes victimes et c’était une vraie enflure.  Je voulais partir ce soir de toute manière, les villageois commencent à avoir des doutes et je pense que je suis pas loin des fourche et des torches …  »

Il va y en avoir des choses à lui raconter si ça l’intéresse, c’est sûr. Je laisse mon cher et tendre appeler le démon pour l’inviter à nous rejoindre à l’intérieur de la hutte ce qu’il fait assez prestement. J’écarquille les yeux en voyant la gueule de son costume.

« Oh putain ! »

Nath a vraiment dû exploser. Littéralement.

« Euh Salut Matt … merci … merci d’être venu me chercher avec Nath. »

Je lui tends une main pour la serrer et lui adresse un sourire gêné. Il aurait clairement de quoi me retourner une gifle lui aussi et je n’ai même pas un kit de secours pour le soigner … ben oui, qui dit vampire dit guérison rapide et forcément pas vraiment de saignement.

Dante d'accord avec moi sur un point qui l'avantagerait lui et "me désavantagerait" moi? Il doit vraiment être à plat.

"Cela dit, si un soir t'as envie de mettre de la bolo dans les pates plutôt que me laisser acheter un paquet congelé, fais-toi plaiz. Mais j'suis sérieux, un kilo de pates et un paquet de jambon sous vide, j'fais la semaine avec, sans problème."

Je le laisse m'embrasser, y mettant un peu plus de bonne volonté cette fois-ci. Et c'est alors que j'y répond que le nombre des années n'a que peu d'importance pour moi, qui devrait pourtant les compter plus que lui, qu'il me balance cette bombe selon laquelle Luka et lui sont passés proches des dix ans. D'où sa réaction précédente... j'vais le tuer sérieusement, avec cette politique du secret qu'on a mis en place entre nous, lui et moi. Si j'avais su, j'aurai évité de... non, j'aurai mis les deux pieds dans le plat tout pareil en y pensant pas sur le moment. Ne trouvant rien à lui répondre, je me contente de glisser un bras autour de ses épaules alors qu'il les hausse comme si il m'avait parlé d'un éventuel risque de pluie pour la soirée. Quand à ce qu'il fichait ici au départ? J'ai pas besoin qu'il me l'explique pour que je le comprenne. Et lui ne comprend pas que c'est justement un truc que j'aime chez lui. Il pourrait tuer le premier être vivant qui passe à sa portée, mais non, il se casse la tête à enquêter pendant dieu sait combien de temps pour être sur que sa prochaine victime n'en est pas une... Bon, on avait parlé d'appeler Matt.

Le risque que le portable capte pas dans le fin fond de ce pays? J'y ai même pas pensé. Formidable que ça ai marché, pour le coup. Et si j'ai une moins bonne vue que Dante dans le noir, suffit de voir sa réaction pour se dire qu'en effet, le Matt, j'ai pas du le rater. J'l'avais prévenu faut dire.

"Une chose à redire sur l'infériorité des sorciers vis à vis des démons, Matt?"

Non, en vérité, ça ne me fait pas rire. Pas du tout même. Mais bon, vaut encore mieux le prendre à la rigolade qu'au reproche. Les reproches, c'est Matt qui va nous les sortir bientôt, parce que faudrait que la conversation soit un poil plus longue, de genre un an ou deux, pour qu'on ressorte tous les sujets oubliés sous le tapis, je crois.

"On a bientôt 40 et 70ans de trucs auxquels on pense même plus derrière nous, bien sur qu'il reste des trucs sous le tapis. Faudra juste qu'on arrête de les refoutre sous le tapis quand ils ressortent, non?"

Un baiser, une discussion sur la bolo et c’est toute ma vie qui semble reprendre du sens. J’acquiesce silencieusement ne sachant que trop bien qu’une fois encore il a raison. De nous deux, Nath est souvent celui qui a raison, sauf quand ça concerne Claire ou le nouveau petit ami de sa fille.

Le démon apparaît pour s’abriter de la chaleur. Je n’arrive pas à retenir un sourire amusé à leur échange et je m’en excuse tout aussi vite.

« Désolé Matt … Mais oui, je vois totalement ce que tu veux dire. »

Toutefois, je suis bien curieux de savoir ce que c’est que cette discussion sur l’infériorité des sorciers vis-à-vis des démons … Une discussion qui ne regarde peut-être que les deux hommes présents et je me tais. Quand je dis qu’on est passé maître dans l’art d’initier des tabous et les entretenir, je ne plaisante pas. Nath non plus apparemment et son ton direct et froid m’engage encore plus à la fermer. J’ai assez merdé pour aujourd’hui et si mon homme a envie de se trouver un autre punching ball que moi, j’avoue que je suis lâchement preneur. J’ai honnêtement envie que de câlins et de tendresse de sa part dans la seconde. Soixante dix ans ? Mais il parle de qu… ah … oui … faut dire qu’à force de me balader une tête de jeune, j’en oublie que j’ai bien plus que le double de mon âge et je mordille ma lèvre. Il abuse quand même, c’est vexant dit comme ça.

« Je pense même qu’on a réussi à en sortir assez pour une soirée et que la suite viendra bien assez naturellement … »

Je vais totalement dans son sens, je ne me sens de toute manière pas la force d’aller plus loin pour le coup. Comme si toute la pression retombée d’une traite, je m’affaisse contre le mur de bois non sans sentir une myriade d’écharde se loger dans ma chair. Foutue maison de m****.

« Comment vous avez fait pour me retrouver en fait ? Parce que, j’ai pas l’impression d’avoir vraiment trop laissé de traces, ou alors je suis vraiment un mauvais détective et faut que je change de métier. »

Je lève un minois interrogateur en direction de mon homme. Je n’avais pas encore pris le temps de réfléchir à la potentielle galère que cela a dû être pour eux de cheminer jusque …jusque-là. J’avoue toujours ignorer le nom du village dans lequel je me trouve et c’est d’autant plus surprenant que eux y soient arrivés. Je ramène mes genoux contre mon torse et sers mes bras autour. Je n’ai portant rien fait d’extraordinaire, mais je me sens épuisé et je ne suis plus aussi sûr d’avoir la force de chercher le village suivant. De plus, je ne sais pas ce que Nath a prévu ou Matt. Ils repartent comme ils sont venus ? Je rentre avec eux ? Je peux kidnapper Nath pour un petit road trip à l’improviste ? Je mettrais ma main à couper que c’est la première fois qu’il quitte les USA de sa vie et j’suis plutôt sûr qu’il ne s’attendait pas non plus à devoir aller me chercher aussi loin … j’ai fait tout ce que j’ai pu pour m’éloigner de lui, ne pas être tenté de le rejoindre, ne pas succomber à mes faiblesses. C’est maintenant que je l’ai avec moi, que je me rends compte à quel point j’avais tort. Il est ma force, ma vitalité, mon bonheur … Je tends la main en direction de mon homme et attrape le bout de ses doigts avec lesquels je joue distraitement. Je sais que j’ai posé une question et que je devrais écouter, mais la fatigue me gagne alors que paradoxalement, l’astre du jour décline. Ça ira mieux quand il aura totalement disparu, mais cela ne répond pas à mon inquiétude sur où iront nous ?

Ma plaisanterie, davantage sortie du peu que j'en sais des démons et de leur à-priori sur le reste du monde, fait un si beau flop que Matt trouve à la prendre au sérieux.

"Ouais, t'es un vieux crouton quoi."

J'offre un regard à Dante quand Matt et lui ont des avis tout à fait différents sur la question de ce fameux paillasson. Moi aussi, je trouve qu'on s'en est balancés assez pour la journée. J'ai pas envie d'en soulever d'autres, au risque de relancer la purée et j'ai franchement pas envie. Pis nan, dans l'immédiat, j'vois pas trop de quoi d'autre on pourrait se prendre la tête. Y aura bien d'autres occasions de le faire, va. Pas la peine de les chercher dans l'immédiat. Faudra juste pas qu'on les évite quand elles nous tomberont dessus, c'tout.

La question de Dante est légitime, et en même temps, c'est pas moi qu'il faut regarder sur ce coup. Moi, je me suis contenté de convaincre le beau-frère de le retrouver. Alors je m'installe à ses cotés une fois de plus, faisant plus attention que lui à la descente jusqu'au sol, pour l'attirer contre moi.

"J'te dirai bien que j'ai eu du flair, mais le mérite en revient à Matt. J'me suis contenté de le bousculer pour qu'il te trouve."

Matt qui explique d'ailleurs comment il a fait, en exposant la fameuse perle qui se trouve être une partie du problème entre nous. Une partie de la solution aussi, du coup. Faudra peut-être attendre un peu avant de la bazarder, non?

Ouaaaah … je préfère éviter de répondre parce que Nath a pas besoin que je parle à sa place, mais j’imagine que dans ce cas, Matt n’a pas beaucoup d’estime non plus pour le vampire que je suis … Je sais pas comment Shawn peut dealer avec un démon et son égo – oui j’assume de dire qu’ils doivent être deux, c’est trop pour un seul corps – mais je vois que mon sorcier est tout autant dépité par le sérieux avec lequel Matt prend sa réflexion. Je fais un signe rapide à Nath comme quoi je ne vais pas relever et je me satisfais bien plus de le voir venir se blottir contre moi qu’autre chose. Notre paillasson, on va s’en occuper, mais on a le temps maintenant qu’on est réunis et j’ai bien compris ma leçon. Le démon peut dire ce qu’il veut, il ne nous connaît pas si bien que cela et je trouve injuste que nous soyons catalogué de la sorte … y’a pas de raison qu’on arrive pas à s’améliorer dans notre manière de dialoguer le sorcier et moi.

Je colle mon nez froid contre sa joue et la chatouille avec avant d’y déposer un baiser.

« Encore une fois, merci Matt. »

Je n’ai pas besoin d’être d’accord avec lui pour lui être reconnaissant de ce qu’il a fait pour notre couple. Je ne trouve pas les humains fascinants, je suis – j’ai été – humain, je ne me considère pas d’une autre espèce que mon homme et je n’ai pas cette attractivité sordide. C’est pas rien et je grimace en voyant la perle. Il a eu clairement une douzaine de jours pour s’amuser avec et l’étudier tout ce qu’il veut.

Je tends la main en direction de la perle qu’il me donne. Elle tourne dans la paume de ma main et je fronce les sourcils.

« Non, il n’y avait rien … »

Je tresse la perle dans mes cheveux comme si l’habitude n’avait jamais été interrompue et ferme les yeux. Je ne sens plus que le contact de Nath contre moi et la magie de l’artefact. Je soupire et ouvre mes paupières.

« Je te crois quand tu dis que le rituel a pu être complété, mais je pense qu’il faut se rendre à l’évidence. Il y a aussi un souci de compatibilité entre moi et cette magie. »

Je me lève, attrape le bras de Nath au passage pour l’aider à se relever avec moi et me dirige vers la sortie où le soleil brille toujours faiblement, assez pour tuer un vampire, mais pas moi. Pas aujourd’hui.

Je fronce les yeux à la lumière blessante du soleil, mais la perle me protège à nouveau et j’attire Nath contre moi et l’embrasse à la lumière du jour.

« Cette perle est ma perte et ma rédemption finalement … »

Je souris à mon homme alors que le démon nous rejoint à l’extérieur. Au loin, j’aperçois un petit groupe de villageois qui commencent à s’amonceler et regarde dans notre direction. Je soupire. Ils doivent comprendre qu’un truc étrange se déroule sous leur nez, sans comprendre exactement quoi et je me contente de me tourner vers mes sauveurs.

« Il faut quand même qu’on dégage … le cadavre dans le placard va pas tarder à sortir. »

Non, il est pas littéralement dans le placard, plutôt enterrer à l’arrière de la cabane, mais j’pense vraiment que les rongeurs vont finir par déterrer un orteil et le ramener au milieu de la place. Juste de quoi faire sortir définitivement les fourches et les torches.

« Vous avez un véhicule ? Parce que perso, j’ai tout fait à pied, mais j’suis pas sûr que vous pouvez suivre. »

Je porte volontiers mon prince, mais le démon m’a bien prouvé qu’il était déjà pas fana de monter les 4 étages jusqu’à notre appartement, alors si on a la possibilité de filer un peu plus vite, ça serait pas de refus.

Je laisse les deux immortels parler un moment, me contentant d'être là pour Dante, même si il n'a clairement pas intérêt à me refaire un coup pareil de sitôt. J'ai pas le pardon facile, et il a une putain de chance que je sois trop dingue de lui pour l'abandonner en retour comme lui a si bien essayé de le faire.
Quand il finit par se relever, j'attrape la main qu'il me tend pour le suivre dans le mouvement, gardant mes doigts serrés dans les siens une fois que nous sommes à nouveau debout. Peur qu'il m'échappe de nouveau? Peut-être. Je le laisse m'entrainer dehors avec une certaine appréhension, craignant suffisamment que les jeux de sorts de Matt sur sa perle en ai diminué l'effet pour le retenir une demi-seconde avant qu'il n'ouvre la porte. Apparemment pas, cependant, et c'est tant mieux, même si j'imagine combien ses yeux ne doivent pas aimer la blague quand les miens, qui ont du passer un quart d'heure à l'intérieur, ont déjà du mal à faire la transition.
Matt nous suit dehors alors que la population alentour nous observe clairement, semblant même surpris qu'on soit dehors avant la tombée de la nuit. Ou alors c'est notre teint pâle et l'impression que Matt est passé sous un train qui leur fait cet effet là.

"Je t'aime Dante, mais je vote pour la Jeep aussi. C'pas comme si on avait dix bornes à faire. J't'ai déjà dit que t'étais complètement timbré d'être allé te perdre aussi loin?"

En vérité, je dis pas non plus non à une douche et du repos. Parce que la douche, même sans compter la chaleur qu'il fait dehors, j'en connais au moins deux qui en ont grand besoin pour se débarrasser du sang qu'ils ont sur eux, et le repos, c'est moi qui en ai besoin, à force de nuits blanches à l'attendre puis de mêmes nuits blanches à chercher un moyen de le retrouver. J'ai beau me contenter de peu de sommeil, j'ai plus que épuisé mes réserves.

"Dis moi que j'peux espérer fermer les yeux sans que tu disparaisse à nouveau. J'ai autant besoin de dormir et envie de le faire dans tes bras que j'ai peur de me réveiller seul, encore."

Je finis par lui coller une claque sur le pectoral, loin d'être en capacité de lui faire mal.

"Et voilà, avec tes conneries, c'est moi qui devient niais et tous ces trucs de licornes dont tu t'auto-critiques sans arrêt. Idiot. Espèce de stupide idiot à la manque."

Je fronce les sourcils et je ne suis pas qu’un peu dégouté par la réponse de Matt … il veut considérer que je garde mon humanité grâce à la perle ? Tant mieux pour lui, mais je pense que même sans, je reste l’homme – le démon – que je suis et que rien ne changera à la part d’humanité que je conserve ou non. Je trouve incroyablement défaitiste et horrible de penser que ce n’est que grâce à un artefact magie que je suis ainsi aujourd’hui et je ne préfère pas répondre me contentant de serrer un peu plus fort la main de mon homme. Cela me heurte. Au plus profond et je crois bien que cela finira par être un nouvel abcès à crever. Le démon considère que je suis mieux que les autres vampires ou simplement que je suis manipulable par cette perle ? Cela fait quoi de Silas ? Un monstre juste parce qu’il ne porte pas un tel bijoux et relativise différemment sa part d’ombre ?

En tout cas, la réponse de Nath en sortant de la cabane me fait tourner un regard vers lui, mais mon visage reste bercer par la part de ténèbres que vient de mettre à jour le démon. Cela ne fait que générer de nouveaux conflits en moi et le regard meurtri que je porte à mon homme doit me trahir totalement auprès de lui.

« Oui, je sais … Je t’aime aussi chaton. »

Je n’ai même pas la force de répondre à son trait d’humour, alors qu’il tente sans doute de me requinquer. C’est pourtant lui qui a souffert, de mon départ, de l’abandon, de l’inquiétude … voilà … c’est ça ma part d’humanité ? Un con qui fait souffrir l’homme qu’il aime. Je mordille ma lèvre maladroitement, me sentant de plus en plus envahi par les propos du démon. Je me tourne vers mon homme alors que l’inquiétude transperce sa voix. Ma main vient caresser ses cheveux et je dépose un baiser fugace sur son front après que sa main ait heurté mon torse en signe de protestation à ma connerie.

« Tu peux dormir … je serais là. »

J’esquisse un léger sourire à sa remarque sur le fait que je déteigne sur lui. Ma licorne d’amour. Je me décide à le prendre dans mes bras et le serre fort contre moi alors qu’une larme vient perler au coin de mes yeux endoloris déjà par la lumière du jour.

« J’suis ton idiot et t’es ma licorne … j’ai plus de force de toutes manières. Je déteste cette perle, je déteste qui je suis et j’en peux plus de ces conneries … »

Je ne crois pas que je laisse vraiment le temps à Nath de me répondre et quitte la douceur de ses bras pour me diriger en direction de la jeep désigner par le démon … J’essuie de manière fugace cette foutue larme, preuve de ma faiblesse et m’avance d’un pas décidé pour ne pas montrer à mon sorcier encore plus de ce que cela retourne en moi. J’avoue que dans l’immédiat, j’ai juste envie d’être seul avec lui et de pouvoir effectivement sortir de sous le tapis nos discussions en suspens. Pour le coup, je me contente de me glisser à l’arrière du véhicule, au creux des bras de mon homme et me renferme sur moi-même. Nous devons encore attendre quelques temps avant que la lumière du jour ne soit plus qu’un souvenir et je ne sais pas ce qui me retiendrait de ne pas réduire en miette cette magie qui m’oppresse. C’était tout bonnement l’argument de trop en faveur de l’aberration que je suis. Le ronronnement de la voiture se fait entendre et nous quittons définitivement le village qui m’a accueilli ces derniers temps. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si j’ai plus facilement tué mes dernières victimes, sans remords ni regrets, si la perle n’est qu’une illusion d’humanité ou si je la possède vraiment. Je m’écrase entre mes bras et n’ose plus affronter le regard de personne. Tout ce qui m’importe en cette seconde, c’est les battements de cœur de mon cher et tendre qui m’avaient tant manqué, sa respiration régulière et la chaleur de son corps … Bientôt, le démon me ferait croire que c’est la perle qui me fait aimer un humain plutôt que vraiment l’homme qu’il est … C’est pour cela que je ne veux pas y croire une seule seconde à ce qu’il m’a dit. Je refuse que cela soit la réalité et s’il faut que j’abandonne de pouvoir me promener en plein jour pour cela, je le ferais.